CASS. CIV. 1re, 3 octobre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7674
CASS. CIV. 1re, 3 octobre 2018 : pourvoi n° 17-21309 ; arrêt n° 910
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extrait : « Vu le considérant 11 et l’article 23 du règlement du Conseil n° 44/2001/(CE) du 22 décembre 2000 ; […] Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la clause litigieuse ne contenait aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un Etat membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, de sorte qu’elle ne répondait pas à l’objectif de prévisibilité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 3 OCTOBRE 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 17-21309. Arrêt n° 910.
DEMANDEUR à la cassation : SCI Saint-Joseph
DÉFENDEUR à la cassation : Société Dexia banque Internationale
Mme Batut (président), président. SCP Alain Bénabent , SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu le considérant 11 et l’article 23 du règlement du Conseil n° 44/2001/(CE) du 22 décembre 2000 ;
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et, du second, que, si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents ; que cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ; que cette convention attributive de juridiction est conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou, dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ;
Attendu que, par arrêt du 9 novembre 2000 (Corek, C-387/98), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 17, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas qu’une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé et qu’il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître ; qu’elle a ajouté que ces éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation de l’espèce ;
Attendu que l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne des dispositions de l’article 17, premier alinéa, susvisé, vaut également pour l’article 23 du règlement n° 44/2001/CE qui lui succède (arrêt du 23 octobre 2014, FlyLAL-Lithuanian Airlines, C-302/13) ;
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-14942), que la SCI Saint-Joseph a assigné la société Dexia banque internationale (la banque) en réparation pour manquement à son obligation de conseil devant le tribunal de grande instance de Grasse ; que la banque a soulevé l’incompétence du juge français en raison de la clause attributive de juridiction au tribunal de première instance de Luxembourg, stipulée au contrat de prêt conclu entre les parties ;
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que, pour accueillir l’exception d’incompétence, après avoir rappelé que la clause attributive de compétence stipule que « chaque fois que les lois françaises le permettent, les contestations au sujet des présentes sont soumises au tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg. Toutefois, la banque se réserve la faculté de déroger à cette attribution de juridiction si elle le considère comme opportun », l’arrêt retient que la circonstance qu’une seule des parties, en l’occurrence la banque, se soit réservé la faculté de déroger à l’attribution de juridiction prévue par le contrat ne saurait conférer à la clause attributive de juridiction un caractère potestatif excluant sa prise en compte, dès lors que la banque, si elle renonçait à l’application de cette clause, ne pouvait que se référer aux dispositions de l’article 5.1 du règlement n° 44-2001 qui s’imposent lorsqu’une partie écarte la juridiction choisie par les parties, ce qui répond à l’objectif de prévisibilité ;
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la clause litigieuse ne contenait aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un Etat membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, de sorte qu’elle ne répondait pas à l’objectif de prévisibilité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 avril 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;
Condamne la société Dexia banque internationale aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille dix-huit.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyen produit par la SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Saint-Joseph.
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR dit le tribunal de grande instance de Grasse incompétent pour statuer sur le litige opposant la SCI Saint-Joseph à la société Dexia banque Internationale à Luxembourg, d’avoir renvoyé la SCI Saint Joseph à mieux se pourvoir.
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la banque se prévaut d’une clause attributive de juridiction prévue par l’acte notarié du 4 mai 2006 et rédigée dans les termes suivants : « chaque fois que les lois françaises le permettent, les contestations au sujet des présentes sont soumises au tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg. Toutefois, la banque se réserve la faculté de déroger à cette attribution de juridiction si elle le considère comme opportun. Le présent contrat est soumis au droit luxembourgeois pour tout ce qui n’est pas de la compétence exclusive de la loi française » ; que la SCI Saint Joseph soutient que la clause attributive de compétence invoquée par la banque constituerait, sur le fondement de la directive 93/13/CE du 5 avril 1993 et de sa transcription en droit interne aux articles L.132-1 et suivants du code de la consommation, une clause abusive, et invoque en tout état de cause, pour écarter la compétence des juridictions luxembourgeoises retenue par le premier juge, les dispositions des articles 42, 46 et 48 du code de procédure civile et l’article 5 du règlement CE n° 44-2001 ;
que la SCI Saint Joseph ne saurait davantage se référer aux règles de compétence territoriale de droit interne alors qu’il n’est pas contesté que les parties au litige sont domiciliées dans deux Etats distincts membres de l’Union européenne, le Luxembourg et la France, et qu’il convient ainsi, en considération de cet élément d’extranéité, de retenir l’application du règlement n° 44-2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I ; que ce dernier prévoit expressément en son article 23 la faculté de proroger, d’un commun accord entre les parties au moment de la conclusion du contrat, la compétence « d’un tribunal ou de tribunaux d’un Etat contractant pour connaître des difficultés nées ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé » et la SCI Saint Joseph ne saurait dès lors prétendre opposer les dispositions de l’article 5 du même Règlement ; que la circonstance qu’une seule des parties, en l’occurrence la banque, se soit réservé, de manière optionnelle, la faculté de déroger à l’attribution de juridiction prévue par le contrat ne saurait conférer à la clause attributive de juridiction un caractère potestatif excluant sa prise en compte alors qu’il apparaît qu’à défaut de suivre la compétence volontaire instituée par les parties la banque ne pouvait que se référer à l’article 5.1 du Règlement n° 44-2001, dispositions s’imposant dès lors que cette partie écartait la juridiction contractuellement choisie, répondant ainsi à l’objectif de prévisibilité devant être poursuivi par la clause litigieuse ; qu’il Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la clause attributive de compétence, résultant d’une volonté commune exprimée par les parties, étant observé que les conditions particulières, visées par la SCI Saint Joseph, font expressément mention de la prise de connaissance de la clause « Loi applicable et For compétent », doit trouver application et il convient par voie de conséquence de confirmer l’ordonnance entreprise » (arrêt p. 3 § pénultième et dernier, p.4 § premier et p.5).
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l’article 23 du Règlement européen n° 44/2001 est ainsi libellé : « Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue.
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite.
3. Lorsqu’une telle convention est conclue par les parties dont aucune n’a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, les tribunaux des autres Etats membres ne peuvent connaître du différend tant que le tribunal ou les tribunaux désignés n’ont pas décliné leur compétence
4. Le tribunal ou les tribunaux d’un Etat membre auxquels l’acte constitutif d’un trust attribue compétence sont exclusivement compétents pour connaître d’une action contre un fondateur, un trustee ou un bénéficiaire d’un trust, s’il s’agit des relations entre ces personnes ou de leurs droits ou obligations dans le cadre du trust ;
5. Les conventions attributives de juridiction ainsi que les stipulations similaires d’actes constitutifs de trust sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des article 13, 17 et 21 ou si les tribunaux à la compétence desquels elles dérogent son exclusivement compétents » ; que le Règlement n° 44/2001 est entré en vigueur le 1er mars 2002, et il a vocation à s’appliquer à toutes les procédures introduites postérieurement à cette date, dans tous les Etats membres de l’Union Européenne, à laquelle le Luxembourg appartient ; que ce règlement européen a donc vocation à ‘appliquer au contrat de prêt, objet du litige, pour avoir été conclu le 4 mai 2006, entre la société DEXIA BIL de nationalité luxembourgeoise ; que la clause attributive de juridiction doit désigner la juridiction d’un Etat membre, ce qui est le cas en l’espèce ; que l’une des parties au moins, a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, ce qui est le cas de la société DEXIA BIL domiciliée à Luxembourg ; que la nature de la procédure engagée par la SCI SAINT JOSEPH n’est pas exclue du champ d’application du Règlement européen ; que l’article 15 qui renvoie à l’article 17 du même texte, du Règlement n° 44/2001 édicte des règles protectrices du consommateur ; que cette disposition vise plus particulièrement les contrats conclus par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; que comme cela a été examiné plus haut la SCI SAINT JOSEPH n’est pas intervenue en tant que consommateur mais en qualité de professionnel, et elle ne peut prétendre à l’application de ces dispositions ; que c’est donc à bon droit que la société DEXIA BIL, à raison de la clause attributive de compétence du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a soulevé l’incompétence du tribunal de grande instance de GRASSE » (jugement p. 8-9).
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
ALORS QUE la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de prêt bancaire qui désigne le tribunal compétent pour connaître des contestations relatives au contrat et réserve à la seule banque la faculté d’y déroger si elle le juge opportun sans désigner les tribunaux optionnellement compétents revêt un caractère potestatif à l’égard de cette dernière, est contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence prévue par l’article 23 du règlement n°44/2001/CE du 22 décembre 2000 et à l’impératif de prévisibilité auquel doivent satisfaire les clauses d’élection de for et ne peut, dès lors, faire obstacle à la détermination de la juridiction compétente selon les règles définies par l’article 5 du règlement désignant le tribunal du lieu de fourniture de la prestation de services prévue au contrat ou par l’article 6 attribuant compétence, en cas de pluralité de défendeurs, au tribunal du lieu du domicile de l’un des défendeurs ; qu’en jugeant du contraire au motif qu’à défaut de suivre la compétence volontaire instituée par les parties, la banque ne pouvait que se référer à l’article 5.1 du règlement, la cour d’appel a violé les articles 5, 6 et 23 du règlement n°44/2001/CE du 22 décembre 2000.