CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 25 novembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8668
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 25 novembre 2020 : RG n° 18/09023
Publication : Jurica
Extrait : « S'agissant du grief pris de l'augmentation unilatérale par M. X. de son prix de vente dans des proportions totalement décorrélées des autres acteurs de la meunerie, un tel fait n'est nullement démontré.
En effet, il est établi par les circulaires de la meunerie française que les cours du blé (voir, par exemple, la cotation du blé tendre) ont très fortement augmenté depuis l'été 2006, avec une flambée des cours de la récolte 2007 et des records historiques au premier trimestre 2008. La décrue des cours du second semestre 2008 n'a pas permis de rattraper le niveau de l'été 2006. La situation qui s'est globalement maintenue en 2009 et au premier semestre 2010 a abouti à une très forte augmentation des cours à compter du juin 2010, niveau au-dessous duquel la cotation n'est jamais repassée, avec des pics en août 2010, janvier 2011, mars 2011 et juin 2012.
L'attestation du concurrent de M. X. est insuffisante à établir ce qu'elle énonce, à savoir que les prix pratiqués auraient été significativement plus élevés que ceux offerts par la concurrence au même moment.
Ce d'autant que M. X. est un très petit acteur du secteur de la meunerie avec un chiffre d'affaires en 2008 et 2009 de moins de 500.000 euros et, par conséquent, par rapport à son concurrent attestant, avec de moindres possibilités, tant financières que de gestion, pour résister aux tensions sur le coût de la matière première qui a caractérisé la période litigieuse.
[…] Par conséquent, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que M. X. avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'abus de la position de dépendance de M. Y. et du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, à supposer que ce dernier délit soit applicable aux faits invoqués, lesquels pour ce faire sont ceux postérieurs au 6 août 2008, date d'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.
Il n'est pas davantage établi que M. X. aurait pratiqué, à l'égard de M. Y., des modalités de vente non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, un désavantage ou un avantage dans la concurrence. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE4
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/09023 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B5UIB. Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 avril 2018 - Tribunal de commerce de PARIS – R.G. n° 2015022299.
APPELANT :
Monsieur X.
Né le [date] à [ville], Immatriculée au RCS de MELUN sous le numéro XXX, Ayant son siège social [adresse], [...], Représenté et assisté de Maître Belgin P.-J. de la SELEURL BELGIN P.-J. AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
INTIMÉS :
Maître J. ès-qualités de mandataire judiciaire de Monsieur Y.
Ayant son étude [...], [...]
Monsieur Y.
Né le [date], Demeurant [adresse], [...]
Représentés par Maître Patricia H. de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, Assistés de Maître Pierre N. substituant Maître Dominique P., avocat au barreau de PARIS, toque J008
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 octobre 2020, en audience publique, la cour, composée de : Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, Monsieur Dominique GILLES, conseiller, Madame Sophie DEPELLEY, conseillère, qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Dominique GILLES dans les conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, de la chambre 4 du Pôle 5 et par, Mathilde BOUDRENGHIEN, Greffière , présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RAPPEL DES FAITS :
M. X. est un meunier qui exploite un moulin artisanal dans le Gatinais. M. Y. est un artisan boulanger.
En 2005, M. Y. qui souhaitait reprendre un fonds de commerce de boulangerie, a signé avec M. X. une convention de prêt d'un montant de 33.000 euros, moyennant un intérêt contractuel de 5 %. Simultanément, M. Y. a conclu avec M. X. un contrat d'approvisionnement exclusif à hauteur de 95 % de ses besoins en farine pour une durée de 5 ans.
M. Y. ne parvenant pas à équilibrer ses comptes, M. X. lui a consenti plusieurs prêts de trésorerie entre 2005 et 2007.
Le 26 mars 2007, M. X. a consenti un nouveau contrat de prêt à M. Y., pour un montant de 65.059,57 euros et pour une durée de 5 ans. Ce prêt a consisté à consolider le prêt initial et les factures échues et non réglées. Un nouveau contrat d'approvisionnement quasi exclusif en farine (95 % des besoins de M. Y.) d'une durée de 5 ans a été signé simultanément par les parties.
M. Y. n'a pas été en mesure de rembourser ses dettes et a été placé en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 29 février 2012. Le juge commissaire a admis trois créances de M. X., pour un montant global de 95.985,15 euros et a sursis à statuer sur une 4ème créance d'un montant de 93.372 euros dans l'attente de la décision du tribunal de commerce d'Orléans saisi d'une contestation.
Par jugement du 6 février 2014, le tribunal de commerce d'Orléans a reconnu la créance contestée à hauteur de 93.237,24 euros, a condamné M. X. à la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce et, faisant compensation de ces sommes, a fixé la créance de M. X. à la somme de 33.237,24 euros.
Par arrêt définitif du 19 février 2015, la cour d'appel d'Orléans a retenu que le tribunal de commerce d'Orléans était sans pouvoir pour statuer sur les griefs tirés des infractions allégués aux dispositions de l'article L. 442-6-I du code de commerce, a infirmé en conséquence le jugement rendu le 6 février 2014, a renvoyé les parties à saisir dans le délai d'un mois le tribunal de commerce de Paris pour qu'il soit statué sur les chefs de demandes relevant de l'article D. 442-3 du code de commerce et a sursis à statuer sur les autres moyens dans l'attente de la décision à intervenir.
Par acte extrajudiciaire du 2 avril 2015, M. Y. a assigné M. X. devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir, en substance, réparation des préjudices subis du fait de l'abus par M. X. de sa position de dépendance économique et du déséquilibre significatif qui en résulte.
C'est dans ces conditions que par jugement du 3 avril 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que M. X. a abusé de la position de dépendance de M. Y. pour créer un déséquilibre significatif entre ses droits et ses obligations au détriment de M. Y. ;
- dit que M. X. a engagé sa responsabilité au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;
- condamné M. X. à verser à M. Y. la somme de 77.526 euros à titre de dommages-intérêts ;
- débouté les parties des demandes plus amples, autres et contraires ;
- condamné M. X. à verser à M. Y. la sommes de 8.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- ordonné la compensation judiciaire des présentes condamnations entre les sommes respectivement dues par M. Y. et par M. X. ;
- condamné M. X. aux dépens de l'instance.
Le 4 mai 2018 M. X. a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.
[*]
Par dernières conclusions signifiées et notifiées le 29 janvier 2019, M. X. demande à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 1103 et 1231-1 nouveaux du code civil (articles 1134 et 1147 anciens du code civil) et L. 442-6-I-2° du code de commerce ;
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 3 avril 2018 ;
- déclarer l'appel de M. X. recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement entrepris sur les chefs critiqués ;
et, statuant à nouveau,
- dire que M. X. n'a pas violé les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ;
en conséquence :
- dire n'y avoir lieu à prononcer contre lui une condamnation à quelque titre que ce soit ;
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner in solidum les intimés à verser une somme de 8.000 euros à M. X. au titre des frais irrépétibles ;
- condamner in solidum les intimés aux entiers dépens de la présente instance.
[*]
Par dernières conclusions signifiées et notifiées le 30 octobre 2018, M. Y. et M. J., son mandataire judiciaire, demandent à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 1116, 1134 alinéa 3, 1129, 1131, 1315 du code civil ;
Vu les règlements communautaires ;
Vu l'article L. 330-2 du code de commerce ;
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce ;
- déclarer M. X. recevable en son appel ;
- dire M. X. mal fondé en sa demande ;
à titre principal,
- confirmer le jugement entrepris, sauf pour ce qui concerne le montant du préjudice subi par M. Y. ;
- à ce titre, condamner M. X. à verser à M. Y. une somme de 93.237,24 euros au titre du préjudice subi ;
à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
à défaut,
- dire que la durée des contrats d'approvisionnement est contraire à la réglementation ;
- dire que la responsabilité de M. X. est engagée pour violation de son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. Y. ;
- dire que la responsabilité de M. X. est engagée pour abus dans la détermination du prix, et augmentations de tarifs injustifiées ;
- dire que l'ensemble contractuel est atteint d'un déséquilibre significatif au détriment de M. Y. ;
- dire que M. X. a fait souscrire à M. Y. de nouveaux concours ruineux afin de pouvoir poursuivre ses approvisionnements ;
- dire que M. X. a obtenu l'engagement personnel de Mme Y. à des actes de commerce auxquels elle n'avait aucune raison d'être partie prenante ;
- dire que la responsabilité de M. X. est engagée au titre de pratiques restrictives de concurrence ;
- dire que M. X. a notamment abusé de la relation de dépendance dans laquelle il tenait M. Y. ;
- dire que M. X. a notamment créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- dire que M. X. a pratiqué, à l'égard de M. Y. des modalités de vente non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;
- dire que ses responsabilités rejaillissent nécessairement sur l'existence même des créances dont M. X. se prévaut ;
- en conséquence, condamner M. X. à verser à M. Y. une somme de 93.237,24 euros au titre du préjudice subi ;
- ordonner, le cas échéant, la compensation des créances entre celles dues par M. X. et celles dues par M. Y. ;
- débouter M. X. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. X. à verser une somme de 8.000 euros à M. Y. au titre des frais irrépétibles ;
- condamner M. X. aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
La chronologie des actes et engagements litigieux s'établit ainsi :
- Ensemble contractuel du 25 août 2005
- Contrat de prêt du 25 août 2005 de 33.000 euros :
- prêteur : M. X.
- emprunteurs : M. et Mme Y.
- remboursement par mensualités
- taux d'intérêt fixe nominal de 5 %
- taux effectif global égal à 5 %
- capitalisation annuelle des intérêts par application des dispositions de l'article 1154 du code civil
-garantie : nantissement du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie situé [adresse]
- intérêts de retards : 10 % l'an
- clause pénale : 10 %
- clause d'exigibilité anticipée du prêt en cas de non-respect du contrat d'approvisionnement
- Contrat d'approvisionnement du 25 août 2005 :
- exclusivité : approvisionnement exclusif à hauteur de 95 % des besoins en farine
- durée : 5 ans avec obligation de prévenir le cocontractant avec un préavis de 6 mois avec le terme du contrat
- prix : tarif en vigueur au jour de la commande
- variation de prix : « La farine sera vendue par le fournisseur ...au prix fixé par le tarif en vigueur au jour de l'enregistrement de la commande par le Fournisseur. Le Fournisseur peut modifier le tarif pour tenir compte de l'évolution générale des prix, de la concurrence et des coûts de production. Le Fournisseur fera ses meilleurs efforts pour prévenir au plus tôt le Client de la modification du tarif ».
- Reconnaissance de dette du 16 février 2006 :
- M. et Mme Y. reconnaissent avoir reçu un prêt de 5.000 euros d'une durée de 12 mois en - vue de permettre le règlement de factures de réparation de matériel
- Reconnaissance de dette du 19 juillet 2006 :
- M. et Mme Y. reconnaissent avoir reçu un prêt de 7.000 euros d'une durée de 6 mois en - vue de permettre le règlement de factures dues à M. X.
- Ensemble contractuel du 26 mars 2007 :
- Contrat de prêt du 26 mars 2007 de 65.059,37 euros :
- prêteur : M. X.
- emprunteurs : M. et Mme Y.
- remboursement par mensualités
- taux d'intérêt fixe nominal de 5 %
- taux effectif global égal à 5 %
- capitalisation annuelle des intérêts par application des dispositions de l'article 1154 du code civil
- garanties : nantissement du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie situé [adresse] immatriculé sous XXX
- intérêts de retards : 10 % l'an
- clause pénale : 10 %
- clause d'exigibilité anticipée du prêt en cas de non-respect du contrat d'approvisionnement
- Contrat d'approvisionnement du 26 mars 2007
-exclusivité : approvisionnement exclusif à hauteur de 95 % des besoins en farine
-durée : 5 ans avec obligation de prévenir le cocontractant avec un préavis de 6 mois avec le terme du contrat
- prix : tarif en vigueur au jour de la commande
- variation de prix : idem 2005.
Le tribunal de commerce a retenu que M. X. avait engagé sa responsabilité à l'égard de M. Y. sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
Pour estimer que les obligations souscrites par M. Y. ont été disproportionnées au regard des contreparties offertes, le tribunal de commerce a retenu que :
- Mme Y. avait personnellement souscrit chacun des engagements financiers et commerciaux conjointement avec M. Y., alors même qu'elle n'était pas commerçante inscrite au registre du commerce et des sociétés ;
- le prix n'était ni déterminé ni déterminable dans la convention d'approvisionnement stipulant un engagement d'exclusivité valable 5 ans ;
- les conditions générales de vente n'étaient pas annexées au contrat d'approvisionnement alors même qu'elles étaient contractuellement annoncées ;
- le tarif unitaire de la farine vrac type 65, constituant l'essentiel des approvisionnements de M. Y. est passé de 44,70 euros HT le sac en septembre 2005 à 69,20 euros HT en décembre 2011, soit une variation de près de 55 % du prix unitaire ;
- une nouvelle convention d'approvisionnement quasi-exclusif d'une durée de 5 ans a été signée le 26 mars 2007 repoussant le terme de l'engagement d'exclusivité initial, ce en violation des dispositions de l'article L. 330-2 de code de commerce ;
- moins d'un an après avoir acquis son fonds de commerce, M. Y. était défaillant pour honorer ses engagements financiers ;
- nonobstant cette situation, M. X. a poursuivi les livraisons et a accordé de nouveaux concours financiers qui ont conduit M. Y. au surendettement, dans le seul but d'assurer un débouché à sa propre production de farine ;
- l'attestation des Moulins Soufflet démontre « que si les variations de prix de vente de la farine ont été d'ampleur comparable entre septembre 2005 et le 31 décembre 2007, M. X. a augmenté unilatéralement ses prix de vente d'envirion 35 % additionnels au 1er janvier 2008 sans qu'il soit constaté la moindre variation de prix du meunier concurrent ; que ce nouveau tarif a été maintenu jusqu'au 31 décembre 2011, date de cession des fournitures de blé alors que le meunier concurrent procédait à un ajustement de ses tarifs de 4 % au 1er juillet 2009 » ;
- M. X. malgré l'invitation du juge chargé d'instruire l'affaire n'a produit que quelques factures non probantes, car adressées à d'autres boulangers clients et supposés authentifier la réalité du tarif appliqué, et rééditées a posteriori sur un papier à en-tête inexistant au jour de l'édition initiale ;
- il ressort de ces pièces que M. X. a profité de la situation de totale dépendance financière pour augmenter unilatéralement son prix de vente dans des proportions totalement décorrélées des autres acteurs de la meunerie.
Les premiers juges ont précisé que M. X. avait abusé de la relation de dépendance économique dans laquelle il tenait M. Y. pour :
- obtenir l'engagement personnel de l'épouse à des actes de commerce auxquels elle n'avait nulle raison d'être partie prenante ;
- imposer des augmentations de tarifs injustifiées ;
- convaincre M. Y. de souscrire de nouveaux concours ruineux afin de pouvoir poursuivre ses approvisionnements ;
- avoir contrevenu aux dispositions de l'article L. 330-2 du code de commerce.
Selon M. Y., qui tend à la confirmation du jugement sur ce point, les prix de la farine pratiqués par M. X. ont augmenté de 50 % en 4 ans, qu'il lui vendait également des farines spéciales dont il n'avait l'utilité et il précise que M. X. ne lui a pas communiqué les conditions tarifaires et les modifications afférentes.
Il précise qu'aucune condition générale de vente n'a été annexée au contrat d'approvisionnement de sorte qu'il ne connaissait pas les modalités tarifaires de cet engagement. Par conséquent, il n'aurait pas été possible selon lui d'apprécier de manière objective le bien fondé des sommes sollicitées par M. X. au titre des factures impayées.
M. Y. ajoute que M. X. ne justifie pas avoir respecté son obligation d'information prévue dans le contrat d'approvisionnement aux termes duquel le fournisseur fera ses meilleurs efforts pour prévenir au plus tôt le client de la modification du tarif.
Puis, M. Y. affirme que l'augmentation du prix de la farine, de 50 %, en 4 ans, vérifiée par son expert-comptable, est décorrélée du cours du blé, ainsi que des prix pratiqués par les autres meuniers des environs, alors même que ces derniers réalise d'autres services.
M. Y. soutient ensuite que M. X. livrait différents types de farines, dont le coût était onéreux, pour différents pains spéciaux, alors que ces farines n'étaient pas nécessaires pour élaborer les produits de la boulangerie et creusaient les marges. M. Y. énonce ainsi qu'il ne disposait d'aucune latitude nécessaire pour déterminer le type de farine qu'il se faisait livrer.
Enfin, M. Y. ajoute que les factures produites par M. X. n'ont aucune force probante sans les bons de pesée, dès lors que M. X. a placé M. Y. dans l'incapacité de vérifier le volume et la nature des livraisons effectuées et ce en violation des dispositions réglementaires et de toute traçabilité des produits livrés.
Sur ce, la Cour retient les éléments de fait et de droit suivants.
L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, dans sa rédaction modifiée par la loi du 2 août 2005 applicable au litige pour les faits antérieurs au 6 août 2008, date d'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie 4 août 2008, dispose que :
I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
[...] 2° a) D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires ou en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ;
b) D'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées. Le fait de lier l'exposition à la vente de plus d'un produit à l'octroi d'un avantage quelconque constitue un abus de puissance de vente ou d'achat dès lors qu'il conduit à entraver l'accès des produits similaires aux points de vente ; [...]
L'article L. 330-2 du code de commerce dispose que :
« Lorsque le contrat comportant la clause d'exclusivité mentionnée à l'article L. 330-1 est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d'autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d'exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celle figurant au premier contrat. »
Pour l'application de ce dernier texte et sur les conséquences de sa violation prétendue à l'occasion du contrat d'approvisionnement du 26 mars 2007, il doit être retenu qu'à supposer établie cette violation par le fait de repousser la fin de validité de la clause d'approvisionnement quasi-exclusif stipulée pour 5 ans au plus dans le premier contrat d'approvisionnement du 25 août 2005 jusqu'à la date de fin du second contrat, rien ne permet toutefois de déceler en l'espèce l'intention frauduleuse des parties qui, manifestement, se sont bornées sans mauvaise foi de M. X. à reprendre à l'identique les dispositions du premier contrat d'approvisionnement pour établir le second, ce qui ne contribue nullement à établir un quelconque abus du meunier, étant observé que la seule sanction prévue par ce texte consiste dans la caducité de l'engagement d'exclusivité à la date de fin du premier contrat comportant la clause d'exclusivité.
Or, compte tenu de la chronologie des actes, cette sanction serait sans portée.
S'agissant du fait que l'épouse de M. Y., Mme Z., ait été partie aux engagements de prêts et aux reconnaissances de dette, il est démontré en cause d'appel que cette personne se présente sur Infogreffe comme le dirigeant de la Boulangerie Y. Il ne peut donc être soutenu que son consentement aurait été abusivement obtenu par M. X. alors que cette épouse n'aurait pas eu de raison d'être impliquée.
Il ne peut donc être imputé à un quelconque abus de la part de M. X. d'avoir sollicité le consentement de Mme Y. pour les concours litigieux.
Le tribunal de commerce ne peut donc être approuvé d'avoir motivé l'abus de dépendance économique ni sur les engagements personnels de l'épouse à des actes de commerce auxquels elle n'aurait eu nulle raison d'être partie prenante ni sur la contravention aux dispositions de l'article L. 330-2 du code de commerce.
S'agissant du grief pris de l'augmentation unilatérale par M. X. de son prix de vente dans des proportions totalement décorrélées des autres acteurs de la meunerie, un tel fait n'est nullement démontré.
En effet, il est établi par les circulaires de la meunerie française que les cours du blé (voir, par exemple, la cotation du blé tendre) ont très fortement augmenté depuis l'été 2006, avec une flambée des cours de la récolte 2007 et des records historiques au premier trimestre 2008. La décrue des cours du second semestre 2008 n'a pas permis de rattraper le niveau de l'été 2006. La situation qui s'est globalement maintenue en 2009 et au premier semestre 2010 a abouti à une très forte augmentation des cours à compter du juin 2010, niveau au-dessous duquel la cotation n'est jamais repassée, avec des pics en août 2010, janvier 2011, mars 2011 et juin 2012.
L'attestation du concurrent de M. X. est insuffisante à établir ce qu'elle énonce, à savoir que les prix pratiqués auraient été significativement plus élevés que ceux offerts par la concurrence au même moment.
L'analyse des factures produites ne le confirme pas.
Ce d'autant que M. X. est un très petit acteur du secteur de la meunerie avec un chiffre d'affaires en 2008 et 2009 de moins de 500.000 euros et, par conséquent, par rapport à son concurrent attestant, avec de moindres possibilités, tant financières que de gestion, pour résister aux tensions sur le coût de la matière première qui a caractérisé la période litigieuse.
Comparé au chiffre d'affaires de la boulangerie de M. Y., qui a été de 276.540 euros pour l'exercice 2008-2009, nul rapport de force au préjudice de celui-ci n'est véritablement établi.
S'agissant du grief formé contre M. X. pris du fait qu'il aurait accordé de nouveaux concours financiers qui on conduit M. Y. au surendettement, dans le seul but d'assurer un débouché à sa propre production de farine, la Cour observe que même dans le cas de la présente instance le boulanger, malgré la demande du meunier, s'abstient de produire ses comptes, de sorte qu'en l'absence d'autre élément probant le lien de causalité entre l'octroi des nouveaux concours financiers et les difficultés économiques ayant conduit au redressement judiciaire n'est nullement caractérisé.
En outre, il n'est nullement établi en l'espèce :
- ni que M. Y. se soit heurté au refus de M. X. de fournir ses conditions générales de vente ce qui l'aurait empêché de connaître les modalités tarifaires de cet engagement ou d'apprécier de manière objective le bien fondé des sommes sollicitées par M. X. au titre des factures impayées ;
- ni que M. X. aurait manqué à son obligation d'information prévue dans le contrat d'approvisionnement aux termes duquel le fournisseur fera ses meilleurs efforts pour prévenir au plus tôt le client de la modification du tarif ;
- ni que M. X. livrait différents types de farines, dont le coût était onéreux, pour différents pains spéciaux, alors que ces farines n'étaient pas nécessaires pour élaborer les produits de la boulangerie et creusaient les marges, sans que le boulanger eût disposé de la latitude nécessaire pour déterminer le type de farine qu'il se faisait livrer ;
- ni que M. X. ait refusé de produire les bons de pesée à l'appui des factures.
Par conséquent, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que M. X. avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'abus de la position de dépendance de M. Y. et du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, à supposer que ce dernier délit soit applicable aux faits invoqués, lesquels pour ce faire sont ceux postérieurs au 6 août 2008, date d'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.
Il n'est pas davantage établi que M. X. aurait pratiqué, à l'égard de M. Y., des modalités de vente non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, un désavantage ou un avantage dans la concurrence.
En particulier, il ne peut être retenu que M. X. se serait rendu coupable d'avoir créé un désavantage par rapport à la concurrence au détriment de M. Y.
M. Y. sera débouté de toutes ses demandes.
M. Y., qui succombe, sera condamné aux dépens.
Eu égard à la situation économique de M. Y., qui l'a conduite au redressement judiciaire, il n'y a pas lieu à indemnité au titre de l'article 700 code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
RÉFORME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
DÉBOUTE M. Y. de toutes ses demandes,
DIT n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. Y. aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
Mathilde BOUDRENGHIEN Marie-Laure DALLERY
Greffière Présidente