CA TOULOUSE (4e ch. soc. sect. 1), 17 juin 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5658
CA TOULOUSE (4e ch. soc. sect. 1), 17 juin 2016 : RG n° 14/04696 ; arrêt n° 2016/407
Publication : Jurica
Extrait (arguments de la salariée) : « Mme X. lui oppose la théorie de « l'estoppel », soutenant que la société Concept Coupes ayant choisi le statut de salariat, même si le contrat de travail comporte des clauses abusives, son employeur ne peut pour autant, sans se contredire, soutenir qu'il n'y aurait pas eu contrat de travail mais seulement prestation de service. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
QUATRIÈME CHAMBRE SOCIALE SECTION 1
ARRÊT DU 17 JUIN 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/04696. Arrêt n° 2016/407. Décision déférée du 26 juin 2014 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FOIX (F 13/00136).
APPELANTE :
Madame X.
représentée par Maître Maud T. de la SELARL L.-T., avocat au barreau D'ARIEGE
INTIMÉE :
EURL CONCEPT COUPES
représentée par Maître Philippe A., avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 3 mai 2016, en audience publique, devant Mme C. DECHAUX, chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : C. DECHAUX, conseiller faisant de président, S. HYLAIRE, conseiller, D. BENON, conseiller
Greffier, lors des débats : E. DUNAS
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile - signé par C. DECHAUX, président, et par E. DUNAS, greffier de chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS- PROCÉDURE- PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Mme X., qui avait antérieurement exercé à titre libéral, la profession de coiffeuse à domicile, adressait courant mai 2008 à la société Concept Coupes une demande d'information, établie sur un formulaire qu'elle renseignait le 29 septembre 2008 en donnant des précisions sur son chiffre d'affaires mensuel.
La société Concept Coupes lui adressait alors un courrier et un dossier comportant notamment une simulation de salaire et le règlement intérieur de l'entreprise.
Mme X. retournait le contrat signé, daté du 2 octobre 2008, dénommé contrat de travail à durée indéterminée, avec effet au 14 octobre 2008.
Les 26 juillet 2012 et 28 août 2012, le médecin du travail déclarait Mme X. inapte à un poste nécessitant l'élévation du bras droit et des gestes répétés, apte à un poste de type administratif.
Par lettre en date du 19 novembre 2012, Mme X. refusait la proposition de reclassement en date du 15 novembre 2012 dans un emploi administratif.
Elle était convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 19 décembre 2012, et le 27 décembre 2012, la société Concept Coupes lui notifiait par lettre recommandée avec avis de réception son licenciement pour inaptitude, tout en faisant état du refus de la proposition de reclassement concernant un poste administratif au sein de l'entreprise.
Mme X. saisissait le 29 mai 2013 la juridiction prud'homale de demandes tendant principalement à la requalification en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein sur la période du 14 octobre 2008 au 1er janvier 2013 de la relation de travail.
Par jugement en date du 26 juin 2014, le Conseil de prud'hommes de Foix déboutait Mme X. de l'ensemble de ses demandes et la condamnait aux dépens.
Mme X. interjetait régulièrement appel des dispositions de ce jugement par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 22 juillet 2014.
En l'état de ses conclusions déposées le 25 avril 2016 et reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme X. demande à la cour de condamner la société Concept Coupes à lui payer les sommes de :
- 34.522,34 euros au titre de la requalification du contrat en temps plein,
- 3.559,46 euros au titre de l'indemnité de congés payés,
- 904,84 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle sollicite également la condamnation de la société Concept Coupes à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt.
En l'état de ses conclusions numéro 2 déposées le 3 mai 2016 et reprises oralement, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société Concept Coupes demande à titre principal à la cour de dire et juger qu'il n'existait pas de lien de subordination et de requalifier le contrat de travail en contrat de services, et de débouter Mme X. de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Foix et sollicite la condamnation de Mme X. à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Sur l'audience, les avocats des parties ont précisé, en le confirmant ensuite par notes en délibéré contradictoirement échangées, que les produits consommables utilisés lors des prestations de coiffure étaient fournis à Mme X. et payés par la société Concept Coupes, et que le matériel utilisé (brosses, bacs à shampoing) était propriété de Mme X.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Le contrat de travail est un contrat conclu entre une personne physique et une autre personne physique ou une personne morale, portant sur l'exécution d'une prestation, moyennant rétribution et dans le cadre d'un lien de subordination, caractérisé par l'exécution du travail sous l'autorité de l'employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L'existence d'une relation de travail résulte de la réunion de ces trois conditions cumulatives, et il incombe à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail de l'établir.
Le contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention ou de l'existence de bulletins de paye mais des conditions de fait dans lesquelles la prestation de travail s'est réellement exécutée.
En cause d'appel, la société Concept Coupes conteste la qualification de contrat de travail et demande la requalification du contrat de travail en contrat de prestations de service aux motifs que :
- Mme X. exerçait ses prestations de manière autonome,
- l'activité de la société Concept Coupes permet à des coiffeuses à domicile qui exercent en libéral d'opter pour le statut de salariée tout en conservant leur autonomie et leur liberté de travail, en étant déchargées des contraintes administratives, comptables, sociales et fiscales. Dès lors il ne s'agit pas d'un contrat de travail effectif mais d'un contrat de prestation de services, il n'y a aucun lien de subordination, ni de notion de mise à disposition de l'employeur, le salaire étant déterminé exclusivement en fonction des données transmises par la coiffeuse, suivant les modalités fixées par l'avenant.
Mme X. lui oppose la théorie de « l'estoppel », soutenant que la société Concept Coupes ayant choisi le statut de salariat, même si le contrat de travail comporte des clauses abusives, son employeur ne peut pour autant, sans se contredire, soutenir qu'il n'y aurait pas eu contrat de travail mais seulement prestation de service. En stipulant dans le contrat de travail qu'elle avait le choix de ses horaires de travail et que la clientèle de la salariée, comme celle développée ensuite par la salariée, demeurera sa propriété exclusive, la société Concept Coupes a contrevenu à son obligation de délivrance du travail. Dès lors que son contrat de travail ne comportait pas de clause sur ses horaires de travail, il était présumé conclu à temps complet, et elle ne pouvait être rémunérée en deçà du salaire minimum conventionnel. Elle considère enfin que son employeur a par ailleurs manqué de transparence en ce qui concerne les modalités de fixation du salaire.
En l'espèce le contrat en date du 2 octobre 2008, dénommé contrat de travail à durée indéterminée, précise que :
- les fonctions consisteront dans le fait d'effectuer des prestations de coiffure au domicile des clients(e)s et éventuellement la vente de produits, que le salarié conserve son autonomie dans l'exercice de ses fonctions, dépose les sommes reçues des clients sur un compte bancaire à son nom, en fin de mois, remet à la société Concept Coupes un chèque représentant le montant des recettes encaissées dans le mois, accompagné des documents qui lui sont demandés : comptes rendus, originaux des factures...
- la clientèle actuelle du salarié et celle développée au sein de la société restera la propriété exclusive du salarié, lequel a le choix de ses horaires de travail.
- la rémunération nette mensuelle sera assise sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en prestation de coiffure, sur les bases définies en annexe.
La cour relève que les pièces versées aux débats établissent que la société Concept Coupes a démarché Mme X. en mettant en exergue les avantages qu'elle pouvait retirer d'un statut salarié, et que durant toute la relation contractuelle la société Concept Coupes s'est comportée comme un employeur.
En effet non seulement la société Concept Coupes a établi le contrat qu'elle a, elle-même, qualifié de contrat de travail, mais elle a aussi procédé à l'égard de l'URSSAF le 14 octobre 2008 à la déclaration unique d'embauche ; elle a établi les bulletins de paye et réglé les cotisations sociales dues, elle a fait procéder, à au moins trois reprises, les 13, 26 et 28 juillet 2012, à l'examen de Mme X. par le médecin du travail ; elle a transmis à Mme X., à la suite des avis d'inaptitude le 15 novembre 2012 une proposition de reclassement et enfin elle a procédé à son licenciement pour cause d'inaptitude et refus de la proposition de reclassement.
De plus, l'obligation faite à Mme X. d'établir des comptes rendus relatifs aux prestations effectuées, ainsi que les tableaux qu'elle devait remplir mensuellement de manière relativement précise, puisque pour chaque jour du mois, elle devait préciser le type de prestation (shampoing, coupe...) conduisaient la société Concept Coupes à contrôler et à quantifier les heures de travail effectuées et servaient de base pour l'établissement des bulletins de paye. Il est en outre reconnu que les produits consommables étaient fournis par la société Concept Coupes.
L'ensemble de ces éléments est donc de nature à conforter la qualification de contrat de travail donnée à l'écrit signé par les parties, dont la société Concept Coupes n'a contesté la qualification que dans le cadre de la présente procédure, laquelle présente un lien étroit, avec celle pendante devant la cour dans le cadre de laquelle Mme X. sollicite la reconnaissance du caractère professionnel à sa maladie.
La cour observe par ailleurs que dans ses conclusions de première instance la société Concept Coupes contestait uniquement une requalification du temps partiel en temps plein et ne sollicitait pas la requalification de la nature du contrat.
Par application des dispositions de l'article L. 3123-14 et suivants du code du travail, le contrat de travail à temps partiel est soumis à un certain formalisme, en ce qu'il doit mentionner notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.
En l'absence de ces éléments, le contrat de travail est présumé à temps complet et il appartient alors à l'employeur d'apporter la preuve du temps partiel et de prouver que le salarié n'a pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devrait travailler ni était obligé de se tenir constamment à la disposition de son employeur.
Mme X. développe essentiellement des critiques portant sur l'opacité du système de calcul des heures de travail mis en place par son employeur dans son contrat de travail pour déterminer à partir de la nature de la prestation effectuée le nombre d'heures travaillées.
Elle souligne que les fiches qu'elle devait remplir ne comportaient pas l'enregistrement de l'heure d'arrivée et de celle de départ du domicile du client, contrairement aux dispositions de l'article 12.3 de la convention collective, que le temps d'attente et de disponibilité pour la prise de rendez-vous n'est pas pris en compte comme temps de travail, que le temps de déplacement et les frais de déplacement ne sont pas davantage décomptés réellement puisqu'il sont forfaitisés en rapport avec la prestation faite, de sorte que les temps de travail et taux horaires mentionnés sur ses bulletins de paye ne respectent pas les dispositions conventionnelles.
La société Concept Coupes se prévaut de l'avenant du 8 octobre 2008.
Il résulte de l'article 12.3 dernier paragraphe de la convention collective coiffures et professions connexes qu'à défaut d'enregistrement de l'heure de début et de fin de chaque période de travail auprès de chaque client, le contrat de travail à temps partiel est réputé conclu à temps complet et ouvre droit forfaitairement, sauf cas d'absence pour maladie, maternité ou accident du travail, au salaire horaire conventionnel multiplié par la durée légale mensualisée et ce nonobstant les dispositions contractuelles liant les parties.
En l'espèce le contrat de travail indique uniquement que le salarié a le choix de ses horaires de travail, et l'avenant en date du 8 octobre 2008 dont il est établi qu'il a été signé par Mme X. qui ne comporte pas davantage de précision sur les horaires de travail, mentionne uniquement « le salarié détermine librement ses rendez-vous, son temps de travail, et la répartition de ses heures sans pouvoir atteindre toutefois 35 heures par semaine ou 151 heures par mois. Le salarié organise donc son travail à sa convenance dans l'intérêt de la société... il indique sur ses factures l'horaire d'arrivée et de départ de chez le client... il est convenu entre les parties que la durée du travail est décomptée par l'entreprise, d'après les factures clients remises par le salarié et les prestations qui y sont notées. »
Cet avenant détaille par type de prestation un temps de travail, puis mentionne que le temps consacré au trajet est forfaitisé à 40 % du temps de travail.
La Cour constate que si les fiches mises à disposition de Mme X. par la société Concept Coupes ne comportent effectivement aucune rubrique à renseigner quant à l'heure d'arrivée et à celle de départ du domicile des clients, l'employeur justifie que plusieurs de ses salariés précisaient leurs heures d'arrivée et de départ, qu'il avait attiré leur attention sur la nécessité de le faire et que l'avenant le précise.
De plus les bulletins de paye de Mme X. mettent en outre en évidence la grande variabilité des heures de travail payées, qui ont été en nombre le plus élevé sur la deuxième quinzaine d'octobre 2008 (62 heures 45) mais qu'ensuite leur moyenne (calculée sur 25 mois pour lesquels des bulletins de paye mentionnant le nombre d'heures travaillées sont produits) a été de 39 h 20, ce qui ne peut en aucun cas correspondre à un temps plein. Enfin, il n'est pas contesté que Mme X. disposait d'une grande autonomie dans ses prestations et donc dans sa charge de travail et ses heures de travail.
La cour relève également que la durée du travail déterminée par l'avenant que Mme X. a bien signé (son paraphe étant identique à celui apposé sur les autres documents) paraît correspondre à la réalité du temps nécessaire à l'accomplissement de ce type de prestation : shampoing 5 mn, coupe 20 mn, permanente court : 30 min, ton/ton balayage 50 mn... et qu'il est justifié du remboursement des frais kilométriques et de leur prise en considération à hauteur de 40 % du temps de travail.
Dès lors et même si la société Concept Coupes n'a respecté ni les dispositions légales précitées, ni les dispositions conventionnelles permettant de déterminer les horaires de travail de sa salariée, pour autant, les éléments ci-dessus examinés contredisent la présomption simple d'un travail à temps complet.
Mme X. n'est donc pas fondée à solliciter un rappel de salaire sur la base d'un temps complet.
La décision des premiers juges sera en conséquence confirmée par substitution de motifs en ce qui concerne le temps partiel, les premiers juges ayant admis l'existence d'un contrat de travail dont la nature n'était pas devant eux contestée par l'employeur.
Enfin l'équité ne commande pas de faire application au bénéfice de la société Concept Coupes des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Foix en date du 26 juin 2014,
et y ajoutant,
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Concept Coupes,
- Condamne Mme X. aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par C. DECHAUX, président et par E. DUNAS, Greffier.
Le Greffier, Le Président,
E. DUNAS C. DECHAUX