CASS. COM., 4 février 2014
CERCLAB - DOCUMENT N° 4825
CASS. COM., 4 février 2014 : pourvoi n° 13-10630
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extraits : 1/ « Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir exactement retenu que c’est à la société de bourse de rapporter la preuve que son client a la qualité d’opérateur averti, l’arrêt relève que […] ; qu’il ajoute que […] ; qu’ayant ainsi fait ressortir que Mme X. n’avait acquis une connaissance suffisante des risques encourus dans les opérations spéculatives sur ce type de marché, ni dès l’origine des relations contractuelles, ni avant l’apparition des pertes litigieuses, la cour d’appel, qui n’avait pas à se référer aux stipulations du contrat de conseil visées à la troisième branche pour déterminer si Mme X. avait la qualité d’opérateur averti, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu’en ne subordonnant pas la responsabilité de la société de bourse à la démonstration d’une faute lourde dans l’exécution de sa mission de conseil, la juridiction de renvoi s’est conformée à l’arrêt de cassation qui la saisissait ; D’où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa dernière branche, n’est pas fondé pour le surplus ».
2/ « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le manquement de la société de bourse aux obligations d’information, de mise en garde et de conseil auxquelles elle peut être tenue à l’égard de son client prive seulement celui-ci d’une chance de mieux investir ses capitaux, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
3/ « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice moral de Mme X. ne pouvait se déduire des seules difficultés financières consécutives aux pertes subies par elle, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 4 FÉVRIER 2014
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 13-10630.
DEMANDEUR à la cassation : Société Banque privée 1818
DÉFENDEUR à la cassation : Madame X.
M. Petit (conseiller doyen faisant fonction de président), président. Maître Spinosi, SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 mars 2011, pourvoi n° 10-13.727), que Mme X. a, en 1988, conclu avec la société Bacot-Allain gestion, aux droits de laquelle vient la société Banque privée 1818 (la société de bourse), une convention ayant pour objet l’ouverture d’un compte-titres destiné à lui permettre de réaliser des opérations de bourse ; que cette convention a été renouvelée le 18 novembre 1998, date à laquelle Mme X. a conclu avec la société de bourse un contrat de conseil prévoyant que cette dernière acceptait, contre rémunération, de la conseiller dans le choix de ses investissements ; qu’ayant enregistré des pertes au cours de l’année 2000, Mme X. a recherché la responsabilité de la société de bourse pour manquements à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde ;
Sur le premier moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que la société de bourse fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à Mme X. certaines sommes à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que si celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation, il revient à celui qui s’en prévaut de rapporter la preuve de l’existence de cette obligation ; qu’une société de bourse n’est tenue d’un devoir de mise en garde relativement aux risques impliqués par les opérations envisagées qu’à l’égard de l’opérateur non averti, de sorte qu’il appartient à ce dernier de démontrer sa qualité de profane pour établir l’existence de l’obligation à son profit ; qu’en énonçant qu’il incombait à la banque de rapporter la preuve du caractère averti de l’opérateur, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l’article 1315 du code civil ;
2°/ que la qualité d’opérateur averti ne suppose pas une connaissance parfaite des mécanismes du marché à règlement mensuel, mais implique la connaissance par l’investisseur, quelle que soit sa profession, des risques de l’opération d’investissement sur le marché concerné ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même relevé que l’investisseur avait une certaine connaissance du marché et a relevé différents exemples d’investissement qui le démontraient ; qu’en énonçant que Mme X. ne pouvait avoir la qualité d’opératrice avertie en ce qu’il n’était pas établi, malgré une telle expérience d’investissement, qu’elle était, en tant qu’institutrice, une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché à règlement mensuel exigeant un savoir-faire spécifique, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du code civil ;
3°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’en l’espèce, le contrat de conseil conclu par les parties stipule en son article 2 « Responsabilité » que le donneur d’ordres reconnaît « être avisé(e) des risques inhérents à certaines opérations et à certains marchés tels que les marchés à effet de levier » ; qu’en énonçant que Mme X. ne pouvait avoir la qualité d’opératrice avertie, en dépit des termes clairs et précis du contrat, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
4°/ que l’opérateur peut, postérieurement à la conclusion du contrat, acquérir une expérience d’investissement lui conférant la qualité d’opérateur averti, circonstance de nature à rompre le lien de causalité entre les manquements reprochés à la société de bourse et les pertes subies par l’opérateur ; qu’en l’espèce, il était soutenu et n’a jamais été contesté, qu’au cours de l’année qui a suivi la conclusion du contrat de conseil, Mme X. a intensifié ses investissements spéculatifs de manière à réaliser un montant total de plus-values de plus de deux millions d’euros pour la seule année 1999 ; qu’en se bornant à énoncer que la société de bourse ne justifiait pas d’éléments d’évaluation précis et concrets sur lesquels elle s’était fondée pour estimer lors de la souscription du contrat par sa cliente, que cette dernière était une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché, la cour d’appel, qui n’a pas tenu compte des investissements massifs réalisés par l’opératrice avant la réalisation des pertes en 2000, a violé l’article 1147 du code civil ;
5°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’il résulte de l’article 2 du contrat de conseil que « la responsabilité de Bacot-Allain gestion est limitée au cas de faute lourde dans l’exécution de sa mission de conseil et ne peut être engagée en raison d’une erreur de jugement » ; qu’en énonçant que la banque était responsable au titre de l’inexécution de son obligation de conseil, d’information et de mise en garde, sans exiger la démonstration d’une faute lourde requise par le contrat qui constituait la loi des parties, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir exactement retenu que c’est à la société de bourse de rapporter la preuve que son client a la qualité d’opérateur averti, l’arrêt relève que les investissements réalisés par Mme X. jusqu’en 1998 ont été peu avisés s’agissant des opérations effectuées sur les titres Synthélabo et ont été limités en ce qui concerne les autres opérations ; qu’il retient encore que la société de bourse ne justifie pas des éléments d’évaluation précis et concrets sur lesquels elle s’est fondée pour estimer, lors de la souscription du contrat du 18 novembre 1998, que Mme X., institutrice, était une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché à règlement mensuel exigeant un savoir-faire spécifique ; qu’il ajoute que précisément à compter de cette date, la stratégie de l’investisseur s’est intensifiée au point de donner lieu à des opérations spéculatives massives et régulières ; qu’ayant ainsi fait ressortir que Mme X. n’avait acquis une connaissance suffisante des risques encourus dans les opérations spéculatives sur ce type de marché, ni dès l’origine des relations contractuelles, ni avant l’apparition des pertes litigieuses, la cour d’appel, qui n’avait pas à se référer aux stipulations du contrat de conseil visées à la troisième branche pour déterminer si Mme X. avait la qualité d’opérateur averti, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu’en ne subordonnant pas la responsabilité de la société de bourse à la démonstration d’une faute lourde dans l’exécution de sa mission de conseil, la juridiction de renvoi s’est conformée à l’arrêt de cassation qui la saisissait ;
D’où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa dernière branche, n’est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l’article 1147 du code civil ;
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que pour condamner la société de bourse au paiement de dommages-intérêts correspondant au montant des pertes financières subies, l’arrêt retient que, si le préjudice causé à l’investisseur du fait du manquement de cette société à ses obligations d’information, de mise en garde et de conseil s’analyse, d’un certain point de vue, en une perte de chance de ne pas initier d’opérations sur le marché à terme et d’échapper ainsi au risque de pertes inhérent au placement d’actifs sur le marché boursier, ce préjudice doit, s’agissant d’un opérateur profane ne maîtrisant pas les mécanismes complexes du marché à terme exigeant un savoir-faire spécifique, être déterminé en fonction de la totalité des pertes effectivement subies, lesquelles, compte tenu de l’inexpérience de cet opérateur, n’étaient affectées d’aucun aléa ;
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le manquement de la société de bourse aux obligations d’information, de mise en garde et de conseil auxquelles elle peut être tenue à l’égard de son client prive seulement celui-ci d’une chance de mieux investir ses capitaux, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l’article 1147 du code civil ;
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que pour condamner la société de bourse au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral de Mme X., l’arrêt retient qu’en raison de l’importance des pertes subies, celle-ci a connu des conditions financières difficiles et a donc nécessairement subi un tel préjudice ;
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice moral de Mme X. ne pouvait se déduire des seules difficultés financières consécutives aux pertes subies par elle, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la société Banque privée 1818 à payer à Mme X. la somme de 2.285.872,60 euros en réparation de son préjudice matériel et financier et celle de 2.000 euros au titre de son préjudice moral, l’arrêt rendu le 6 novembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;
Condamne Mme X. aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Banque privée 1818 la somme de 3.000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille quatorze.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOYENS ANNEXÉS au présent arrêt.
Moyens produits par Maître Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Banque privée 1818.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la société anonyme BANQUE PRIVEE 1818 à verser à Madame X. divorcée Y. 2.285.872,60 euros en indemnisation de son préjudice matériel et financier outre 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Aux motifs que « la cour est saisie d’une action en responsabilité contractuelle d’une société de bourse exercée par une de ses clientes, titulaire d’un compte espèces titres ; que celle-ci se prévaut essentiellement d’une mauvaise exécution du contrat de conseil rémunéré noué entre eux à l’occasion du renouvellement de cette convention de compte pour garantir la bonne gestion de ses avoirs et réclame subséquemment, du fait de sa qualité soutenue d’investisseur profane, l’indemnisation du préjudice, financier et moral, résultant des pertes importantes qu’elle indique avoir subies à la suite d’opérations d’investissement malheureuses ;
1. sur le principe de responsabilité de la banque
Considérant que pour des raisons spécifiques tenant à la nature du litige, la réponse à cette question conduit la cour à en cerner les bases fondamentales ; qu’il y a ainsi lieu d’une part, de définir exactement la nature juridique précise des relations nouées entre les parties et d’autre part, de déterminer si Mme X. divorcée Y. doit ou non être qualifiée d’investisseur averti ; que ces deux aspects font précisément l’objet de discussions entre les parties ;
1.1. en ce qui concerne les bases fondamentales
1.1.1. s’agissant de la nature du contrat passé entre les parties
(…)
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil ;
Considérant que le contrat de conseil sous-tendant les relations entre les parties comporte les énonciations suivantes : l’article 1er prévoit ainsi que la société Bacot Allain Gestion a accepté « de conseiller dans le choix de ses investissements le titulaire du compte Madame X. ouvert chez le dépositaire, la Banque Saint Dominique » avec cette précision que la société « n’exécute aucun ordre qui n ‘ait été transmis par le titulaire du compte ou par toute personne qu’il a habilité à cet effet. » ; que l’article 2 indique par ailleurs que « le titulaire reste pleinement maître du choix des opérations qu’il effectue (..)/La responsabilité de BACOT-ALLAIN GESTION est limitée au cas de faute lourde dans l’exécution de sa mission de conseil et ne peut être engagée en raison d’une erreur de jugement./Le titulaire reconnaît être avisé des risques inhérents à certaines opérations et à certains marchés tels que les marchés à effet de levier. » ;
Considérant que c’est à l’aune de ces seules constatations objectives que les modalités d’exécution des obligations contractuelles de la société de bourse seront appréciées ;
Que l’obligation de conseil pesant sur la société de bourse est en effet par principe une obligation circonstanciée, exigeant de prendre en considération la situation précise du donneur d’ordres concerné ; que notamment, le devoir de conseil et d’information ne s’exécute pas de la même manière selon que le donneur d’ordres est ou non un client profane puisque dans cette dernière hypothèse, le prestataire de services d’investissement est alors tenu d’une obligation spécifique de mise en garde ;
Que la qualité de l’intimée influant sur la solution de ce litige, doit donc être déterminée puisque les parties sont également contraires sur ce point ;
1.12. s’agissant de la qualité d’investisseur averti ou profane de Mme X. divorcée Y.
(…)
Vu l’article 1315 du code civil, ensemble l’article 9 du code de procédure civile ;
Considérant que le devoir de conseil dont les conditions d’exécution sont aujourd’hui discutées entre les parties incombe à la société de bourse ; que par suite, la charge de la preuve du caractère averti de son partenaire contractuel lui incombe nécessairement puisqu’il est de principe que Mme X. divorcée Y., dont au demeurant rien n’établit qu’elle est une professionnelle des investissements boursiers, est a priori un opérateur profane ; que cette appréciation s’opère au cas par cas, in concreto, par référence à un faisceau d’indices (profession, finalité de l’opération, caractère habituel de celle-ci ...) ;
Considérant que de ce point de vue, la société de bourse observe à juste titre que l’appelante avait une certaine connaissance du marché à règlement mensuel puisqu’il est constant que Mme X. divorcée Y. a, à compter du 24 avril 1989, notamment constitué une position sur 1.750 titres Synthélabo qu’elle a reportée sur 5 mois avant de la solder en fin d’année avec une perte de 307.408 francs (46.864,05 euros) et qu’elle a consenti la même année des cessions pour 1.952.757 euros ; qu’il est également acquis qu’elle a confié en 1992 des instructions d’achat ou de vente à d’autres établissements bancaires (Société Générale et Selftrade devenu Boursorama) et acheté le 31 janvier 1994 800 titres Eurotunnel et 670 titres Eurodisney sur le marché à règlement mensuel ;
Que cependant, la société de bourse qui ne dément pas le caractère peu avisé de la gestion des titres Synthélabo ni le caractère limité des opérations réalisées sur les autres titres en 1994 (Eurotunnel et Eurodisney) et de manière générale, des cessions effectuées avant 1998, ne justifie pas des éléments d’évaluation précis et concrets sur lesquels elle s’est fondée pour estimer, lors de la souscription du contrat du 18 novembre 1998, que Mme X. divorcée Y., institutrice, était une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché à règlement mensuel exigeant un savoir-faire spécifique alors précisément qu’à compter de cette date, la stratégie de cet investisseur s’est intensifiée au point de donner lieu à des opérations spéculatives massives et régulières sur ce marché à risques ; qu’au demeurant, elle ne conteste pas avoir, par lettre du 15 septembre 1997 régulièrement produite aux débats, du exposer à ce donneur d’ordre les mécanismes de base de ce marché à propos de la gestion des titres Synthelabo ; que les investissements réalisés de ce chef apparaissent ainsi avoir en réalité été une simple application de conseils prodigués à un investisseur dont les connaissances sur les caractéristiques du marché sur lequel il était intervenu n’ont jamais été sérieusement évaluées ;
Considérant que sur ces constatations et pour ces raisons, les premiers juges apparaissent avoir décidé à tort que Mme X. divorcée Y. était une opératrice avertie ;
Que c’est compte tenu de ces éléments, que la qualité d’exécution de la prestation de services de la société de bourse doit être appréciée ;
1,2. en ce qui concerne la faute contractuelle imputée par Mme X. divorcée Y.
(...)
Vu les articles 1134 et 1147, ensemble les prescriptions énoncées par le règlement n° 97-02 de la Commission des opérations de bourse relatif à l’établissement et à la diffusion d’une note d’information concernant les marchés réglementés d’instruments financiers à terme ;
Considérant qu’il est manifeste et constant que la société de bourse intimée ne s’est pas acquittée de l’obligation de conseil, d’information et de mise en garde qui lui incombait en tant que professionnelle des placements financiers dès lors qu’elle ne peut justifier s’être, à quel que moment et de quelle que manière que ce soit, y compris par la remise de la note d’information prévue au règlement susvisé, assurée de l’adéquation des investissements réalisés par sa cliente au regard des connaissances et de la situation personnelle de celle-ci, peu important de ce point de vue qu’elle n’ait pas été garante des performances des instruments financiers recommandés ;
Que sur ces constatations et pour ces raisons, le jugement entrepris devra être infirmé et la société de bourse condamnée à réparer le préjudice que ce manquement à ses obligations fondamentales ont occasionné ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1) Alors d’une part que si celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation, il revient à celui qui s’en prévaut de rapporter la preuve de l’existence de cette obligation ; qu’une société de bourse n’est tenue d’un devoir de mise en garde relativement aux risques impliqués par les opérations envisagées qu’à l’égard de l’opérateur non averti, de sorte qu’il appartient à ce dernier de démontrer sa qualité de profane pour établir l’existence de l’obligation à son profit ; qu’en énonçant qu’il incombait à la banque de rapporter la preuve du caractère averti de l’opérateur, la Cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l’article 1315 du code civil ;
2) Alors d’autre part que la qualité d’opérateur averti ne suppose pas une connaissance parfaite des mécanismes du marché à règlement mensuel, mais implique la connaissance par l’investisseur, quelle que soit sa profession, des risques de l’opération d’investissement sur le marché concerné ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a elle-même relevé que l’investisseur avait une certaine connaissance du marché et a relevé différents exemples d’investissement qui le démontraient ; qu’en énonçant que Madame X. ne pouvait avoir la qualité d’opératrice avertie en ce qu’il n’était pas établi, malgré une telle expérience d’investissement, qu’elle était, en tant qu’institutrice, une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché à règlement mensuel exigeant un savoir-faire spécifique, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du code civil ;
3) Alors qu’au surplus les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’en l’espèce, le contrat de conseil conclu par les parties stipule en son article 2 « Responsabilité » que le donneur d’ordres reconnaît « être avisé(e) des risques inhérents à certaines opérations et à certains marchés tels que les marchés à effet de levier » ; qu’en énonçant que Madame X. ne pouvait avoir la qualité d’opératrice avertie, en dépit des termes clairs et précis du contrat, la Cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
4) Alors qu’en outre l’opérateur peut, postérieurement à la conclusion du contrat, acquérir une expérience d’investissement lui conférant la qualité d’opérateur averti, circonstance de nature à rompre le lien de causalité entre les manquements reprochés à la société de bourse et les pertes subies par l’opérateur ; qu’en l’espèce, il était soutenu et n’a jamais été contesté, qu’au cours de l’année qui a suivi la conclusion du contrat de conseil, Madame X. a intensifié ses investissements spéculatifs de manière à réaliser un montant total de plus-values de plus de deux millions d’euros pour la seule année 1999 ; qu’en se bornant à énoncer que la société de bourse ne justifiait pas d’éléments d’évaluation précis et concrets sur lesquels elle s’était fondée pour estimer lors de la souscription du contrat par sa cliente, que cette dernière était une opératrice parfaitement au fait des mécanismes du marché, la Cour d’appel, qui n’a pas tenu compte des investissements massifs réalisés par l’opératrice avant la réalisation des pertes en 2000, a violé l’article 1147 du code civil ;
5) Alors qu’enfin les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’il résulte de l’article 2 du contrat de conseil que « la responsabilité de BACOT-ALLAIN GESTION est limitée au cas de faute lourde dans l’exécution de sa mission de conseil et ne peut être engagée en raison d’une erreur de jugement » ; qu’en énonçant que la banque était responsable au titre de l’inexécution de son obligation de conseil, d’information et de mise en garde, sans exiger la démonstration d’une faute lourde requise par le contrat qui constituait la loi des parties, la Cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la société anonyme BANQUE PRIVEE 1818 à verser à Madame X. divorcée Y. 2.285.872,60 euros en indemnisation de son préjudice matériel et financier outre 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Aux motifs que «sur l’indemnisation des préjudices subis par Mme X. divorcée Y.
Considérant que la cour se doit de rechercher une juste appréciation du préjudice subi en référence au principe de réparation intégrale excluant certes, de sous évaluer le préjudice de la victime mais excluant tout autant, de condamner l’auteur du dommage à indemniser la victime au-delà du préjudice réellement subi ;
Considérant que la réclamation de la partie appelante comporte deux branches qu’il convient d’examiner successivement ;
2.1. en ce qui concerne son préjudice matériel et financier
Considérant d’une part, que Mme X. divorcée Y. soutient justifier, pour la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2000, de la réalité de son préjudice analysé comme une perte de chance ; qu’elle évalue celui-ci à 2.426.153,89 euros en soutenant qu’il correspond aux pertes cumulées, conséquence directe du défaut d’information et de mise en garde imputable à l’intimée ;
Considérant d’autre part, que celle-ci s’oppose à cette réclamation, objectant que celle-ci est dépourvue de toute justification ;
Qu’elle relève : - que le montant réclamé est ainsi, sans aucune explication, supérieur de 140.000 euros au montant de la plus-value globale sollicitée devant les premiers juges ; qu’outre la constatation de cet écart, la somme réclamée est indifféremment présentée comme correspondant au « total des pertes cumulées pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 » et à l’indemnisation de « la perte d’une chance », ce qui est contradictoire ; que quoi qu’il en soit, Mme X. divorcée Y. ne justifie pas d’une quelconque perte de chance, laquelle ne saurait se confondre avec l’intégralité des pertes subies sur son compte de titres, les placements boursiers étant par nature aléatoires ; - que par suite, faute de démontrer la perte de chance alléguée, l’appelante doit être déboutée de sa demande ; - qu’elle le doit d’autant plus, qu’aucun lien de causalité n’apparaît établi entre le défaut d’information et de mise en garde qui lui est reproché et le préjudice allégué ;
Vu l’article 1147 du code civil, ensemble les articles 1315 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
Considérant que le préjudice subi par un investisseur du fait du manquement par la société de bourse auprès de laquelle il a contracté un contrat de conseil, à l’obligation d’information et de mise en garde mise à sa charge, s’analyse certes d’un certain point de vue, en une perte de chance de ne pas initier d’opérations sur le marché à terme et d’échapper ainsi au risque de pertes inhérent au placement d’actifs sur le marché boursier mais aussi et avant tout, s’agissant d’un opérateur profane ne maîtrisant pas les mécanismes complexes du marché à terme exigeant un savoir-faire spécifique, d’échapper aux pertes subies du fait de cette inexpérience qui conduit à estimer que ces pertes n’étaient en réalité affectées d’aucun aléa et que le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi est nécessairement établi ;
Que pour ces raisons, Mme X. divorcée Y. sera déclarée fondée à obtenir l’indemnisation des pertes subies à hauteur de 2.285.872, 60 euros au titre de la seule période pour laquelle elle se trouve en mesure de produire les justifications nécessaires à savoir, celle comprise entre le 1er janvier et le 30 novembre 2000 ;
Considérant que Mme X. divorcée Y. s’estime en deuxième lieu en droit de réclamer, au visa de l’article 1131 du code civil, la restitution de la totalité des honoraires versés en l’absence de toute exécution de prestation de conseil ;
Qu’elle souligne, qu’il ressort de l’analyse des fiches de transaction établies en 1999 et 2000 que ces honoraires se sont élevés à 764.239,48 euros, les prétentions de son adversaire étant fondées sur un document illisible ;
Considérant que la société de bourse s’oppose à ce chef de demande à tout le moins mal fondée, rappelant que la cause d’un contrat s’apprécie au moment de sa conclusion et non au cours de son exécution ;
Qu’elle précise qu’il est inexact de soutenir que le contrat de conseil n’a pas été exécuté et que la somme réclamée ne correspond en rien aux honoraires de conseil qu’elle a prélevés ; que ceux-ci se sont en réalité élevés à 1 180 euros pour les années 1999 et 2000 ;
Vu les articles 1131, 1134 et 1147 du code civil ;
Considérant que s’il est exact que l’article 1108 du code civil n’envisage la cause du contrat que comme condition de formation de celui-ci, il est de principe établi que ce concept reste attaché en cours d’exécution d’un contrat synallagmatique à l’interdépendance des obligations ; qu’au cas présent, la défaillance de la prestation de conseil établie pour les motifs ci-avant développés du présent arrêt justifie ipso facto, faute de cause, la restitution des honoraires correspondants ;
Considérant en effet qu’il ressort de l’article 4 du contrat litigieux que : « le mandant autorise expressément le Dépositaire à débiter son compte en faveur du Mandataire d’une rémunération correspondant aux frais de garde et de gestion d’un montant hors taxes de 0,15 % à 0, 3 % HT de la valeur du portefeuille » ; que l’annexe I auquel cet article renvoie par ailleurs prévoit également que “un avis de prélèvement sera adressé au Mandant 5 jours de bourse avant chaque prélèvement. » ;
Considérant que si le principe de l’obligation de restitution est ainsi établi, force est d’observer que l’appelante ne justifie pas sérieusement du quantum de sa réclamation, les relevés qu’elle produit aux débats et qu’elle a elle-même établis n’étant nullement assortis des avis de prélèvement mentionnés à l’annexe 1, qu’elle ne dément pas avoir reçus ;
Que pour cette raison, ce chef de condamnation sera écarté ;
2.2. en ce qui concerne son préjudice moral
Considérant d’une part, que l’appelante réclame l’indemnisation de ce chef de préjudice, caractérisé par le harcèlement continuel de l’administration fiscale ayant procédé au recouvrement forcé de sa créance et par de graves problèmes de santé, directement causés par les graves difficultés auxquelles sa ruine l’a confrontée ; qu’elle estime que compte tenu de son âge au moment des faits (63 ans), ce préjudice peut être justement évalué à 150.000 euros ;
Considérant d’autre part, que la société de bourse s’oppose à cette indemnisation ;
Qu’elle précise être totalement étrangère aux événements allégués et nullement responsable du fait que cet investisseur n’ait ni anticipé ni provisionné le paiement de ses impôts ; qu’elle ajoute que les pièces produites aux débats (deux actes de cession de parts sociales de sociétés à responsabilité limitée, un acte de vente d’une Porsche, un procès-verbal de saisie de biens meubles du Trésor et un certificat médical n’indiquant rien de précis) ne justifient d’aucune manière le préjudice allégué ;
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, ensemble les articles 1315 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
Considérant que la charge de la preuve du préjudice dont l’indemnisation est réclamée incombe par principe au demandeur en indemnité ; que par suite, cette preuve pèse au cas présent sur la partie appelante ;
Considérant qu’en raison de l’importance des pertes subies, Madame Y. a connu des conditions financières difficiles ; que par suite, elle a nécessairement subi un préjudice moral que, compte tenu des éléments propres de l’espèce soumis à son appréciation, la cour estime pouvoir justement évaluer à 2.000 euros » ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Alors d’une part que le manquement de la banque aux obligations d’information ou de mise en garde auxquelles elle peut être tenue à l’égard de son client prive seulement celui-ci d’une chance de mieux investir ses capitaux ; qu’en mettant néanmoins à la charge de la banque, au titre de l’inexécution de l’obligation de conseil et de mise en garde, la totalité des pertes subies par Madame X., aux motifs inopérants que celle-ci avait la qualité d’opérateur profane, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;
Alors d’autre part et subsidiairement que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu’en mettant à la charge de la banque, au titre de l’inexécution de l’obligation de conseil et de mise en garde, la totalité des pertes subies par Madame X. au cours de l’année 2000, sans tenir compte des gains réalisés lors des années précédentes à la suite des mêmes conseils prodigués par la banque, la Cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit, ensemble l’article 1147 du code civil ;
Alors enfin que le préjudice moral, qui se distingue du préjudice matériel, ne saurait se déduire des seules pertes financières éprouvées par la victime ; qu’en énonçant qu’en raison de l’importance des pertes subies, Madame X. a connu des conditions financières difficiles et que par suite elle a nécessairement subi un préjudice moral, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil.