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CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 décembre 1996

Nature : Décision
Titre : CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 décembre 1996
Pays : France
Juridiction : Grenoble (CA)
Demande : 2459/95
Date : 16/12/1996
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Juris Data
Date de la demande : 10/05/1995
Décision antérieure : TI GRENOBLE, 23 février 1995
Numéro de la décision : 1088
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3104

CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 décembre 1996 : RG n° 2459/95 ; arrêt n° 1088

Publication : Juris-Data n° 049302

 

Extrait : « Mais attendu que le consommateur est celui qui agit à des fins n’entrant pas dans le cadre de sa propre activité professionnelle ; Attendu que la conclusion du bail commercial est pour un commerçant l'acte fondateur de son activité professionnelle et qu'i1 ne peut sérieusement prétendre que la conclusion d’un tel acte échapperait à son activité professionnelle et serait sans rapport direct avec cette activité, quand bien même il exercerait en centre commercial ; qu'i1 s'ensuit que sans examiner plus avant si la clause de non-exclusivité a ou non un caractère abusif, il convient de rejeter l’argumentation de la société PRESSING X., l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ne s'appliquant pas à l'espèce ».

 

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 16 DÉCEMBRE 1996

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2459/95. Appel d’une décision (N° RG 11-94-02057) rendue par le Tribunal d’Instance de GRENOBLE en date du 23 février 1995 suivant déclaration d’appel du 10 mai 1995.

 

ENTRE :

La SARL K’PRESS,

dont le siège social est [adresse], APPELANTE d'un jugement rendu le 23 février 1995, Par le Tribunal d'Instance de GRENOBLE suivant déclaration d'appel du 10 mai 1995, Représentée par Maître RAMILLON, avoué, Assistée de Maître DERRIDA A., avocat.

ET :

- La SA IMMOBILIÈRE CARREFOUR,

dont le siège social est [adresse], INTIMÉE, Représentée par la SELARL DAUPHIN-NEYRET, avoués, Assistée de Maître CARRIOU, avocat au Barreau de PARIS,

- La SARL PRESSING X.,

dont le siège social est Centre Commercial CARREFOUR à [adresse], INTERVENANTE suivant conclusions du 17 septembre 1996, Représentée par Maître RAMILLON, avoué. Assisté de Maître DERRIDA A, avocat,

[minute page 2]

COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré : Monsieur DOUYSSET, Président, Madame OBREGO, Conseiller, Madame RACHOU, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame OLLIEROU, Greffier.

DÉBATS : À l'audience publique du 28 octobre 1996, les avoués et avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries. Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à 1'audience de ce jour.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La SARL K’PRESS exploite un local à usage de pressing situe dans l’enceinte du magasin CARREFOUR à [ville] selon convention d'occupation précaire du 1er novembre 1973 confirmée par un bail de 12 années du 4 juillet 1990.

Le 3 novembre 1992, il était procédé à l’adjudication d’un fonds de commerce exploité par la société R.M.O. en liquidation judiciaire dans un local situé à proximité immédiate de l'entrée principale de la galerie marchande.

Ce fonds de commerce était acquis par la société « Alpine Commerciale de Développement » pour un prix de 51.000 Francs outre frais. Cette société créait alors un fonds de commerce de pressing concurrençant directement la SARL K’PRESS après avoir obtenu de la société CARREFOUR l'autorisation de modifier l’activité prévue au bail.

[minute page 3] Se plaignant d'une baisse importante de son chiffre d'affaires en relation directe avec la création d'un commerce concurrent mieux placé par rapport au flux principal de clientèle la SARL K'PRESS, par acte d'huissier du 6 juin 1994, a fait citer la SA IMMOBILIÈRE CARREFOUR, bailleresse, à l'effet d'obtenir avec exécution provisoire :

- la condamnation de la société défenderesse à lui payer une indemnité provisionnelle de 500.000 Francs à valoir sur la réparation de son préjudice,

- la réduction de 50 % du loyer convenu à compter du 4 décembre 1992,

- la désignation d'un expert chargé de déterminer l'ensemble des éléments de son préjudice,

- la condamnation de la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR à lui payer une indemnité de 10.000 Francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement en date du 23 février 1995, le Tribunal d'Instance de GRENOBLE a débouté la SARL K’PRESS de ses prétentions et l’a condamnée à payer 5.000 Francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SARL K’PRESS a interjeté appel de cette décision et conclut à la condamnation de la SA IMMOBILIÈRE CARREFOUR à lui payer à titre provisionnel 500.000 Francs de dommages-intérêts, à la réduction de 50 % du loyer convenu entre les parties, à la désignation d'un expert chargé de donner son avis sur l'ensemble des éléments du préjudice subi et à l'allocation de 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour la procédure de première instance et de 20.000 Francs pour la procédure d'appel.

[minute page 4] La SARL PRESSING X. est intervenue volontairement à l’instance, la SARL K'PRESS ayant fait l'objet d'une radiation du registre du commerce au 16 février 1996 à la suite de la fusion-absorption par la société intervenante à compter du 31 décembre 1995.

A l'appui de sa déclaration d'appel, la SARL PRESSING X. rappelle dans un premier temps les données doctrinales et jurisprudentielles sur la question de savoir si le propriétaire d'un local loué à usage commercial est tenu ou non de garantir une exclusivité à son locataire. Elle souligne l'extrême diversité des positions et la spécificité propre à la matière concernant l'activité en centre commercial.

C'est en effet cette clause contractuelle de non-exclusivité qui a fondé la décision du premier juge ; mais en réalité, cette apparence contractuelle ne résiste pas à l'examen du fait de l'absence de réciprocité entre les obligations des parties ; cette clause est une clause abusive tombant en tant que telle sous le coup des dispositions légales prévues à l’article L. 132-1 du Code de la Consommation.

En deuxième lieu, la SARL rappelle qu'elle bénéficiait de par le bail d'une clause de priorité méconnue en l'espèce, lui donnant droit, en cas d'extension de la galerie marchande, à postuler sur 1a location d'un emplacement plus favorable à l'exercice de son activité ;

L'interprétation retenue par le Tribunal qui estime s'agir ici d'un aménagement de locaux existants et non pas d'une extension matérielle de la galerie, est contestable et sera réformée en effet, même la société CARREFOUR n'a pas exclu le déplacement de la société K’PRESS, ce qui démontre une acceptation très large de ce droit de priorité,

[minute page 5] En troisième lieu, elle entend démontrer la duplicité de la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR et sa connivence avec la S.A.C.D. adjudicataire du fonds de commerce, et la société Teintureries GONNAY, acquéreur final de ce fonds ; 1a S.A.C.D. en formation n'acquit le fonds que parce qu'elle savait par Monsieur Y., Directeur Régional de la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR, que le bailleur autoriserait le changement d'activité ; par ailleurs, elle a acquis ce fonds pour 51.000 Francs en principal et l’a revendu une dizaine de jours après 550.000 Francs.

Enfin, des liens particuliers existent entre la société des Teintureries GONNAY, propriétaire des magasins PROP' A SEC et les centres CARREFOUR, puisque ces magasins sont installés dans les autres centres CARREFOUR du Dauphiné et de la Savoie.

En dernier lieu, elle établit que la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR a fait preuve d'une déloyauté flagrante dans l'exécution du contrat de bail en acceptant une despécialisation du bail consenti à R.M.O.

En effet, elle compromettait gravement l'équilibre commercial et financier de K'PRESS et contrevenait à ses propres usages puisque dans aucune autre galerie marchande de la région Rhône-Alpes, ni de la région PACA, ni de celle Midi-Pyrénées ne se trouvent deux pressings.

La société IMMOBILIÈRE CARREFOUR sera donc déclarée responsable par son comportement du préjudice subi par la société K'PRESS qui a vu son chiffre d'affaires chuter alors qu'elle avait dû investir dans 1’acquisition de nouvelles machines en 1991-1992. Un expert sera désigné pour donner les éléments nécessaires à chiffrer le préjudice et d'ores et déjà une provision de 500.000 Francs lui sera allouée, ainsi que le loyer diminué de 50 %.

[minute page 6] La société IMMOBILIÈRE CARREFOUR conclut à la confirmation du jugement déféré et à l'allocation de 50.000 Francs à titre de dommages-intérêts sur le fondement de 1'article 1382 du Code Civil et de 20.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A 1’appui de ses écritures, elle expose qu'un bail a été signé entre les parties et qu'il s'exécute normalement.

Dans ce bail, un certain nombre de dispositions écarte toute garantie d'exclusivité et de non-concurrence et accorde un droit de priorité aux locataires en cas d'extension.

Contrairement à ce que développe l'appelant dans ses écritures, le propriétaire n'est pas l'associé du locataire et n'a pas à le protéger ni à faciliter son activité. Aucune connivence en l'espèce ni aucune déloyauté n'ont présidé à la despécialisation du bail R.M.O. et seule le nécessité économique a été la cause de cette despécialisation.

Il y a lieu de souligner que le Code de la Consommation ne peut recevoir application, le locataire n'étant pas assimilable au consommateur ; de plus, 1a société K'PRESS ne rapporte pas la preuve d'un déséquilibre économique ayant existé lors de la signature du bail entre les parties.

La société IMMOBILIÈRE CARREFOUR n'est pas de mauvaise foi et n'a jamais contracté auprès de son locataire une obligation de garantie de bonne santé économique. Elle a respecté toutes les obligations du bail et ne saurait, en tout état de cause, répondre de Monsieur Y., à supposer établies les manœuvres frauduleuses alléguées.

Enfin, la clause de priorité ne peut pas non plus s'appliquer, ne s'agissant pas d'une extension de la galerie marchande mais d'une vacance d'un local préexistant à l'intérieur de la galerie.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 7] SUR CE :

Attendu qu'il y a lieu d'accueillir l'intervention volontaire de la SARL PRESSING X., venant aux droits et obligations de la SARL K'PRESS ;

Attendu que la société PRESSING X. reproche tout à la fois au jugement déféré de ne pas avoir retenu le caractère abusif au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation de la clause contractuelle de non exclusivité, d'avoir faussement interprété la clause de priorité figurant au bail, et de ne pas avoir sanctionné le comportement dolosif de la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR et sa déloyauté flagrante dans 1’exécution du contrat de bail ;

Attendu que la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR conclut à la confirmation du jugement déféré, le Code de la Consommation n'ayant pas vocation à s'appliquer en l'espèce, pas plus que la clause de priorité et le bail s'exécutant conformément aux dispositions contractuelles sans déloyauté de sa part ;

 

SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 132-1 DU CODE DE LA CONSOMMATION :

Attendu que pour caractériser le caractère abusif de la clause de non-exclusivité figurant au contrat de bail, la SARL PRESSING X. fait valoir le déséquilibre existant entre son bailleur, numéro un de 1a location en France des locaux commerciaux, et elle-même ; qu'elle ajoute que contrairement à ce qu'indique son contradicteur l'article L. 132-1 du Code de la Consommation a vocation à s'appliquer, le bailleur étant bien, dans un centre commercial, un professionnel de la location immobilière, et le locataire apparaissant comme un consommateur, se trouvant au regard du contrat en cause dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur ;

[minute page 8] Mais attendu que le consommateur est celui qui agit à des fins n’entrant pas dans le cadre de sa propre activité professionnelle ;

Attendu que la conclusion du bail commercial est pour un commerçant l'acte fondateur de son activité professionnelle et qu’i1 ne peut sérieusement prétendre que la conclusion d’un tel acte échapperait à son activité professionnelle et serait sans rapport direct avec cette activité, quand bien même il exercerait en centre commercial ;

qu'i1 s'ensuit que sans examiner plus avant si la clause de non-exclusivité a ou non un caractère abusif, il convient de rejeter l’argumentation de la société PRESSING X., l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ne s'appliquant pas à l'espèce ;

 

SUR LA CLAUSE DE PRIORITÉ :

Attendu qu'il est prévu au contrat liant les parties qu' « en cas d'extension de la galerie marchande, un droit de priorité sera réservé au preneur afin qu'il puisse postuler à la location d'un emplacement qui lui semblerait plus favorable pour y transporter son activité » ;

Attendu que la galerie marchande a fait l’objet d'un réaménagement interne sans extension aucune ; que les conditions ne sont donc pas remplies pour faire application de cette clause du bail, le terme « extension » désignant sans ambiguïté aucun, l'agrandissement de la galerie marchande et non pas un réaménagement interne ;

Que sur ce point également l’argumentation de la société PRESSING X. ne sera pas non plus retenue

[minute page 9]

SUR LE COMPORTEMENT DOLOSIF DE LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE CARREFOUR ET SA DÉLOYAUTÉ DANS L’EXÉCUTION DU CONTRAT DE BAIL :

Attendu que la société PRESSING X. reproche à la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR sa mauvaise foi et son intention de lui nuire ; que ces éléments sont selon elle constitués par le fait que le fonds de commerce a été acquis par une société en formation qui n'avait pas l'intention d'exploiter le fonds, que très rapidement la société des Teintureries GONNAY a pris une participation dans cette société à hauteur de 95,8 % et qu'enfin cette société des teintureries GONNAY est liée à CARREFOUR puisqu'elle exploite déjà dans plusieurs centres commerciaux de la région Rhône-Alpes des fonds de commerce de pressing ;

Mais attendu que la société PRESSING X. n'établit pas la réalité des manœuvres dénoncées ; qu'en effet elle se contente d'affirmer, sans le démontrer, que le fonds a été acquis dans un premier temps par une société prête-nom qui n'avait pas l'intention d'exercer une activité professionnelle ; Qu'elle ne rapporte pas la preuve, d'une part de versements occultes d'argent par les acquéreurs, et d'autre part de la connaissance qu'avait le bailleur des intentions de 1a société A.C.D., acquéreur du fonds ;

Que s'il est exact que Madame Y., gérante de la société A.C.D, reconnaît dans le procès-verbal de police avoir reçu des informations de la part d'un manager de la société CARREFOUR selon 1esquels les grandes surfaces propriétaires de murs commerciaux accordent, moyennant finance, des despécialisations de bail, il n'en reste pas moins que ce fait ne constitue pas une exécution de mauvaise foi du contrat de bail en 1’absence de toute demande de despécialisation faite par la société PRESSING X. et qui se serait heurtée à un refus ;

Attendu qu'enfin le fait de conclure un bail de pressing ne caractérise pas davantage la déloyauté de la société CARREFOUR dans l'exécution du bail, ledit bail prévoyant expressément une clause de non-exclusivité ;

[minute page 10] Que cette galerie se trouve comporter deux pressings à la différence d'autres galeries commerciales ne constitue pas plus un comportement fautif du bailleur en raison de la clause invoquée ci-dessus et d'une politique d'aménagement et de diversification des galeries commerciales propre à leur propriétaire ;

Qu'ainsi donc la demande de la société PRESSING X. sera rejetée, cette société ayant en définitive démontré comment la liquidation judiciaire, et de ce fait les créanciers, de la société R.M.O., ont été lésés, mais n'ayant pas réussi à établir la mauvaise foi et la déloyauté de la société CARREFOUR vis à vis d'elle-même ;

Attendu que la société IMMOBILIÈRE CARREFOUR sollicite l'allocation de 50.000 Francs sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil pour procédure abusive ;

Mais attendu qu'elle ne démontre pas le caractère abusif et fautif de la procédure engagée par la société PRESSING GRAND'PLACE ; qu'elle sera déboutée de sa demande ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles engagés ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Publiquement et par arrêt contradictoire,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Reçoit l'intervention de la SARL PRESSING X. ;

Confirme la décision déférée ;

[minute page 11] Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit des parties ;

Condamne la société PRESSING X. aux dépens et autorise les avoués qui en ont fait la demande à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Prononcé publiquement par Madame RACHOU, Conseiller, et signé par Monsieur DOUYSSET, Président, et par le Greffier.