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CJUE (5e ch.), 21 décembre 2016

Nature : Décision
Titre : CJUE (5e ch.), 21 décembre 2016
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (5e ch.)
Demande : C 119/15
Date : 21/12/2016
Numéro ECLI : ECLI:EU:C:2016:987
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 9/03/2015
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6983

CJUE (5e ch.), 21 décembre 2016 : Affaire C‑119/15

Publication : Site curia

 

Extraits : 1/ « 1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, ainsi qu’à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’utilisation de clauses de conditions générales, dont le contenu est équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites dans un registre national des clauses de conditions générales jugées illicites, soit considérée, à l’égard d’un professionnel qui n’a pas été partie à la procédure ayant conduit à l’inscription de ces clauses dans ledit registre, comme un comportement illicite, à condition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que ce professionnel bénéficie d’un droit de recours effectif tant contre la décision admettant l’équivalence des clauses comparées portant sur la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas, ces clauses sont matériellement identiques, eu égard notamment aux effets produits au détriment des consommateurs, que contre la décision fixant, le cas échéant, le montant de l’amende infligée. »

2/ « 2) L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction telle que la juridiction de renvoi, dont les décisions, rendues dans le cadre d’un litige tel que celui au principal, peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ne peut être qualifiée de « juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

CINQUIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2016

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑119/15, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne), par décision du 19 novembre 2014, parvenue à la Cour le 9 mars 2015, dans la procédure

Biuro podróży « Partner » sp. z o.o. sp.k. w Dąbrowie Górniczej

contre

Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów,

 

LA COUR (cinquième chambre), composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 mars 2016,

considérant les observations présentées :

- pour Biuro podróży « Partner » sp. z o.o. sp.k. w Dąbrowie Górniczej, par Mme I. Bryła-Rokicka, conseillère juridique,

- pour le Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów, par Mme D. Sprzączkowska, conseillère juridique,

- pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Nowak ainsi que par Mme M. Kamejsza, en qualité d’agents,

- pour la Commission européenne, par Mmes G. Goddin et A. Szmytkowska ainsi que par M. D. Roussanov, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 juin 2016,

rend le présent

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt

1. - La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO 2009, L 110, p. 30), ainsi que de l’article 267 TFUE.

2. - Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Biuro podróży « Partner » sp. z o.o. sp.k. w Dąbrowie Górniczej (ci‑après « Biuro Partner ») au Prezes Urząd Ochrony Konkurencji i Konsumentów (président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, Pologne) au sujet de l’utilisation par Biuro Partner de clauses de conditions générales inscrites au registre national des clauses de conditions générales illicites.

 

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. - L’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13 dispose :

« L’annexe [de cette directive] contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

4. - L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

5. - L’article 7 de la même directive prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.

3. Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires. »

6. - L’article 8 de la directive 93/13 énonce :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »

7. - La directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13 et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64), a modifié la directive 93/13 afin d’obliger les États membres à informer la Commission européenne de l’adoption de dispositions nationales spécifiques dans certains domaines.

8. - L’article 8 bis de la directive 93/13, inséré dans cette dernière par la directive 2011/83, avec effet au 13 juin 2014, dispose :

« 1. Lorsqu’un État membre adopte des dispositions conformément à l’article 8, il informe la Commission de l’adoption desdites dispositions ainsi que de toutes modifications ultérieures, en particulier lorsque ces dispositions :

[...]

- contiennent des listes de clauses contractuelles réputées abusives.

2. La Commission s’assure que les informations visées au paragraphe 1 sont aisément accessibles aux consommateurs et aux professionnels, entre autres sur un site internet spécifique.

[...] »

9. - L’article 1er de la directive 2009/22 définit le champ d’application de cette directive comme suit :

« 1. La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux actions en cessation, mentionnées à l’article 2, visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs inclus dans les directives énumérées à l’annexe I, afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

2. Aux fins de la présente directive, on entend par infraction tout acte qui est contraire aux directives énumérées à l’annexe I telles que transposées dans l’ordre juridique interne des États membres et qui porte atteinte aux intérêts collectifs visés au paragraphe 1. »

10. - L’article 2 de cette directive, intitulé « Actions en cessation », dispose :

« 1. Les États membres désignent les tribunaux ou autorités administratives compétents pour statuer sur les recours formés par les entités qualifiées au sens de l’article 3 visant :

a) à faire cesser ou interdire toute infraction, avec toute la diligence requise et, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure d’urgence ;

b) le cas échéant, à obtenir la prise de mesures telles que la publication de la décision, en tout ou en partie, sous une forme réputée convenir et/ou la publication d’une déclaration rectificative, en vue d’éliminer les effets persistants de l’infraction ;

[...] »

11. - La directive 93/13 est visée au point 5 de l’annexe I de la directive 2009/22, intitulée « Liste des directives visées à l’article 1er ».

 

Le droit polonais

La loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs

12. - Aux termes de l’article 24 de l’Ustawa o ochronie konkurencji i konsumentów (loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs), du 16 février 2007 (Dz. U. n° 50, position 331), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci‑après la « loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs ») :

« 1. Le recours à des pratiques portant atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs est prohibé.

2. On entend par pratique portant atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs tout comportement illicite d’un professionnel menaçant ces intérêts, en particulier :

1) l’utilisation de clauses des conditions générales qui ont été inscrites au registre des clauses des conditions générales jugées illicites, visé à l’article 47945 de l’Ustawa – Kodeks postępowania cywilnego [(loi portant code de procédure civile)], du 17 novembre 1964 (Dz. U. n° 43, position 296, telle que modifiée) ;

[...] »

13. - L’article 106 de la loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs prévoit :

« 1. Le président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs peut imposer au professionnel, par voie de décision, une amende dont le montant ne peut dépasser 10 % du chiffre d’affaires réalisé lors de l’exercice précédant l’année d’infliction de l’amende, lorsque, ne serait-ce que de façon involontaire, ce professionnel :

[...]

4) a eu recours à une pratique portant atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs, au sens de l’article 24.

[...] »

Le code de procédure civile

14. - Les articles 3981, 3983, 3989, 47942, 47943 et 47945 de la loi du 17 novembre 1964 portant code de procédure civile, dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le « code de procédure civile »), disposent :

« Article 3981

« 1. Un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy [(Cour suprême, Pologne)] peut être introduit contre le jugement définitif ou l’ordonnance de rejet de la demande ou de non-lieu clôturant la procédure, dans une affaire émanant d’une juridiction de deuxième instance, par une partie, le Prokurator Generalny [(procureur général)], le Rzecznik Praw Obywatelskich [(médiateur pour les droits des citoyens)] ou le Rzecznik Praw Dziecka [(médiateur pour les droits des enfants)], à moins qu’une règle spécifique n’en dispose autrement.

[...]

Article 3983

« 1. Le pourvoi en cassation peut être introduit par une partie sur le fondement des moyens suivants :

1) violation du droit matériel par son interprétation erronée ou sa mauvaise application.

2) violation des règles procédurales, si le manquement a pu avoir une incidence substantielle sur le résultat de l’affaire.

[...]

Article 3989

1. Le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] considère que le pourvoi en cassation est recevable lorsque :

1) l’affaire implique une question juridique essentielle ;

2) il est nécessaire d’interpréter des dispositions juridiques suscitant des doutes sérieux ou entraînant des divergences jurisprudentielles ;

3) la procédure est entachée de nullité ou

4) le pourvoi en cassation est manifestement fondé.

2. Le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] décide, à huis clos, de la recevabilité du pourvoi en cassation. Sa décision ne nécessite pas de motivation écrite.

[...]

Article 47942

1. S’il est fait droit à la demande, le tribunal reproduit, dans le dispositif de son jugement, le contenu des clauses de conditions générales jugées illicites et interdit leur utilisation.

[...]

Article 47943

Le jugement définitif produit ses effets à l’égard des tiers dès l’inscription de la clause de conditions générales jugée illicite au registre visé à l’article 47945, paragraphe 2.

[...]

Article 47945

1. Une copie du jugement définitif faisant droit à la demande est transmise par le tribunal au président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs.

2. Le président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs tient, sur le fondement des jugements visés au paragraphe 1, le registre des clauses de conditions générales jugées illicites.

3. Le registre visé au paragraphe 2 est public. »

 

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15. - Biuro Partner est une société polonaise active dans le secteur des services touristiques.

16. - Par une décision du 22 novembre 2011, le président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs a constaté que Biuro Partner utilisait des clauses considérées équivalentes à des clauses jugées illicites lors de procédures ayant visé d’autres professionnels et inscrites au registre national des clauses de conditions générales illicites. Selon le président de cet office, ces clauses utilisées par Biuro Partner portaient atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs et justifiaient l’infliction d’une amende s’élevant à 27 127 zlotys polonais (PLN) (environ 6 400 euros).

17. - HK Zakład Usługowo Handlowy « Partner » sp. z o.o., à laquelle a succédé Biuro Partner, a contesté l’équivalence des clauses utilisées par cette société et de celles inscrites audit registre.

18. - Par un jugement du 19 novembre 2013, le Sąd Okręgowy w Warszawie – Sąd Ochrony Konkurencji i Konsumentów (tribunal régional de Varsovie – tribunal de protection de la concurrence et des consommateurs, Pologne) a rejeté le recours de Biuro Partner dirigé contre ladite décision du président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, en jugeant, à l’instar de ce dernier, que les clauses comparées étaient équivalentes.

19. - Biuro Partner a interjeté appel de ce jugement devant le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne).

20. - Cette juridiction éprouve des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de faire des directives 93/13 et 2009/22. À cet égard, ladite juridiction se réfère à l’arrêt du 26 avril 2012, Invitel (C‑472/10, EU:C:2012:242), dans lequel la Cour a jugé, en substance, que l’effet d’une décision juridictionnelle constatant l’illicéité de clauses jugées abusives peut être étendu à tous les consommateurs ayant conclu un contrat contenant les mêmes clauses avec le même professionnel, sans être partie à la procédure dirigée contre ce dernier. Les doutes de cette juridiction portent notamment sur la question de savoir si tel est également le cas en ce qui concerne les consommateurs ayant conclu un contrat, contenant les mêmes clauses, avec un professionnel différent qui n’a pas participé à la procédure ayant conduit à la constatation du caractère abusif des clauses concernées.

21. - Dans ces conditions, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) À la lumière des dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7 de la directive 93/13 ainsi que des articles 1er et 2 de la directive 2009/22, l’utilisation de clauses de conditions générales dont le contenu est équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites au registre des clauses de conditions générales jugées illicites peut-elle être considérée, à l’égard d’un autre professionnel qui n’a pas participé à la procédure ayant abouti à l’inscription au registre des clauses de conditions générales jugées illicites, comme un comportement illicite constituant, au regard du droit national, une pratique portant atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs et justifiant, dans la procédure administrative nationale, l’infliction d’une amende ?

2) À la lumière de l’article 267, troisième alinéa, [TFUE], une juridiction de deuxième instance dont la décision, rendue en appel, peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, tel qu’il est prévu par le code polonais de procédure civile, est‑elle une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, ou bien s’agit-il du Sąd Najwyższy (Cour suprême), compétent pour connaître d’un pourvoi en cassation ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

Sur la première question :

22. - Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la directive 93/13, lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’utilisation de clauses de conditions générales, dont le contenu serait équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites à un registre national de telles clauses, soit considérée, à l’égard d’un professionnel qui n’a pas été partie à la procédure ayant abouti à l’inscription de ces clauses audit registre, comme un comportement illicite, susceptible d’être sanctionné par l’infliction d’une amende.

23. - À titre liminaire, il convient de relever que tant la juridiction de renvoi que la Commission, dans ses observations écrites, ont exprimé des doutes quant à la conformité d’un régime national tel que celui en cause au principal à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, plus précisément, à l’article 47 de celle-ci, dans la mesure où le professionnel, conformément à ce régime, serait privé de la possibilité de présenter des arguments tirés de l’absence de caractère abusif des clauses de conditions générales en question et serait, ainsi, privé du droit d’être entendu.

24. - À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais non en dehors de telles situations (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19).

25. - Dans la présente affaire, il ressort des pièces dont dispose la Cour que le régime national en cause au principal constitue la transposition des directives 93/13 et 2009/22. Ainsi, la sanction pécuniaire infligée à Biuro Partner sur le fondement de ce régime constitue une mise en œuvre de ces directives. Partant, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union doivent être respectés.

26. - À défaut, dans les directives 93/13 et 2009/22, d’une disposition prévoyant explicitement un régime de protection juridictionnelle effective pour le professionnel, il convient d’interpréter celles-ci à la lumière de l’article 47 de la Charte.

27. - Il s’ensuit que l’interprétation des directives 93/13 et 2009/22 à la lumière de l’article 47 de la Charte doit tenir compte du fait que toute personne dont les droits garantis par le droit de l’Union peuvent être violés bénéficie d’un recours juridictionnel effectif. Or, sont concernés non seulement les consommateurs qui soutiennent être lésés par une clause abusive d’un contrat qu’ils ont conclu avec un professionnel, mais également un professionnel, tel que Biuro Partner, qui fait valoir que la clause contractuelle litigieuse ne peut être qualifiée d’illicite et être sanctionnée par une amende uniquement en raison de la circonstance qu’une clause équivalente a été inscrite au registre national des clauses de conditions générales jugées illicites, sans qu’il ait été partie à la procédure ayant conduit à l’inscription d’une telle clause à ce registre.

28. - Il y a lieu de rappeler, au surplus, que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur la prémisse selon laquelle le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêt du 29 octobre 2015, BBVA, C-8/14, EU:C:2015:731, point 17 et jurisprudence citée).

29. - Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt du 29 octobre 2015, BBVA, C‑8/14, EU:C:2015:731, point 18 et jurisprudence citée).

30. - En outre, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs se trouvant dans une telle situation d’infériorité, l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 30 et jurisprudence citée).

31. - Cet objectif consistant à faire cesser les pratiques illicites est également poursuivi par les dispositions de la directive 2009/22, complétant, en matière de mise à disposition de moyens procéduraux adéquats relatifs aux actions en cessation, la protection des consommateurs visée par la directive 93/13.

32. - C’est dans le cadre rappelé aux points précédents du présent arrêt que la Cour est appelée à répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi.

33. - À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour et, en particulier, des observations du gouvernement polonais que les moyens déployés par le droit polonais, notamment la tenue d’un registre national de clauses de conditions générales jugées illicites, visent à répondre au mieux aux obligations de protection des consommateurs prévues par les directives 93/13 et 2009/22.

34. - La juridiction de renvoi décrit ce registre national comme poursuivant trois objectifs, en vue d’accroître l’effectivité de l’interdiction d’utilisation de clauses contractuelles abusives.

35. - Tout d’abord, ledit registre, qui présente un caractère public et peut, par conséquent, être consulté par tout consommateur et par tout professionnel, a vocation à pallier la facilité de diffusion et de reproduction de clauses jugées illicites par des professionnels autres que ceux qui sont à l’origine de l’inscription de telles clauses au registre concerné. Ensuite, ce registre contribue à la transparence du système de protection des consommateurs retenu par le droit polonais et, partant, à la sécurité juridique qui en résulte. Enfin, ledit registre renforce le bon fonctionnement du système juridictionnel national, en évitant la multiplication de procédures juridiques relatives à des clauses de conditions générales analogues, utilisées par ces autres professionnels.

36. - S’agissant d’un tel registre, premièrement, il ne saurait être contesté que sa mise en place est compatible avec le droit de l’Union. En effet, il ressort des dispositions de la directive 93/13, et notamment de l’article 8 de celle-ci, que les États membres peuvent établir des listes énonçant des clauses contractuelles réputées abusives. En vertu de l’article 8 bis de cette directive, telle que modifiée par la directive 2011/83, applicable aux contrats conclus après le 13 juin 2014, les États membres sont tenus d’informer la Commission de l’établissement de telles listes. Il découle de ces dispositions que ces listes ou registres établis par des instances nationales répondent, en principe, à l’intérêt de la protection des consommateurs dans le cadre de la directive 93/13.

37. - Deuxièmement, il ressort de l’article 8 de la directive 93/13 que non seulement la mise en place d’un registre tel que celui institué par l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, mais aussi la gestion de ce registre doivent répondre aux exigences fixées par cette directive et, de manière plus générale, par le droit de l’Union.

38. - À cet égard, il y a lieu de préciser que ledit registre doit être géré de manière transparente dans l’intérêt non seulement des consommateurs, mais également des professionnels. Cette exigence implique notamment que celui-ci soit structuré de manière claire, indépendamment du nombre de clauses qu’il contient.

39. - En outre, les clauses figurant au registre concerné doivent répondre au critère d’actualité, ce qui implique que ce registre soit soigneusement tenu à jour et que, dans le respect du principe de sécurité juridique, les clauses n’ayant plus lieu d’y figurer en soient retirées sans délai.

40. - De surcroît, en application du principe de protection juridictionnelle effective, le professionnel qui se voit infliger une amende en raison de l’utilisation d’une clause jugée équivalente à une clause figurant au registre concerné doit, notamment, disposer d’une possibilité de recours contre cette sanction. Ce droit de recours doit pouvoir porter tant sur l’appréciation du comportement considéré comme illicite que sur le montant de l’amende fixé par l’organe national compétent, en l’occurrence l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs.

41. - En ce qui concerne cette appréciation, il ressort du dossier soumis à la Cour que, selon le droit polonais, l’amende infligée au professionnel est fondée sur la constatation selon laquelle la clause litigieuse utilisée par celui-ci est équivalente à une clause de conditions générales jugée illicite et figurant au registre tenu par ledit office. À cet égard, le système polonais prévoit que le professionnel est en droit de contester cette équivalence devant une juridiction spécialisée, à savoir le Sąd Okręgowy w Warszawie – Sąd Ochrony Konkurencji i Konsumentów (tribunal régional de Varsovie – tribunal de protection de la concurrence et des consommateurs). Cette juridiction a pour vocation spécifique de contrôler les clauses de conditions contractuelles générales et, partant, de préserver l’uniformité de la jurisprudence en matière de protection des consommateurs.

42. - Selon les éléments dont dispose la Cour, l’examen effectué par la juridiction compétente ne se bornerait pas à une simple comparaison formelle des clauses examinées avec celles figurant au registre concerné. Au contraire, cet examen consisterait à apprécier le contenu des clauses litigieuses afin de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas, ces clauses sont matériellement identiques, eu égard notamment aux effets qu’elles produisent, à celles inscrites dans ce registre.

43. - Eu égard aux considérations qui précèdent, dont il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude, il ne saurait être soutenu qu’un régime national, tel que celui en cause au principal, méconnaît les droits de la défense du professionnel ou le principe de protection juridictionnelle effective.

44. - En ce qui concerne le montant de l’amende infligée, fixé par l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, il convient de rappeler que, selon l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres doivent veiller à ce que des moyens adéquats et efficaces existent, afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

45. - Si, à cet égard, il y a lieu de constater que la fixation d’une amende en raison de l’utilisation d’une clause qualifiée d’abusive est indubitablement un moyen visant à faire cesser cette utilisation, ce moyen doit néanmoins respecter le principe de proportionnalité. Ainsi, les États membres doivent garantir à tout professionnel estimant que l’amende qui lui a été infligée ne répond pas à ce principe général du droit de l’Union de pouvoir présenter un recours aux fins de contester le montant de cette amende.

46. - Dans l’affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si le système national polonais en cause accorde au professionnel qui s’est vu infliger une amende par l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs le droit d’introduire un recours aux fins de contester le montant de cette amende, en invoquant le non-respect du principe de proportionnalité.

47. - Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la directive 93/13, lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22 ainsi qu’à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’utilisation de clauses de conditions générales, dont le contenu est équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites dans un registre national des clauses de conditions générales jugées illicites, soit considérée, à l’égard d’un professionnel qui n’a pas été partie à la procédure ayant conduit à l’inscription de ces clauses dans ledit registre, comme un comportement illicite, à condition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que ce professionnel bénéficie d’un droit de recours effectif tant contre la décision admettant l’équivalence des clauses comparées portant sur la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas, ces clauses sont matériellement identiques, eu égard notamment aux effets produits au détriment des consommateurs, que contre la décision fixant, le cas échéant, le montant de l’amende infligée.

 

Sur la seconde question :

48. - La seconde question porte sur le point de savoir si la juridiction de renvoi doit être qualifiée de « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne », au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

49. - Il ressort de la décision de renvoi que cette question est posée eu égard au fait que, au niveau national, la qualification du pourvoi en cassation en tant que recours, au sens de l’article 267, troisième alinéa TFUE, est controversée.

50. - Dans ce contexte, la juridiction de renvoi relève que toute violation du droit de l’Union est considérée comme un moyen de cassation, au sens de l’article 3983, paragraphe 1, du code de procédure civile. Faisant référence à la jurisprudence de la Cour, cette juridiction conclut qu’elle ne fait pas partie des juridictions visées à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ses décisions étant susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.

51. - À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que tant le gouvernement polonais que la Commission l’ont fait observer, la Cour a, dans des affaires caractérisées par des systèmes de voies de recours nationaux comparables à celui en cause au principal, eu l’occasion d’interpréter la notion de « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ».

52. - Dans ces arrêts, la Cour a relevé que les décisions d’une juridiction nationale d’appel qui peuvent être contestées par les parties devant une Cour suprême n’émanent pas d’une « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne », au sens de l’article 267 TFUE. La circonstance que l’examen au fond de telles contestations soit subordonné à une déclaration préalable de recevabilité par une Cour suprême n’a pas pour effet de priver les parties d’une voie de recours (arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, EU:C:2008:723, point 76 et jurisprudence citée).

53. - La Cour a précisé, en outre, que cela vaut à plus forte raison s’agissant d’un système procédural qui se limite à imposer des restrictions en ce qui concerne, en particulier, la nature des moyens pouvant être invoqués devant une telle juridiction, lesquels doivent être pris d’une violation de la loi (arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, EU:C:2008:723, point 77).

54. - Eu égard à cette jurisprudence relative à des systèmes de recours de droit national comparables à celui en cause dans l’affaire au principal, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction telle que la juridiction de renvoi, dont les décisions rendues dans le cadre d’un litige tel que celui au principal peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ne peut être qualifiée de « juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ».

 

Sur les dépens :

55. - La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus en combinaison avec les articles 1er et 2 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, ainsi qu’à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que l’utilisation de clauses de conditions générales, dont le contenu est équivalent à celui de clauses jugées illicites par une décision juridictionnelle définitive et inscrites dans un registre national des clauses de conditions générales jugées illicites, soit considérée, à l’égard d’un professionnel qui n’a pas été partie à la procédure ayant conduit à l’inscription de ces clauses dans ledit registre, comme un comportement illicite, à condition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que ce professionnel bénéficie d’un droit de recours effectif tant contre la décision admettant l’équivalence des clauses comparées portant sur la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas, ces clauses sont matériellement identiques, eu égard notamment aux effets produits au détriment des consommateurs, que contre la décision fixant, le cas échéant, le montant de l’amende infligée.

2) L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction telle que la juridiction de renvoi, dont les décisions, rendues dans le cadre d’un litige tel que celui au principal, peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ne peut être qualifiée de « juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ».

Signatures