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CA RENNES (3e ch. com.), 27 novembre 2018

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (3e ch. com.), 27 novembre 2018
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 3e ch. com.
Demande : 16/02780
Décision : 18/454
Date : 27/11/2018
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 11/04/2016
Numéro de la décision : 454
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7652

CA RENNES (3e ch. com.), 27 novembre 2018 : RG n° 16/02780 ; arrêt n° 454

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Il appartiendra à la juridiction territorialement compétente de dire si le contrat litigieux peut ou non recevoir une telle qualification et si, par suite, la société S. peut ou non se prévaloir des dispositions favorables figurant aux sous-sections 2, 3, 6 et 7 de la section correspondante, notamment de la faculté de rétractation sans frais dans le délai de quatorze jours suivant la conclusion du contrat.

Pour autant, force est de constater que les articles L. 121-16-1 et suivants du Code de la consommation ne confèrent pas aux professionnels, quand bien même auraient-ils souscrit un contrat « hors établissement », l'option de compétence prévue à l'article L 141-5, laquelle ne figure pas en effet dans les sous-sections 2, 3, 6 et 7 précitées, a fortiori au détriment d'une clause attributive de compétence insérée dans un contrat conclu entre commerçants. »

2/ « Dans ces conditions, la société S. ne saurait utilement soutenir que cette clause n'aurait pas été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée, toutes les conditions prévues à l'article 48 étant au contraire réunies pour que cette clause soit déclarée valide. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE RENNES

TROISIÈME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 27 NOVEMBRE 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/02780. Arrêt n° 454.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Pierre CALLOCH, Président de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur

GREFFIER : Mme Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS : A l'audience publique du 1er octobre 2018 devant Monsieur Dominique GARET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT : Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 27 novembre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

APPELANTE :

SA ESPRIT SUSHI

représentée par son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège. Représentée par Maître Philippe LE G. de la SELARL C. & LE G., AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de RENNES, Représentée par Maître Ségolène R.-M. de la SELARL EQUATION AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de TOURS

 

INTIMÉES :

SCP BTSG Maître G., es qualité de Liquidateur Judiciaire de la société Esprit Sushi

suivant jugement du Tribunal de commerce de PARIS en date du 4 octobre 2016, N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné en intervention forcée par acte d'huissier de justice en date du 22 novembre 2016

SASU S.

prise en la personne de sa présidente, Représentée par Maître Benoit C., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La société S., dont le siège social est situé à Rennes, exploite un restaurant de spécialités afghanes à l'enseigne « Rennes-Kaboul » ; outre sa gérante, elle emploie un salarié.

Le 13 mars 2015, une représentante de la société ESPRIT SUSHI, entreprise commercialisant des distributeurs automatiques de sushis, se présentait au restaurant « Rennes-Kaboul » pour proposer à sa gérante une prestation comprenant, outre la mise à disposition d'un distributeur, également un pack de communication à destination de la clientèle, l'adhésion à une centrale d'achat ou encore la livraison régulière de consommables destinés à la fabrication des sushis.

Revenue au restaurant le lendemain, 14 mars 2015, la société ESPRIT SUSHI obtenait la signature par la gérante de la société S. d'un bon de commande portant sur l'ensemble des prestations précitées et ce, pour une durée de 48 mois au prix unitaire mensuel de 490 euros hors taxes ; la gérante de la société S. remettait alors à son interlocutrice un chèque de 10.000 euros à titre de « caution ».

Le 16 mars 2015, la société S. informait la société ESPRIT SUSHI qu'elle entendait se rétracter de sa commande, ayant réitéré sa demande par lettre recommandée du 18 mars 2015 aux termes de laquelle elle invoquait des « raisons personnelles » et, finalement, réclamait la restitution de son chèque.

Par lettre adressée à la société S. le 13 avril 2015, la société ESPRIT SUSHI prenait acte de cette rétractation, l'informant néanmoins qu'elle pouvait prétendre, conformément aux conditions générales du contrat, au versement d'une indemnité de résiliation égale à 30 % du montant total des sommes initialement convenues.

La société ESPRIT SUSHI procédait alors à l'encaissement du chèque de 10.000 euros, tandis qu'elle adressait parallèlement à la société S. une facture de 7.056 euros ainsi qu'un chèque d'un montant différentiel de 2.944 euros pour solde de tout compte.

Les protestations amiables de la société S. n'ayant pas abouti, celle-ci faisait assigner la société ESPRIT SUSHI devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins de voir prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la défenderesse et la condamnation de celle-ci au remboursement de la somme retenue par elle ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts complémentaires.

Alors que la société ESPRIT SUSHI excipait, avant toute défense au fond, de l'incompétence territoriale de la juridiction rennaise au profit de celle de Paris, juridiction désignée par le contrat pour connaître de tous litiges y afférents, le tribunal de commerce de Rennes, statuant par jugement du 3 mars 2016, écartait ce moyen et, statuant au fond, prononçait la résolution du contrat, condamnait la société ESPRIT SUSHI à payer à la société S. la somme de 7.056 euros outre 1.500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, déboutant en revanche cette dernière de sa demande de dommages-intérêts.

Suivant déclaration reçue au greffe le 11 avril 2016, la société ESPRIT SUSHI interjetait appel de cette décision.

 

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, la société ESPRIT SUSHI demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce de Rennes compétent pour connaître du litige et, en conséquence, de se déclarer incompétente au profit de la cour d'appel de Paris ;

- à titre subsidiaire, de débouter la société S. de l'ensemble de ses demandes ;

- en toute hypothèse, de condamner la société S. au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'appui de ses demandes, la société ESPRIT SUSHI fait essentiellement valoir :

- que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de faire application de la clause attributive de compétence territoriale, celle-ci ayant en effet été valablement stipulée entre deux commerçantes et ce, de manière très apparente et conforme aux exigences de l'article 48 du Code de procédure civile ; la société ESPRIT SUSHI ajoute que c'est à tort que les premiers juges ont écarté cette clause au motif, erroné selon elle, qu'en signant un contrat « hors établissement » au sens des dispositions de l'article L. 121-16-1.III du Code de la consommation, la société S. se serait comportée tel un consommateur et pouvait dès lors se prévaloir de l'option de compétence ouverte par l'article L. 141-5 du même Code ;

- que c'est encore à tort que les premiers juges ont appliqué à la société S. les dispositions protectrices de l'article L. 121-16-1.III du Code de la consommation, alors même qu'elle ne saurait s'en prévaloir puisque exerçant dans le même domaine que la société ESPRIT SUSHI, soit celui de la restauration ;

- que dès lors, si la société S. était en droit de renoncer au contrat qu'elle avait conclu, pour autant la société ESPRIT SUSHI pouvait, quant à elle, prétendre à l'indemnité de résiliation prévue audit contrat et, par suite, en retenir le montant sur le chèque de caution qui lui avait été remis par la société S. ;

- que la société S. ne peut pas non plus se prévaloir d'un manquement de sa co-contractante à son obligation de délivrance, alors que c'est de sa seule initiative que le contrat a été résilié avant même que la société ESPRIT SUSHI ait pu commencer à l'exécuter.

* * *

Au contraire, aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, la société S. sollicite la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts, l'intimée demandant finalement à la cour de :

- prononcer la nullité de la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Paris et partant, de confirmer la compétence de la juridiction rennaise ;

- dire et juger que la société ESPRIT SUSHI a manqué à son obligation de restituer le chèque de caution de 10.000 euros en dépit du respect par la société S. du délai de rétractation de quatorze jours applicable aux contrats conclus « hors établissement » au sens de l'article L. 121-16-1.III du Code de la consommation ;

- dire et juger que la société ESPRIT SUSHI a également manqué à son obligation de délivrance ;

- prononcer en conséquence la résolution judiciaire du contrat aux torts de la société ESPRIT SUSHI ;

- condamner la société ESPRIT SUSHI à payer à la société S. une indemnité de 5.000 euros pour résistance abusive outre une indemnité de 54.000 euros pour non-livraison des produits commandés ;

- dire que les sommes précitées porteront intérêts à compter de la décision à intervenir et d'ordonner leur capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- condamner la société ESPRIT SUSHI au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu'aux entiers dépens.

Quant à l'exception d'incompétence, la société S. fait essentiellement valoir :

- que la clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris n'a pas été stipulée de manière suffisamment apparente au regard des exigences de l'article 48 du Code de procédure civile ;

- qu'en toute hypothèse, la société S. était en droit de saisir la juridiction rennaise en application des dispositions de l'article L. 141-5 du Code de la consommation, parfaitement applicables en l'espèce, le contrat litigieux ayant en effet été conclu « hors établissement » au sens de l'article L. 121-16-1.III du même code.

* * *

La société ESPRIT SUSHI ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 4 octobre 2016, la société S. a fait assigner devant la cour, par acte du 22 novembre 2016 auquel étaient jointes les dernières conclusions de l'intimée, la SCP BTSG (Maître G.), prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ESPRIT SUSHI.

La société S. justifie également avoir déclaré sa créance auprès de ce liquidateur par lettre recommandée du 21 octobre 2016.

La SCP BTSG n'a pas constitué avocat devant la cour.

Finalement, la mise en état du dossier a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2018 et l'affaire renvoyée à l'audience de jugement du 1er octobre 2018.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'inapplicabilité de l'option de compétence territoriale prévue à l'article L. 141-5 du Code de la consommation :

Le tribunal a d'abord retenu que la société S. était fondée à se prévaloir de l'option de compétence prévue à l'article L. 141-5 du Code de la consommation qui, dans sa numérotation et sa rédaction applicables à l'époque du contrat litigieux, disposait que « le consommateur peut saisir à son choix, outre l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable », les premiers juges lui ayant, par là même, accordé une option qui n'appartient par principe qu'au consommateur et ce, au motif que la société aurait conclu un contrat « hors établissement » au sens des articles L. 121-16 et L. 121-16-1.III du même Code, toujours dans leur numérotation et rédaction applicables à l'époque du contrat litigieux, soit un contrat conclu :

- dans un lieu qui n'était pas celui où le professionnel, en l'occurrence la société ESPRIT SUSHI, exerçait son activité en permanence ou de manière habituelle et ce, en la présence physique simultanée des deux parties,

- et, bien qu'entre deux professionnels, dans un champ contractuel étranger à l'activité principale du professionnel sollicité, en l'occurrence la société S., entreprise qui, par ailleurs, compte un nombre de salariés inférieur ou égal à cinq.

Il appartiendra à la juridiction territorialement compétente de dire si le contrat litigieux peut ou non recevoir une telle qualification et si, par suite, la société S. peut ou non se prévaloir des dispositions favorables figurant aux sous-sections 2, 3, 6 et 7 de la section correspondante, notamment de la faculté de rétractation sans frais dans le délai de quatorze jours suivant la conclusion du contrat.

Pour autant, force est de constater que les articles L. 121-16-1 et suivants du Code de la consommation ne confèrent pas aux professionnels, quand bien même auraient-ils souscrit un contrat « hors établissement », l'option de compétence prévue à l'article L 141-5, laquelle ne figure pas en effet dans les sous-sections 2, 3, 6 et 7 précitées, a fortiori au détriment d'une clause attributive de compétence insérée dans un contrat conclu entre commerçants.

 

Sur la validité de la clause litigieuse :

Il convient donc de vérifier si la clause litigieuse est conforme aux exigences de l'article 48 du Code de procédure civile qui dispose :

« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée. »

D'abord, il est incontestable que les sociétés S. et ESPRIT SUSHI ont toutes deux la qualité de commerçantes et que c'est bien en cette qualité qu'elles ont conclu le contrat litigieux.

Ensuite et quant à la régularité formelle de la clause, elle apparaît rédigée comme suit :

« Article 10 - COMPETENCE ET ATTRIBUTION DE JURIDICTION :

Pour tout litige relatif au présent bon de commande et ses suites, les parties déclarent donner compétence au Tribunal de Commerce de PARIS, même en cas de pluralité de défenseurs ou d'appel en garantie ».

Force est de constater :

- qu'elle est rédigée en des termes clairs et univoques ;

- qu'elle est insérée, en des caractères identiques par leur taille et leur graphisme à ceux utilisés pour l'ensemble des conditions générales, en dernière position de celles-ci, au verso du bon de commande, juste avant le rappel de l'identité de l'acheteur, de la mention « Lu et approuvé », et de la signature du client ;

- qu'après avoir signé le recto du bon de commande énumérant la nature et le prix des prestations commandées par elle, la société S., représentée par sa gérante, a de nouveau apposé une seconde signature au bas du verso dudit document, y ayant même ajouté la mention « Bon pour accord » et ce, quelques trois centimètres seulement au-dessous de la clause attribuant compétence au tribunal de commerce de Paris.

Dans ces conditions, la société S. ne saurait utilement soutenir que cette clause n'aurait pas été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée, toutes les conditions prévues à l'article 48 étant au contraire réunies pour que cette clause soit déclarée valide.

Par suite, c'est à tort que les premiers juges l'ont écartée, ne pouvant pas en effet faire échec à la volonté librement et valablement exprimée par les parties de confier le règlement de leur différend à la juridiction parisienne.

Par suite et en application de l'article 90 du Code de procédure civile, le jugement entrepris ne pourra qu'être infirmé sur la compétence et l'affaire renvoyée devant la Cour d'appel de Paris pour qu'il soit statué sur le fond, de même que sur les demandes formées au titre de l'article 700 ainsi que sur les dépens.

Le présent arrêt sera déclaré commun à la SCP BTSG (Maître G.), liquidateur judiciaire de la société ESPRIT SUSHI.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

La Cour :

- Infirme le jugement du tribunal de commerce de Rennes en ce que cette juridiction s'est déclarée compétente pour connaître du litige opposant la société ESPRT SUSHI à la société S. ;

- Statuant à nouveau de ce seul chef, déclare le tribunal de commerce de Rennes territorialement incompétent pour en connaître ;

- Vu les dispositions de l'article 90 du Code de procédure civile, renvoie l'affaire devant la Cour d'appel de Paris pour qu'il soit statué sur le fond de même que sur les demandes formées au titre de l'article 700 ainsi que sur les dépens ;

- Déclare le présent arrêt commun à la SCP BTSG (Maître G.), liquidateur judiciaire de la société ESPRIT SUSHI.

LE GREFFIER                    LE PRÉSIDENT