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TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 10 janvier 2006

Nature : Décision
Titre : TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 10 janvier 2006
Pays : France
Juridiction : Paris (TGI)
Demande : 03/08874
Date : 10/01/2006
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 28/05/2003
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3086

TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 10 janvier 2006 : RG n° 03/08874

(sur appel CA Paris (15e ch. B), 10 mars 2005 : RG n° 04/16757)

 

Extraits : 1/ « Attendu que les sociétés défenderesses prétendent que l’UFC est irrecevable à agir tant sur le fondement de l’article L. 421-1 du Code de la consommation dès lors que les faits qui fondent l’action de l’UFC ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale, que de l’article L. 421-7 dudit code qui énonce que les associations de consommateurs agréées peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander l’application des mesures prévues à l’article L. 421-2 qui suppose, selon elles, qu’une demande initiale ait été préalablement formée par un consommateur, se prévalant ainsi des dispositions des articles 66 et 68 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu qu’en l’absence de faits pénalement punissables, les associations agréées de défense des consommateurs peuvent agir, soit pour demander la suppression de clauses abusives, soit pour intervenir dans un litige individuel opposant un ou plusieurs consommateurs à un professionnel ;

qu’en l’espèce, l’infraction pénale faisant défaut et l’UFC n’agissant pas en suppression de clauses abusives, cette association ne peut agir que sur le fondement de l’article L. 421-7 précité ; que les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC ne peuvent valablement soutenir que l’intervention dont s’agit doit nécessairement s’entendre de celle définie à l’article 66 du nouveau Code de procédure civile alors que le texte de L. 421-7 ne renvoie pas aux dispositions alléguées par les défenderesses mais exige seulement pour que l’action des associations soit recevable, outre l’agrément de celles-ci, une demande initiale d’un consommateur sollicitant la réparation de son préjudice ; que le terme « intervenir » doit ainsi être compris dans son sens commun, les demandes des associations de consommateurs étant recevables aussi bien sous la forme d’une intervention volontaire que d’une action engagée aux côtés d’un consommateur comme en l’espèce ».

2/ « que le consommateur d’attention moyenne prenant connaissance de l’avertissement reproduit ci-dessus tel que libellé peut comprendre que le disque qu’il s’apprête à acheter est lisible sur tous les lecteurs de CD-ROM d’ordinateurs ; que le disque acheté par Monsieur X. ne pouvant être lu sur son lecteur de CD-ROM est donc affecté d’un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil ; qu’empêchant la lecture du disque sur le lecteur de CD-ROM de Monsieur X., ce vice rend le disque impropre à l’usage auquel il était destiné, à savoir sa lecture sur tous lecteurs et non sur les seuls lecteurs de CD audio comme l’affirment les sociétés défenderesses ; que l’action rédhibitoire sera en conséquence accueillie. »

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

CINQUIEME CHAMBRE PREMIÈRE SECTION

JUGEMENT DU 10 JANVIER 2006

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 03/08874. Assignation du 28 mai 2003.

 

DEMANDEURS :

- Monsieur X.

[adresse], représenté par Maître Jérôme FRANCK, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire M1815

 

- UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR

[adresse], représentée par son Président, M. Y., représentée par Maître Jérôme FRANCK, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire MI 815

 

DÉFENDEURS :

- Société par actions simplifiées WARNER MUSIC FRANCE

[adresse], représenté par SCP SALANS, HERTZFELD et HEILBRONN, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire P.372

- SA FNAC PARIS

[adresse], représentée par SCP COBLENCE et ASSOCIÉS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire P53

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Dominique SA NIT SCHROEDER, Vice-Présidente, Christine Marie COSTE FLORET, Vice-Présidente, Françoise SALOMON, Juge, assistée de Anne LOREAU, Greffière,

[minute page 2]

DÉBATS : À l’audience du 14 novembre 2005 tenue en audience publique devant Dominique SAINT SCHROEDER Vice-Présidente et Françoise SALOMON, juge, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile.

JUGEMENT : Prononcé en audience publique Contradictoire en premier ressort

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

L’UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS « QUE CHOISIR », ci-après dénommée UFC, expose avoir reçu de nombreuses plaintes de consommateurs relatives à la mise en place de mesures de protection technique à l’initiative des producteurs empêchant une utilisation normale et conforme à leur attente de phonogrammes vendus sur supports numériques.

C’est ainsi que Monsieur X. lui a fait savoir qu’il avait acquis auprès de la société FNAC un « compact disc » (CD) de l’artiste Phil COLLINS produit par la société WARNER MUSIC FRANCE qu’il ne pouvait utiliser sur son ordinateur portable de marque Mac Intosh type iBook fonctionnant à l’aide du logiciel système Mac OS 9.01.

Ils firent constater par huissier que ce CD ne pouvait être lu sur l’ordinateur de Monsieur X. et que son contenu ne pouvait être enregistré sur le disque dur ni gravé sur un support numérique vierge alors que ces restrictions n’étaient pas mentionnées sur le produit ni sur l’emballage qui ne comporte au recto que la seule mention suivante « COPY PROTECTED » et, au verso, imprimée en caractères de très petite dimension, la phrase suivante : « Ce CD contient une protection contre la copie numérique. Il peut être lu sur la plupart des lecteurs CD audio, ainsi que sur les lecteurs CD-ROM d’ordinateurs via fichiers musicaux compressés inclus dans le CD ».

Considérant que de tels agissements rendant impropre le produit à une utilisation normale comprenant l’exercice du « droit de copie privée » visé à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, et restreignant les droits des consommateurs sans information préalable contrairement aux dispositions de l’article L. 111-1 du Code de la consommation, étaient illicites, Monsieur X. et l’UFC ont fait assigner, par actes du 28 mai 2003, les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC aux fins de voir interdire à la première la commercialisation du CD litigieux et l’utilisation d’une mesure technique de protection et ordonner la diffusion d’un communiqué judiciaire. Ils ont sollicité également la condamnation des deux défenderesses à restituer à Monsieur X. la somme de 9,50 euros, moitié du prix d’achat du CD, et à lui verser la somme de 50 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu’à verser à l’UFC la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice causé à la collectivité, et à chacun d’eux respectivement les sommes de 150 euros et de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

La société WARNER MUSIC FRANCE soulève l’irrecevabilité de l’UFC pour défaut de qualité à agir sur le fondement des articles L. 421-1 à L. 422-3 du Code de la consommation. Au fond, elle prétend que la preuve du vice caché affectant le disque acquis par Monsieur X. n’est pas rapportée alors qu’elle-même a pu procéder à la lecture du disque intitulé « Testify » contenant le dispositif de protection sur une configuration informatique identique à celle utilisée par Monsieur X.

Elle estime qu’au regard de l’article 2 de la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999, le disque litigieux est conforme à l’usage auquel il est destiné, à savoir la possibilité d’être lu sur un lecteur de CD audio.

[minute page 3] S’agissant du « droit de copie privée », elle objecte qu’un tel droit n’existe pas, les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle constituant seulement un moyen de défense opposable, par voie d’exception, dans le cadre d’une défense au fond, et que l’utilisation des dispositifs de protection est licite au regard de ces deux articles. Elle excipe des dispositions de l’article 9.2 de la Convention de Berne et 15.2 de la Convention de Rome ainsi que celles de l’article 5.5 de la directive communautaire du 22 mai 2001 qui reprend les critères posés par ces deux textes et rappelle que les articles précités doivent être interprétés à la lumière de la directive.

Elle affirme que le préjudice subi par les titulaires de droits résultant de la copie privée n’est compensé que pour partie par la perception d’une somme forfaitaire par support vendu et insiste sur le fait que la destination d’un support contenant une œuvre musicale est de permettre à son acquéreur d’écouter l’œuvre fixée et non de la copier.

S’agissant de l’obligation d’information, elle réplique que les mentions figurant au dos de l’emballage du disque satisfont à cette obligation, ajoutant que les caractéristiques essentielles du produit sur lesquelles porte cette information ne comprennent pas les facultés de copie qui sont en évolution constante et échappent totalement aux producteurs de disque.

Subsidiairement, la société WARNER MUSIC FRANCE fait valoir que la demande d’interdiction d’utilisation du système de protection et de la commercialisation du disque intitulé « Testify » est injustifiée et démesurée et que la mesure de publication sollicitée est trompeuse.

À titre infiniment subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande en garantie formée à son encontre par la société FNAC.

Elle réclame la condamnation solidaire des demandeurs à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société FNAC conclut également à l’irrecevabilité de l’UFC et, au fond, reprend l’essentiel de l’argumentation de la société WARNER MUSIC FRANCE. Elle fait observer, en outre, que la présence du dispositif anti-copie ne fait pas obstacle à la copie numérique, l’agent de l’APP ayant pu réaliser une copie de l’album en cause.

Elle sollicite le rejet de l’ensemble des prétentions des demandeurs et, à titre infiniment subsidiaire, la garantie de la société WARNER MUSIC FRANCE.

Elle réclame la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières écritures, Monsieur X. et l’UFC réfutent l’argumentation développée par les sociétés défenderesses et maintiennent l’intégralité de leurs demandes.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la fin de non-recevoir :

Attendu que les sociétés défenderesses prétendent que l’UFC est irrecevable à agir tant sur le fondement de l’article L. 421-1 du Code de la consommation dès lors que les faits qui fondent l’action de l’UFC ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale, que de l’article L. 421-7 dudit code qui énonce que les associations de consommateurs agréées peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander l’application des mesures prévues à l’article L. 421-2 qui suppose, selon elles, qu’une demande initiale ait été préalablement formée par un consommateur, se prévalant ainsi des dispositions des articles 66 et 68 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu qu’en l’absence de faits pénalement punissables, les associations agréées de défense des consommateurs peuvent agir, soit pour demander la suppression de clauses abusives, soit pour intervenir dans un litige individuel opposant un ou plusieurs consommateurs à un professionnel ;

[minute page 4] qu’en l’espèce, l’infraction pénale faisant défaut et l’UFC n’agissant pas en suppression de clauses abusives, cette association ne peut agir que sur le fondement de l’article L. 421-7 précité ;

que les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC ne peuvent valablement soutenir que l’intervention dont s’agit doit nécessairement s’entendre de celle définie à l’article 66 du nouveau Code de procédure civile alors que le texte de L. 421-7 ne renvoie pas aux dispositions alléguées par les défenderesses mais exige seulement pour que l’action des associations soit recevable, outre l’agrément de celles-ci, une demande initiale d’un consommateur sollicitant la réparation de son préjudice ;

que le terme « intervenir » doit ainsi être compris dans son sens commun, les demandes des associations de consommateurs étant recevables aussi bien sous la forme d’une intervention volontaire que d’une action engagée aux côtés d’un consommateur comme en l’espèce ;

que la fin de non-recevoir sera donc rejetée.

 

Sur les agissements illicites :

Attendu que Monsieur X. et l’UFC, se fondant sur l’article 1641 du Code civil, font grief à la société WARNER MUSIC FRANCE d’avoir fait poser sur le disque de Phil Collins intitulé « Testify » un dispositif de protection anti-copie qui empêche sa lecture sur le disque dur de son ordinateur et en interdit la copie privée en violation des dispositions de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.

 

Sur le défaut affectant le disque acquis par Monsieur X. :

Attendu que les demandeurs soutiennent que l’installation d’un système de protection contre la copie numérique sur le disque intitulé « Testify » acheté par Monsieur X. rend impossible la lecture de ce disque sur le lecteur CD-ROM de l’ordinateur de celui-ci et que ce défaut ressortit de la garantie des vices cachés définis par l’article 1641 du Code civil comme les défauts de la chose vendue la rendant impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ;

que les sociétés défenderesses contestent cette affirmation et développent que les tests qu’elles ont elles-mêmes (société WARNER MUSIC FRANCE) réalisés sous contrôle d’huissier sur un ordinateur i-Book identique à celui de Monsieur X. fonctionnant sous système d’exploitation Mac OS 9.1 ainsi que sur d’autres ordinateurs de même marque fonctionnant également sous ce système d’exploitation ou sur des versions postérieures, soit Mac OS 9.2.1 et Mac OS 9,2.2, ou les tests qu’elles ont fait réaliser (société FNAC) par l’Agence pour la protection des programmes, établissent que le disque litigieux est conforme à l’usage auquel il est destiné ;

qu’elles prétendent que les difficultés de lecture rencontrées par Monsieur X. peuvent avoir pour origine un défaut affectant le disque acheté par celui-ci (rayure, saleté, déformation, etc.) ou du lecteur de CD-ROM voire de l’utilisation de logiciels inappropriés ou d’une mauvaise installation de ces logiciels.

Attendu, ceci ayant été exposé, que le boîtier du disque dont Monsieur X. a fait l’acquisition porte au recto la mention COPY PROTECTED et, en très petits caractères, l’indication « Instructions au dos » ;

qu’au verso de la jaquette du disque figurent également en caractères de très petite dimension de couleur blanche les mentions exactes suivantes dont un tiers est situé dans la partie de la jaquette dont le fond est de couleur claire ce qui accroît la difficulté de lecture de la phrase :

[minute page 5] « Ce CD contient une protection contre la copie numérique. Il peut être lu sur la plupart des lecteurs CD audio, ainsi que les lecteurs CD-ROM d’ordinateurs via fichiers musicaux compressés inclus dans ce CD. »

Attendu que le constat d’huissier dressé le 25 avril 2003 et produit par les demandeurs établit que le disque compact acheté par Monsieur X. au magasin FNAC ne peut être lu sur le lecteur de CD-ROM de son ordinateur portable de marque MAC INTOSH – type iBook fonctionnant à l’aide du logiciel système Mac OS 9.01 alors que ce lecteur permet la lecture d’un autre disque ne comportant pas de dispositif de protection contre la copie numérique ce qui tend à prouver que la difficulté de lecture ne vient pas du matériel utilisé par Monsieur X. mais du dispositif de protection technique mis en place sur le disque ;

que pas plus ne peut-il être affirmé que les difficultés de lecture proviennent de la défectuosité du disque compact acquis par Monsieur X. dès lors qu’il résulte du constat dressé le 20 octobre 2003 à la demande de l’UFC et dans les locaux de sa rédaction qu’un autre disque compact de la même œuvre et du même auteur portant des mentions identiques relatives au système de protection contre la copie numérique et remis à l’huissier sous son emballage scellé d’origine n’a pu être lu sur aucun des trois ordinateurs APPLE utilisés ;

que les défenderesses soutiennent que ces constatations ne sont pas probantes et invoquent leurs propres tests ayant permis d’établir que le disque intitulé « Testify » de Phil COLLINS pouvait être lu sur une configuration informatique identique à celle de Monsieur X., qu’elles ajoutent qu’un disque compact a pour destination d’être lu sur un lecteur de CD audio.

Mais attendu que l’application de l’article 1641 du Code civil suppose que soit rapportée la preuve de l’existence d’un vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine et dont l’acheteur n’a pas eu connaissance ;

que la preuve pouvant être rapportée par tous moyens, le constat dont se prévaut Monsieur X. et qui établit que le disque compact litigieux ne peut être lu dans son lecteur de CD-ROM, est une preuve suffisante de ce que ce disque est affecté d’un vice résultant de l’incompatibilité du dispositif de protection contre la copie numérique ;

que le consommateur d’attention moyenne prenant connaissance de l’avertissement reproduit ci-dessus tel que libellé peut comprendre que le disque qu’il s’apprête à acheter est lisible sur tous les lecteurs de CD-ROM d’ordinateurs ;

que le disque acheté par Monsieur X. ne pouvant être lu sur son lecteur de CD-ROM est donc affecté d’un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil ;

qu’empêchant la lecture du disque sur le lecteur de CD-ROM de Monsieur X., ce vice rend le disque impropre à l’usage auquel il était destiné, à savoir sa lecture sur tous lecteurs et non sur les seuls lecteurs de CD audio comme l’affirment les sociétés défenderesses ;

que l’action rédhibitoire sera en conséquence accueillie.

 

Sur la copie privée :

Attendu que les demandeurs soutiennent que la mise en place sur le disque compact litigieux d’un dispositif de protection contre la copie numérique porte atteinte au « droit de copie privée » qui serait reconnu à l’usager par les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle et serait en cela illicite ce que contestent les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC ;

[minute page 6] qu’en réponse aux défenderesses qui leur opposent les dispositions de la Convention de Berne et de la Convention de Rome prévoyant respectivement une restriction aux droits des auteurs et des bénéficiaires des droits voisins ainsi que celles de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ils répliquent, d’une part, que les deux conventions internationales ne sont pas invocables dans un litige entre particuliers dès lors qu’elles imposent des obligations aux seuls États signataires et, d’autre part, s’agissant de la directive, qu’il n’est pas absolument certain que le tribunal a vocation à appliquer le test en trois étapes qu’elle prévoit mais que si tel devait être le cas, celui-ci devrait s’attacher exclusivement au préjudice causé au titulaire des droits par la seule copie privée en cause dans le présent litige.

Attendu, cela ayant été exposé, que l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire » notamment « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective (...) ;

que de même l’article L. 211-3 dudit code énonce que les bénéficiaires des droits voisins ne peuvent interdire « les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective » ;

que ces deux textes n’instaurent donc pas un droit à la copie privée mais une exception au droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction de ses œuvres s’agissant du premier de ces textes et aux droits des bénéficiaires des droits voisins pour le second ;

que cette exception d’ordre public s’impose à ces derniers et aux auteurs quel que soit le support utilisé dès lors que le législateur ne distingue pas entre les différents supports existant qu’ils soient analogiques ou numériques.

Attendu qu’il est soutenu en défense que les articles L. 122- 5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle doivent être interprétés à la lumière de la Convention de Berne sur la protection des droits des auteurs qui réserve aux pays de l’Union « la faculté de permettre la reproduction [des] œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur » et de la Convention de Rome sur la protection des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes ainsi que de la directive communautaire du 22 mai 2001.

Attendu que celle-ci soumet le bénéfice de l’exception aux conditions cumulatives déjà énoncées dans la Convention de Berne en son article 9-2 et dans la Convention de Rome en son article 15 ;

que ces deux conventions dont les dispositions s’appliquent aux États signataires sont antérieures aux lois du 11 mars 1957 dont est issu l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle et du 3 juillet 1985 dont l’article L. 211-3 du même code est issu ;

que le législateur français qui a admis dans les deux cas l’exception de copie privée, simple faculté au regard des deux conventions internationales susvisées, l’a fait après avoir examine si cette exception répondait aux critères fixés par ces conventions ;

que le juge n’a pas à vérifier si les articles L. 122-5 et L. 211-3 précités répondent aux conditions posées par celles-ci.

Attendu, en revanche, que le juge national doit interpréter le droit interne à la lumière de la directive communautaire du 22 mai 2001 qui n’a pas été transposée dans les délais, soit au plus tard le 22 décembre 2002 ;

que cette directive dispose en son article 5, paragraphe 2, point b), que [minute page 7] les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions au droit de reproduction des titulaires des droits mais précise au paragraphe 5 de cet article, que ces exceptions ne sont applicables « que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit » ;

que l’ensemble de ces conditions est désigné communément sous l’expression « test en trois étapes » ;

que l’article 6-4 de la directive énonce qu’en l’absence de mesures volontaires prises par les titulaires de droits, les États membres peuvent prendre des mesures appropriées pour assurer que les bénéficiaires des exceptions prévues par le droit national conformément à l’article 5 paragraphe 2, point b) peuvent bénéficier de ces exceptions dans la mesure nécessaire pour en bénéficier.

Attendu que le droit français consacrant l’exception de copie privée, le juge doit rechercher si cette exception est conforme aux conditions édictées par l’article 5-5 de la directive.

Attendu que la loi interne visant l’exception de copie privée la restreint aux reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ;

que la première condition exigeant un cas spécial est donc remplie.

Attendu que s’agissant de la deuxième condition de ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé, les sociétés défenderesses ne développent pas en quoi la copie privée destinée à un usage strictement réglementé par la loi nuit à l’exploitation normale de l’œuvre, procédant seulement par comparaison avec le marché des DVD en reprenant à leur compte les motifs d’une décision rendue par le tribunal de céans siégeant dans une autre composition, ou bien encore avec le marché des logiciels, étrangers au présent litige ;

que s’il est évident que l’exploitation d’une œuvre musicale sous forme de disque compact constitue un mode d’exploitation normal ; il n’est pas démontré pour autant que cette exploitation serait affectée par la copie privée effectuée par l’utilisateur pour son compte personnel ;

que l’impossibilité pour ce dernier d’effectuer une copie pour son propre usage n’aura pas nécessairement pour conséquence l’achat de sa part d’un second disque de la même œuvre ;

qu’aucune étude économique faisant ressortir les effets sur le marché du disque de la réalisation de copies privées n’est versée aux débats par les sociétés défenderesses.

Attendu qu’il n’est pas plus établi par les défenderesses que celles-ci cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ;

que la loi du 17 juillet 2001 a instauré une rémunération au profit des auteurs et des éditeurs des œuvres fixées sur d’autres supports que les phonogrammes et les vidéogrammes au titre de leur reproduction réalisée dans le cadre de la copie privée sur un support d’enregistrement numérique ; que chaque achat d’un support vierge génère donc une rémunération bénéficiant aux titulaires du droit de reproduction.

Attendu que l’exception de copie privée doit donc être admise dès lors qu’elle respecte les conditions posées par l’article 5-5 de la directive communautaire.

Attendu que s’il est exact comme l’affirment les défenderesses que les dispositifs de protection contre la copie ne sont pas interdits par la loi, encore faut-il que ces dispositifs soient compatibles avec l’exception de copie privée prévue par le droit national comme l’énonce l’article 6-4 de la directive.

[minute page 8] Attendu que le disque acheté par Monsieur X. ne permet aucune copie privée sur support numérique ;

que la mesure de protection adoptée par le producteur du phonogramme fait disparaître la limite fixée par le législateur au droit exclusif des auteurs d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres.

qu’il appartenait au producteur de mettre en place un dispositif de protection technique permettant de préserver les droits de ces derniers tout en ne faisant pas obstacle à la réalisation d’une copie privée sur tout support ;

qu’en ne le faisant pas il a causé à Monsieur X. un préjudice dont il doit réparation.

 

Sur le défaut d’information :

Attendu que les demandeurs font grief à la société WARNER MUSIC FRANCE de ne pas avoir fait apposer sur le disque litigieux une mention relative à la restriction de lecture, et à la société FNAC de ne pas avoir fait état de cette restriction, aucune indication sur l’emplacement de l’affichette qu’elle déclare avoir exposée dans le magasin n’étant donnée pas plus que sur la taille réelle des caractères des renseignements qu’elle contient.

Attendu qu’aux termes de l’article L. 111-1 du Code de la consommation invoqué par les demandeurs, tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service.

Attendu que si le disque acheté par Monsieur X. informe le consommateur de la présence d’un dispositif contre la copie numérique, il n’en va pas de même des restrictions de lecture sur les lecteurs de CD-ROM d’ordinateurs comme cela a déjà été dit au paragraphe traitant du vice caché ;

que la lecture sur support numérique constitue aujourd’hui une caractéristique essentielle d’un disque compact compte tenu de la multiplicité des systèmes de lecture et du nombre croissant de consommateurs disposant d’ordinateurs ;

qu’en ne faisant pas état des restrictions de lecture sur CD-ROM d’ordinateurs, la société WARNER MUSIC FRANCE, en sa qualité de producteur de phonogramme, et la société FNAC en sa qualité de professionnelle de la vente, ont manqué à leur obligation d’information.

 

Sur les mesures réparatrices :

Attendu que le préjudice subi par Monsieur X. sera réparé par l’allocation de la somme globale de 59,50 euros qu’il sollicite au titre des restrictions d’usage du disque qu’il a acheté et dont il n’a pu jouir dans des conditions normales d’utilisation

que le préjudice subi par l’UFC qui agit dans l’intérêt collectif des consommateurs et qui doit faire face à des frais importants dans le cadre de sa mission d’information et de défense des intérêts des consommateurs, sera réparé par l’allocation de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.

que les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC seront condamnées in solidum au payement de ces sommes ;

[minute page 9] qu’il sera fait droit aux mesures d’interdiction dans les termes du dispositif ci-après.

Attendu que ces mesures apparaissent suffisantes pour réparer rentier préjudice causé par les manquements des sociétés défenderesses sans qu’il soit besoin de faire droit à la demande de publication.

 

Sur l’appel en garantie de la société FNAC :

Attendu que la société FNAC demande à être garantie par la société WARNER MUSIC FRANCE des condamnations prononcées à son encontre ;

qu’elle ne produit cependant pas le contrat qui la lie à cette société ;

qu’en sa qualité de professionnelle de la vente elle ne peut, en l’absence de clause contractuelle le précisant, se garantir de ses fautes personnelles ; qu’il a déjà été relevé qu’il n’était pas justifié de l’endroit où était exposée l’affichette qu’elle déclare avoir mise en place ;

que sa demande sera, en conséquence, rejetée.

 

Sur la demande reconventionnelle de la société WARNER MUSIC France :

Attendu que les demandes étant pour partie accueillies, la société WARNER MUSIC FRANCE sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

 

Sur l’article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que l’équité commande d’allouer à Monsieur X. la somme de 150 euros et à l’UFC la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

 

Sur l’exécution provisoire :

Attendu que l’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare l’association UFC-QUE CHOISIR recevable en ses demandes.

Condamne in solidum les sociétés WARNER MUSIC FRANCE et FNAC à verser à Monsieur X. la somme totale de 59,50 euros à titre de dommages-intérêts.

Fait interdiction à la société WARNER MUSIC FRANCE d’utiliser sur le disque compact de Phil COLLINS intitulé « Testify » une mesure technique de protection empêchant la réalisation de copies privées sur tout support et ce, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement.

Condamne in solidum les sociétés défenderesses à verser à l’association UFC-QUE CHOISIR la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.

[minute page 10] Rejette l’appel en garantie formé par la société FNAC à l’encontre de la société WARNER MUSIC FRANCE.

Déboute la société WARNER MUSIC FRANCE de sa demande reconventionnelle.

Condamne in solidum les sociétés défenderesses à verser à Monsieur X. la somme de 150 euros et à l’association UFC-QUE CHOISIR la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Rejette le surplus des demandes.

Ordonne l’exécution provisoire.

Condamne in solidum les sociétés défenderesses aux dépens.

Fait et jugé à PARIS, le DIX JANVIER DEUX MIL SIX