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TI GRENOBLE, 23 février 1995

Nature : Décision
Titre : TI GRENOBLE, 23 février 1995
Pays : France
Juridiction : Grenoble (TI)
Demande : 94/02057
Date : 23/02/1995
Nature de la décision : Rejet
Date de la demande : 6/06/1994
Décision antérieure : CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 décembre 1996
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3187

TI GRENOBLE, 23 février 1995 : RG n° 94/02057

(sur appel CA Grenoble (2e ch. civ.), 16 décembre 1996 : RG n° 2459/95 ; arrêt n° 1088)

 

TRIBUNAL D’INSTANCE DE GRENOBLE

JUGEMENT DU 23 FÉVRIER 1995

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 11-94-02057.

AUDIENCE PUBLIQUE DU TRIBUNAL D'INSTANCE DE GRENOBLE tenue, 7 Quai Créqui, le jeudi vingt trois février mille neuf cent quatre vingt quinze, Sous la présidence de Jean-Louis BERNAUD, Juge au Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE, chargé du service du Tribunal d'Instance, Assisté de Valérie ATTRAIT-MENAGE, Greffier ;

 

ENTRE :

La Société K PRESS SARL

dont le siège social est [adresse], DEMANDERESSE par acte d'huissier du 6 juin 1994, COMPARANT par la SCP DERRIDA, avocat, d'une part

 

ET :

La Société Immobilière CARREFOUR SA

dont le siège social est [adresse], DÉFENDERESSE, COMPARANT Et PLAIDANT par Maître CARIOU, avocat au Barreau de PARIS, d'autre part

 

L'affaire a été appelée à l'audience du 23 juin 1994 puis renvoyée au 2 février 1995 date à laquelle elle a été mise en délibéré au 23 février 1995 et ce jour, le Tribunal vidant son délibéré a statué en ces termes :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                                                                       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] La SARL K'PRESS exploite un local à usage de pressing situé dans l'enceinte du magasin CARREFOUR à [ville] selon convention d'occupation précaire du 1er novembre 1973 confirmée par un bail de 12 années du 4 juillet 1990.

Le 3 novembre 1992, il était procédé à l'adjudication d'un fonds de commerce exploité par la Société RMO en liquidation judiciaire dans un local situé à proximité immédiate de l'entrée principale de la galerie marchande.

Ce fonds de commerce était acquis par la Société « Alpine commerciale de Développement » pour un prix de 51.000 Francs outre frais. Cette société créait alors un fonds de commerce de pressing concurrençant directement la SARL K'PRESS après avoir obtenu de la Société CARREFOUR l'autorisation de modifier l'activité prévue au bail.

Se plaignant d'une baisse importante de son chiffre d'affaires en relation directe avec la création d'un commerce concurrent mieux placé par rapport au flux principal de clientèle la SARL K’PRESS par acte d'huissier du 6 juin 1994 a fait citer la SA « Immobilière CARREFOUR », bailleresse, à l'effet d'obtenir avec exécution provisoire :

- la condamnation de la société défenderesse à lui payer une indemnité provisionnelle de 500.000 Francs à valoir sur la réparation de son préjudice,

- la réduction de 50 % du loyer convenu à compter du 9 décembre 1992,

- la désignation d'un expert chargé de déterminer l'ensemble des éléments de son préjudice,

- la condamnation de la société « Immobilière CARREFOUR » à lui payer une indemnité de 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La SARL K’PRESS soutient à l'appui de ses demandes :

- que postérieurement à la modification des entrées du centre commercial, qui lui portait préjudice alors que l'accès principal n'était plus situé face à son établissement, elle a fait connaître à la bailleresse son désir de prendre en location un local plus proche de l'entrée Ouest,

- que si on lui avait indiqué qu'un changement d'activité serait autorisé par la société bailleresse elle se serait immédiatement portée acquéreur du fonds de commerce anciennement exploité par l'entreprise de travail temporaire RMO,

- que la publicité trompeuse qui a été faite lui a interdit de se porter adjudicataire ce qui a permis à la Société « Alpine Commerciale de développement » d'acquérir le fonds au prix dérisoire de 51.000 Francs,

- [minute page 3] qu'il semble même, que la Société « Alpine Commerciale de Développement » ne soit qu'une personne morale interposée de la Société « Teintureries GONAY » immatriculée au RCS de [ville] sous le numéro XX qui est propriétaire de 30 pressings dans la région sous l'enseigne « Propre à Sec »,

- qu'en effet, les salariés qui travaillent actuellement dans le pressing du centre commercial ont été transférés avec maintien de leur contrat et de leurs avantages acquis d'un autre pressing à enseigne « Propre à Sec » de la Société GONAY,

- que nonobstant l'absence de garantie d'exclusivité cette situation est déloyale, et démontre la violation de l'article 1134 alinéa 3 du code civil, la Société CARREFOUR ayant exécuté de mauvaise foi le bail, car elle connaissait la volonté du preneur de changer de local, et elle savait qu'en acceptant un changement de destination, contre un versement qui est resté occulte, puisqu'elle n'avait à défaut aucune raison de le consentir, elle causait un grave préjudice à son locataire à qui elle devait au contraire assurer une jouissance paisible,

- que la preuve de l'existence de cet accord occulte résulte des conditions de fait alors que le bail consenti à la Société RMO Travail Temporaire pour la période du 1er janvier 1986 au 31 décembre 1994 (local numéro 29, surface approximative 81 m²) était prévu « pour servir à l'exploitation d'une agence de travail temporaire à l'exclusion de tous autres commerces »,

- que la Société CARREFOUR restait libre de l'organisation du Centre Commercial, elle ne devait pas pour autant manœuvrer pour aboutir à la destruction pure et simple d'une activité normalement rentable, sans avoir mis au moins en mesure son locataire de participer de façon loyale à un déplacement d'activité réclamé effectivement depuis 1986,

- que par ailleurs elle a été privée de son droit de priorité prévu au bail en cas d'extension de la galerie marchande à laquelle il convient d'assimiler la restructuration, avec modification des accès et accueil de nouveaux commerces, opérée en 1991,

- que son préjudice est important alors qu'elle a subi en 1993 une baisse de 30 % de son chiffre d'affaires qui ne peut s'expliquer que par la présence d'un concurrent au sein de la même galerie marchande.

 

La SA « Immobilière CARREFOUR » résiste aux demandes formées par la SARL K’PRESS et prétend obtenir reconventionnellement une somme de 50.000 Francs pour procédure abusive outre une indemnité de 10.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle fait observer qu'en aucun cas elle ne peut être considérée comme responsable de la concurrence créée par l'entrée d'un second pressing dans le Centre Commercial alors notamment :

- [minute page 4] Sur la modification des flux de clientèle :

- qu'en page 2 et 6 du contrat de bail, il est bien prévu que la société bailleresse reste libre de modifier, à sa seule convenance, les aspects extérieurs du centre, les emplacements de tous locaux et de toutes implantations commerciales, y compris celles de la grande surface,

- que de la même manière en page 6 paragraphe Francs, le locataire s'engage à ne pouvoir en aucun cas se plaindre ni formuler aucune réclamation dans le cas où le bailleur restreindrait ou modifierait la libre circulation ou la disposition des parties à usage commun, ne pouvant d'autre part arguer de ces modifications pour prétendre à une modification du montant de son loyer ou de la répartition des charges lui incombant,

- que dans ces conditions, la Société K’PRESS ne peut en aucun cas lui reprocher d'avoir modifié les accès au centre, et par là-même les flux de clientèle en découlant,

- que la jurisprudence est d'ailleurs constante à cet égard pour considérer que le bailleur n'a à garantir aucune fréquentation minimale des commerces exploités dans une galerie marchande, de même que le bailleur n'a aucune obligation de faciliter ou de développer l'activité de tel ou tel locataire dans le centre.

- Sur la priorité de la Société K'PRESS en cas d'extension de la galerie marchande :

- que là encore les termes du bail permettent de régler la question,

- qu'en effet il est prévu en page 2 de ce contrat, qu'en cas d'extension de la galerie marchande, un droit de priorité sera réservé au preneur afin qu'il puisse postuler à la location d'un emplacement qui lui serait plus favorable pour transporter son activité,

- qu'il est absolument évident que sous le vocable « d'extension » les parties envisageaient le cas de nouveaux bâtiments, offrant la location de nouveaux emplacements, lesquels pouvaient être tout à fait différents, l'extension elle-même modifiant les accès et donc les flux de clientèle,

- que contrairement à ce qu'indique la Société K'PRESS dans son assignation, l'extension ne peut être constituée par de simples travaux de restructuration tels que ceux effectués en 1991, et encore moins par la libération d'un emplacement consécutif à une liquidation judiciaire.

- [minute page 5] Sur la mauvaise foi dans l'exécution du bail :

- qu'aucune preuve n'est rapportée d'un comportement déloyal la mauvaise foi ne se présumant pas.

- qu'aux termes du bail, aucune clause d'exclusivité sous quelque forme que ce soit n'est consentie à la Société K'PRESS,

- que ceci est tout à fait explicite aux termes des pages 2, 4, 5 et 6 du bail qui prévoient bien :

* qu'en aucun cas la bailleresse n'est responsable de la concurrence que les autres locataires pourraient faire au preneur, aucune exclusivité n'étant consentie à ce dernier,

* que le locataire ne pourra se prévaloir d'aucune garantie d'exclusivité ou de non-concurrence, le bailleur se réservant la faculté de louer et de céder librement les autres locaux du centre pour toutes activités,

* que le locataire ne pourra en aucun cas se plaindre ni formuler aucune réclamation vis-à-vis du bailleur qui ne souscrit aucune garantie à cet égard, quant à la nature des commerces exploités dans le voisinage immédiat ou médiat des locaux objets du bail,

- qu'il est donc absolument indubitable que contractuellement le locataire s'est engagé à ne faire aucune réclamation quant à la concurrence qui pourrait s'exercer dans le centre commercial, à la suite de diverses cessions ou despécialisations,

- qu'il est tout à fait inopérant de lui reprocher de n'avoir pas informé la Société K'PRESS de la vente aux enchères du fonds de commerce exploité précédemment par la Société RMO,

- qu'en effet il ne lui appartenait pas de faire une telle publicité, laquelle était effectuée à la diligence des mandataires liquidateurs Maîtres A. et B.,

- qu'il appartenait donc aux représentants légaux de la Société K’PRESS de se renseigner utilement auprès de ces derniers, pour porter les enchères s'ils le jugeaient utile, quitte à solliciter ensuite une despécialisation.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                                               (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La SARL K'PRESS ne peut en aucun cas rechercher la responsabilité de la société bailleresse au titre du préjudice commercial que lui auraient causé les travaux de restructuration du [minute page 6] centre commercial réalisés en 1991 à l'origine d'une modification des flux de clientèle alors qu'il résulte expressément des clauses et conditions du bail que « la société bailleresse restera libre de modifier à sa seule convenance les accès extérieurs du centre et les emplacements de tous locaux et de toutes implantations commerciales » d'une part, et d'autre part que le preneur s'engage « à ne formuler aucune réclamation dans le cas où le bailleur restreindrait ou modifierait la libre circulation ou la disposition des parties à usage commun ».

La SARL K’PRESS ne peut pas plus se prévaloir d'une violation de son droit de priorité en cas d'extension de la galerie marchande qui suppose la création d'emplacements nouveaux ce qui n'a manifestement pas été le cas à l'occasion de la restructuration du centre commercial opérée en 1991.

Il ne peut en outre être sérieusement soutenu que la société bailleresse a manqué à son obligation de garantie de jouissance paisible en présence d'une clause expresse par laquelle le preneur renonce à se prévaloir d'une garantie d'exclusivité ou de non-concurrence et à tenir le bailleur pour responsable de la concurrence que les autres personnes physiques ou morales exerçant leur activité dans les diverses parties du centre commercial, pourraient lui faire. En toute hypothèse l'obligation faite au bailleur d'assurer à son locataire une jouissance paisible n'implique pas une obligation de non-concurrence, le bailleur conservant en principe dans le silence de la convention le droit de louer une autre partie de son immeuble à un commerçant exerçant une activité identique ou similaire.

Enfin la Société K’PRESS ne saurait soutenir que la Société « Immobilière CARREFOUR » a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de ses obligations et plus particulièrement dans la mise en œuvre de la clause du bail excluant toute garantie d'exclusivité au sein de la galerie marchande.

Il n'est, en effet, en rien démontré que la société bailleresse, au mépris d'une obligation générale de neutralité, a délibérément favorisé l'installation d'un commerce concurrent en s'associant à de véritables manœuvres destinées à évincer la société demanderesse de la vente aux enchères et à permettre ainsi une acquisition du fonds précédemment exploité par la Société RMO en liquidation judiciaire à un prix très inférieur au prix du marché.

De même l'avenant de despécialisation consenti à l'adjudicataire, dont rien ne permet d'affirmer qu'il s'est accompagné d'une rémunération occulte, n'implique pas nécessairement l'existence d'une entente préalable, la mauvaise foi ne se présumant pas.

[minute page 7] La SARL K'PRESS sera par conséquent déboutée de toutes ses demandes en l'absence de tout élément de preuve caractérisant une intention de nuire ou même un manquement quelconque à la loyauté.

Toutefois bien qu'infondée la présente action n'apparaît pas abusive.

Enfin il serait inéquitable de laisser à la Société « Immobilière CARREFOUR » l'entière charge de ses frais irrépétibles.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

- DÉBOUTE la SARL K’PRESS de toutes ses demandes.

- DIT n'y avoir lieu toutefois à dommages et intérêts pour procédure abusive.

- CONDAMNE la SARL K’PRESS à payer à la SA « Immobilière CARREFOUR » une indemnité de 5.000 Francs (CINQ MILLE FRANCS) sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

- CONDAMNE le SARL K’PRESS aux dépens.

LE GREFFIER,            LE PRÉSIDENT,