CA VERSAILLES, 21 novembre 2000
CERCLAB - DOCUMENT N° 3031
CA VERSAILLES, 21 novembre 2000 : RG n° 1998-24305
Publication : Legifrance
Extrait : « Considérant que l’inclusion d’une clause de non-concurrence dans un contrat de travail n’est valable que si elle est indispensable à la défense des intérêts légitimes de l’entreprise et si elle ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2000
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1998-24305.
APPELANT :
Monsieur X.
INTIMÉE :
SA JACQUELIN
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Statuant sur l’appel régulièrement formé par M. X., d’un jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre, section Industrie, en date du 10 juillet 1998, dans un litige l’opposant à la SA Jacquelin, et qui, sur la demande de celui-ci en « dommages et intérêts pour entrave à la liberté du travail » a débouté M. X. de l’ensemble de ses demandes ;
EXPOSÉ DES FAITS :
M. X. a été engagé suivant contrat à durée déterminée le 5 avril 1994 en qualité d’emballeur-cloueur par la société Jacquelin. Le contrat de travail qu’il devait signer lors de son embauche incluait une clause de non-concurrence et M. X. avait refusé de le signer, jugeant cette clause abusive ; le contrat avait alors été modifié pour ne plus faire apparaître cette clause. Un an plus tard, son contrat était transformé en contrat à durée indéterminée. Un nouveau contrat était signé le 5 avril 1995, sous la référence CZ-BN/95-04-21, qui ne comportait pas de clause de concurrence. Les dirigeants de l’entreprise s’étant aperçu de l’absence de cette clause dans le contrat, avait fait rédiger le 25 avril 1995 une nouvelle mouture du contrat, sous la référence CZ-BN/ 95-04-25 comportant cette clause. Bien qu’il conteste l’avoir signé, cette deuxième version porte également la signature de M. X. M. X. était, dans le cadre de son emploi, mis à la disposition de la société ELECMA division SNECMA. Fin octobre 1997, le contrat de prestation de services qui liait la SA Jacquelin à la société ELECMA division SNECMA était repris par la société Lhotelier-Montrichard, qui proposait à M. X. de le prendre dans ses effectifs pour reprendre à son compte les activités de la SA Jacquelin au sein de l’entreprise SNECMA. Le 3 novembre 1997, M. X. présentait par lettre sa démission à la SA Jacquelin, en vue de son embauche par la société Lhotelier-Montrichard. La SA Jacquelin contactait alors ladite société, pour faire valoir la clause de non-concurrence, et s’opposer à l’embauche de M. X., qui n’avait donc pas lieu. C’est dans ces conditions que M. X. saisissait le 2 décembre 1997 le Conseil de Prud’hommes de Nanterre pour entrave à la liberté du travail.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Considérant que M. X., par conclusions écrites déposées et visées par le greffier à l’audience, conclut :
- à l’infirmation de la décision attaquée ;
- à la condamnation de la SA Jacquelin à lui payer les sommes de 120.000 F au titre de l’indemnité pour entrave à la liberté du travail, et 10.000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Qu’il expose qu’il était employé par la SA Jacquelin, mais qu’il était mis à la disposition de la société ELECMA division SNECMA, dans le cadre d’un contrat de prestation de services de la société Jacquelin ; que ce contrat a été repris par la société Lhotelier-Montrichard, qui lui a proposé de l’employer et de le maintenir à la disposition de la société ELECMA ; que c’est dans ces conditions qu’il a démissionné de la SA Jacquelin, et qu’il a appris par la suite qu’il était lié par une clause de non-concurrence lorsque la société Lhotelier-Montrichard lui a fait part de l’opposition de la SA Jacquelin ; qu’il ajoute qu’il s’est toujours opposé à signer une clause de non-concurrence lors de son embauche par la SA Jacquelin ; qu’il pense que sa signature lui a été extorquée par ruse par la SA Jacquelin, qui lui adressé un exemplaire du contrat à sa signature sans l’informer que le contenu avait été changé ; qu’il a ainsi signé l’exemplaire contenant une clause de non-concurrence en pensant signer un exemplaire supplémentaire du contrat qu’il avait signé le 5 avril 1995 ;
Considérant que la SA Jacquelin par conclusions écrites déposées et visées par le greffier à l’audience conclut :
- à la confirmation de la décision entreprise ;
- au débouté des chefs de demande de M. X. ;
Qu’elle fait valoir que s’il est exact que le premier exemplaire du premier contrat à durée indéterminée ne comportait pas de clause de non-concurrence, l’entreprise Jacquelin s’est vite aperçue de sa méprise et a rédigé une nouvelle version du contrat incluant cette clause ; que cette nouvelle version a été proposée à la signature de M. X., qui l’a dûment signée et retourné à son employeur ; qu’elle précise que la clause de non-concurrence était nécessaire à la défense des intérêts légitimes de l’entreprise, celle-ci détenant un procédé d’emballage exclusif auxquels tous ses salariés avaient accès, et dont elle entendait préserver le secret à l’égard de ses concurrents ;
Que pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la Cour, conformément aux articles 455 et 954 du nouveau code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience ainsi qu’à leurs prétentions orales telles qu’elles sont rappelées ci-dessus ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
Considérant que l’inclusion d’une clause de non-concurrence dans un contrat de travail n’est valable que si elle est indispensable à la défense des intérêts légitimes de l’entreprise et si elle ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail ;
Considérant en l’espèce que la SA Jacquelin expose que la clause de non-concurrence était nécessaire compte tenu de l’existence d’un brevet détenu par la société dans le domaine de l’emballage, et que M. X. était précisément emballeur ; qu’elle ne produit aucune pièce aux débats tendant à établir que les fonctions du salarié l’amenait à connaître des secrets de procédés d’emballage ; qu’il résulte en revanche des débats que le travail de M. X. consistait à emballer des pièces dans du papier ou des sachets antistatiques, avant de les emballer dans des cartons ; qu’il utilisait comme outils du papier, du carton et des agrafes, mais ni produit ou outil particulier, ni gaz inerte ; que dès lors que les fonctions exercées d’emballeur-cloueur n’entraînaient pas la mise en œuvre de techniques particulières ou de procédés inédits, ou n’amenait pas le salarié à partager des secrets commerciaux ou industriels, son passage éventuel à la concurrence ne risquait pas de mettre en péril les intérêts légitimes de l’entreprise ; que dans ces conditions, la présence dans son contrat d’une clause de non-concurrence ne pouvait être justifié par la défense de ces intérêts et constituait une entrave à la liberté du travail dont M. X. est fondé à demander réparation ;
Considérant qu’il n’est pas nécessaire de rechercher quelle version du contrat de travail doit être considérée comme liant les parties, ces versions ne différant que par la clause de non-concurrence déclarée nulle ;
SUR LE PRÉJUDICE :
Considérant que la démission de M. X., en raison du changement de prestataire de services, n’était justifiée que par la volonté de conserver l’emploi qu’il exerçait à la disposition de l’entreprise ELECMA ; que l’opposition de la SA Jacquelin à son embauche par le nouveau prestataire de service en vertu de la clause de non-concurrence illicite lui a fait perdre tout emploi ; que son salaire au moment du départ était d’environ 9.500 F par mois ; qu’il n’a pu bénéficier des allocations-chômage compte tenu de son départ volontaire de la SA Jacquelin ; qu’il avait le statut de travailleur handicapé ; que la Cour fixe son préjudice à la somme de 120.000 F ;
Considérant que l’équité commande de mettre à la charge de la SA Jacquelin une somme de 10.000 francs en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de M. X. ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
STATUANT publiquement par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement et statuant à nouveau :
CONDAMNE la SA Jacquelin à payer à M. X. la somme de 120.000 F (CENT VINGT MILLE FRANCS) en réparation de son préjudice,
CONDAMNE la SA Jacquelin à payer à M. X. la somme de 10.000 francs (DIX MILLE FRANCS) en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile pour les frais en appel,
DÉBOUTE la SA Jacquelin de sa demande en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
CONDAMNE la SA Jacquelin aux dépens.
Et ont signé le présent arrêt Monsieur BALLOUHEY, Président, et Madame Y., Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT