CA COLMAR (1re ch. civ. A), 24 juin 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8472
CA COLMAR (1re ch. civ. A), 24 juin 2020 : RG n° 17/03734 ; arrêt n° 252/20
Publication : Jurica
Extrait : « L'inobservation de ces dispositions d'ordre public, qui investissent seules les juridictions susmentionnées du pouvoir de statuer dans les litiges mettant en cause l'application de l'article L. 442-6 précité, est sanctionnée par une fin de non-recevoir.
Dans ces conditions, la cour de céans, qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur cette question, infirmera la décision entreprise en toutes ses dispositions et renverra les parties à mieux se pourvoir, et ce sur l'ensemble du litige, au regard de l'économie de celui-ci, que ce soit au regard, comme l'a relevé le premier juge et comme rappelé ci-avant, du lien entre la détermination de l'étendue de la créance principale et la date et les circonstances de la rupture, ou encore de la nécessité de solder le compte entre les parties. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRÊT DU 24 JUIN 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A N° RG 17/03734. Arrêt n° 252/20. N° Portalis DBVW-V-B7B-GRVZ. Décision déférée à la Cour : 2 Juin 2017 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE STRASBOURG.
APPELANTE :
SARL KS TOOLS
prise en la personne de son représentant légal [...], [...], Représentée par Maître Christine B., avocat à la Cour
INTIMÉE :
SAS MEGA 6 W 3ÈME ORGANISATION
prise en la personne de son représentant légal, [...], [...], Représentée par Maître Guillaume H. de la SELARL H.-LEXAVOUE COLMAR, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 modifiée par ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 et de l'ordonnance en date du 31 mars 2020 de la Première Présidente de la Cour d'Appel de Colmar, l'affaire fixée à l'audience du 3 juin 2020 a été mise en délibéré, sans débats, les parties ne s'y étant pas opposées.
M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, a été chargé du rapport dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, Mme HARRIVELLE, Conseillère, M. FREY, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SARL KS TOOLS est une société spécialisée dans le commerce de gros inter-entreprises et de machine outils. Elle a pour objet de référencer des fournisseurs, spécialisés dans l'outillage à main et/ou accessoires automobiles, susceptibles d'intéresser ses adhérents grossistes. Pour sa part, la SAS Mega 6 W 3ème Organisation est spécialisée dans l'après-vente automobile, secteur dans lequel elle délivre des prestations de conseil aux différents intervenants.
Les deux sociétés ont conclu un contrat instaurant un accord de coopération commerciale tendant à la vente exclusive de matériel, sur la nature duquel les parties divergent, à travers un réseau de revendeurs et grossistes.
Par assignation délivrée le 14 octobre 2010, la SARL KS TOOLS a attrait la SAS Mega 6 W 3ème Organisation devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg en paiement de factures non reversées, sollicitant en outre la réparation d'un préjudice résultant de la résistance abusive et infondée, ainsi que de l'atteinte portée à son image de marque.
Par jugement avant dire droit en date du 3 février 2014, la société MEGA 6 a été invitée à s'expliquer sur la demande portant sur des factures non honorées à hauteur du montant réclamé, et à produire les factures, justifier des commandes et livraisons aux clients.
Puis par ordonnance du 18 décembre 2015, le juge de la mise en état a rejeté la demande formée par la SAS Mega 6 W 3ème Organisation aux fins de production du chiffre d'affaires de la SARL KS TOOLS pour les années 2011 et 2012.
Par jugement rendu le 2 juin 2017, le tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la SARL KS TOOLS, après compensation, à verser une somme de 23.831,90 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter « de la mise en demeure du jugement », ainsi qu'aux frais et aux dépens de la procédure, ordonnant l'exécution provisoire et déboutant pour le surplus.
Rappelant que l'accord de coopération commerciale conclu entre les deux parties pouvait être rompu à tout moment unilatéralement à condition d'annoncer la rupture à l'autre partie en respectant un délai de préavis et sans préciser les motifs de la rupture, il a relevé que cet accord avait été rompu unilatéralement par un courrier du 24 février 2010 sans notification d'aucun délai de préavis, la rupture des relations contractuelles présentant ainsi un caractère abusif ouvrant droit à réparation au profit de la SAS Mega 6 W 3ème Organisation, lequel pouvait être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis. Il réduisait ainsi la demande de la SAS Mega 6 W 3ème Organisation à hauteur d'une année de perte de commissionnement, retenant en outre à la charge de la SARL KS TOOLS le paiement des commissions contractuelles restant dues au 24 février 2010.
Quant à la demande principale, il a retenu que la SAS Mega 6 W 3ème Organisation ne contestait pas la somme de 34.056,99 euros correspondant à la créance antérieure à la rupture du contrat et résultant par ailleurs de la somme des factures produites.
Sur les factures adressées postérieurement à la rupture des relations contractuelles portant sur une somme globale de 10 484,97 euros au titre de factures impayées qui lui ont été adressées à compter du 25 février 2010, il a relevé que les deux sociétés n'entretenaient plus aucune relation contractuelle susceptible de justifier le paiement de factures établies par la SARL KS TOOLS, qui avait rompu unilatéralement et sans préavis le contrat, ajoutant n'avoir pas été mise en mesure de vérifier les commandes et livraisons intervenues avant la rupture du contrat.
S'agissant enfin de la demande en dommages-intérêts au titre du préjudice d'image, elle a été rejetée faute de justification suffisante.
La SARL KS TOOLS a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 11 août 2017.
La SAS Mega 6 W 3ème Organisation s'est constituée intimée le 5 septembre 2017.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2019 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 3 juin 2019.
Par arrêt avant dire droit rendu le 26 juin 2019, la cour de céans a, notamment, ordonné la réouverture des débats et invité les parties à se prononcer sur l'application en l'espèce des règles d'attribution des litiges relevant de l'article L. 442-6 du code de commerce.
[*]
Dans ses dernières conclusions en date du 20 novembre 2019, la SARL KS TOOLS demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de paiement des factures dues après le 24 février 2010, de sa demande de réparation du préjudice d'image, l'a condamné à verser à la SAS Mega 6 W 3ème Organisation la somme de 44.118,79 euros au titre d'une année de perte de commissionnement et 13.800,83 euros au titre des commissions jusqu'au 24 février 2010, et de le confirmer en ce qu'il a rejeté les demandes de réparation du préjudice financier de la SAS Mega 6 W 3ème Organisation, et statuant à nouveau, de condamner la SAS Mega 6 W 3ème Organisation à lui payer :
- une somme de 40.484,77 euros, augmentée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 5 mai 2010,
- une somme de 15.000 euros en réparation du préjudice résultant de la résistance abusive etinfondée ainsi que de l'atteinte portée à son image de marque,
- la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite en outre la condamnation de l'intimée aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.
À titre infiniment subsidiaire, elle entend voir constater l'incompétence du tribunal de grande instance de Strasbourg et renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Elle fait ainsi, notamment, valoir que l'objet principal du litige relève d'une procédure en règlement de factures impayées relevant de la compétence de la juridiction saisie, la rupture abusive des relations commerciales n'ayant été soulevée que bien après, à titre reconventionnel, par la société Mega 6W, sans jamais être invoquée au soutien de la demande principale, de sorte que la cour ne pourrait que constater la pleine recevabilité et le bien-fondé de la demande formée en première instance sur laquelle porte l'appel dont elle est saisie et ne devrait soulever son incompétence que sur les demandes reconventionnelles formées par l'intimée.
À titre infiniment subsidiaire, elle conteste l'application de l'article 122 du code de procédure civile, invoquant une incompétence d'attribution ratione materiae du premier juge, impliquant de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
[*]
Dans ses dernières écritures déposées le 25 septembre 2019, la société Mega 6W conclut à l'irrecevabilité de l'appel de la société KS TOOLS, demandant à la cour d'inviter l'appelante à mieux se pourvoir et de la condamner aux entiers dépens de l'instance, y compris d'appel, ainsi qu'à lui verser une indemnité de procédure de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle entend ainsi, notamment, relever que le litige, portant principalement sur la rupture abusive des relations commerciales, aurait été introduit peu de temps après la parution du décret fixant compétence exclusive, justifiant l'irrecevabilité de l'appel. Elle invoque, en outre, l'unicité du contentieux, ne pouvant faire l'objet, selon elle, d'une disjonction.
[*]
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
L 'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 23 mars 2020, puis, en raison de la situation liée à la pandémie Covid-19, à celle du 3 juin 2020, qui s'est tenue sans débats, les parties ne s'y étant pas opposées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, en sa version applicable en la cause, dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »
Si, en l'espèce, la société KS TOOLS entend, en substance, faire valoir que l'application de ces dispositions est étrangère à l'objet principal du litige, qui tend au paiement de factures, et qu'à ce titre, elle a saisi le juge compétent, il convient d'observer que l'essentiel du débat entre les parties, que ce soit devant le premier juge, ainsi que cela résulte de la décision entreprise qui s'est expressément prononcée sur ce fondement, qu'à hauteur de cour, porte sur la question du caractère abusif et brutal de la rupture des relations entre les parties, l'étendue de la créance invoquée à titre principal étant également liée aux circonstances de la rupture de ces relations.
Cela étant, il y a lieu de rappeler que l'article précité en son III dispose que « l'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article » et que « les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret », ce qui renvoie à l'application de l'article D. 442-3 du code précité, qui, pour le ressort de la cour d'appel de Colmar, désigne comme juridiction compétente le tribunal de commerce de Nancy, la juridiction d'appel étant la cour d'appel de Paris.
L'inobservation de ces dispositions d'ordre public, qui investissent seules les juridictions susmentionnées du pouvoir de statuer dans les litiges mettant en cause l'application de l'article L. 442-6 précité, est sanctionnée par une fin de non-recevoir.
Dans ces conditions, la cour de céans, qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur cette question, infirmera la décision entreprise en toutes ses dispositions et renverra les parties à mieux se pourvoir, et ce sur l'ensemble du litige, au regard de l'économie de celui-ci, que ce soit au regard, comme l'a relevé le premier juge et comme rappelé ci-avant, du lien entre la détermination de l'étendue de la créance principale et la date et les circonstances de la rupture, ou encore de la nécessité de solder le compte entre les parties.
L'issue du litige commande que chaque partie conserve la charge de ses dépens, y compris au titre de la première instance, et l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une des parties.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 2 juin 2017, par le tribunal de grande instance de Strasbourg, en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du code de commerce applicables à la cause,
En conséquence,
Déclare que le tribunal de grande instance, dorénavant tribunal judiciaire de Strasbourg ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour connaître du litige,
Renvoie les parties à mieux se pourvoir,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens, au titre de la procédure de première instance comme de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : Le Conseiller :