CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 10 février 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8350
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 10 février 2020 : RG n° 17/00560 ; arrêt n° 84/20
Publication : Jurica
Extrait : « Dans ces conditions, la cour de céans, qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur cette question, infirmera la décision entreprise en toutes ses dispositions et renverra les parties à mieux se pourvoir, et ce sur l'ensemble du litige, au regard de l'économie de celui-ci et en particulier de la nécessité de solder le compte des marchés de travaux en cause. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 10 FÉVRIER 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A N° RG 17/00560. Arrêt n° 84/20. N° Portalis DBVW-V-B7B-GMCT. Décision déférée à la Cour : 30 décembre 2016 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE MULHOUSE.
APPELANTE - INTIMÉE INCIDEMMENT :
SAS PROTEC
prise en la personne de son représentant légal, [adresse], Représentée par Maître Thierry C. de la SCP C. G./C. T./B., avocat à la Cour
INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :
SA S.
prise en la personne de son représentant légal, [adresse], Représentée par Maître Frédérique D., avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 décembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et Mme HARRIVELLE, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, chargé du rapport, Mme HARRIVELLE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par assignation en date du 6 mars 2014, la SA S. a attrait la SAS Protec devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse en paiement du solde de trois marchés pour le lot ascenseur, dont deux marchés conclus le 22 janvier 2010 au titre de la construction des EHPAD Acanthe et Villa Mozart, outre celui conclu le 8 février 2012 s'agissant de l'EHPAD Les Gardioles.
Par jugement rendu le 30 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :
- déclaré l'action de la SA S. recevable,
- constaté la nullité de l'article 4.4 du CCAP concernant les pénalités de retard,
- condamné la SAS Protec à payer à la SA S. les sommes suivantes outre intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2014 :
* 32.017,52 euros au titre du solde du marché Acanthe,
* 1.413,67 euros au titre de la retenue de garantie du marché Villa Mozart
* 1.289,29 euros au titre du solde du marché Les Gardioles,
- rejeté la demande en dommages-intérêts de la SA S. ainsi que sa demande au titre des frais irrépétibles,
- rejeté la demande de la SAS Protec au titre des pénalités de retard,
- condamné la SAS Protec aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le premier juge a, notamment, retenu que la clause prévoyant la solidarité des entreprises vis-à-vis du contractant général quant aux pénalités de retard créait un déséquilibre significatif au détriment de la SA S., d'une part car elle était imposée sans négociation possible, et d'autre part au regard de son montant, ajoutant à titre surabondant que la SAS Protec ne justifiait ni de la date de début du chantier, ni de la date du début d'intervention de la SA S., ni de la date de fin d'intervention, ni même d'un décompte détaillé des jours de retard. Il a, en revanche, estimé que la SA S. ne démontrait aucun préjudice distinct du retard dans le paiement des sommes dues.
La SAS Protec a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 1er février 2017.
La SA S. s'est constituée intimée le 21 février 2017.
Par arrêt avant dire droit rendu le 21 novembre 2018, la cour de céans a ordonné la réouverture des débats, et invité les parties à se prononcer sur la compétence de la juridiction de céans pour statuer sur l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, sursoyant à statuer sur l'ensemble des demandes au fond, et réservant les dépens.
[*]
Dans ses dernières conclusions en date du 9 octobre 2019, la SAS Protec demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de dire à titre principal que le tribunal de grande instance de Mulhouse a été saisi en violation des règles d'ordre public et ne pouvait statuer, qu'il était donc incompétent, et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
À titre subsidiaire, elle entend voir constater que chacun des trois marchés de travaux souscrits entre les parties s'inscrit au visa d'un cahier de clauses administratives et particulières signées par les mêmes parties et qui stipule la prévalence du cahier des clauses administratives sur la norme NFP 03.001 à raison de l'ordre de leur énumération.
En conséquence, elle demande à la cour, statuant sur la demande de la SA S., de lui donner acte de ce qu'elle se reconnaît redevable, envers cette dernière, au titre du marché Acanthe de la somme de 14.587,29 euros et au titre du marché Les Gardioles de la somme de 1.198,02 euros, de dire que ces montants porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, et de débouter la SA S. du surplus de sa demande.
À titre reconventionnel, elle demande que la SA S. soit condamnée à lui payer la somme de 5.861,91 euros avec intérêts de droit au jour de ses conclusions, et ce au titre du marché de la Villa Mozart, que soit ordonnée la compensation des sommes dues et lui donner acte de ce qu'elle se reconnaît redevable envers la SA S. de la somme de 9.923,40 euros, montant porté au crédit du compte CARPA de son conseil, et enfin d'ordonner la compensation des frais et dépens.
Elle fait ainsi notamment valoir que l'application de l'article 4 du cahier des clauses administratives et particulières doit primer sur celle de la norme NFP03001 compte tenu de l'ordre d'énumération des documents dans le contrat, conformément aux stipulations expresses de cet article qui a été accepté sans contestation par des parties averties en toute connaissance de cause, tout abus de position par la société Protec étant donc exclu. Elle conteste par ailleurs le caractère exorbitant des montants résultant de l'application de la clause de solidarité, s'agissant d'une somme de 11.625 euros pour le marché Acanthe, de 3.444 euros pour le marché Villa Mozart et de 26.312 euros pour le marché Les Gardioles. Elle réfute ainsi tout déséquilibre significatif du contrat, en présence de surcroît de retards constants et importants de la part de la société S. dans l'exécution de ses obligations, en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées.
À titre reconventionnel, elle entend ainsi obtenir règlement des pénalités et compensation des créances. Quant à l'appel incident adverse tendant à l'octroi de dommages-intérêts, elle le qualifie de manifestement mal fondé, n'étant étayé par aucun élément positif de nature à justifier le préjudice dont celle-ci se prévaut.
Quant à la question à laquelle la cour invitait les parties à répondre dans son arrêt avant dire droit, elle fait valoir que la juridiction mulhousienne, telle que saisie, n'était pas compétente pour statuer au regard des dispositions d'ordre public des articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce, reprochant à la partie adverse de ne pas répondre à la question posée par l'arrêt avant dire droit sauf à s'en remettre à justice quant à cette question de la compétence de la cour pour statuer sur la validité de la clause de solidarité.
[*]
Dans ses dernières écritures déposées le 21 mars 2019, la SA S. conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement entrepris quant à l'absence de justification des pénalités de retard, et subsidiairement au constat que le montant des pénalités de retard devra être plafonné à 5 % du marché au regard de la norme NFP 03.001, et à défaut de réduire leur montant au regard de la responsabilité des autres intervenants et du montant du marché, et condamner la SAS Protec à lui verser le surplus du solde des marchés.
En tout état de cause, elle conclut à la condamnation de la SAS Protec à lui verser le solde des trois marchés à hauteur des montants mis à la charge de cette dernière par le premier juge, mais assorti des intérêts au taux de la BCE assorti de 10 points de pourcentage à compter du 1er août 2013.
Elle conclut pour le surplus à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts, et à la condamnation de la SAS Protec à lui payer à ce titre la somme de 10.000 euros, outre la condamnation de l'appelante aux dépens et à lui payer une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 5.000 euros.
Sur la nullité de la clause de solidarité reconnue par le jugement entrepris, elle entend préciser que sa demande à ce titre n'était pas motivée par la volonté de voir la clause de solidarité des pénalités de retard, invoquée par la partie adverse en réponse à ses prétentions initiales, annulée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, mais uniquement par la nécessité d'obtenir le règlement de son marché, demande à laquelle la partie adverse opposait des arguments dont elle entendait démontrer le caractère abusif. Ainsi s'en remet-elle à justice sur ce point, tout en invitant la cour, même si elle devait infirmer le jugement entrepris en considérant que le tribunal n'était pas compétent pour statuer, à tenir compte de ce contexte et du comportement qu'elle qualifie de malhonnête, de la société Protec, qui lui aurait imposé dans trois marchés distincts une clause visant à lui permettre d'éluder le règlement du solde de ces marchés, avant d'étudier les autres arguments développés par la concluante, notamment sur le caractère totalement injustifié des pénalités de retard réclamées à tort.
À ce titre, elle estime, à l'instar du premier juge, que les pénalités de retard réclamées ne sont pas justifiées, à défaut de communication d'un décompte des jours de retard et de justification du retard qui serait directement imputable à la société S., la société Protec n'ayant ainsi procédé à aucune répartition des pénalités entre les intervenants. Elle précise, à cet égard, qu'aucun retard ne lui est imputable, alors qu'elle était tributaire des interventions des autres entreprises notamment pour la réalisation du gros œuvre.
Plus subsidiairement, elle invite la cour à recalculer le montant des pénalités dans de plus justes proportions, en prenant en compte le plafonnement prévu par la norme NFP 03.001, et ce alors que les parties n'ont prévu aucune dérogation précise et expresse relativement à l'application du plafond de 5 % qu'elle prévoit, la seule dérogation prévue au CCAP se rapportant au montant de la pénalité journalière. Ainsi, quand bien même la partie adverse a produit un nouveau décompte des pénalités de retard sur la base du seul marché conclu avec la société S., ces montants excèdent encore, pour deux des marchés, à savoir Acanthe et Villa Mozart, le plafond prévu par la norme. Enfin, même à écarter l'application de la norme NFP 03.001, elle affirme que les pénalités doivent être calculées au regard de la responsabilité des autres intervenants qui n'ont pas livré leur ouvrage à temps, le premier juge ayant du reste relevé à titre surabondant le caractère injustifié du retard qui lui est imputé.
En tout état de cause, quant à sa demande en dommages-intérêts, elle soutient avoir été amenée à effectuer des démarches amiables, puis à adresser par voie d'avocat une mise en demeure restée vaine, de telles circonstances étant de nature à lui causer un préjudice indemnisable.
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Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La clôture de la procédure a été prononcée le 25 octobre 2019, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 9 décembre 2019, puis mise en délibéré à la date du 10 février 2020, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Aux termes de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, en sa version applicable en la cause, dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »
Si, en l'espèce, la société S. conclut à la nullité de la clause de solidarité, ses prétentions tendent néanmoins à l'application des dispositions précitées, en ce qu'elle entend voir reconnaître les stipulations litigieuses comme significativement déséquilibrées, et il n'appartient pas à cette cour d'apprécier la pertinence de la sanction réclamée à cet égard, et ce d'autant que, dans le cadre des litiges applicables à cette disposition, « le ministre chargé de l'économie et le ministère public (…) peuvent (…) pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites. »
Cela étant, il y a lieu de rappeler que l'article précité en son III dispose que « l'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article » et que « les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret », ce qui renvoie à l'application de l'article D. 442-3 du code précité, qui, pour le ressort de la cour d'appel de Colmar, désigne comme juridiction compétente le tribunal de commerce de Nancy, la juridiction d'appel étant la cour d'appel de Paris.
L'issue du litige commande que chaque partie conserve la charge de ses dépens, y compris au titre de la première instance, et l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une des parties.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 30 décembre 2016, par le tribunal de grande instance de Mulhouse, en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du code de commerce applicables à la cause,
En conséquence,
Déclare que le tribunal de grande instance, dorénavant tribunal judiciaire de Mulhouse, ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour connaître du litige,
Renvoie les parties à mieux se pourvoir,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens, au titre de la procédure de première instance comme de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La Greffière : la Présidente :