CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 juin 2012
CERCLAB - DOCUMENT N° 3896
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 juin 2012 : RG n° 10/07918 ; arrêt n° 172
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant qu'il convient, à titre liminaire, de rappeler que les parties à un contrat de distribution, qui disposent d'une faculté de rupture unilatérale ou du droit de faire échec au renouvellement d'un contrat à durée déterminée, peuvent s'abstenir de motiver leur décision ; qu'en effet, aucun texte ne contraint les parties à motiver une rupture des relations contractuelles ; que cependant, l'impératif de loyauté prohibe un usage purement discrétionnaire et déloyal du droit de rompre les relations commerciales ; […] ;
Considérant que si la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, en mettant un terme aux relations contractuelles au 31 décembre 2006, n'a fait que mettre en œuvre les stipulations de la note d'intention, une telle décision peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, aux termes desquelles les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi », que la faculté de résiliation d'un contrat ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le partenaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 6 JUIN 2012
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 10/07918. Arrêt n° 172 (9 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 mars 2010 - 3ème Chambre - Tribunal de Commerce de PARIS - R.G. n° 200770628
APPELANTE :
STE ULYSSE TUNISIE - Société de droit tunisien
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, Représentées par Maître François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque J125, Assistée de Maître Louis-Marie PILLEBOUT, avocat au barreau de PARIS, toque J020, substituant Maître Georges TERRIER, avocat au barreau de PARIS, toque J020
INTIMÉES :
BEL TUNISIE DISTRIBUTION - Société de droit tunisien
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, Ayant son siège social [adresse]
SA FROMAGERIES BEL
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, Ayant son siège social [adresse], Représentées par Maître Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque K0090, Assistées de Maître Emmanuel GARNIER plaidants pour la LLP SIMMONS & SIMMONS avocat au barreau de PARIS et Maître Jacques-Antoine ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque J031
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 avril 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur ROCHE, président et Madame LUC, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROCHE, Président, M. VERT, Conseiller, Mme LUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme CHOLLET
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. ROCHE, président et Mme Véronique GAUCI, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le jugement en date du 10 mars 2010 par lequel le Tribunal de commerce de PARIS a débouté la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION de sa demande de sursis à statuer, a mis la société FROMAGERIES BEL hors de cause a condamné la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION à payer à la société ULYSSE TUNISIE la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts et condamné la société ULYSSE TUNISIE à payer à la société FROMAGERIES BEL la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 7 avril 2010 par la société ULYSSE TUNISIE et ses conclusions du 24 février 2012 tendant notamment à faire infirmer ce jugement, en ce qu'il a considéré qu'aucun contrat de distribution définitif n'avait été conclu par les sociétés ULYSSE TUNISIE et BEL TUNISIE DISTRIBUTION et en ce qu'il a limité à 100.000 euros le montant de ses dommages-intérêts, et demandant à la Cour de dire que l'accord conclu le 13 mars 2006 par les sociétés ULYSSE TUNISIE et BEL TUNISIE DISTRIBUTION a définitivement lié les parties pour une durée indéterminée, de juger fautive la rupture de ce contrat par la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION et de condamner la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION à lui verser, en conséquence, l'équivalent de 2.069.128 dinars tunisiens au titre de son préjudice, à titre subsidiaire, nommer un expert pour arrêter le quantum définitif de son préjudice ;
Vu les conclusions du 22 mars 2012, présentées par la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION par lesquelles elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris, le débouté de la société ULYSSE TUNISIE et sa condamnation à lui payer la somme de 155.497 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2006, ainsi que celle de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 20 mars 2012 présentées par la société FROMAGERIES BEL par lesquelles elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de la cause et de condamner la société ULYSSE TUNISIE à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, du groupe FROMAGERIES BEL, commercialise des fromages en portions, dont la marque « Vache qui rit », sur le marché tunisien. Elle a conclu, le 13 mars 2006, avec la société ULYSSE TUNISIE, filiale du groupe UTIC et créée en 2005 pour distribuer en Tunisie les produits de grande consommation, dont la marque Ferrero, une « note d'intention » portant sur leurs conditions de collaboration pour la distribution des produits « Vache qui rit » sur le territoire tunisien.
Les parties devaient mettre au point, pendant une période transitoire allant jusqu'au 31 décembre 2006, un accord de distribution qui aurait permis à la société ULYSSE TUNISIE de distribuer des produits de la marque BEL.
L'article 2 de la « note d'intention » prévoyait que « le concédant et le distributeur s'engagent à se réunir, avant le 31 juillet 2006, à l'effet de négocier de bonne foi dans un esprit de recherche de l'intérêt commun, dans l'intention d'aboutir, à la signature d'un contrat de distribution des produits BEL sur le territoire tunisien avec une entrée en vigueur le 1er janvier 2007 ». Un paragraphe de cette note était consacré à la période transitoire, précisant les conditions de reprise du personnel et du matériel roulant par la société ULYSSE TUNISIE, ainsi que sa rémunération. L'article 3 disposait : « au cours de la période transitoire allant du 1er mars au 31 décembre 2006, il a été convenu (') que les deux parties doivent respecter tous les principes généraux mentionnés ci-dessus, le concédant s'engage à déployer ses meilleurs efforts afin de passer au distributeur les activités de distribution qu'il effectue actuellement sur le territoire tunisien, le distributeur s'engage à déployer ses meilleurs efforts afin d'assurer la continuité des activités qui lui seront passées par le concédant, de développer la distribution des produits BEL sur l'ensemble des réseaux de distribution existant sur le territoire tunisien, notamment la mise en place progressive d'un réseau de détail sur tout le pays en passant notamment par une opération Commando immédiate portant sur 2.000 détaillants sur le Grand Tunis. De son côté, le concédant s'engage à mettre les moyens supports nécessaires pour la réussite de cette opération Commando ».
L'article 3-6 prévoyait que « la rémunération sera forfaitaire sur la base de 12 % du chiffre d'affaires HT facturé par le concédant au distributeur ».
Un projet de contrat de distribution a été adressé le 10 juillet 2006 par la société ULYSSE TUNISIE à la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, rédigé par la société ULYSSE TUNISIE, lequel rappelait en préambule : « les deux parties ont jugé concluante la période transitoire allant du 1er mars 2006 au 31 décembre 2006 et ont décidé de conclure le présent contrat qui annule et remplace les accords au présent contrat ».
Par la suite, les parties se sont réunies au moins à trois reprises, les 18 septembre, 2 et 10 décembre 2006, mais n'ont pas pu s'accorder sur la rémunération de la société ULYSSE TUNISIE. Par lettre du 25 décembre 2006, la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, constatant le désaccord des parties sur les conditions commerciales ainsi que sur les termes du contrat, en particulier sur les conditions de rémunération d'ULYSSE TUNISIE, et rappelant qu'aucun contrat n'avait été conclu entre les parties, a mis un terme à la distribution confiée à la société ULYSSE TUNISIE au 31 décembre 2006. Par lettre envoyée le 9 janvier 2007, la société ULYSSE TUNISIE a souligné les investissements réalisés par elle dans le cadre d'un partenariat envisagé comme de longue durée, ainsi que la progression de son chiffre d'affaires en 2006. Elle soulignait aussi que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION n'avait émis aucune remarque sur le projet de contrat envoyé en juillet 2006, que les deux sociétés avaient établi en commun un business plan et enfin que le concessionnaire avait exigé une garantie bancaire au dernier moment. La société BEL TUNISIE DISTRIBUTION lui a répondu par courrier du 17 janvier 2007, notant que les investissements en cause durant la période transitoire avaient été acceptés en connaissance de cause par son partenaire et soulignant par ailleurs la politique de prix non conforme de celui-ci, ainsi que son refus de constituer une garantie bancaire. C'est dans ces conditions que par acte du 10 octobre 2007, la société ULYSSE TUNISIE a assigné les sociétés BEL TUNISIE DISTRIBUTION et FROMAGERIES BEL devant le Tribunal de commerce de PARIS, pour rupture abusive des relations commerciales et qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré ;
Sur la mise en cause de la société FROMAGERIES BEL :
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société FROMAGERIES BEL est un tiers au contrat signé entre les sociétés BEL TUNISIE DISTRIBUTION et ULYSSE TUNISIE ; Considérant, en revanche, que la société ULYSSE TUNISIE prétend que la société FROMAGERIES BEL s'est immiscée dans la conclusion du contrat signé par sa filiale, celle-ci ne disposant d'aucune autonomie commerciale ; qu'elle soutient que ses interlocuteurs ont toujours été M. X., directeur de la division Nord Afrique de la société FROMAGERIES BEL, que c'est lui qui a donné pouvoir à M. Y., le chef de marché Tunisie-Lybie de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, pour signer l'accord de mars 2006, et non à M. Z., gérant de cette société ; que c'est encore lui qui a négocié l'accord, et les conditions de rémunération d'ULYSSE TUNISIE, et qui a pris la décision de rompre les relations commerciales ;
Mais considérant que les deux sociétés BEL TUNISIE DISTRIBUTION et FROMAGERIES BEL sont deux personnes morales distinctes, identifiées au Kbis, dont les actifs, l'objet et les sièges sociaux sont distincts ; que les documents remis à la société ULYSSE TUNISIE durant la phase de négociation de la note d'intention, puis les courriers adressés ensuite à cette société, émanent de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, sur du papier à son en-tête ; que le projet de contrat élaboré par la société ULYSSE TUNISIE mentionne bien la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION comme cocontractant ; que la société FROMAGERIES BEL n'a pas entretenu d'apparence trompeuse de nature à laisser croire qu'elle participait étroitement aux activités de sa filiale ; que la société ULYSSE TUNISIE ne pouvait légitimement croire qu'elle contractait avec une société autre que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ;
Considérant que le droit de regard d'une maison-mère sur sa filiale ne suffit pas à démontrer son absence d'autonomie ; qu'il appartient à celui qui s'en prévaut de démontrer que la maison-mère a commis un acte de gestion par immixtion, celle-ci ne pouvant être présumée ; que le courrier du 7 mars 2006 ne constitue pas un acte d'immixtion ; que par ce courrier, M. X., directeur de la division Nord Afrique de la société FROMAGERIES BEL, atteste que M. Y., chef de marché Tunisie-Lybie de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, avait tout pouvoir pour signer, au nom de la filiale ; que cette attestation ne vaut pas délégation de pouvoir, mais, au contraire, reconnaissance de l'autonomie de la filiale ; qu'à aucun moment, il n'est démontré que M. X. aurait donné pouvoir à M. Y. pour signer l'accord ; que, de la même façon, il n'est nullement démontré que M. Z., gérant de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, ne serait, en réalité, qu'un gérant de façade ; que la circonstance que les compte-rendus de réunions entre les deux partenaires aient été communiqués à la société FROMAGERIES BEL ne démontre pas davantage d'immixtion de cette société dans les relations commerciales de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, mais témoigne de sa volonté d'être informée des affaires de sa filiale ; que par son courrier adressé à M. X. le 9 octobre 2006, M. Y. informe cette société et ne soumet nullement sa décision à son approbation préalable ; qu'en définitive, aucun élément du dossier ne vient démontrer que la conclusion du contrat, son exécution et sa fin aient résulté d'une décision prise par la société FROMAGERIES BEL ; qu'elle n 'a jamais manifesté la volonté de s'immiscer dans les relations contractuelles entre les sociétés visées plus haut ; qu'au contraire, tous les éléments du dossier attestent de l'autonomie de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ; qu'il y a, par suite, lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la société FROMAGERIES BEL ;
Sur la rupture des relations contractuelles :
Considérant qu'il convient, à titre liminaire, de rappeler que les parties à un contrat de distribution, qui disposent d'une faculté de rupture unilatérale ou du droit de faire échec au renouvellement d'un contrat à durée déterminée, peuvent s'abstenir de motiver leur décision ; qu'en effet, aucun texte ne contraint les parties à motiver une rupture des relations contractuelles ; que cependant, l'impératif de loyauté prohibe un usage purement discrétionnaire et déloyal du droit de rompre les relations commerciales ;
Considérant, qu'en l'espèce, l'article 2 de la « note d'intention » prévoyait que « le concédant et le distributeur s'engagent à se réunir, avant le 31 juillet 2006, à l'effet de négocier de bonne foi dans un esprit de recherche de l'intérêt commun, dans l'intention d'aboutir, à la signature d'un contrat de distribution des produits BEL sur le territoire tunisien avec une entrée en vigueur le 1er janvier 2007 » ; que cette note d'intention, conclue le 13 mars entre les parties, n'instaurait que des relations temporaires entre les parties pendant la période transitoire, courant de mars à décembre 2006, génératrice de certaines obligations à durée déterminée, mais ne caractérisait aucun accord définitif entre les parties sur un projet de contrat de distribution à venir ; qu'il est, de fait, constant que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION et la société ULYSSE TUNISIE ont conclu, par cette note d'intention, un contrat ayant pour objet et effet de soumettre leur partenariat à une période transitoire dont le terme était fixé au 31 décembre 2006 ; que les relations contractuelles à durée déterminée entre les parties, menées jusqu'à leur terme, n'ont débouché sur la conclusion d'aucun accord sur les éléments substantiels d'une relation contractuelle future, aucun accord n'ayant été trouvé sur la rémunération de la société ULYSSE TUNISIE, sur la politique commerciale des produits BEL et sur la durée du partenariat envisagé ; que la période transitoire n'ayant pas été concluante pour les parties, il ne peut être reproché à la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION d'avoir mis fin à des relations commerciales à l'échéance convenue, alors que les parties n'ont pas trouvé d'accord sur le montant des rémunérations futures et que les objectifs prévus dans la note d'intention, et, notamment, le développement de la distribution à destination du petit commerce, n'avaient pas été atteints ;
Considérant que si la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, en mettant un terme aux relations contractuelles au 31 décembre 2006, n'a fait que mettre en œuvre les stipulations de la note d'intention, une telle décision peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, aux termes desquelles les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi », que la faculté de résiliation d'un contrat ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le partenaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ;
Considérant que contrairement à ce qu'ont souligné les Premiers Juges, le défaut de constitution d'une garantie bancaire n'a pas constitué le motif déterminant de la rupture et cette exigence n'a pas constitué une novation de l'accord ; que le défaut de réponse de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION au projet de contrat de partenariat rédigé par la société ULYSSE TUNISIE ne saurait démontrer une réticence dolosive de celle-ci, qui aurait privé son partenaire de la faculté de le modifier, les parties s'étant réunies à trois reprises après l'envoi de ce document ; que, contrairement aux conclusions du jugement entrepris, aucune faute ne saurait résulter de la circonstance que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ait omis d'avertir la société ULYSSE TUNISIE de l'échéance prochaine du contrat à durée déterminée, cette fin constituant la conséquence prévue et prévisible de l'échec de la conclusion du partenariat futur ;
Considérant que si l'appelante estime que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION a exigé la réalisation de charges et investissements lourds, comme la reprise du personnel ou l'acquisition d'équipements, dont l'importance a pu lui faire croire à la pérennité des relations commerciales après l'expiration de la période transitoire, il résulte des stipulations même de l'accord conclu entre les parties le 13 mars 2006, que la réalisation de ces investissements n'était pas subordonnée à la conclusion d'un accord de partenariat entre les parties et que les parties n'avaient pas l'obligation de parvenir à un tel accord, mais de faire « leurs meilleurs efforts » pour y parvenir ; qu'ainsi, la société ULYSSE TUNISIE était consciente que la coopération commerciale avec son partenaire pouvait prendre fin dès le 31 décembre 2006 et que les investissements convenus pouvaient être réalisés en pure perte ; qu'aucun élément du dossier ne permet de conclure que les pourparlers se seraient déroulés dans des conditions déloyales, les parties s'étant réunies plusieurs fois, sans parvenir à trouver un accord ; qu'aucune mauvaise foi ne se déduit du désaccord de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION avec le mode de calcul de sa rémunération proposé par la société ULYSSE TUNISIE ;
Considérant au surplus, que les investissements prévus au titre de la période transitoire ne revêtaient pas une importance telle qu'elle aurait pu entretenir la société ULYSSE TUNISIE dans la croyance du maintien des relations commerciales à l'issue de la période transitoire ; qu'en effet, le Groupe UTIC, dont la société ULYSSE TUNISIE est une des filiales, était connu pour ses qualités professionnelles et son expérience dans la distribution de produits similaires à ceux qui lui étaient confiés par la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ; qu'en conséquence la société ULYSSE TUNISIE disposait déjà des équipements logistiques nécessaires à la distribution de produits frais ; que s'il a été convenu entre les parties, durant la période transitoire, que la société ULYSSE TUNISIE s'engageait à reprendre certains éléments nécessaires à la distribution des produits, à savoir le personnel de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION dédié à la distribution des produits BEL, à condition que la compétence et la rémunération du personnel soient conformes aux normes admises par la société ULYSSE TUNISIE, ainsi que le matériel roulant de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, à condition qu'il soit en bon état et nécessaire à la distribution aux normes admises par la société ULYSSE TUNISIE, ces obligations ne semblent aucunement disproportionnées par rapport à la durée des relations à durée déterminée entre les parties ; que si la société ULYSSE TUNISIE fait état d'une campagne de grande ampleur à destination des détaillants (opération commando portant sur 2.000 détaillants), elle ne démontre pas en avoir supporté les frais ; qu'il convient, donc, de constater que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION n'a pas incité la société ULYSSE TUNISIE à procéder à des investissements qui auraient été de nature à lui faire croire en la pérennité de leurs relations contractuelles et dont l'imposition aurait pu caractériser sa mauvaise foi contractuelle ;
Considérant qu'il en résulte que la fin des relations commerciales annoncée par la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ne constitue que le terme prévu de la période contractuelle transitoire et qu'aucun abus n'a été commis par cette société dans l'exercice de son droit de ne pas renouveler le contrat ;
Considérant que si les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, également invoquées par la société appelante, sanctionnent l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit et si elles s'appliquent à toute relation commerciale, qu'elle soit précontractuelle, contractuelle ou même post-contractuelle, il doit néanmoins s'agir d'une relation commerciale établie, sans pour autant être conditionnée par l'existence d'un échange permanent et continu entre les parties ; que la régularité, le caractère significatif et la stabilité des relations peuvent les rendre établies ; qu'en l'espèce, les parties étaient liées par un accord dont le terme était contractuellement fixé au 31 décembre 2006 ; que dès lors, ces relations commerciales ne s'inscrivaient pas dans la durée et ne revêtaient pas le caractère de stabilité qui aurait rendu nécessaire l'octroi d'un préavis ; qu'il s'ensuit que la société appelante sera déboutée de sa demande tendant à faire constater la brutalité de la rupture du contrat conclu entre les parties le 13 mars 2006 ;
Considérant que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il jugé que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION « n'a pas agi avec toute la diligence souhaitable pour appeler à ULYSSE TUNISIE que (') la collaboration cesserait au 1er janvier 2007 » et l'a condamnée à payer à cette société la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que la société ULYSSE TUNISIE sera déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
Sur la demande reconventionnelle en paiement de factures :
Considérant que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que la preuve est libre en droit commercial ;
Considérant que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION sollicite le paiement des factures n° 6XXX586, 6YYY587, 6ZZZ588, 6XXY592, 6XYX595 et 7XXX001, pour un montant total de 155.497 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2006, relatif aux commandes de novembre à décembre 2006, tandis que la société ULYSSE TUNISIE demande en retour le paiement de la somme de 236.200,274 dinars pour des factures impayées ;
Considérant que la société ULYSSE TUNISIE ne conteste pas les factures n° 6XXY592et 6XYX595, reliquat des factures n° 6XXX586, 6YYY587 et 6ZZZ588, soit une somme totale de 44.465,23 euros ;
Considérant que, s'agissant de la facture n° 7XXX001, d'un montant de 212.970 DT, afférente à des marchandises livrées à la société ULYSSE TUNISIE en décembre 2006, la société ULYSSE TUNISIE ne conteste pas avoir reçu les marchandises, mais réclame le paiement de sa marge, calculée sur la base du « Cost plus fee » ;
Mais considérant que la marge qui s'appliquait durant la période courant de mars à décembre 2006 était un taux forfaitaire de 12 %, selon le point 3.6 de la note d'intention, et non la méthode du « Cost plus fee », qui n'était envisagée que dans l'hypothèse de la conclusion d'un accord de distribution, qui n'a pas eu lieu ;
Considérant que la société ULYSSE TUNISIE sera condamnée à payer à la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION la somme de 155.497 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2006 ;
Considérant que la société appelante demande la compensation de ses dettes avec quatre factures n° 02/2007, 03/2007, 08/2006 et 09/2006, pour un montant global de 236.200,274 dinars ;
Mais considérant que les factures n° 09/2006 du 31 décembre 2006, d'un montant de 130.544,466 DT et n° 03/2007 du 12 avril 2007 d'un montant de 6.010,563 DT, sont relatives à la destruction de marchandises avariées ; qu'elles ne sauraient être mises à la charge de la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION, ces produits étant, en vertu du point 2.1 de la note d'intention, achetés par le distributeur et lui appartenant ; que la facture 02/2007 du 12 avril 2007 d'un montant de 12.911,337 dinars n'est pas versée au dossier ; qu'elle correspond au remboursement des conditions commerciales du premier trimestre 2007 qui ne saurait, en toute hypothèse, en l'absence de toute justification, recevoir application après l'expiration du contrat de mars 2006 ; que la facture 08/2006 du 31 décembre 2006, d'un montant de 86.733,908 DT, correspond au remboursement des conditions commerciales du quatrième trimestre 2006 ; que ces conditions commerciales sont, conformément au point 2.5 de la note d'intention, avancés par le distributeur et remboursés par le concédant ; que la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION ne rapporte pas la preuve d'avoir remboursé cette facture à son partenaire, faisant seulement état d'une contestation devant le juge tunisien ;
Considérant qu'il y a donc lieu de condamner la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION à payer à la société ULYSSE TUNISIE la somme de 86.733,908 DT ou son équivalent en euros au jour de l'arrêt ;
Considérant qu'il convient d'ordonner la compensation entre ces dettes réciproques ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
- INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a mis la société FROMAGERIES BEL hors de cause,-et, statuant à nouveau,
- DÉBOUTE la société ULYSSE TUNISIE de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive et brutale des relations contractuelles,
- y ajoutant,
- CONDAMNE la société ULYSSE TUNISIE à payer à la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION la somme de 155.497 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2006,
- CONDAMNE la société BEL TUNISIE DISTRIBUTION à payer à la société ULYSSE TUNISIE la somme de 86.733,908 DT, ou son équivalent en euros au jour de l'arrêt,
- ORDONNE la compensation de ces créances réciproques,
- CONDAMNE la société ULYSSE TUNISIE aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- LA CONDAMNE à payer à chacune des sociétés BEL TUNISIE DISTRIBUTION et FROMAGERIES BEL la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Véronique GAUCI Michel ROCHE