CA LYON (3e ch. A), 24 septembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8567
CA LYON (3e ch. A), 24 septembre 2020 : RG n° 18/03108
Publication : Jurica
Extrait (arguments des parties) : « Par acte du 8 avril 2016, Tenesol a fait assigner en intervention forcée la société mère Sunzil afin de garantie sur d'éventuels dommages-intérêts accordés aux requérantes sur leur fondement subsidiaire du déséquilibre significatif (L. 442-6-I-2° du code de commerce), et a soulevé une exception d'irrecevabilité des 3 sociétés demanderesses. »
Extrait (motifs) : « A titre liminaire, il est noté : - d'une part, que l'acte d'appel n'a pas visé la disposition du jugement de 2017 disant irrecevable la société Sunzil Pacifique, non plus visée par l'assignée en intervention forcée de la société Sunzil, cette société Sunzil Pacifique étant effectivement absente de la cause d'appel,
- d'autre part, que le fondement subsidiaire du déséquilibre significatif soulevé par les intimées devant le premier juge dans sa rédaction à l'époque n'est pas repris en cause d'appel, s'expliquant par l'absence de pouvoir juridictionnel de ce chef de la présente cour ; néanmoins, la présence à la cause d'appel de Sunzil, assignée en intervention forcée devant le premier juge par le fabricant en garantie d'une éventuelle condamnation de ce chef, n'est pas discutée par les parties ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
TROISIÈME CHAMBRE A
ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/03108. N° Portalis DBVX-V-B7C-LVMR. Décision du Tribunal de Commerce de LYON, Au fond, du 19 juillet 2017 : R.G. n° 2015j01895.
APPELANTE :
SAS SUNPOWER ENERGY SOLUTIONS FRANCE anciennement société TENESOL
Société par actions simplifiée, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [...], [...], [...], Représentée par Maître Gaël S. de la SCP B. ET S., avocat au barreau de LYON, toque : 1547, Assistée de Maître Nicolas M. de l'AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
SAS SUNZIL CARAÏBES
[...], [...]
SAS SUNZIL MAYOTTE
[...], [...]
SAS SUNZIL
[...], [...]
Représentées par Maître Romain L. de la SELARL L. & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, Assistées de Maître Julien C. de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS
Date de clôture de l'instruction : 12 juin 2019
Date de mise à disposition : 24 septembre 2020
Composition de la Cour lors du délibéré : - Anne-Marie ESPARBES, président, - Hélène HOMS, conseiller, - Pierre BARDOUX, conseiller
DÉCISION RENDUE SANS AUDIENCE : Vu l'état d'urgence sanitaire, la présente décision est rendue sans audience suite à l'accord des parties et en application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale ;
Arrêt : Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées par tout moyen, Signé par Anne-Marie ESPARBES, président, et par Coralie FURNON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Sunzil et ses filiales (issues du groupe Tenesol) construisent, installent, exploitent et maintiennent des centrales photovoltaïques.
Dans le cadre de leur activité, elles ont acquis auprès de la société Tenesol SAS (aujourd'hui dénommée Sunpower Energy Solutions France) des modules photovoltaïques (modules) destinés à équiper leur centrale, que ces centrales soient ensuite exploitées directement ou vendues pour exploitation à d'autres sociétés clientes.
Sur des modules acquis durant la période de fin 2008-2010, les sociétés Sunzil SAS, Sunzil Mayotte SAS et Sunzil Caraïbes SARL se sont plaintes à compter de 2012 d'une baisse très significative de puissance de certains modules.
Elles ont sollicité l'application de la « garantie contractuelle limitée de puissance » de la part du fabricant.
Tenesol, après analyse de modules défaillants, a conclu que ces pertes de puissance étaient dues à un phénomène électro-physique dit « effet PID » (acronyme de l'anglicisme « Potential Induced Degradation » signifiant perte de puissance due à une tension élevée), dit inconnu à l'époque des livraisons et affectant certaines installations photovoltaïques confrontées à un environnement humide, et que ce cas était exclu de sa garantie en application de l'article III.C.4. Affirmant l'absence de vice de conception et fabrication, Tenesol a alors refusé sa garantie.
Par acte du 16 septembre 2015, Sunzil Caraïbes et Sunzil Mayotte, ainsi que la société Sunzil Pacifique SARL, ont saisi le tribunal de commerce de Lyon, à titre principal, d'une demande tendant à voir juger que Tenesol lui doit garantie contractuelle pour les modules photovoltaïques défaillants qu'elle leur a vendus, outre prétentions subsidiaires.
Par acte du 8 avril 2016, Tenesol a fait assigner en intervention forcée la société mère Sunzil afin de garantie sur d'éventuels dommages-intérêts accordés aux requérantes sur leur fondement subsidiaire du déséquilibre significatif (L. 442-6-I-2° du code de commerce), et a soulevé une exception d'irrecevabilité des 3 sociétés demanderesses.
Le tribunal de commerce de Lyon, qui a joint les deux instances, s'est prononcé sur la question de la recevabilité par un premier jugement du 19 juillet 2017, par lequel il a :
- dit recevable en leur action Sunzil Caraïbes et Sunzil Mayotte,
- déclaré irrecevable Sunzil Pacifique,
- rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par Tenesol à l'encontre de la société Sunzil Nouvelle Calédonie (non présente à la cause),
- renvoyé Sunzil, Sunzil Caraïbes et Sunzil Mayotte ainsi que Tenesol à l'audience du juge de l'orientation du 22 septembre 2017,
- réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Puis, par jugement statuant au fond le 19 février 2018, le même tribunal :
- a déclaré recevable et bien fondée la demande principale de Sunzil, Sunzil Caraïbes et Sunzil Mayotte,
- a jugé applicable la garantie contractuelle limitée de puissance aux modules photovoltaïques litigieux fournis par Tenesol,
- a condamné Tenesol à exécuter sa garantie contractuelle dans un délai de 6 mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 1.000 € par semaine de retard,
- s'est réservé son droit de liquider l'astreinte,
- a ordonné l'exécution provisoire de sa décision,
- a condamné Tenesol à verser à chaque demanderesse la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société Sunpower Energy Solutions France (Sunpower), anciennement société Tenesol SAS, a interjeté appel de ces deux jugements par acte du 23 avril 2018.
[*]
Par conclusions déposées le 25 mars 2019 fondées sur les articles 30, 31, 32 du code de procédure civile, 1134 ancien et 1603 et suivants du code civil, la société Sunpower Energy Solutions France anciennement dénommée société Tenesol (Sunpower) demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré du 19 juillet 2017 en ce qu'il a dit Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes recevables à agir,
- infirmer le jugement déféré du 19 février 2018 en ce qu'il a déclaré recevable et bien fondée la demande principale de Sunzil, Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes, jugé applicable la garantie contractuelle limitée de puissance aux modules photovoltaïques litigieux qu'elle a fournis, en ce qu'il l'a condamnée à exécuter sa garantie contractuelle (dont elle rappelle les modalités) ainsi qu'au paiement d'indemnités de procédure outre dépens, et en ce qu'il a rejeté ses demandes concernant l'indemnité de procédure et les dépens,
- la recevoir en son appel qui sera déclaré bien fondé,
à titre principal,
- déclarer Sunzil Mayotte irrecevable en ses demandes, à l'exception des demandes relatives aux 9.889 modules photovoltaïques installés sur les 11 centrales photovoltaïques suivantes : Boccador, SCI Sam, CHM Mahorais Invest, CCI Bat 1 Transit Mahorais, CCI BAT 2 Transit Mahorais, CCI Bat 3 SMCI, CCI Bat 4 Smart, CCI Bat 5 Tilt, CCI BAT Sous douane, CCI BAT Base vie et EDM/Sol,
- déclarer Sunzil Caraïbes irrecevable en ses demandes,
- en conséquence, débouter Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
à titre très subsidiaire,
- désigner tel expert judiciaire qu'il plaira avec pour mission de (notamment) :
- décrire l'historique de l'identification de l'effet PID dans les sphères scientifique et industrielle du secteur photovoltaïque et de l'apparition des technologies prévenant l'effet PID,
- décrire les causes dudit effet PID ainsi que les actions correctives pouvant être mises en œuvre, en particulier dans la configuration des installations photovoltaïques,
- identifier, à travers une analyse documentaire, les modules affectés par l'effet PID parmi les modules photovoltaïques visés par les filiales Sunzil dans leur demande et objets des factures qu'elles avaient produites en première instance,
- déterminer les causes de l'effet PID ainsi constaté et, en particulier, si l'effet PID allégué par les filiales Sunzil résulte « de l'effet du sel, ou de l'humidité (type milieux tropicaux) » ou encore « de défauts du système dans lequel les modules sont incorporés » précisément exclus de la garantie contractuelle,
- et sous réserve des conclusions de l'expert ainsi désigné,
- dire que son éventuelle condamnation à exécuter sa garantie fabricant au titre des modules photovoltaïques identifiés par l'expert se ferait dans le strict respect des conditions de mise en 'uvre et limites de son intervention édictées à l'article III B de ladite garantie,
en tout état de cause,
- condamner solidairement Sunzil, Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes à lui verser la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- outre entiers dépens, à recouvrer en application de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Par conclusions déposées le 7 juin 2019, au visa des articles 1134, 1147, 1162 et 1315 du code civil dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016, ainsi que 564 du code de procédure civile, les sociétés Sunzil, Sunzil Caraïbes et Sunzil Mayotte (les sociétés Sunzil) demandent à la cour de confirmer les deux jugements déférés et, en conséquence, de :
- juger la garantie contractuelle limitée de puissance applicable aux modules photovoltaïques litigieux du fait de leur sensibilité à l'effet dit « PID », fournis par Tenesol aujourd'hui dénommée Sunpower, et achetés par les sociétés Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes,
- condamner Sunpower à exécuter sa garantie contractuelle conformément aux conditions contractuelles stipulées,
- dire irrecevable la demande d'expertise judiciaire formulée par Sunpower pour la première fois en cause d'appel,
- débouter Sunpower de toutes ses fins, demandes et conclusions,
- condamner celle-ci à verser à chacune d'elles la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- outre entiers dépens avec droit de recouvrement direct.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
A titre liminaire, il est noté :
- d'une part, que l'acte d'appel n'a pas visé la disposition du jugement de 2017 disant irrecevable la société Sunzil Pacifique, non plus visée par l'assignée en intervention forcée de la société Sunzil, cette société Sunzil Pacifique étant effectivement absente de la cause d'appel,
- d'autre part, que le fondement subsidiaire du déséquilibre significatif soulevé par les intimées devant le premier juge dans sa rédaction à l'époque n'est pas repris en cause d'appel, s'expliquant par l'absence de pouvoir juridictionnel de ce chef de la présente cour ; néanmoins, la présence à la cause d'appel de Sunzil, assignée en intervention forcée devant le premier juge par le fabricant en garantie d'une éventuelle condamnation de ce chef, n'est pas discutée par les parties,
et encore que les dispositions applicables au litige sont celles anciennes du code civil antérieures à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
L'appelante Tenesol devenue Sunpower critique les deux jugements d'une part, en ce qu'ils ont déclaré recevables en leur demande d'application de la garantie contractuelle Sunzil et les filiales Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes, et d'autre part, en ce que le second jugement de 2018 a déclaré fondées les demandes de ces trois sociétés Sunzil pour application effective de cette garantie alors que l'appelante entend voir retenir une exclusion contractuelle.
Ces deux points relatifs à la recevabilité et au fond seront examinés successivement.
Au préalable, il est jugé que la demande subsidiaire d'expertise judiciaire formée par Tenesol devenue Sunpower, qui n'est pas irrecevable devant la cour contrairement à ce que soutiennent les intimées, comme tendant aux mêmes fins que leurs prétentions initiales et répondant aux motifs des premiers juges dans leur appréciation des données techniques de la garantie contractuelle mise en jeu par ces dernières, doit être rejetée.
Elle est en effet inopportune compte tenu de l'ancienneté du litige et surtout, la cour estime être en possession tant en droit qu'en fait des éléments suffisants pour statuer en l'état des écritures et productions respectives des deux parties.
Sur la recevabilité :
A titre principal, Tenesol devenue Sunpower discute ce point au regard de la chaîne de transfert de propriété (ou jouissance) des modules litigieux, et ce, de façon distincte pour chacune des filiales Sunzil.
- S'agissant de Sunzil Mayotte, dont la réclamation porte sur un total de 35.991 modules acquis de Tenesol (à l'époque) entre fin 2008 et 2010 pour un montant de 16.344.284 €, Tenesol devenue Sunpower entend la voir déclarer irrecevable en ses demandes, à l'exception toutefois des demandes relatives aux 9.889 modules photovoltaïques installés sur les 11 centrales photovoltaïques suivantes : Boccador, SCI Sam, CHM Mahorais Invest, CCI Bat 1 Transit Mahorais, CCI BAT 2 Transit Mahorais, CCI Bat 3 SMCI, CCI Bat 4 Smart, CCI Bat 5 Tilt, CCI BAT Sous douane, CCI BAT Base vie et EDM/Sol.
Elle fait valoir en effet que, si Sunzil Mayotte justifie pour ces 11 centrales soit d'un contrat d'acquisition (pour les 10 premières) soit d'un contrat de location (pour EDM/Sol), correspondant à un cumul de 5.313 + 4.576 = 9.889 modules, en revanche Sunzil Mayotte ne justifie pas être propriétaire ou locataire des 29 autres centrales visées dans la note technique interne de l'intimée. Elle soutient alors que pour ces autres 26.102 modules litigieux, Sunzil Mayotte ne dispose d'aucun intérêt à agir dès lors que celle-ci ne fournit aucun justificatif de ses droits, ni ne communique les copies des contrats de rachat d'électricité qui établiraient que Sunzil Mayotte exploite lesdites centrales ou encore de quelconque pièce justifiant de l'existence de réclamations.
Les sociétés Sunzil, qui rappellent que l'intérêt d'une partie à agir est apprécié souverainement par les juges du fond, ce qui est juridiquement exact, rétorquent qu'elles ont acquis les modules défectueux ce qui n'est pas contesté par l'appelante et qu'elles sont donc recevables à solliciter la garantie contractuelle du fabricant. Elles produisent les contrats d'acquisition et de location évoqués par l'appelante.
Alors que Tenesol devenue Sunpower a suggéré que les intimées avaient la possibilité de justifier de leurs droits sur ces 29 centrales, autres que celles pour lesquelles un titre est produit, en communiquant par exemple des copies des contrats de rachat d'électricité ou des justificatifs de réclamations de la part de tiers, les sociétés Sunzil n'ont pas versé de telles pièces au débat. Leur commande de ces autres modules, certes effectivement acquis entre fin 2008 et 2010, ne suffit pas à caractériser leur intérêt actuel à leur égard, même apprécié au jour de l'introduction de l'instance, à défaut de titre propre ou d'appel en garantie de tiers.
Sunzil Mayotte n'est donc recevable à agir que concernant les 9.889 modules des 11 centrales pré-nommées, à l'exclusion de tous autres, comme le prétend justement l'appelante.
- S'agissant de Sunzil Caraïbes, dont la réclamation porte sur 5.623 modules acquis de Tenesol entre juin et novembre 2010, Tenesol devenue Sunpower la dit irrecevable en toutes ses demandes. Elle précise que si celle-ci communique un contrat de construction en date du 21 novembre 2013 en exécution duquel elle a construit et livré la centrale photovoltaïque dite d'Artibois à la société Alinea Solar France, elle ne produit aucun document justifiant de l'installation des modules litigieux dans ces centrales, en soulignant la problématique résultant du fait que ce contrat date de plus de trois ans après la dernière des ventes et plus de deux ans après la disparition de tout lien capitalistique entre Tenesol et Sunzil Caraïbes. Elle ajoute que cette filiale n'a pas plus justifié avoir exécuté sa garantie vis-à-vis des propriétaires des centrales affectées par les désordres allégués.
Les sociétés Sunzil, au vu du contrat clefs en main d'ingénierie, de vente, de livraison et de montage de 6 centrales à Fort de France (Martinique) conclu le 21 novembre 2013 qu'elles communiquent, énoncent que ce contrat stipule notamment à la charge de Sunzil Caraïbes (constructeur) une garantie des modules de 10 ans et en particulier une garantie de puissance à hauteur de 90 % pour les 10 premières années puis de 80 % pour les 15 années suivantes (article 18), de sorte que sa responsabilité est engagée du fait des désordres qu'elles affirment. Elles ajoutent que le propriétaire de la centrale par la voix de M. X. représentant de la société Freedom Ingénierie, intervenue en qualité de bureau d'étude lors de la construction des 6 centrales, et mandataire du propriétaire pour le suivi des désordres affectant les modules, a mis en demeure Sunzil Caraïbes de résoudre les problèmes de modules réduisant leur capacité de production.
La production par les intimées du contrat de construction et du procès-verbal de réception du 14 avril 215, ainsi que l'effective réclamation de la part de M. X., en date du 15 juin 2015, pour le compte du propriétaire actuel Alinea Solar France, attestent suffisamment de la chaîne des contrats et de la réclamation de l'exploitante. L'allégation de l'appelante sur le prétendu défaut de preuve d'installation des modules litigieux sur les centrales vendues à cet acquéreur, présenté nouvellement en cause d'appel comme le laissent entendre les termes du jugement déféré de 2017, et que Tenesol devenue Sunpower n'a jamais opposée avant ces débats, doit être écartée. Il résulte en effet des productions des parties que, lors de leurs échanges avant introduction de l'instance, Tenesol devenue Sunpower n'a jamais discuté le fait que les modules, que les sociétés Sunzil accusaient de perte de puissance et pour lesquels garantie était sollicitée, étaient effectivement installés sur les centrales vendues à Alinea Solar, à tel point qu'au § 13 de ses écritures Tenesol devenue Sunpower rappelle elle-même que les modules litigieux, visés à son § 6, sont installés «'depuis août 2014 sur l'île de la Martinique'».
Quant à l'argument opposé par l'appelante tenant à l'écart temporel entre l'achat des modules et la date de construction, donc la date de mise en exploitation des modules, il n'est pas admissible, dès lors qu'il est manifeste que, dans le cadre d'un projet de construction de telles centrales photovoltaïques, l'achat des modules est par nécessité technique largement anticipé.
Démontrant donc son intérêt à agir né et actuel, Sunzil Caraïbes est admise à recourir contre Tenesol devenue Sunpower.
En conséquence, par confirmation des jugements déférés du chef de la recevabilité tirée de l'intérêt à agir, partielle seulement concernant Mayotte et totale concernant la Martinique, le fond du litige est examiné ci-après au profit des sociétés Sunzil pour ce qui concerne :
- les 9.889 modules photovoltaïques installés par Sunzil Mayotte sur les 11 centrales photovoltaïques précitées de Mayotte (Boccador, SCI Sam, CHM Mahorais Invest, CCI Bat 1 Transit Mahorais, CCI BAT 2 Transit Mahorais, CCI Bat 3 SMCI, CCI Bat 4 Smart, CCI Bat 5 Tilt, CCI BAT Sous douane, CCI BAT Base vie et EDM/Sol),
- ainsi que pour les modules installés sur les 6 centrales des Caraïbes (Fort de France).
Sur la garantie contractuelle :
Les intimées sollicitent de Tenesol devenue Sunpower l'application de la garantie contractuelle des modules acquis, au visa de leurs réclamations successives que Tenesol devenue Sunpower rappelle de façon détaillée dans ses écritures.
La pièce 2 des sociétés Sunzil, « Garantie des modules photovoltaïques TENESOL » stipule notamment à son article Ii :
« Sous réserve des limites prévues à l'article III, TENESOL garantit la puissance de ses modules photovoltaïques de la façon suivante :
Pour un écart supérieur à 10 % de la puissance minimale (Minimum Power) indiquée sur l'étiquette au dos du module, la garantie de puissance des modules s'applique sur une période de dix années entières et consécutives, à compter de la date de prise de possession effective du matériel par le client de TENESOL et de ses filiales, et pas plus tard que 126 mois à partir de la date de mise à disposition en usine pour expédition.
Pour un écart supérieur à 20 % de la puissance minimale (Minimum Power) indiquée sur l'étiquette au dos du module, la garantie de puissance s'applique sur une période de 25 années entières et consécutives, à compter de la date de prise de possession effective du matériel par le client de TENESOL et de ses filiales, et pas plus tard que 306 mois à partir de la date de mise à disposition en usine pour expédition. »
La garantie est donc stipulée à charge de Tenesol devenue Sunpower pour une durée de 10 ou 25 ans selon le niveau d'écart entre la puissance minimale et la puissance effective.
Il est acquis au débat que les réclamations de la part des sociétés Sunzil ont été portées dans les « Conditions de mise en jeu de la garantie », notamment les délais, telles que stipulées au III A de la garantie, ce point n'étant pas discuté par les parties.
Pour échapper à son obligation de « garantie limitée de puissance », Tenesol devenue Sunpower tente d'écarter la qualification de vice qui lui serait imputable et de faire jouer l'exclusion stipulée à l'article III « Limites, conditions et exclusions des garanties citées aux I et II ci-dessus » précisément au « C. Cas d'exclusions de la garantie » qui énonce que :
« La garantie des modules s'applique uniquement dans des conditions normales d'utilisation et exclut expressément les vices de fonctionnement ou de puissance dans les cas suivants : (…)
4. Tout vice de fonctionnement ou de puissance résultant de l'effet du sel, ou de l'humidité (type milieux tropicaux). (...) »
En premier lieu, l'appelante développe longuement dans ses écritures que le manque de puissance des modules litigieux, de type P (§ 38 de ses écritures) et non pas standard (ce qu'elle dit contradictoirement et faussement aux § 44 et 45), résulte, d'après ses analyses et les divers rapports et publications qu'elle produit, d'un phénomène électro-physique, dit « effet PID ». Elle explique en substance que l'apparition de l'effet PID est liée à une pluralité de facteurs extérieurs aux modules, notamment un facteur climatique, dont l'humidité, avéré en l'espèce pour les centrales de Mayotte et des Caraïbes, mais aussi un facteur lié à la conception de la centrale, d'où elle conclut qu'aucune preuve en l'espèce n'est apportée d'un défaut des modules, défaut de conception ou de fabrication, à l'époque des ventes, où doivent s'apprécier tant les défectuosités que les données techniques connues ou prévisibles.
Elle précise, au visa notamment du rapport du laboratoire dit indépendant Tuv-Rheinland de Cologne, daté de juin 2016, que la découverte de ce phénomène, ignoré tant des fabricants de modules que des constructeurs de centrales, date de juin 2010, que les industriels n'ont conçu les premiers tests de résistance des modules à l'effet PID qu'à partir de la mi-2012, que les premiers critères d'un test de sensibilité des modules à l'effet PID n'ont été publiés qu'en 2015, toutes dates postérieures aux ventes, et que les modules commercialisés aujourd'hui mentionnent expressément une résistance à l'effet PID. Elle conclut qu'il ne peut lui être reproché d'avoir vendu des modules qui ne contenaient pas une technologie qui ne sera mise au point que plusieurs années après les ventes litigieuses.
Ces moyens, comme le soutiennent à bon droit les sociétés Sunzil, doivent être rejetés.
En effet, si les sociétés intimées soutiennent également que la défectuosité des modules acquis est liée à leur sensibilité à l'effet PID, elles rappellent qu'elles actionnent, non pas les garanties légales résultant des ventes, mais une garantie contractuelle, autonome, à laquelle s'est engagée le vendeur-fabricant, ce qui rend inopérante la discussion de l'appelante quant à l'appréciation d'un défaut de conformité, de plus au regard des données techniques connues ou prévisibles lors de la vente, à propos desquelles les sociétés Sunzil établissent au contraire que le phénomène a été considéré pour la 1re fois en 1978 selon mention dans le rapport Certisolis du 16 décembre 2016 qu'elles produisent.
Les sociétés Sunzil requièrent à bon droit l'application de la garantie contractuelle limitée de puissance, en faisant état d'un défaut de puissance entrant dans les prévisions contractuelles, quelle que soit son origine.
En second lieu, Tenesol devenue Sunpower discute de l'incidence de l'effet PID au regard de la clause d'exclusion de garantie, précitée, par laquelle le contrat ne garantit pas le vice de fonctionnement ou de puissance lorsque celui-ci résulte de l'effet notamment de l'humidité par exemple celle résultant des milieux tropicaux (l'effet sel, aussi contesté par les intimées, n'est pas spécifiquement invoqué par l'appelante).
De telles clauses limitatives d'obligations et de garantie sont licites entre vendeur et acheteur, à moins qu'elles contredisent la portée de l'obligation essentielle du débiteur et la vident en conséquence de toute substance.
C'est pourquoi les sociétés Sunzil soutiennent dans les motifs de leurs écritures que si la clause C.4 doit s'analyser en une clause qui écarte toute garantie lorsque les modules sont affectés de l'effet PID, alors elle doit être réputée non écrite, ce que toutefois, elles ont omis de demander au dispositif de leurs écritures sur lequel seul la cour doit statuer en application de l'article 954 du code de procédure civile.
Il reste que Tenesol devenue Sunpower n'est pas fondée à envisager une exclusion de garantie pour les modules litigieux, livrés à Mayotte et en Martinique, alors que, comme le soulignent à juste titre les sociétés Sunzil, le vendeur, leur société mère (Tenesol à l'époque), qui imposait une exclusivité de fourniture, savait pertinemment que les modules fabriqués étaient destinés à une exploitation en milieu tropical, donc fortement humide, un tel usage n'étant manifestement pas anormal au sens de l'article C de la garantie.
En réalité, aucun élément ne vient démontrer que la clause C.4 vise l'effet PID, étant observé que cette clause - dont la phrase liminaire rappelle l'application de la garantie pour les cas d'utilisation normale - comporte ce § 4, stipulé à côté d'autres exclusions visant des conditions anormales d'utilisation de la part de l'acquéreur ou de tiers, ou le cas d'usure normale, encore des cas de force majeure, tous événements à quoi ne se rapporte pas la réduction de puissance par l'effet PID.
Cette clause qui exclut la prise en considération pour le fabricant vendeur, notamment, du vice de puissance résultant de l'humidité du type de celle des milieux tropicaux, n'est pas applicable à l'effet PID, dont il est connu qu'il est aléatoire : ainsi, il ne touche pas les modules installés à la Réunion milieu également humide, fait acquis, et qu'il ne dépend pas seulement du seul facteur climatique, comme le rappelle d'ailleurs l'appelante, dépendant aussi de la conception de la centrale.
Tenesol devenue Sunpower a d'ailleurs adressé à Sunzil Mayotte en février 2014 diverses recommandations sur ce point de la conception de la centrale afin de restaurer la puissance des modules affectés, tenant à un câblage des modules avec le pôle négatif des strings relié à la terre ainsi qu'à une opération, à réaliser la nuit, destinée à créer un environnement de fort taux d'humidité pour augmenter la conductivité en surface du module avec application d'une certaine tension négative aux bornes des strings (…).
Contrairement à que soutient l'appelante, ces solutions correctives ont effectivement été déployées à Mayotte en 2015 dans le cadre d'essais de recouvrement de puissance ainsi que le mentionne le rapport Sunzil du 26 août 2015, pour un coût chiffré à 131.495 €, essais sans effet persistant.
L'effet PID n'est donc pas seulement lié à l'humidité des milieux tropicaux, d'autres facteurs étant précisément identifiés, comme l'indiquent les rapports produits, y compris le rapport Tuv-Rheinland produit par Tenesol devenue Sunpower.
Précisément, ce rapport, qui conclut en page 6 que «'l'effet PID montrera des pertes de puissance plus tôt et de manière plus forte dans un climat tropical humide que dans des conditions modérées'» énonce en même temps que « des systèmes photovoltaïques qui souffrent de l'effet PID ont été identifiés partout en France et en Allemagne par exemple. Les modules qui sont sensibles peuvent montrer des signes de PID même dans des conditions modérées ». De plus, ce rapport mentionne en page 3 que, outre les facteurs environnementaux et structurels, l'effet PID survient lorsqu'un 3e facteur, cumulatif, existe à savoir un facteur de conception du module, consistant dans le fait précis que « la cellule photovoltaïque et le module photovoltaïque doivent contenir des matériaux permettant au PID de se produire ».
L'appelante, qui omet de mentionner ce 3e facteur lié à la conception du module, qui se cumule pour déclencher l'effet PID, avec les facteurs climatiques et structurels (de la centrale) qu'elle indique seulement (§ 52 de ses motivations), est d'autant moins fondée à exciper d'une prétendue absence de défaut de conception des modules litigieux.
En synthèse, les modules litigieux dont il est constant qu'ils sont non résistants à l'effet PID bénéficient de la garantie contractuelle accordée par le vendeur-fabricant, à défaut pour celui-ci de démontrer l'absence de vice de conception imputable et que ce défaut est exclu de sa garantie.
Sur la condamnation :
Pour réparer l'effet PID qui affecte les modules litigieux, à savoir comme jugé précédemment les modules photovoltaïques installés par Sunzil Mayotte sur les 11 centrales de Mayotte et sur les 6 centrales de Fort de France, et ce, comme le rappellent à juste titre les deux parties, dans «'Les limites de la couverture de la garantie'» en son article III B, dont les modalités ne font pas litige entre elles, condamnation de Tenesol devenue Sunpower est prononcée en confirmation du jugement déféré de 2018.
La disposition de ce jugement visant la condamnation de Tenesol à exécuter cette garantie contractuelle dans un délai de 6 mois à compter de la signification du jugement sous astreinte de 1.000 € par semaine de retard, n'est pas discutée par les parties. Les sociétés Sunzil sollicitant la confirmation du jugement, cette disposition se voit confirmée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les dépens de première instance et d'appel, ces derniers à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, sont à la charge de l'appelante qui succombe principalement dans ses prétentions.
Elle a par ailleurs la charge d'une indemnité de procédure globale à verser aux intimées.
Eu égard à l'ensemble de ces motivations, pour plus de lisibilité de la décision sur le fond et pour prendre en compte le changement de dénomination de l'appelante, les deux jugements déférés sont infirmés.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Infirme les deux jugements déférés,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Juge les sociétés Sunzil, Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes recevables en leur action pour ce qui concerne uniquement les modules photovoltaïques suivants (les Modules) :
les 9.889 modules photovoltaïques installés sur les 11 centrales photovoltaïques suivantes de Mayotte : Boccador, SCI Sam, CHM Mahorais Invest, CCI Bat 1 Transit Mahorais, CCI BAT 2 Transit Mahorais, CCI Bat 3 SMCI, CCI Bat 4 Smart, CCI Bat 5 Tilt, CCI BAT Sous douane, CCI BAT Base vie et EDM/Sol,
les modules photovoltaïques installés sur les 6 centrales des Caraïbes (Fort de France / La Martinique),
Juge la société Sunzil Caraïbes irrecevable en son action concernant les modules installés sur les 29 centrales autres que les 11 visées précédemment,
Condamne la société Sunpower Energy Solutions France anciennement dénommée société Tenesol à exécuter sa «'garantie contractuelle limitée de puissance'» sur les Modules litigieux sus-visés qu'elle a fournis, selon les conditions de mise en 'uvre et limites de son intervention édictées à l'article III. B de ladite garantie,
Dit que cette condamnation doit être exécutée dans un délai de 6 mois à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 1.000 € par semaine de retard,
Dit que l'astreinte courra durant trois mois au maximum, délai à l'issue duquel il devra être à nouveau statué, par la juridiction compétente,
Déboute les sociétés Sunzil de leur demande de voir confirmer que la juridiction commerciale se réserve la liquidation de l'astreinte,
Juge recevable mais non fondée la demande en expertise judiciaire formée subsidiairement par la société Sunpower Energy Solutions France anciennement dénommée société Tenesol,
Condamne la société Sunpower Energy Solutions France anciennement dénommée société Tenesol à verser à chacune des trois sociétés Sunzil intimées (Sunzil, Sunzil Mayotte et Sunzil Caraïbes) une indemnité de procédure de 8.000 € (3 x 8.000 €),
Dit que les dépens de première instance et d'appel, ces derniers à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, sont à la charge de la société Sunpower Energy Solutions France anciennement dénommée société Tenesol.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT