CA DOUAI (2e ch. 2), 17 septembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8562
CA DOUAI (2e ch. 2), 17 septembre 2020 : RG n° 19/00460
Publication : Jurica
Extrait : « Or les dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce, par renvoi à l'annexe 4-2-1 du livre IV, énoncent que le tribunal de commerce de Lille Métropole est compétent en première instance pour statuer sur les actions fondées sur l'ancien article L. 442-6 du code de commerce relevant du ressort d'Amiens, Douai, Reims. Elles précisent en outre que la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris, à l'exclusion de toute autre cour d'appel.
Dès lors, quand bien même la société Minoterie de Leforest a initialement saisi le tribunal de commerce de Lille Métropole d'une simple action en paiement fondée sur le droit commun des contrats, au regard du moyen principal élevé en défense par les époux X. sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, et ce devant la juridiction spécialisée compétente, l'appel interjeté par la société Minoterie de Leforest devant la cour d'appel de Douai ne peut qu'être déclaré irrecevable. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DOUAI
DEUXIÈME CHAMBRE DEUXIÈME SECTION
ORDONNANCE DU 17 SEPTEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/00460. N° Portalis DBVT-V-B7D-SDO3. Jugement (RG n° 2017017966) rendu le 20 novembre 2018 par le Juge du Tribunal de Commerce de Lille Métropole.
APPELANTE :
SAS Minoterie de Leforest
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualité de droit audit siège, ayant son siège social [...], représentée par Maître Isabelle C.-M., avocat au barreau de Lille, substituée à l'audience par Maître Charlotte D., avocat au barreau de Lille
INTIMÉS :
M. X.
né le [date] à [ville], de nationalité française
Et
Mme Y. épouse X.
née le [date] à [ville], de nationalité française
demeurant [adresse], représentés Maître Maître Virginie L., avocat au barreau de Douai, assistés de Maître Sandrine M., avocat au barreau de Lille
Nous, Agnès Fallenot, magistrat de la mise en état, assistée de Audrey Cerisier, greffier, Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications à l'audience du 8 septembre 2020, avons rendu le 17 septembre 2020 par mise à disposition au greffe l'ordonnance dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Minoterie de Leforest est une société spécialisée dans la fabrication et la vente de farines panifiables.
Par acte sous seing privé en date du 13 mai 2009, la société Minoterie de Leforest a consenti à M. et Mme X. un prêt d'un montant de 20.066,48 euros, pour leur permettre de financer la modification de la façade de leur fonds de commerce de boulangerie et pâtisserie, situé à [...], exploité sous l'enseigne Le Carillon. Une convention commerciale a été insérée à l'acte de prêt, par laquelle M. et Mme X. se sont engagés à s'approvisionner de manière exclusive auprès de la société Minoterie de Leforest à hauteur de 240 quintaux par an.
M. et Mme X. faisant face à d'importantes difficultés financières, par acte en date du 10 juin 2014, la société Minoterie de Leforest leur a consenti un second prêt d'un montant de 15.000 euros, remboursable en 52 échéances mensuelles de 311,31 euros, le paiement de la première échéance devant avoir lieu le 10 juillet 2014. Une convention commerciale a été insérée à l'acte de prêt, par laquelle M. et Mme X. se sont engagés à s'approvisionner de manière exclusive auprès de la société Minoterie de Leforest pour une durée de 52 mois consécutifs et ininterrompus, à hauteur de 504 quintaux de farine par an minimum, soit 2016 quintaux de farine sur la totalité de la période.
Suivant courrier du 29 avril 2015, M. X. a demandé à procéder au remboursement anticipé du prêt, ce qui a été accepté le 22 mai 2015. Il a adressé à la société Minoterie de Leforest un chèque d'un montant de 11.737,60 euros correspondant au solde du prêt au mois de mai 2015.
M. et Mme X. ont par la même occasion mis un terme à leurs approvisionnements en farine, la dernière livraison ayant été effectuée au mois de décembre 2015.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 1er août 2017, la société Minoterie de Leforest a mis M. et Mme X. en demeure de reprendre leurs approvisionnements en farine, en leur précisant qu'elle entendait, à défaut d'exécution, solliciter le paiement l'indemnité forfaitaire d'un montant de 18 euros HT calculée sur les volumes de farine non livrés.
Par courrier du 26 septembre 2017, M. et Mme X. ont contesté le paiement de l'indemnité de rupture en indiquant que l'engagement d'approvisionnement exclusif était frappé de nullité.
Les parties ne sont pas parvenues à s'entendre.
Par acte d'huissier du 8 novembre 2017, la société Minoterie de Leforest a attrait M. et Mme X. en paiement.
[*]
Par jugement rendu le 20 novembre 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :
DIT et JUGE abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation la clause de l'article 3 de la convention commerciale
DIT et JUGE nulle la clause pénale attachée au non-respect des dispositions de l'article 3 de la convention commerciale
DÉBOUTE la société Minoterie de Leforest de sa demande de paiement par les époux X. de la somme de 34.081,78 € TTC, majorée des intérêts au taux légal, à compter de la mise en demeure du 1er août 2017
DÉBOUTE la société Minoterie de Leforest de sa demande de paiement de la somme de 3.500 € en dommages et intérêts
DÉBOUTE les Époux X. de leur demande de paiement par Minoterie de Leforest de la somme de 4 380 €
CONDAMNE la société Minoterie de Leforest à payer aux époux X. la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.
CONDAMNE la société Minoterie de Leforest aux frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 77,08 € en ce qui concerne les frais de greffe.
[*]
Par déclaration du 21 janvier 2019, la société Minoterie de Leforest a relevé appel de cette décision « en ce que le Tribunal de Commerce a : - dit et jugée abusive, au sens de l'article L 132-1 du Code de la Consommation, la clause de l'article 3 de la convention commerciale, - dit et jugée nulle la clause pénale attachée au non-respect de l'article 3 sus visé, - débouté la Société Minoterie de Leforest de sa demande en paiement de la somme de 34.081.78 € TTC, majorée des intérêts au taux légal, - débouté la Société Minoterie de Leforest de sa demande en paiement de la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts, - condamné la Société Minoterie de Leforest au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article du CPC, - dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, - condamné la Société Minoterie de Leforest aux frais et dépens. »
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions régularisées par le RPVA le 19 février 2020, la société Minoterie de Leforest demande à la cour de :
« Réformer le jugement entrepris, sauf en ce que le Tribunal a débouté les époux X. de leur demande en paiement de la somme de 4.380 €,
Et statuant de nouveau,
Vu la convention commerciale insérée à l'acte de prêt régularisé le 10 juin 2014,
Vu les articles 1134 et 1147 du Code Civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
Vu le champ d'application de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation et des articles L.341-1 et suivants du Code de la Consommation,
Vu la jurisprudence,
Déclarer la demande de la Société par actions simplifiée Minoterie de Leforest recevable et bien fondée, et en conséquence :
Débouter Madame et Monsieur X. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner conjointement et solidairement Madame et Monsieur X. au paiement d'une somme de 34.081.78 € TTC, majorée des intérêts au taux légal, à compter de la mise en demeure du 1er août 2017,
Condamner conjointement et solidairement Madame et Monsieur X. à payer à la Société Minoterie de Leforest la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts,
Condamner conjointement et solidairement Madame et Monsieur X. au paiement de la somme de 5.966.69 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Sur ce point, il conviendra de tenir compte :
- du droit proportionnel de l'huissier restant à la charge du créancier en cas de recouvrement, estimés à 1.466,69 €, suivant détail de calcul ci-joint, (Article A 444-32 du Code de Commerce),
- des frais de gestion du dossier par la SCP Yves M. - Natacha M. - Florence M. - Isabelle C.-M. - Anne-Sophie V. pendant la durée de la procédure estimés à 300 €
- des frais irrépétibles de la SCP Yves M. - Natacha M. - Florence M. - Isabelle C.-M. - Anne-Sophie V. dans le cadre de la présente procédure, tenant compte de la durée de cette procédure et de la difficulté de l'affaire, estimés à 2.500 € HT, soit TTC 3.000 €,
Soit au total une somme de 5.966,69 €,
Condamner conjointement et solidairement Monsieur et Madame L. aux intérêts judiciaires à compter de l'assignation, en application des articles 1153 et 1153-1 du Code Civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
Prononcer la capitalisation des intérêts par périodes annuelles en application de l'article 1154 du Code Civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
Condamner conjointement et solidairement Monsieur et Mme X. aux frais et entiers dépens, de première instance et d'appel'.
La société Minoterie de Leforest fait valoir que le remboursement anticipé du prêt n'a pas eu pour effet de libérer M. et Mme X. de leur obligation d'approvisionnement exclusif en farine en application de l'article 7 de l'acte de prêt et de la convention commerciale intitulé « Remboursement anticipé de l'avantage économique ».
Elle précise que M. et Mme X. se sont approvisionnés à hauteur de 438,14 quintaux, alors qu'ils étaient tenus de s'approvisionner à hauteur de 2016 quintaux sur la totalité de la période. L'indemnité forfaitaire due se monte donc à 34.081,78 euros TTC.
La société Minoterie de Leforest critique la décision rendue par les premiers juges sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, faisant valoir que ce texte ne s'applique pas aux personnes ayant contracté pour les besoins d'une activité professionnelle. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la sanction du caractère abusif de la clause litigieuse ne réside pas dans sa nullité, soulignant que seule la nullité de l'obligation principale entraîne celle de la clause pénale.
Sur l'argumentation des époux X. fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce, elle plaide que ceux-ci ont procédé au remboursement anticipé des deux prêts qui leur ont été successivement consentis en 2009 puis en 2014, de sorte qu'ils ne sauraient prétendre au caractère disproportionné des engagements résultant des prêts consentis. Elle argue qu'en tout état de cause, il n'existe de déséquilibre significatif résultant ni du montant du taux d'intérêt du prêt qui leur a été consenti, ni du prix des farines, ni des volumes d'approvisionnement.
Si, par impossible, la cour faisait droit à la demande en nullité de l'obligation d'approvisionnement exclusif, les époux X. ne sauraient pour autant obtenir le remboursement des quintaux de farines achetés. En effet, la nullité a pour effet de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant le prononcé de la nullité par l'effet de la rétroactivité. Or les époux X. ont fait usage des farines, faisant ainsi obstacle au jeu de la rétroactivité.
Les époux X. estiment à tort que la société Minoterie de Leforest ne peut solliciter le paiement de l'indemnité forfaitaire en considération de son silence entre le mois de décembre 2015, date de l'émission de la facture, et le mois d'août 2017, date de la mise en demeure, puisqu'ils n'ont jamais sollicité l'autorisation de mettre un terme à la convention commerciale de manière anticipée.
La société Minoterie de Leforest s'oppose à la minoration de la clause pénale sollicitée par les époux X., en faisant valoir que ceux-ci ne démontrent pas son caractère excessif. Elle plaide qu'elle a bien subi un préjudice dans la mesure où elle n'a pas pu réaliser le chiffre d'affaires escompté, qui supposait un approvisionnement à hauteur de 2016 quintaux. Contrairement aux prétentions des époux X., il y a bien lieu de faire application des intérêts à compter de la mise en demeure, en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, 3ème alinéa.
La société Minoterie de Leforest refuse également l'octroi de délais de grâce aux époux X., faisant valoir qu'ils ne fournissent aucun document comptable attestant de la rentabilité ou non de leur activité et du résultat éventuellement dégagé. Elle observe qu'ils ne justifient pas de l'état de leur patrimoine et qu'ils ont déjà bénéficié de larges délais.
Elle plaide que la somme de 2.299,94 euros dont les époux X. sollicitent le remboursement au motif qu'ils n'auraient pas été livrés des produits facturés, alors qu'en fait ils ont renoncé à l'opération, a fait l'objet d'un avoir le 31 décembre 2015. Cette somme a dont déjà été déduite des factures émises ultérieurement.
La société Minoterie de Leforest soutient enfin que l'attitude de M. et Mme X. a gravement préjudicié à son honneur et à sa réputation, justifiant leur condamnation à lui payer des dommages et intérêts.
[*]
Par conclusions régularisées par le RPVA le 2 mars 2020, les époux X. demandent à la cour de :
« Vu notamment les articles L. 442-6 du Code de commerce, L. 341-1 et suivants du Code de la consommation ;
Il est demandé à la cour d'appel de Douai :
Confirmer le jugement et
- dit et jugée abusive, la clause de l'article 3 de la convention commerciale, par substitution de motifs en application de l'article L. 442-6
- dit et jugée nulle la clause pénale attachée au non-respect de l'article 3 susvisé,
- débouté la Société Minoterie de Leforest de sa demande en paiement de la somme de 34.081.78 € TTC, majorée des intérêts au taux légal,
- débouté la Société Minoterie de Leforest de sa demande en paiement de la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts,
- condamné la Société Minoterie de Leforest au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article du CPC,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la Société Minoterie de Leforest aux frais et dépens.
Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté les époux X. de leur demande de paiement de la somme de 4.380 €
- n'a pas statué sur la demande de payer 2.299,94 € et condamner la Minoterie Forest à payer aux époux X. la somme de 2.299.44 euros
A titre subsidiaire
De constater que les parties ont mis un terme à l'engagement et débouter la Minoterie Forest de sa demande de paiement
De procéder à la modération de la clause pénale manifestement excessive et, par suite, de fixer le montant des dommages et intérêts dus par les époux X. pour inexécution de l'obligation d'approvisionnement à 18.671 € ;
Rejeter la demande d'application des intérêts au taux légal sur cette somme ;
Accorder aux époux X. un échelonnement sur 24 mois des sommes non compensées dont elle pourrait être débitrice suite au jugement ;
En tout état de cause :
Condamner la Minoterie Forest à payer aux époux X. la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la Minoterie Forest aux entiers dépens.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.'
M. et Mme X. exposent qu'ils ont conclu le second prêt, assorti de la convention commerciale litigieuse, alors qu'ils se trouvaient dans une situation difficile, venant de licencier trois salariés pour motif économique.
La société Minoterie de Leforest a profité de leur situation pour leur imposer une convention totalement disproportionnée, les contraignant à acheter l'intégralité de leurs farines auprès d'elle, à hauteur non plus de 240 mais de 504 quintaux, soit quasiment le double, représentant un engagement d'achat à hauteur d'environ 36.000 euros par an. Le tarif a subi une augmentation substantielle, passant de 653 à 748 euros. De surcroît, l'indemnisation en cas de non réalisation des achats a été fixée à 18 euros HT par quintal manquant contre 15 euros précédemment.
A la suite du remboursement anticipé du second prêt en mai 2015, les époux X. ont cessé leurs commandes de farine sans que la Minoterie de Leforest ne les alerte de la moindre difficulté. Le 31 décembre 2015, elle leur a uniquement adressé une facture unitaire pour rupture d'approvisionnement à hauteur de 2.008,00 euros TTC. Puis, le 1er août 2017, elle les a informés que le remboursement anticipé du prêt ne mettait pas un terme à l'obligation d'approvisionnement et qu'ils lui étaient redevables d'une indemnité de 34 081,00 euros HT correspondant à 18 euros par quintal manquant.
Les époux X. demandent à la cour de prononcer la nullité de la clause et donc de confirmer le jugement par substitution de motif. Ils reprochent en effet à la Minoterie de Leforest de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce, la référence à l'article L. 132-1 du code de la consommation ayant pour seul objet de permettre la définition du déséquilibre significatif en application de la jurisprudence du conseil constitutionnel.
Ils plaident que le tribunal a justement retenu l'existence d'un déséquilibre significatif, au regard de l'évolution négative de leur chiffre d'affaires et du volume d'achat qui leur a été imposé, alors qu'ils étaient acculés financièrement. Ils ajoutent que le taux pratiqué dans la convention de prêt était supérieur à celui du marché, que le prix des farines était excessif et de facto révisable librement par la Minoterie.
L'obligation d'approvisionnement exclusif créant un déséquilibre significatif prohibé par l'article L. 442-6-2° du code commerce, elle repose nécessairement sur une cause illicite, atteinte donc de nullité relative au sens de l'article 1131 du code civil. Or en application de l'article 1227 du code civil « la nullité de l'obligation principale entraîne celle de la clause pénale ». La demande de la Minoterie de Leforest doit donc être rejetée.
Le contrat ayant été exécuté pendant un certain temps par les parties et le retour à l'état initial étant impossible, la nullité doit produire les mêmes effets qu'une résiliation. Les époux X. demandent à être indemnisés pour le préjudice qu'ils ont subi du fait des prix abusifs pratiqués par la Minoterie de Leforest, les 438 quintaux ayant été achetés sur la période représentant un surcoût de 4 380,00 euros.
A titre subsidiaire, si la cour devait considérer que l'article 3 de la convention est valable, les époux X. demandent que la Minoterie soit déboutée de sa demande en paiement, les parties ayant mis un terme d'un commun accord à l'engagement commercial.
A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent la modération de la clause pénale, la Minoterie de Leforest ne justifiant pas de sa perte de marge. Ils s'opposent au paiement des intérêts légaux, faisant valoir qu'ils indemnisent un préjudice qui n'a été que partiellement subi puisqu'il est constitué par la non perception de la valeur ajoutée correspondant aux ventes qui auraient dues être conclues jusqu'au terme. Ils demandent des délais de grâce, ainsi que le paiement d'un avoir en date du 30 décembre 2015 portant sur des produits de fin d'année qui n'ont jamais été livrés pour un montant de 2 299,94 euros.
* * *
Par note adressée le 18 mai 2020, le conseiller de la mise en état a invité les parties à lui faire connaître leurs observations, avant le 16 juin 2020, sur le moyen relevé d'office de l'irrecevabilité de l'appel devant la cour de Douai, compte tenu du débat portant sur l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans la convention conclue le 10 juin 2014, en application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Par message adressé par le RPVA le 12 juin 2020, la société Minoterie de Leforest a soutenu que la cour d'appel de Douai était compétente, en faisant valoir que le tribunal de commerce de Lille n'avait pas été saisi en tant que juridiction spécialisée. Elle a rappelé être à l'origine de l'action, fondée sur les articles 1134 et 1147 du code civil. Elle a ajouté que le tribunal de commerce de Lille avait rendu sa décision sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation et non sur celui de l'article L442-6 du code de commerce.
Par message adressé par le RPVA le 9 juin 2020, les époux X. ont indiqué que l'appel était irrecevable devant la cour de Douai, rappelant avoir invoqué le déséquilibre significatif dans les droits et obligations entre les parties dès la première instance.
L'affaire a été appelée à l'audience d'incident du 8 septembre 2020.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Sur la recevabilité de l'appel :
Aux termes de l'article 125 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours.
Aux termes de l'article 911 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état est compétent pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel.
En l'espèce, la société Minoterie de Leforest a saisi le tribunal de commerce de Lille Métropole d'une action en paiement fondée sur l'exécution d'une convention commerciale conclue le 10 juin 2014, par laquelle M. et Mme X. se sont engagés à s'approvisionner de manière exclusive auprès d'elle pour une durée de 52 mois consécutifs et ininterrompus, à hauteur de 504 quintaux de farine par an minimum, soit 2016 quintaux sur la totalité de la période.
Pour s'opposer à cette demande, les époux X. ont élevé devant les premiers juges un débat portant sur l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans cette convention, afin de faire juger abusive la clause de l'article 3 de la convention commerciale, et nulle la clause pénale attachée au non-respect de cet article 3, en visant expressément l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce. Leurs demandes relevant du droit commun ne sont que subséquentes.
L'article L. 442-6-1-5° du code de commerce, en sa rédaction applicable au présent litige, indique :
« I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;
(...)
III. - L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. »
Or les dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce, par renvoi à l'annexe 4-2-1 du livre IV, énoncent que le tribunal de commerce de Lille Métropole est compétent en première instance pour statuer sur les actions fondées sur l'ancien article L. 442-6 du code de commerce relevant du ressort d'Amiens, Douai, Reims. Elles précisent en outre que la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris, à l'exclusion de toute autre cour d'appel.
Dès lors, quand bien même la société Minoterie de Leforest a initialement saisi le tribunal de commerce de Lille Métropole d'une simple action en paiement fondée sur le droit commun des contrats, au regard du moyen principal élevé en défense par les époux X. sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, et ce devant la juridiction spécialisée compétente, l'appel interjeté par la société Minoterie de Leforest devant la cour d'appel de Douai ne peut qu'être déclaré irrecevable.
Sur les dépens :
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
L'issue du litige justifie de condamner la société Minoterie de Leforest aux dépens de l'incident.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Déclarons irrecevable l'appel formé par la société Minoterie de Leforest à l'encontre du jugement rendu le 20 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Lille Métropole ;
Condamnons la société Minoterie de Leforest aux dépens de l'incident.
Le greffier Le Conseiller chargé de la Mise en Etat,
Audrey Cerisier Agnès Fallenot