CJUE (1re ch.), 17 novembre 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 4415
CJUE (1re ch.), 17 novembre 2011 : Affaire C‑327/10
Publication : site Curia
Extrait (dispositif) : » 1) Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l’application des règles établies par celui-ci suppose que la situation en cause dans le litige dont est saisie une juridiction d’un État membre est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence internationale de cette juridiction. Une telle situation se présente dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, dans laquelle un tribunal d’un État membre est saisi d’un recours dirigé contre un ressortissant d’un autre État membre dont le domicile est inconnu de ce tribunal.
2) Le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que :
- dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un consommateur partie à un contrat de prêt immobilier de longue durée, assorti d’une obligation d’informer le cocontractant de tout changement d’adresse, renonce à son domicile avant l’introduction d’une action à son encontre pour violation de ses obligations contractuelles, les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le dernier domicile connu du consommateur sont compétents, au titre de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, pour connaître de cette action lorsqu’ils ne parviennent pas à déterminer, en application de l’article 59 du même règlement, le domicile actuel du défendeur et qu’ils ne disposent pas non plus d’indices probants leur permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union européenne ;
- ce règlement ne s’oppose pas à l’application d’une disposition du droit procédural interne d’un État membre qui, dans un souci d’éviter une situation de déni de justice, permet de mener une procédure à l’encontre et en l’absence d’une personne dont le domicile n’est pas connu, si la juridiction saisie du litige s’est assurée, avant de statuer sur celui-ci, que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver le défendeur. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑327/10, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresní soud v Chebu (République tchèque), par décision du 1er juin 2010, parvenue à la Cour le 5 juillet 2010, dans la procédure
Hypoteční banka a.s.
contre
Udo Mike L.,
LA COUR (première chambre) : composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,
Avocat général : Mme V. Trstenjak,
Greffier : Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,
Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mai 2010,
Considérant les observations présentées :
- pour Hypoteční banka a.s., par Maître J. Hrouzek, advokát,
- pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement danois, par M. C. Vang, en qualité d’agent,
- pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér ainsi que par Mmes K. Szíjjártó et K. Molnár, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par Mmes M. Šimerdová et A.-M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents,
Ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2011,
rend le présent :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 81 TFUE, 16, paragraphe 2, 17, point 3, et 24 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hypoteční banka a.s. (ci-après « Hypoteční banka ») à M. L., dont l’adresse actuelle est inconnue, en vue d’obtenir le paiement d’une somme d’environ 4,4 millions de couronnes tchèques (CZK), montant qui correspondrait aux arriérés d’un crédit hypothécaire qu’elle avait octroyé à ce dernier.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
Le règlement n° 44/2001
3. Le deuxième considérant du règlement n° 44/2001 énonce :
« Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables. »
4. Aux termes de l’article 2 de ce règlement :
« 1. Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
2. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux. »
5. L’article 3 dudit règlement dispose :
« 1. Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.
2. Ne peuvent être invoquées contre elles notamment les règles de compétence nationales figurant à l’annexe I. »
6. L’article 4 du même règlement est libellé comme suit :
« 1. Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application des dispositions des articles 22 et 23.
2. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, domiciliée sur le territoire d’un État membre, peut, comme les nationaux, y invoquer contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles prévues à l’annexe I. »
7. La section 4 du chapitre II du règlement n° 44/2001, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », comprend les articles 15 à 17 de celui-ci.
8. L’article 16, paragraphe 2, de ce règlement prévoit :
« L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. »
9. L’article 17 du même règlement est libellé comme suit :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
3) qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre, attribuent compétence aux tribunaux de cet État membre, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »
10. L’article 24 du règlement n° 44/2001 prévoit :
« Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 22. »
11. Le chapitre II dudit règlement comporte une section 8, intitulée « Vérification de la compétence et de la recevabilité », sous laquelle figure l’article 26 dont les paragraphes 1 et 2 sont libellés comme suit :
« 1. Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.
2. Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin. »
12. Au chapitre III du même règlement, intitulé « Reconnaissance et exécution », figure l’article 34 de celui-ci, qui prévoit, à son point 2, qu’une décision n’est pas reconnue « si [...] l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ».
13. L’article 59 du règlement n° 44/2001 dispose :
« 1. Pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de l’État membre dont les tribunaux sont saisis, le juge applique sa loi interne.
2. Lorsqu’une partie n’a pas de domicile dans l’État membre dont les tribunaux sont saisis, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre. »
La directive 93/13
14. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 93/13 a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
15. L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive énonce :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
La réglementation nationale
16. L’article 29, paragraphe 3, du code de procédure civile tchèque (ci-après le « code de procédure civile »), tel qu’en vigueur au 30 juin 2009, prévoit que, s’il ne prend pas d’autres mesures, le président de la chambre peut désigner un tuteur pour une partie dont le domicile n’est pas connu, à laquelle il n’a pas été possible d’effectuer une notification à l’adresse connue à l’étranger, qui est atteinte d’une maladie mentale ou qui, pour d’autres raisons médicales, ne peut participer, non uniquement de manière temporaire, à la procédure, ou qui n’est pas en mesure de s’exprimer de manière compréhensible.
17. La juridiction de renvoi indique que, dans un arrêt du 31 mars 2005, l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle) s’est prononcé comme suit en ce qui concerne la personne du tuteur du défendeur dont le domicile n’est pas connu :
« La fonction de tuteur a été créée pour défendre, jusqu’à ses conséquences ultimes, les intérêts de la personne absente comme devrait le faire le représentant contractuel. Si la partie à la procédure a choisi son propre représentant, c’est la partie elle-même qui répond de son choix et des démarches concrètes dans la procédure. Si c’est le tribunal qui désigne un tuteur en tant que représentant de la partie à la procédure, il répondra de la défense, par le tuteur, des droits et intérêts légitimes de la partie à la procédure. Il a l’obligation de relever le tuteur de sa fonction s’il découvre que le tuteur soit n’exerce absolument pas sa fonction dans la procédure […], soit l’exerce de manière insuffisante. »
18. Selon l’article 89 a, première phrase, du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à la date des faits du litige au principal, les parties à une procédure en matière commerciale peuvent désigner par écrit un autre tribunal de première instance territorialement compétent, à moins que la loi ne prévoie une compétence exclusive.
19. Aux termes de l’article 173, paragraphe 1, du code de procédure civile, l’injonction de payer doit être notifiée au défendeur en mains propres, une notification selon d’autres modalités étant exclue.
Le litige au principal et les questions préjudicielles :
20. Par son recours, introduit le 16 septembre 2008 devant la juridiction de renvoi, Hypoteční banka, une société de droit tchèque ayant son siège à Prague (République tchèque), tend à obtenir la condamnation de M. L., ressortissant allemand, à lui payer une somme de 4.383 584,60 CZK, augmentée des intérêts de retard, à titre d’arriérés d’un crédit hypothécaire octroyé à ce dernier en exécution d’un contrat conclu entre les parties le 19 août 2005 (ci-après le « contrat »).
21. À l’article VIII, point 8, du contrat, Hypoteční banka et M. L. ont convenu, en se référant à l’article 89 a du code de procédure civile, que, « pour d’éventuels litiges relatifs au [...] contrat, est compétente la juridiction à compétence générale de la banque, déterminé selon le siège de cette dernière, tel qu’enregistré dans le registre du commerce à la date du dépôt du recours ».
22. Il ressort de la décision de renvoi que, à la date de la conclusion du contrat, M. L. devait être domicilié à Mariánské Lázně (République tchèque), c’est-à-dire que le domicile du consommateur était éloigné de plus de 150 km de Prague où se trouve le siège de la « juridiction à compétence générale de la banque » désignée par les cocontractants.
23. Selon Hypoteční banka, celle-ci a néanmoins saisi le « juge à compétence générale du défendeur » plutôt que la « juridiction à compétence générale du siège de la banque » puisque, à la date de l’introduction du recours, elle n’a pu, pour des motifs indépendants de sa volonté, présenter au juge l’original du contrat et ainsi satisfaire à la condition légale de l’introduction d’un recours devant cette dernière juridiction.
24. Le 16 octobre 2008, la juridiction de renvoi a fait droit au recours par une injonction de payer par laquelle, d’une part, il était ordonné au défendeur de verser à la requérante la somme réclamée par celle-ci, augmentée des intérêts de retard, et, d’autre part, ce dernier était condamné aux dépens de la procédure. Ladite injonction n’ayant toutefois pas pu être notifiée en mains propres au défendeur, ainsi que l’exige l’article 173, paragraphe 1, du code de procédure civile, la juridiction de renvoi l’a annulée par une ordonnance du 8 septembre 2009.
25. Le défendeur ne résidant à aucune des adresses connues de la juridiction de renvoi et étant donné que celle-ci n’est pas parvenue à déterminer un autre lieu de résidence du défendeur sur le territoire tchèque, cette dernière a appliqué l’article 29, paragraphe 3, du code de procédure civile et a, par décision du 3 juin 2009, désigné un tuteur au bénéfice du défendeur considéré comme une personne dont le domicile est inconnu.
26. Par un mémoire du 26 octobre 2009, qui a été le premier acte de procédure effectué par le tuteur dans l’affaire dont était saisie la juridiction de renvoi, ce dernier a soulevé des objections de fond à l’encontre des prétentions formulées par Hypoteční banka, en ce qui concerne les intérêts.
27. C’est dans ces conditions que l’Okresní soud v Chebu a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La circonstance qu’une des parties à la procédure judiciaire est un ressortissant d’un autre État que l’État dans lequel se déroule [la] procédure a-t-elle une incidence transfrontière au sens de l’article 81 (ancien article 65) du traité, qui est une des conditions d’application du règlement [n° 44/2001] [...] ?
2) Le règlement [n° 44/2001] s’oppose-t-il à une disposition de droit national qui permet de mener une procédure à l’encontre de personnes dont le domicile n’est pas connu ?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question, la comparution du tuteur du défendeur, désigné par le juge, peut-elle être considérée comme l’acceptation de la compétence judiciaire du juge saisi au sens de l’article 24 du règlement [n° 44/2001] même lorsque la procédure a pour objet un droit tiré d’un contrat conclu par un consommateur et que les juridictions de la République tchèque ne seraient pas compétentes, en application de l’article 16, paragraphe 2, [dudit] règlement pour statuer sur ce litige ?
4) Peut-on considérer que la convention reconnaissant la compétence territoriale d’une juridiction concrète fonde la compétence internationale de la juridiction choisie au sens de l’article 17, point 3, du règlement [n° 44/2001] et, si tel est le cas, cela s’applique-t‑il également lorsqu’il est question d’une clause attributive de juridiction nulle pour violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles :
Sur la première question
28. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que les conditions d’application des règles de compétence établies par celui-ci sont remplies lorsque l’une des parties à la procédure juridictionnelle est un ressortissant d’un État membre autre que celui dans lequel se déroule cette procédure.
29. À cet égard, il y a lieu de préciser d’emblée que, à l’instar de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la » convention de Bruxelles »), dont l’interprétation vaut également pour le règlement n° 44/2001 lorsque les dispositions de ces instruments de l’Union peuvent être qualifiées d’équivalentes (arrêt du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C‑189/08, Rec. p. I‑6917, point 18), l’application des règles de compétence dudit règlement requiert l’existence d’un élément d’extranéité.
30. Ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le juger en ce qui concerne la convention de Bruxelles, le caractère international d’un rapport juridique peut découler de la circonstance que la situation en cause dans un litige est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (arrêt du 1er mars 2005, Owusu, C-281/02, Rec. p. I‑1383, point 26).
31. Il est vrai que la nationalité étrangère d’une partie au litige n’est pas prise en compte par les règles de compétence établies par le règlement n° 44/2001. Néanmoins, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 65 de ses conclusions, il convient d’opérer une distinction entre, d’une part, la question de savoir à quelles conditions les règles de compétence de ce règlement doivent s’appliquer et, d’autre part, celle de savoir selon quels critères la compétence internationale est régie en application de ces règles.
32. Or, il est évident que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la nationalité étrangère de la partie défenderesse peut soulever des questions relatives à la détermination de la compétence internationale de la juridiction saisie.
33. En effet, dans une situation telle que celle au principal, les juridictions de l’État membre dont le défendeur a la nationalité pourraient également s’estimer compétentes même en l’absence de domicile connu de ce dernier dans cet État. Dans ces circonstances, l’application des règles uniformes de compétence établies par le règlement n° 44/2001 à la place de celles en vigueur dans les différents États membres serait conforme à l’impératif de sécurité juridique et à l’objectif de ce règlement visant à garantir, dans toute la mesure du possible, la protection des défendeurs domiciliés sur le territoire de l’Union européenne.
34. Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle le défendeur est de nationalité étrangère et n’a pas de domicile connu dans l’État sur le territoire duquel se trouve la juridiction saisie de l’action, les règles de compétence du règlement n° 44/2001 sont susceptibles de s’appliquer.
35. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que l’application des règles de compétence établies par celui-ci suppose que la situation en cause dans le litige dont est saisie une juridiction d’un État membre est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence internationale de cette juridiction. Une telle situation se présente dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, dans laquelle un tribunal d’un État membre est saisi d’un recours dirigé contre un ressortissant d’un autre État membre dont le domicile est inconnu de ce tribunal.
Sur la deuxième question
36. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit interne d’un État membre qui permet de mener une procédure à l’encontre de personnes dont le domicile n’est pas connu.
37. Afin de répondre à cette question, il convient de relever d’emblée que le règlement n° 44/2001, comme la convention de Bruxelles, a pour objet non pas d’unifier toutes les règles de procédure des États membres, mais de régler les compétences juridictionnelles pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations entre ces États et de faciliter l’exécution des décisions juridictionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2004, DFDS Torline, C‑18/02, Rec. p. I‑1417, point 23).
38. En l’absence dans le règlement n° 44/2001 d’une disposition qui définisse expressément la compétence juridictionnelle dans un cas tel que celui au principal, dans lequel le domicile du défendeur est inconnu, il importe, à titre liminaire, de vérifier si et, le cas échéant, en vertu de quelle disposition ce règlement peut néanmoins trouver à s’appliquer et s’il est possible de tirer de celui-ci un critère permettant de fonder une compétence juridictionnelle.
39. À cet égard, s’agissant dans l’affaire au principal d’une action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat, il convient de rappeler que l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement prévoit qu’une telle action ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.
40. Ainsi, lorsqu’un juge national est appelé à connaître d’une action à l’encontre d’un consommateur, il doit, tout d’abord, vérifier si le défendeur est domicilié sur le territoire de son État membre en appliquant, conformément à l’article 59, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, son propre droit.
41. Ensuite, si, comme dans l’affaire au principal, ledit juge parvient à la conclusion que le défendeur au principal n’a pas de domicile sur le territoire de son État membre, il doit alors vérifier si ce dernier est domicilié dans un autre État membre. À cette fin, il applique, conformément à l’article 59, paragraphe 2, dudit règlement, le droit de cet autre État membre.
42. Enfin, si le juge national, d’une part, ne parvient toujours pas à identifier le lieu où est domicilié le consommateur et, d’autre part, ne dispose pas non plus d’indices probants lui permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union, hypothèse dans laquelle l’article 4 du règlement n° 44/2001 trouverait à s’appliquer, il convient de vérifier si l’article 16, paragraphe 2, de celui-ci peut être interprété en ce sens que, dans un cas tel que celui envisagé, la règle de la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le domicile du consommateur, énoncée à cette dernière disposition, vise également le dernier domicile connu du consommateur.
43. Or, une telle solution semble répondre à la logique dudit règlement et s’inscrit dans le cadre du système établi par celui-ci.
44. En effet, elle est tout d’abord conforme à l’objectif, poursuivi par le règlement n° 44/2001, de renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a., C‑509/09 et C‑161/10, non encore publié au Recueil, point 50).
45. Ladite solution permet ensuite, tout en privilégiant l’application des règles uniformes établies par le règlement n° 44/2001 par rapport à celle de règles nationales divergentes, d’éviter que l’impossibilité de localiser le domicile actuel du défendeur empêche l’identification d’une juridiction compétente et prive ainsi le demandeur de son droit à un recours juridictionnel. Une telle situation peut se produire, notamment, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, dans laquelle un consommateur qui, en vertu de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, devrait être attrait devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel il est domicilié a renoncé à son domicile avant que l’action à son encontre n’ait été introduite.
46. Enfin, le critère du dernier domicile connu du consommateur permet, pour les besoins de l’application de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001, d’assurer un juste équilibre entre les droits du demandeur et ceux du défendeur précisément dans un cas, comme celui au principal, où ce dernier avait l’obligation d’informer son cocontractant de tout changement d’adresse qui se produirait postérieurement à la signature du contrat de prêt immobilier de longue durée.
47. Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de considérer que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un consommateur partie à un contrat de prêt immobilier de longue durée, assorti d’une obligation d’informer le cocontractant de tout changement d’adresse, renonce à son domicile avant l’introduction d’une action à son encontre pour violation de ses obligations contractuelles, les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le dernier domicile connu du consommateur sont compétents, au titre de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001, pour connaître de ladite action lorsqu’ils ne parviennent pas à déterminer, en application de l’article 59 du même règlement, le domicile actuel du défendeur et qu’ils ne disposent pas non plus d’indices probants leur permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union.
48. Cela étant précisé, s’agissant des exigences à respecter lors de la procédure qui s’ensuit, il convient de rappeler que l’ensemble des dispositions du règlement n° 44/2001 expriment l’intention de veiller à ce que, dans le cadre des objectifs de celui-ci, les procédures menant à l’adoption de décisions judiciaires se déroulent dans le respect des droits de la défense (voir arrêts du 21 mai 1980, Denilauler, 125/79, Rec. p. 1553, point 13, et du 2 avril 2009, Gambazzi, C‑394/07, Rec. p. I‑2563, point 23).
49. Toutefois, l’exigence du respect des droits de la défense, telle qu’énoncée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être mise en œuvre en concomitance avec le respect du droit du demandeur de saisir une juridiction pour statuer sur le bien-fondé de ses prétentions.
50. À ce titre, la Cour a jugé, au point 29 de l’arrêt Gambazzi, précité, que les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions. Toutefois, celles-ci doivent répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne pas constituer, au regard du but poursuivi, une atteinte démesurée auxdits droits.
51. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le souci d’éviter des situations de déni de justice auxquelles serait confronté un demandeur en raison de l’impossibilité de localiser le défendeur constitue un tel objectif d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt Gambazzi, précité, points 31 à 33) dont il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier qu’il est effectivement poursuivi par la disposition nationale en cause.
52. En ce qui concerne l’exigence afférente à la nécessité d’éviter une atteinte démesurée aux droits de la défense, il importe de relever que celle-ci vaut particulièrement pour l’interprétation de l’article 26, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001. Il convient de comprendre cette disposition en ce sens qu’une juridiction compétente au titre de ce règlement ne saurait poursuivre valablement la procédure, dans le cas où il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance, que si toutes les mesures nécessaires ont été prises pour permettre à celui-ci de se défendre. À cet effet, la juridiction saisie doit s’assurer que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver le défendeur.
53. Certes, même si ces conditions sont respectées, la possibilité de poursuivre la procédure à l’insu du défendeur moyennant, comme dans l’affaire au principal, la notification du recours à un tuteur désigné par la juridiction saisie restreint les droits de la défense du défendeur. Cette restriction est toutefois justifiée au regard du droit d’un requérant à une protection effective étant donné que, en l’absence d’une telle procédure, ce droit resterait lettre morte.
54. En effet, contrairement à la situation du défendeur qui, lorsqu’il a été privé de la faculté de se défendre efficacement, aura la possibilité de faire respecter les droits de la défense en s’opposant, en vertu de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, à la reconnaissance du jugement prononcé à son encontre (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 1985, Debaecker et Plouvier, 49/84, Rec. p. 1779, point 11), le requérant risque d’être privé de toute possibilité de recours.
55. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que
- dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un consommateur partie à un contrat de prêt immobilier de longue durée, assorti d’une obligation d’informer le cocontractant de tout changement d’adresse, renonce à son domicile avant l’introduction d’une action à son encontre pour violation de ses obligations contractuelles, les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le dernier domicile connu du consommateur sont compétents, au titre de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, pour connaître de cette action lorsqu’ils ne parviennent pas à déterminer, en application de l’article 59 du même règlement, le domicile actuel du défendeur et qu’ils ne disposent pas non plus d’indices probants leur permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union ;
- ce règlement ne s’oppose pas à l’application d’une disposition du droit procédural interne d’un État membre qui, dans un souci d’éviter une situation de déni de justice, permet de mener une procédure à l’encontre et en l’absence d’une personne dont le domicile n’est pas connu, si la juridiction saisie du litige s’est assurée, avant de statuer sur celui-ci, que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver le défendeur.
56. Compte tenu des réponses données aux première et deuxième questions, il n’est pas nécessaire de répondre aux troisième et quatrième questions.
Sur les dépens :
57. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
la Cour (première chambre)
dit pour droit :
1) Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l’application des règles établies par celui-ci suppose que la situation en cause dans le litige dont est saisie une juridiction d’un État membre est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence internationale de cette juridiction. Une telle situation se présente dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, dans laquelle un tribunal d’un État membre est saisi d’un recours dirigé contre un ressortissant d’un autre État membre dont le domicile est inconnu de ce tribunal.
2) Le règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que :
- dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un consommateur partie à un contrat de prêt immobilier de longue durée, assorti d’une obligation d’informer le cocontractant de tout changement d’adresse, renonce à son domicile avant l’introduction d’une action à son encontre pour violation de ses obligations contractuelles, les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le dernier domicile connu du consommateur sont compétents, au titre de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, pour connaître de cette action lorsqu’ils ne parviennent pas à déterminer, en application de l’article 59 du même règlement, le domicile actuel du défendeur et qu’ils ne disposent pas non plus d’indices probants leur permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union européenne ;