CASS. CIV. 3e, 4 septembre 2025
- CA Chambéry (2e ch.), 11 avril 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 24570
CASS. CIV. 3e, 4 septembre 2025 : pourvoi n° 24-17470 ; arrêt n° 383
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extrait : « 8. Selon le second, les communes et les groupements de collectivités territoriales établissent, pour chaque service d'eau ou d'assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l'exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires. L'exploitant remet à chaque abonné le règlement de service ou le lui adresse par courrier postal ou électronique. Le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l'abonné. 9. Le Conseil d'Etat juge qu'eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture (CE, 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458, publié au recueil Lebon). 10. Dès lors que le dommage causé par la fuite survenue sur une canalisation de distribution d'eau potable, située en amont d'un compteur individuel et sur la propriété desservie, se rattache à l'exécution des obligations de l'exploitant d'un service public industriel et commercial et de celles de l'usager, définies par le règlement de service, l'action en réparation de ce fait dommageable est fondée sur les règles de la responsabilité contractuelle, le demandeur ne pouvant se prévaloir, au motif que la canalisation défectueuse constitue un ouvrage public, des règles de la responsabilité sans faute des dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'un tel ouvrage.
11. Pour retenir la responsabilité de la communauté d'agglomération, l'arrêt énonce qu'il est de jurisprudence constante que les canalisations d'adduction d'eau potable, même situées sur des propriétés privées et en amont des compteurs, sont des ouvrages publics, et que, par suite, les conséquences d'une fuite d'un tel branchement reliant la conduite principale au compteur individuel, par un passage sur la propriété d'un abonné, relèvent de la responsabilité du service de distribution d'eau. 12. Il en déduit que, sans qu'il y ait lieu d'apprécier la régularité des stipulations du règlement de service, la communauté d'agglomération est seule responsable de l'ouvrage et de son entretien et que M. et Mme X. sont donc fondés à lui reprocher un défaut de surveillance du réseau et un défaut d'entretien normal de la canalisation.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres tirés de la qualification d'ouvrage public de la canalisation à l'origine du dommage, sans rechercher, comme il lui incombait, si le dommage résultait de l'inexécution par l'exploitant de ses obligations, telles que définies par le règlement de service applicable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 4 SEPTEMBRE 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : K 24-17.470. Arrêt n° 383 FS-B.
DEMANDEUR à la cassation : Communauté d'agglomération Arlysère
DÉFENDEUR à la cassation : X. – Y. épouse X.
Président : Mme Teiller (président). Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SARL Cabinet Munier-Apaire.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
La communauté d'agglomération Arlysère, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 24-17.470 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2024 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. X., 2°/ à Mme Y., épouse X., tous deux domiciliés [Adresse 1], défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la communauté d'agglomération Arlysère, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme X., et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocate générale, après
débats en l'audience publique du 3 juin 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseillère doyenne, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocate générale, et Mme Letourneur, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 avril 2024), M. et Mme X. sont propriétaires d'une maison d'habitation.
2. Le 23 septembre 2019, ils ont informé la communauté d'agglomération Arlysère (la communauté d'agglomération), qui exerce en régie le service public de distribution d'eau sur leur commune, d'une fuite provenant d'une canalisation enterrée sous leur propriété, en amont du compteur individuel situé à l'intérieur de leur habitation.
3. Le 9 octobre 2019, la communauté d'agglomération a procédé, à ses frais, à l'installation d'un nouveau compteur en limite de propriété et d'une canalisation aérienne, dans l'attente du remplacement par M. et Mme X. de la canalisation défectueuse.
4. Contestant le refus de la communauté d'agglomération de prendre en charge le coût des travaux de réfection de la conduite d'eau enterrée, M. et Mme X. l'ont assignée en remboursement des sommes qu'ils avaient réglées pour la remise en état de l'ouvrage.
5. La communauté d'agglomération a sollicité, à titre reconventionnel, le remboursement du coût des travaux qu'elle avait réalisés à ses frais.
Examen du moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Enoncé du moyen :
6. La communauté d'agglomération fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme X. une certaine somme au titre des travaux de reprise consécutifs à la fuite signalée le 23 septembre 2019, une autre somme à titre de dommages et intérêts pour leur préjudice de jouissance, et de rejeter sa demande en remboursement des frais avancés pour la réparation de la fuite, alors « qu'aux termes du règlement service eau potable Arlysère Agglomération, le branchement d'eau potable comprend deux parties distinctes, l'une située en domaine public, dont le service de l'eau est propriétaire et prend à sa charge les réparations et les dommages pouvant en résulter et l'autre, lorsque le compteur n'est pas placé en limite de propriété et qu'une partie du branchement avant compteur est située sur la propriété privée, qui appartient au propriétaire de l'immeuble et qui a la charge de sa garde, sa surveillance, sa réparation et doit entretenir les canalisations situées sur son terrain privé, y compris pour la partie en amont du compteur et dont l'abonné s'oblige à effectuer les travaux de réparation, en cas de fuite ; qu'en jugeant que la communauté d'agglomération Arlysère était seule responsable de l'ouvrage situé sur le terrain des époux X. et de son entretien jusqu'au compteur implanté à l'intérieur de leur maison, au motif inopérant qu'elle constituait un ouvrage public et au prétexte que, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, les canalisations situées sur les propriétés privées mais en amont du compteur sont des ouvrages publics, même s'ils appartiennent à des propriétés privées, et en lui reprochant de ne pas avoir surveillé ni entretenu les canalisations situées sur le terrain de M. et Mme X., la cour d'appel a violé les articles 3.2, 3.3 et 3.10 du règlement du service d'eau potable de la communauté d'agglomération Arlysère, 1134, devenu 1103 et 1104, et 1147, devenu 1231-1, du code civil et L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil et L. 2224-12, alinéas 1er et 2, du code général des collectivités territoriales :
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
7. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
8. Selon le second, les communes et les groupements de collectivités territoriales établissent, pour chaque service d'eau ou d'assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l'exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires. L'exploitant remet à chaque abonné le règlement de service ou le lui adresse par courrier postal ou électronique. Le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l'abonné.
9. Le Conseil d'Etat juge qu'eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture (CE, 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458, publié au recueil Lebon).
10. Dès lors que le dommage causé par la fuite survenue sur une canalisation de distribution d'eau potable, située en amont d'un compteur individuel et sur la propriété desservie, se rattache à l'exécution des obligations de l'exploitant d'un service public industriel et commercial et de celles de l'usager, définies par le règlement de service, l'action en réparation de ce fait dommageable est fondée sur les règles de la responsabilité contractuelle, le demandeur ne pouvant se prévaloir, au motif que la canalisation défectueuse constitue un ouvrage public, des règles de la responsabilité sans faute des dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'un tel ouvrage.
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
11. Pour retenir la responsabilité de la communauté d'agglomération, l'arrêt énonce qu'il est de jurisprudence constante que les canalisations d'adduction d'eau potable, même situées sur des propriétés privées et en amont des compteurs, sont des ouvrages publics, et que, par suite, les conséquences d'une fuite d'un tel branchement reliant la conduite principale au compteur individuel, par un passage sur la propriété d'un abonné, relèvent de la responsabilité du service de distribution d'eau.
12. Il en déduit que, sans qu'il y ait lieu d'apprécier la régularité des stipulations du règlement de service, la communauté d'agglomération est seule responsable de l'ouvrage et de son entretien et que M. et Mme X. sont donc fondés à lui reprocher un défaut de surveillance du réseau et un défaut d'entretien normal de la canalisation.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres tirés de la qualification d'ouvrage public de la canalisation à l'origine du dommage, sans rechercher, comme il lui incombait, si le dommage résultait de l'inexécution par l'exploitant de ses obligations, telles que définies par le règlement de service applicable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation :
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la communauté d'agglomération à payer à M. et Mme X., d'une part, une certaine somme au titre des travaux de reprise consécutifs à la fuite détectée le 23 septembre 2019, d'autre part, une autre somme à titre de dommages et intérêts pour leur préjudice de jouissance, entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de question préjudicielle et de sursis à statuer déposée par la communauté d'agglomération ainsi que sa demande reconventionnelle en paiement, qui s'y rattachent par un lien d'indivisibilité et de dépendance nécessaire.
15. Elle n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif déclarant recevable la demande de question préjudicielle et de sursis à statuer déposée par la communauté d'agglomération, qui, justifié par des motifs non remis en cause, n'est pas dans un lien de dépendance nécessaire avec les chefs de dispositif cassés.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de question préjudicielle et de sursis à statuer déposée par la communauté d'agglomération Arlysère, l'arrêt rendu le 11 avril 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry,
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. et Mme X. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le quatre septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.