CASS. CIV. 1re, 9 juillet 2025
- CA Chambéry (2e ch.), 23 mai 2024 : RG n° 22/00791
CERCLAB - DOCUMENT N° 24542
CASS. CIV. 1re, 9 juillet 2025 : pourvoi n° 24-18018 ; arrêt n° 498
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extraits : 1/ « 10. La Cour de cassation fait régulièrement application de ces principes lorsqu'elle examine le caractère abusif de clauses insérées dans des contrats de prêts multidevises ou libellés dans une devise étrangère qui n'est pas la monnaie de paiement, exigeant des juges du fond qu'ils recherchent si la banque a bien fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, notamment dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la monnaie de compte (Cass., 1re civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316, Bull., Cass., 1re civ., 7 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.826, Cass., 1re Civ., 18 septembre 2024, pourvoi n° 22-21.976).
11. En revanche, s'agissant de prêts consentis dans une devise étrangère et remboursables dans la même devise, souscrit par des emprunteurs percevant leurs revenus dans la même monnaie à la date de conclusion des contrats, la première chambre civile avait admis l'analyse d'une cour d'appel ayant considéré qu'il n'existait aucun risque de change dans de telles circonstances et qui en avait déduit que les clauses litigieuses ne présentaient pas un caractère abusif (Cass., 1re Civ., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié).
12. Cette analyse doit être amendée, en ce qu'elle appréciait le caractère clair et compréhensible de la clause contestée au regard d'un risque de change évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l'emprunteur s'exposait pendant toute la durée du contrat. 13. Lorsqu'un prêt, consenti dans une devise étrangère, stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change pesant sur l'emprunteur, il convient, afin d'assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive précitée, de prendre en compte l'ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu'à son terme permettant de satisfaire l'exigence de transparence nécessaire à sa complète information. Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l'emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l'objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte. 14. Il s'ensuit que l'établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères doit fournir à l'emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d'un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d'exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l'emprunteur de mesurer, notamment, l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l'emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours de l'exécution du contrat.
15. En l'espèce, après avoir relevé que la clause relative au remboursement des échéances constitue l'objet principal du contrat de prêt immobilier souscrit entre les parties et ne peut donc être considérée comme abusive que si elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible, l'arrêt en reproduit les termes, dont il retient, d'abord, la clarté grammaticale. 16. Il énonce, ensuite, sur le fondement de l'interprétation qui en a été faite par la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 30 avril 2014, Kasler et Káslerné Rábai, C-26/13), que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s'entendre comme imposant que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques qui en découlent pour lui. 17. Il relève, par motifs propres et adoptés, que l'emprunteur, qui travaillait en Suisse au moment de l'emprunt et était rémunéré dans la devise de remboursement d'un emprunt bénéficiant d'un taux d'intérêt très attractif, a pu se convaincre de la portée de la clause litigieuse en considération des informations qui lui ont été données dans l'offre de prêt et dans les deux notices d'informations relatives aux prêts en devises qu'il a émargées, incluant le document d'information établi en application de la recommandation de l'autorité de contrôle prudentiel des banques du 6 avril 2012. Il constate que ces notices, dont il reproduit les termes, font état de ce que l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêt, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français, et qui peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise, et appellent son attention sur le fait que le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt, dans la mesure où, selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit, et qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt, le risque de change devant être apprécié lors de la demande de financement mais aussi sur le long terme, la situation personnelle de l'emprunteur pouvant évoluer notamment en cas de perte de revenus dans la devise, ces variations pouvant avoir pour son projet des conséquences financières importantes lors de la mise en place du financement, du paiement des échéances et d'un remboursement par anticipation. Il retient enfin que le mécanisme du remboursement en devise est parfaitement décrit : soit le remboursement se fait par utilisation de devises disponibles sur un compte spécifique, soit il se fait par l'achat de devises, le risque de change étant supporté par l'emprunteur dans ce dernier cas.
18. En l'état de ces seules constatations et appréciations, faisant ressortir que, par la clause de remboursement des échéances et la documentation l'accompagnant, la banque avait exposé à l'emprunteur, de manière claire et transparente, le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé et ses conséquences, sur toute la durée du contrat, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a, abstraction faite du motif erroné critiqué par la première branche, écarté à bon droit la demande tendant à voir constater le caractère abusif d'une clause relative à l'objet du contrat. »
2/ « 23. Ayant relevé, par des motifs propres et réputés adoptés non contraires aux siens, d'abord, qu'à la date de conclusion du contrat, l'emprunteur qui travaillait à temps plein en Suisse, sous contrat à durée indéterminée, percevait un salaire en francs suisses trois fois supérieur au montant fixe des mensualités du prêt, de sorte que l'octroi d'un prêt en devises aux mensualités constantes ne lui faisait supporter aucun risque de change tant qu'il demeurait rémunéré dans cette devise, ensuite que s'il avait été licencié de son précédent emploi le 31 janvier 2017, l'emprunteur était toujours domicilié en zone frontalière et qu'il était établi par la banque qu'il occupait depuis le 2 juillet 2020 un autre emploi en Suisse pour un salaire équivalent voire supérieur, enfin que l'emprunteur ne démontrait pas avoir informé la banque de cette perte d'emploi et que, dans l'intervalle, il n'avait pas justifié de ses revenus en francs suisses ou en euros par ses avis d'imposition, faisant ainsi ressortir que l'emprunteur ne justifiait pas du préjudice subi, tenant à la variation du taux de change qui aurait affecté la charge de ses remboursements au cours du prêt et en particulier entre 2017 et 2020, la cour d'appel a pu rejeter la demande indemnitaire dirigée contre la banque. 24. Le moyen, rendu inopérant par les appréciations souveraines qui précèdent, ne peut être accueilli. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 9 JUILLET 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : F 24-18.018. Arrêt n° 498 FS-B.
DEMANDEUR à la cassation : Monsieur X.
DÉFENDEUR à la cassation : Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie
Mme CHAMPALAUNE, présidente.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
M. X., domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 24-18.018 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2024 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseillère, les observations écrites et orales de Me Laurent Goldman, avocat de M. X., les observations écrites et orales de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, Mme Tréard, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, MM. Bruyère, Ancel, Mmes Peyregne-Wable, Corneloup, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseillère référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 23 mai 2024), le 11 février 2014, la société caisse régionale du Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à M. X. (l'emprunteur), lequel travaillait alors en Suisse, un prêt immobilier libellé en francs suisses, remboursable dans la même devise, destiné à l'acquisition d'un appartement, en France, et au financement de travaux.
2. À la suite d'échéances impayées et après mises en demeure restées vaines, la banque a prononcé la déchéance du terme de ce prêt le 6 août 2019.
3. Le 12 novembre 2020, l'emprunteur a assigné la banque en annulation du prêt et indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens :
Sur le second moyen, pris en sa cinquième branche :
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
5. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande aux fins de déclarer abusive la clause du contrat de prêt faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, alors :
« 1°/ que la conclusion d'un prêt en devises, remboursable dans cette devise, par un résident français percevant ses revenus dans cette devise, mais destinant les fonds à financer un bien en euros, est susceptible, pendant toute la durée du prêt, d'engendrer un risque de change tant à raison de ce que la contre-valeur du bien financé est en euros que de la possible modification de la devise de perception des revenus de l'emprunteur ; qu'en retenant, pour écarter le caractère abusif de la clause de remboursement, qu'il n'existait aucun risque de change à la date du prêt à raison de ce que l'emprunteur percevait ses revenus en francs suisses, de sorte qu'il n'avait pas besoin d'acquérir des devises pour procéder au remboursement du prêt, ce qui n'était pas de nature à écarter l'existence d'un risque de change pendant toute la durée du prêt, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
2°/ que lorsqu'elle consent un prêt libellé et remboursable en devises à un résident français qui destine les fonds au financement d'une acquisition en euros, et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de l'euro ; qu'en se bornant à énoncer, après avoir relaté la clause litigieuse, que le mécanisme du remboursement en devises, suivant lequel l'emprunteur ne supporte le risque de change que si le remboursement nécessite d'acquérir des devises, était parfaitement décrit, sans rechercher si la banque avait fourni à l'emprunteur des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro, monnaie dans laquelle le bien était acquis, ou d'une modification de la devise dans laquelle M. X. percevait ses revenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
3°/ qu'en tout état de cause, en se contentant d'énoncer par motifs éventuellement adoptés que l'emprunteur avait pu se convaincre de la portée de la clause de remboursement litigieuse en considération des informations, dont elle a rappelé la teneur, qui lui avaient été données dans l'offre de prêt et dans les deux notices d'informations relatives aux prêts en devises qu'il avait émargées, sans constater que la banque lui avait ainsi fourni des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de l'euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
4°/ que, au demeurant, l'appréciation de la clarté d'une clause se fait à l'aune du standard abstrait du consommateur moyen, c'est-à-dire un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et non au regard des compétences ou connaissances de l'emprunteur concerné ; qu'en se fondant également par motifs éventuellement adoptés, pour dire que l'emprunteur avait pu se convaincre de la portée de la clause litigieuse, sur la circonstance inopérante qu'il était un travailleur frontalier rémunéré en francs suisses au moment de la souscription du prêt, la cour d'appel, qui n'a ainsi pas apprécié la transparence de la clause pour le consommateur moyen, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
5°/ que les clauses d'un contrat de prêt libellé et remboursable en devises qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ; qu'en se fondant encore par motifs éventuellement adoptés, pour écarter le caractère abusif de la clause de remboursement, sur la circonstance inopérante que ladite clause était susceptible de jouer au détriment comme à l'avantage de l'emprunteur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
6. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
7. Cette disposition transpose l'article 4 de la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, qui précise, en son paragraphe 1, que le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.
8. La Cour de justice a rappelé que, dans le cadre de l'exercice de la compétence d'interprétation du droit communautaire qui lui est conférée à l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne, elle peut interpréter les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive et a dit pour droit qu'il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l'objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d'abusive au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive (CJCE, arrêt du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02).
9. Après avoir énoncé que l'exigence de transparence des clauses contractuelles posée par la directive n° 93/13 ne saurait donc être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci, elle a encore dit pour droit, s'agissant de contrats de prêt prévoyant une devise étrangère comme monnaie de compte et son remboursement dans une autre devise nationale, que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible, doit s'entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (CJUE, arrêt du 30 avril 2014, Kasler et Káslerné Rábai, C-26/13). Cette même exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, afin qu'il puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières (CJUE, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17) et ce pendant toute la durée de ce même contrat (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19). Cette exigence suppose également que, dans le cas des contrats de crédit en devises, les établissements financiers fournissent aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, celles-ci devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger. L'emprunteur doit être clairement informé du fait que, en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus (CJUE, arrêt du 20 septembre 2017, C-186/16, Andriciuc e.a., précité points 49 et 50).
10. La Cour de cassation fait régulièrement application de ces principes lorsqu'elle examine le caractère abusif de clauses insérées dans des contrats de prêts multidevises ou libellés dans une devise étrangère qui n'est pas la monnaie de paiement, exigeant des juges du fond qu'ils recherchent si la banque a bien fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, notamment dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la monnaie de compte (Cass., 1re civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316, Bull., Cass., 1re civ., 7 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.826, Cass., 1re Civ., 18 septembre 2024, pourvoi n° 22-21.976).
11. En revanche, s'agissant de prêts consentis dans une devise étrangère et remboursables dans la même devise, souscrit par des emprunteurs percevant leurs revenus dans la même monnaie à la date de conclusion des contrats, la première chambre civile avait admis l'analyse d'une cour d'appel ayant considéré qu'il n'existait aucun risque de change dans de telles circonstances et qui en avait déduit que les clauses litigieuses ne présentaient pas un caractère abusif (Cass., 1re Civ., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié).
12. Cette analyse doit être amendée, en ce qu'elle appréciait le caractère clair et compréhensible de la clause contestée au regard d'un risque de change évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l'emprunteur s'exposait pendant toute la durée du contrat.
13. Lorsqu'un prêt, consenti dans une devise étrangère, stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change pesant sur l'emprunteur, il convient, afin d'assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive précitée, de prendre en compte l'ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu'à son terme permettant de satisfaire l'exigence de transparence nécessaire à sa complète information. Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l'emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l'objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte.
14. Il s'ensuit que l'établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères doit fournir à l'emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d'un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d'exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l'emprunteur de mesurer, notamment, l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l'emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours de l'exécution du contrat.
15. En l'espèce, après avoir relevé que la clause relative au remboursement des échéances constitue l'objet principal du contrat de prêt immobilier souscrit entre les parties et ne peut donc être considérée comme abusive que si elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible, l'arrêt en reproduit les termes, dont il retient, d'abord, la clarté grammaticale.
16. Il énonce, ensuite, sur le fondement de l'interprétation qui en a été faite par la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 30 avril 2014, Kasler et Káslerné Rábai, C-26/13), que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s'entendre comme imposant que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
17. Il relève, par motifs propres et adoptés, que l'emprunteur, qui travaillait en Suisse au moment de l'emprunt et était rémunéré dans la devise de remboursement d'un emprunt bénéficiant d'un taux d'intérêt très attractif, a pu se convaincre de la portée de la clause litigieuse en considération des informations qui lui ont été données dans l'offre de prêt et dans les deux notices d'informations relatives aux prêts en devises qu'il a émargées, incluant le document d'information établi en application de la recommandation de l'autorité de contrôle prudentiel des banques du 6 avril 2012. Il constate que ces notices, dont il reproduit les termes, font état de ce que l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêt, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français, et qui peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise, et appellent son attention sur le fait que le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt, dans la mesure où, selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit, et qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt, le risque de change devant être apprécié lors de la demande de financement mais aussi sur le long terme, la situation personnelle de l'emprunteur pouvant évoluer notamment en cas de perte de revenus dans la devise, ces variations pouvant avoir pour son projet des conséquences financières importantes lors de la mise en place du financement, du paiement des échéances et d'un remboursement par anticipation. Il retient enfin que le mécanisme du remboursement en devise est parfaitement décrit : soit le remboursement se fait par utilisation de devises disponibles sur un compte spécifique, soit il se fait par l'achat de devises, le risque de change étant supporté par l'emprunteur dans ce dernier cas.
18. En l'état de ces seules constatations et appréciations, faisant ressortir que, par la clause de remboursement des échéances et la documentation l'accompagnant, la banque avait exposé à l'emprunteur, de manière claire et transparente, le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé et ses conséquences, sur toute la durée du contrat, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a, abstraction faite du motif erroné critiqué par la première branche, écarté à bon droit la demande tendant à voir constater le caractère abusif d'une clause relative à l'objet du contrat.
19. Le moyen, qui critique des motifs surabondants en ses quatrième et cinquième branches, ne peut donc être accueilli pour le surplus.
Sur la question préjudicielle :
20. L'emprunteur suggère à la Cour de poser une question préjudicielle.
21. Les motifs du présent arrêt rendent sans objet cette question préjudicielle. Il n'y a, en conséquence, pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne.
Et sur le second moyen, pris en ses première à quatrième branches :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
22. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts au titre d'un manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil, alors :
« 1°/ que lorsqu'elle consent un prêt libellé et remboursable en devises à un résident français qui destine les fonds au financement d'une acquisition en euros, et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de l'euro ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, qu'il n'existait aucun risque lié à la variation du taux de change s'agissant d'un emprunteur rémunéré directement dans la monnaie de paiement des échéances et que, au surplus, la question de la variation du taux de change était sans emport sur l'information que devait communiquer la banque à l'emprunteur au sujet des sûretés qu'elle prenait sur le bien financé, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que, en tout état de cause, en se bornant à affirmer par motifs éventuellement adoptés, sur la base de mentions de l'offre de prêt et de deux notices d'informations qu'elle se contentait de citer, que l'information sur les prêts en devises et leurs risques spécifiques avait été portée à la connaissance de M. X., sans constater que la banque avait fourni à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de l'euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ que, de surcroît, lorsqu'elle consent un prêt libellé et remboursable en devises à un résident français, travailleur frontalier, qui destine les fonds au financement d'une acquisition en euros, et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de conseiller celui-ci sur les possibilités de souscription individuelle d'une assurance garantissant le risque de perte d'emploi ou s'assurer que son refus de souscrire une telle assurance est parfaitement éclairé et ne résulte pas d'un éventuel manque d'information ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que l'emprunteur était, lors de la souscription du prêt litigieux, salarié en Suisse, s'est fondée, pour écarter toute responsabilité de la banque au titre de l'absence de souscription par l'emprunteur d'une assurance individuelle perte d'emploi, sur les circonstances inopérantes qu'il était, au moment de la conclusion du contrat, en capacité de faire face au prêt, qu'il n'avait déjà pas adhéré à l'assurance décès/incapacité avec perte d'emploi qui lui avait été proposée par la banque, que sa perte d'emploi en janvier 2017 était sans rapport avec la prétendue fragilité de l'emploi du transfrontalier et qu'il ne démontrait pas avoir informé la banque de cette perte d'emploi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°/ qu'en retenant également par motifs adoptés, pour statuer comme elle l'a fait, que le risque de perte d'emploi n'était pas de nature différente selon que l'emprunteur travaille sur le territoire français ou à l'étranger et pouvait être raisonnablement appréhendé par un emprunteur quelconque normalement avisé, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
23. Ayant relevé, par des motifs propres et réputés adoptés non contraires aux siens, d'abord, qu'à la date de conclusion du contrat, l'emprunteur qui travaillait à temps plein en Suisse, sous contrat à durée indéterminée, percevait un salaire en francs suisses trois fois supérieur au montant fixe des mensualités du prêt, de sorte que l'octroi d'un prêt en devises aux mensualités constantes ne lui faisait supporter aucun risque de change tant qu'il demeurait rémunéré dans cette devise, ensuite que s'il avait été licencié de son précédent emploi le 31 janvier 2017, l'emprunteur était toujours domicilié en zone frontalière et qu'il était établi par la banque qu'il occupait depuis le 2 juillet 2020 un autre emploi en Suisse pour un salaire équivalent voire supérieur, enfin que l'emprunteur ne démontrait pas avoir informé la banque de cette perte d'emploi et que, dans l'intervalle, il n'avait pas justifié de ses revenus en francs suisses ou en euros par ses avis d'imposition, faisant ainsi ressortir que l'emprunteur ne justifiait pas du préjudice subi, tenant à la variation du taux de change qui aurait affecté la charge de ses remboursements au cours du prêt et en particulier entre 2017 et 2020, la cour d'appel a pu rejeter la demande indemnitaire dirigée contre la banque.
24. Le moyen, rendu inopérant par les appréciations souveraines qui précèdent, ne peut être accueilli.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, la Cour : DIT n'y avoir lieu à question préjudicielle ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. X. et le condamne à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 3.000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.