CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 22 mai 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8133
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 22 mai 2019 : RG n° 17/05279
Publication : Jurica
Extrait : « Sur les pratiques restrictives de concurrence : La société Deco Club dénonce l'obligation pesant sur elle de mettre son fichier client à disposition de Carré Blanc qui se serait ainsi octroyée la faculté de détourner sa clientèle, incitée à commander les produits de marque Carré Blanc directement sur le site marchand du franchiseur. Elle prétend que le franchiseur s'est ainsi procuré un avantage considérable, dépourvu de toute contrepartie, lui ayant causé un préjudice important, dont elle sollicite réparation sur le fondement de l'article L. 442-6-I-1°, du code de commerce et sur le fondement d'un manquement par Carre Blanc à son obligation d'exécuter de bonne foi ses engagements.
Elle expose en outre que les conditions imposées par le franchiseur dans la mise en œuvre de la plate-forme internet Carré Blanc constituent un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties », contraire à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
Sur la mise à disposition du fichier clients : La société Carré Blanc a inséré dans les contrats de distribution conclus avec la société Deco Club un article intitulé « Distribution sur internet » (article 5) aux termes duquel : « Le Franchise est informé qu'en concertation avec son réseau, outre le site vitrine de la marque, le Franchiseur crée un site marchand, visant à augmenter l'audience de la marque et à recruter de nouveaux clients afin de pouvoir en partager les bénéfices tout en maintenant l'identité commune et la réputation du Réseau. Ce site marchand a pour vocation de présenter les collections CARRE BLANC et ainsi de constituer un outil d'aide au choix du consommateur. Le Franchisé aura la possibilité d'adhérer et de participer au fonctionnement de ce site marchand, dont les modalités pratiques lui seront communiquées au préalable. Cette libre adhésion du Franchisé se matérialisera par un avenant au présent contrat, qui lui sera proposé à l'issue du stage susvisé, puis à l'occasion des éventuels renouvellements du contrat de franchise. Nonobstant sa participation ou non au fonctionnement du site marchand (de Carré Blanc) et conscient des nécessités du développement du réseau et des nouveaux modes de communication vitrine de la marque, le franchisé s'engage en tout état de cause, à mettre à disposition du franchiseur, l'intégralité de sa base de données clients à des fins marketing. Cependant, la base de données reste attachée au fonds de commerce du franchisé. Dans ces conditions, le franchiseur s'engage à ne pas diffuser la base de données du franchisé à un autre franchisé, ni à l'utiliser pour son seul compte ou celui d'une de ses filiales autrement que dans l'intérêt du développement du site, vitrine de la marque, et ce avec le plein accord du franchisé ».
Or, il existe bien des contreparties réelles et sérieuses à la mise à disposition temporaire, par le franchisé, de sa base de données clients. Celles-ci résident dans l'exploitation des coordonnées des clients, soit à des fins de fidélisation de ces derniers, soit à des fins marketings, pour accroître le volume de vente des membres du réseau.
La société appelante ne peut soutenir que cette base de données aurait été utilisée par la société Carré Blanc pour s'approprier sa clientèle ; en effet, la société intimée démontre que le chiffre d'affaires réalisé par elle en ligne dans les villes de Nantes, Rezé et Rennes, au cours de l'exercice 2015, s'élève, tous chiffre d'affaires cumulés, à 17.826 euros TTC (pièce n°42). Ce chiffre d'affaires global (toutes zones de chalandises comprises) représente à peine 1 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Deco Club dans ses points de vente, en 2010 (1.662.000 euros) et 2011 (1.987.700 euros), derniers exercices ayant fait l'objet d'un dépôt des comptes auprès du greffe du tribunal de commerce de Nantes.
Il n'est donc pas démontré que la société Carré Blanc ait enfreint l'article L. 442-6-I-I° du code de commerce.
Sur l'exploitation du site Internet de franchiseur : La cour souligne qu'aucune soumission ou tentative de soumission du franchisé n'est établie, celui-ci ayant librement signé l'avenant prévu à l'article 5 le 5 avril 2012 (pièce intimée n° 30), de sorte que le premier élément constitutif du déséquilibre significatif n'est pas démontré.
La société Deco Club décèle un déséquilibre significatif dans les obligations qui pèsent sur elle dans le cadre des différentes formes d'achats en ligne : achats en ligne livrés directement à domicile, retirés en boutiques, simples réservations du produit en ligne.
L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut, notamment, se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
La cour rappelle qu'il est loisible au franchiseur d'ouvrir son propre site internet, dès lors qu'aucune disposition contractuelle ne l'interdit.
* Achats en ligne livrés directement à domicile
La société appelante expose que dans ce cas, le franchiseur, qui adresse aux clients des franchisés des offres promotionnelles les incitants à commander en ligne :
1. court-circuite le franchisé en réalisant la vente à sa place,
2. ne verse aucune rémunération au franchisé, qui a pourtant permis à Carré Blanc de réaliser cette vente en lui communiquant l'intégralité de son fichier client,
3. impose néanmoins à ce franchisé la gestion des échanges et remboursement de produits sur une opération de vente à laquelle elle n'a pas participé.
Mais le produit est prélevé sur le stock du franchiseur et adressé par lui au domicile du client. La seule obligation qui pèse sur le franchisé est de gérer les échanges, aucun remboursement n'étant prévu dans les CGV (pièce 43) : à la rubrique « Echange et retours », celles-ci mentionnent en effet que « les boutiques Carré Blanc peuvent procéder à un échange d'une commande web mais en aucun cas à un remboursement ».
En outre, en premier lieu, le détournement de clientèle n'est pas établi, comme vu plus haut.
En deuxième lieu, s'il est exact que le franchisé ne touche aucune rémunération, le déséquilibre ne peut s'apprécier par rapport à la communication de son fichier-client, dont il a été vu plus haut qu'elle avait des contreparties sous forme de publicité.
En troisième lieu, la seule obligation de garantir un échange de l'article ne génère pas d'obligations disproportionnées : la société Deco Club ne démontre pas disposer de stocks insuffisant en termes de taille, puisque la plupart des échanges sont relatifs à cette question. En outre, aucun avoir n'est délivré et le franchisé dispose d'une capacité de réapprovisionnement qu'il peut exercer à tout moment, grâce au système informatisé de gestion des stocks mis à sa disposition par le franchiseur.
Enfin, ainsi que le souligne justement la société intimée, en page 49 de ses conclusions, « l'échange en boutique a pour but de générer du trafic vers les points de vente physiques, les boutiques pouvant ainsi, à cette occasion, enregistrer des ventes additionnelles cette fois à leur seul profit ».
* Achat en ligne avec retrait du produit en boutique
La société appelante expose qu'en ce cas, le client choisit de se rendre dans la boutique franchisée de son choix et les conditions suivantes s'appliquent :
- l'article est délivré en boutique par le franchisé,
- le franchisé perçoit alors une commission égale à 20 % du prix HT du produit et non une marge bénéficiaire de 50 % qu'il percevrait sur des ventes en boutique, alors qu'il délivre le même service et supporte en conséquence l'ensemble des frais résultant de cette livraison (droit au bail, charges de personnel, gestion du stock, service après-vente »),
- les clients potentiels de Deco Club se voient ainsi invités par Carre Blanc à découvrir la collection en magasin, pour ensuite profiter des offres promotionnelles du franchisé sur son site de e-commerce.
Mais le franchisé n'assure dans ce cas aucune gestion de stock (le produit est prélevé sur le stock de la société Carre Blanc), contrairement à ce que soutient la société Deco Club, et il n'assure également aucun frais de port. Il n'est donc pas manifestement disproportionné qu'il soit moins rémunéré que lorsqu'il vend sur son propre stock.
La société Deco Club ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer quel serait le pourcentage de clients qui achèteraient en ligne après s'être rendus en magasin, d'autant que, comme pour le cas précédent, le détournement du flux en boutique permet d'attirer les clients et les inciter à acheter.
Elle ne démontre pas davantage quels seraient ses frais non couverts par la commission de 20 %.
* Simple réservation en ligne du produit
La société appelante admet que ce procédé de vente semble préserver la marge du franchisé, puisque dans ce cas, DECO CLUB réalise la vente du produit réservé en ligne par le consommateur, et en retire une marge identique à celle d'une vente classique en boutique (50 %).
Elle souligne toutefois qu'il présente deux inconvénients majeurs :
- le consommateur qui opte pour une simple réservation en ligne du produit est hésitant et dispose de trois jours francs pour effectivement acheter l'article réservé,
- le franchisé doit cependant, dans cette incertitude, disposer d'un stock suffisant tant en quantité qu'en nombre de références proposées et supporter tous les frais résultant de cette réservation (réception du produit, stockage, frais de personnel, renvoi du produit au fournisseur le cas échéant).
Mais là encore, la société Deco Club ne démontre pas en quoi ce mode de réservation lui imposerait un déséquilibre manifeste dans ses obligations. L'existence d'un stock suffisant est indispensable, dans la distribution et ne saurait constituer une contrainte par nature.
Ensuite, comme supra, les frais supplémentaires évoqués ne sont pas prouvés.
Aucun déséquilibre entre les obligations des parties ne découle donc de ces modes de réservation. En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de la société Deco Club. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 22 MAI 2019