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CA PARIS (pôle 4 ch. 10), 15 avril 2021

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 4 ch. 10), 15 avril 2021
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 4
Demande : 20/10957
Décision : 36-2021
Date : 15/04/2021
Nature de la décision : Refus QPC
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 6/02/2020
Numéro de la décision : 36
Référence bibliographique : 5789 (action de l’administration)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9063

CA PARIS (pôle 4 ch. 10), 15 avril 2021 : RG n° 20/10957 ; arrêt n° 36-2021 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Le tribunal a écarté le moyen du Crédit Foncier de France selon lequel seul l'article L. 141-1 du code de la consommation dans sa version à la date de l'assignation était applicable et il a fait droit, au visa de l'article L. 524-1 du code de la consommation pour les stipulations qu'il jugeait illicites au regard des articles L. 312-21, R. 312-2, L. 312-9, L. 133-2 du code de la consommation ou abusives au sens des articles L. 212-1 et R 212-1 du même code, à la demande de leurs suppressions dans les contrats en cours d'exécution et les a déclarées non-écrites dans les contrats identiques conclus entre le Crédit Foncier de France et des consommateurs ou des non-professionnels. Le texte critiqué est applicable au litige. »

2/ « Mais ainsi que l'énonce le Conseil constitutionnel, (13 janvier 2005 n°2004-509), si le législateur doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (...) pour autant, ces autorités conservent le pouvoir d'appréciation et, en cas de besoin, d'interprétation inhérent à l'application d'une règle de portée générale à des situations particulières.

Le texte critiqué vient conférer à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, le droit d'agir en justice afin d'assurer l'effectivité de la réglementation des contrats de consommation et notamment de celle relative aux clauses abusives. Il détermine la finalité de son action, son périmètre et les sanctions encourues.

Le texte litigieux s'inscrit dans le chapitre relatif aux pouvoirs des agents habilités à rechercher et à constater les infractions en matière de protection des consommateurs et aux actions juridictionnelles ouvertes à l'autorité administrative.

Dans sa version initiale (article L. 141-1 VIII) du code de la consommation, le texte autorisait l'autorité administrative à solliciter du juge qu'il ordonne la suppression d'une clause abusive ou illicite dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur. Il permettait également à l'administration de solliciter devant les juridictions civiles, qu'il soit ordonné au professionnel, au besoin sous astreinte, toute mesure de nature à mettre un terme (...) aux agissements illicites mentionnées au I, II (dont le chapitre II du titre III du livre I du code de la consommation relatif aux clauses abusives), III. Ce dernier alinéa est demeuré inchangé, lors des ajouts successifs au texte initial.

Cette action en suppression, ouverte dans les mêmes termes aux associations de consommateurs agréées, ne peut conduire qu'à l'anéantissement et non à une nouvelle rédaction des stipulations litigieuses. Il s'agit de la manifestation d'un ordre public purement négatif.

Dans sa version antérieure à sa codification à l'article L. 524-1 du code de la consommation issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, ce texte a ouvert, au profit de l'autorité administrative, une action tendant à voir réputée non écrite la clause abusive ou illicite insérée dans les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs.

L'article L. 524-1 du code de la consommation est venu étendre la possibilité d'ordonner la suppression (prévue au 1°) des clauses illicites ou abusives à celles insérées dans les contrats en cours d'exécution.

Ainsi que l'a évoqué le rapporteur de la loi devant le sénat et l'explique d'ailleurs le Crédit Foncier de France, cet ajout est issu d'un amendement parlementaire dont la finalité était de revenir sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui (en) a restreint le champ de l'action préventive en excluant qu'elle puisse s'appliquer à des contrats, certes toujours en cours, mais qui ne sont plus proposés aux consommateurs.

Le texte critiqué vient préciser et délimiter le périmètre des actions ouvertes à l'autorité administrative. Le chevauchement allégué par le Crédit Foncier de France de l'action en suppression du 1° du texte et de l'action en déclaration (de réputé non-écrit) du 2° qui vise les contrats identiques (à ceux visés au 1°) est indifférent dès lors, que dans l'une ou l'autre des hypothèses, il s'agit de l'expression d'un ordre public purement négatif.

Enfin, le texte critiqué vient délimiter le domaine des sanctions des clauses illicites, abusives ou illégales en matière de droit de la consommation. La constitutionnalité des limites apportées par ce droit à la liberté du professionnel dans l'écriture des clauses des conventions proposées ou signées avec les consommateurs n'est pas en cause. Le Crédit Foncier de France ne prétend pas à une disproportion entre les impératifs d'intérêt général de protection de la partie la plus faible et l'encadrement législatif du contenu du contrat et compte tenu de ce qui précède, il ne peut pas rechercher une atteinte à cette liberté, dans une disproportion de la sanction de leur violation.

La question posée est dépourvue de sérieux en sorte qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 4 CHAMBRE 10

ARRÊT DU 15 AVRIL 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/10957. Arrêt n° 36-2021 (8 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFC3. Décision déférée à la Cour : Jugement du 6 décembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRÉTEIL – R.G. n° 15/06552.

 

DEMANDEUR SUR LA QPC :

Le CRÉDIT FONCIER DE FRANCE, SA

Inscrite au RCS de Paris, sous le numéro XXX, dont le siège social est situé : [...], [...], représenté par son représentant légal en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège. Représenté par Maître Harold H., avocat au barreau de PARIS, toque : T03, Ayant pour avocat plaidant Maître Bruno Q. de G. L. N. AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03.

 

DÉFENDEUR SUR LA QPC :

Le Directeur Départemental de la Protection des Populations (DDPP) du Val de Marne

prise en la personne de M. X., agissant en qualité d'autorité administrative compétente au titre des articles L. 524-1 et R. 524 -1 du Code de la consommation domicilié en cette qualité au : [...], [...], Cité par acte d'huissier remis à personne morale le 30 novembre 2020.

 

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 23 octobre 2020.

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 février 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente, et Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de : Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente, Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère, Madame Laurence CHAINTRON, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT : - Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente et par Armand KAZA, greffier, présent lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par acte extra-judiciaire en date du 26 juin 2015, M. le Directeur départemental de la protection des populations du Val-de-Marne a engagé devant le tribunal de grande instance de Créteil, une action à l'encontre du Crédit foncier de France tendant, au visa des articles L. 132-1 et L. 141-1 VIII et des articles L. 312-21, R. 312-2, L. 312-9, L. 133-2 du code de la consommation, à voir déclarer illicites et abusives diverses clauses des contrats de prêts proposés par cet organisme bancaire.

Par jugement en date du 6 décembre 2019, la juridiction a, au principal :

- déclaré recevable l'ensemble des demandes de M. le Directeur départemental de la protection des populations,

- constaté l'abandon par ce dernier de sa demande n° 2 (clause relative à l'affectation du remboursement anticipé en cas de cession du bien financé), de ses demandes relatives à la clause d'assurance emprunteur insérée dans les contrats Lizéale Programme plus et Foncier liberté, de celles relatives au cas d'exigibilité n° 7 des contrats Lizéale Programme plus, Lizéale Patrimonial First, Foncier Liberté, Foncier Intégral, Possiblimo, Périodimo 3et Tendance J3 et au cas d'exigibilité n° 9 des contrats Pass Liberté-Prêt à taux zéro, relatifs au décès des garants ou personnes assurées ainsi que l'abandon de sa demande n° 14 (relative à la clause de disparition de l'indice) ;

- débouté M. le Directeur départemental de la protection des populations de sa demande n°7 (relative à l'exigibilité anticipée en cas de non-communication de pièces justificatives exigées par la réglementation insérée au contrat de prêt PTZ) et de sa demande n°13 (relative aux modalités de transformation du prêt in fine en prêt amortissable) ;

- constaté que le Crédit Foncier de France avait modifié les clauses suivantes, qui n'encouraient plus la critique du demandeur : clauses relatives au remboursement anticipé volontaire, au calcul de l'indemnité due à cette occasion ainsi que les clauses relatives à l'assurance emprunteur, aux modalités de mise en œuvre globale de la clause d'exigibilité anticipée, à l'exigibilité du prêt en cas de non-communication de pièces complémentaires exigées par la réglementation, à l'exigibilité du prêt en cas d'inexactitude des déclarations, de dissimulation d'informations et de fausses informations, d'exigibilité en cas de non-respect des engagements contractuels de l'emprunteur, des cautions et garants et d'exigibilité en cas de survenance de divers événements affectant ces derniers ;

- jugé illicites :

- comme ne respectant pas les dispositions des articles L. 313-47 et R. 312-25 du code de la consommation, la clause relative au remboursement anticipé insérée dans les conditions générales des contrats en cours d'exécution dénommés Foncier Liberté, Foncier Intégral, Pass Liberté-Prêt à taux zéro, Possiblimo, Périodimo 3, Tendance J3, Lizéale Patrimonial First et Lizéale Programme plus,

- comme ne respectant pas les dispositions de l'article L. 312-9 du code de la consommation la clause relative à l'assurance emprunteur insérée dans les conditions générales des contrats de crédit en cours d'exécution dénommés Lizéale Programme plus, Périodimo, Tendance J3 et Possiblimo,

- comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, la clause relative aux modalités de mise en œuvre globale de la clause d'exigibilité anticipée insérée dans les contrats de prêts proposés et en cours d'exécution,

- jugé abusives au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation,

- certaines dispositions (cas d'exigibilité n°4) de la clause d'exigibilité anticipée en cas d'inexactitude des déclarations, de dissimulations d'information et de fausses informations insérées dans les conditions générales des contrats en cours d'exécution dénommés Lizéale Programme plus, Lizéale Patrimonial First, Foncier Liberté, Foncier Intégral, Possiblimo, Périodimo 3 et Tendance J3 et de cette même clause (cas n°6) du Pass Liberté-Prêt à taux zéro,

- la clause d'exigibilité anticipée en cas de survenance d'événements (cas n°10 ou n° 12 selon les contrats) affectant la caution, personne morale insérée dans les conditions générales des contrats Lizéale Programme plus, Lizéale Patrimonial First, Foncier Liberté, Foncier Intégral, Possiblimo et Périodimo 3,

- jugé abusives au sens de l'article L. 212-1 et R. 212-1 4° du code de la consommation, la clause relative à la transformation du prêt in fine en prêt amortissable insérée dans les conditions générales des contrats dénommés Lizéale Programme plus et Lizéale Patrimonial First,

- accueilli la demande du Crédit Foncier de France relative au cas n°1 de la clause d'exigibilité anticipée en cas de non-communication des pièces justificatives complémentaires exigées par la réglementation insérée dans les conditions générales des contrats de crédit en cours d'exécution dénommés Lizéale Programme plus, Lizéal Patrimonial First, Périodimo 3, Tendance J3, Foncier Intégral, Possiblimo et Foncier liberté,

- ordonné, en application des dispositions de l'article L. 524-1 du code de la consommation (dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016), la suppression des clauses jugées illicites ou abusives insérées dans les contrats en cours d'exécution ;

- les a réputées non-écrites dans tous les contrats identiques conclus par le Crédit Foncier de France avec des consommateurs et des non-professionnels ;

- ordonné au Crédit Foncier de France d'en informer, à ses frais, les consommateurs concernés par les contrats sus-visés.

Le 6 février 2020, le Crédit Foncier de France a relevé appel de cette décision et il a notifié ses conclusions d'appel par voie électronique, le 7 août 2020.

[*]

Par conclusions distinctes notifiées par voie électronique, le 7 août 2020, le Crédit Foncier de France a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Il demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des articles 34 et 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et de l'article L. 524-1 du code de la consommation dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, de juger recevable et de transmettre sa demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

Les dispositions de l'article L. 524-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation, qui dispose que :

« […] l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut demander à la juridiction civile ou, s'il y a lieu, à la juridiction administrative :

1° d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite, interdite ou abusive insérée par un professionnel dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné aux consommateurs ou aux non-professionnels ou dans tout contrat en cours d'exécution ;

2° de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs ou des non-professionnels ;

3° et d'ordonner au professionnel d'en informer à ses frais les consommateurs ou les non-professionnels concernés par tous moyens appropriés »,

sont-elles, en ce qu'elles apportent à la liberté contractuelle des restrictions et limitations inintelligibles et contradictoires, conformes :

- à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, tel qu'il découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?

- au principe de clarté de la loi, tel qu'il découle de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ?

- à la liberté contractuelle, telle qu'elle découle des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?

Et de surseoir à statuer sur le fond dans l'attente de la décision de la Cour de cassation à intervenir ou jusqu'à celle du Conseil constitutionnel saisi après examen de la Cour de cassation.

[*]

Ces conclusions ont été signifiées à M. le Directeur départemental de la protection des populations du Val-de-Marne, selon acte extra-judiciaire en date du 20 août 2020 remis à personne habilitée. Celui-ci n'a pas conclu.

[*]

Aux termes de son avis en date du 23 octobre 2020, le ministère public soutient l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité en ce que les conditions prévues par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 ne sont pas réunies s'agissant du caractère sérieux dont celle-ci apparaît dépourvue, et demande à la cour de constater qu'il n'y a pas lieu, en conséquence, de transmettre ladite question à la Cour de cassation.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, ainsi que l'admet d'ailleurs le ministère public, le Crédit Foncier de France développe, aux termes d'un écrit distinct de ses conclusions d'appel, l'argumentation qui soutient la question qu'il pose. Il remplit ainsi la condition de recevabilité tenant au dépôt d'un écrit distinct et motivé exigée par l'article 23-1 de l'ordonnance susvisée ;

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation :

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Seule la troisième condition est discutée.

 

- Sur l'applicabilité des dispositions législatives au litige :

Il ressort de la lecture du jugement, dont appel, que l'action de M. le Directeur départemental de la protection des populations introduite par un acte du 26 juin 2015, était initialement fondée sur divers articles du code de la consommation dont l'article L141-1 VIII dans sa version applicable à cette date, dont les dispositions ont été codifiées à l'article 524-1 du dit code et amendées par l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016.

Aux termes des dernières écritures qu'il a déposées devant la juridiction de première instance, M. le Directeur départemental de la protection des populations sollicitait, qu'en application des dispositions de l'article L. 524-1 du code de la consommation, il soit ordonné la suppression des clauses abusives ou illicites qu'il dénonçait dans les contrats en cours d'exécution et que ces mêmes clauses soient réputées non écrites dans tous les contrats identiques conclus par le Crédit Foncier de France et des consommateurs ou des non-professionnels.

Le tribunal a écarté le moyen du Crédit Foncier de France selon lequel seul l'article L. 141-1 du code de la consommation dans sa version à la date de l'assignation était applicable et il a fait droit, au visa de l'article L. 524-1 du code de la consommation pour les stipulations qu'il jugeait illicites au regard des articles L. 312-21, R. 312-2, L. 312-9, L. 133-2 du code de la consommation ou abusives au sens des articles L. 212-1 et R 212-1 du même code, à la demande de leurs suppressions dans les contrats en cours d'exécution et les a déclarées non-écrites dans les contrats identiques conclus entre le Crédit Foncier de France et des consommateurs ou des non-professionnels.

Le texte critiqué est applicable au litige.

 

- Sur l'absence de déclaration antérieure de conformité à la Constitution :

Il est constant que l'article L. 524-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 visé dans la question posée, n'a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, au terme d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée avant ou après sa promulgation.

 

- Sur le caractère sérieux de la question :

Le Crédit foncier de France prétend que la question soulevée revêt manifestement un caractère sérieux. Il soutient que l'article L. 524-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation, porte atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ainsi qu'aux droits et libertés garantis par la Constitution que sont le principe de clarté de la loi et la liberté contractuelle. Il précise que le Conseil constitutionnel admet que l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi puisse être invoqué au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité aux côtés d'autres griefs.

Le Crédit foncier de France fait valoir que l'évolution entre 2014 et 2016 de la rédaction de l'article L. 141-1 du code de la consommation - dont certaines dispositions sont désormais codifiées au sein de l'article L. 524-1 du même code - a in fine abouti à un texte inintelligible. Il explique que le texte initial circonscrivait le périmètre de l'action de l'administration, à des mesures préventives (la suppression des clauses illicites ou abusives dans les contrats proposés ou destinés aux consommateurs), que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (dite loi Hamon) a étendu la reconnaissance du caractère illicite ou abusif des clauses à tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs, y compris les contrats qui ne sont plus proposés et prévu, dans cette hypothèse, que les clauses illicites ou abusives seraient réputées non-écrites ; que ce texte a donné lieu à des interprétations divergentes quant aux contrats concernés par l'effet erga omnes du réputé non écrit et de la subordination de cet effet à la recevabilité de l'action principale en suppression. Il indique que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (dite loi Macron) a étendu, dans les termes critiqués, le périmètre de l'action afin qu'elle puisse porter sur tout contrat en cours ou non, ainsi que sur tout contrat proposé ou destiné au consommateur. Il affirme que ce tâtonnement est problématique dans la mesure où certaines juridictions reconnaissent une applicabilité rétroactive des textes nouveaux dans les instances en cours, et ce, malgré leur nature consistant à définir de véritables sanctions applicables en cas de clauses illicites ou abusives.

Le Crédit foncier de France retient que la portée de la disposition législative, qui instaure une suppression des clauses insérées dans des contrats en cours d'exécution à laquelle le professionnel doit satisfaire, soulève des difficultés dirimantes quant à ses modalités et quant à ses effets, dans la mesure où elle suppose un nouvel accord de volonté des parties matérialisé par un avenant. Il ajoute que la lecture du texte fait apparaître qu'une même clause, dès lors qu'elle est inscrite dans un contrat en cours d'exécution, peut faire l'objet d'une suppression ou d'un réputé non écrit, soit deux sanctions distinctes pour une même catégorie de contrat et conclut que la première est tout à la fois prévue par un texte inintelligible et disproportionné, puisqu'à la différence du réputé non écrit qui est effectif du seul fait de son prononcé, elle suppose un nouvel accord de volonté des parties matérialisé par un avenant, ce qui est impraticable pour le professionnel, d'autant que son cocontractant n'est pas partie à l'instance. Il prétend que la loi n'a pas fourni d'explication sur les effets d'une éventuelle suppression et qu'il est légitime de s'interroger sur l'éventuel effet rétroactif qui pourrait être attaché à cette suppression, question à laquelle le texte ne permet pas de répondre.

Il en conclut que les dispositions de l'article L. 524-1 du code de la consommation apportent à la liberté contractuelle des limitations inintelligibles et, qu'en conséquence, elles méconnaissent tout à la fois l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, le principe de clarté de la loi et la liberté contractuelle découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'article 34 de la Constitution.

M. le Directeur départemental de la protection des populations n'a formulé aucune observation.

Le ministère public soutient que les différents griefs doivent être écartés en l'absence de caractère sérieux. En premier lieu, il fait valoir concernant l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et intelligibilité de la loi que le surcroît de complexité introduit dans la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à la rendre contraire à la constitution et que son invocation est subordonnée à la caractérisation de la violation des autres principes constitutionnels invoqués.

En second lieu, il soutient que l'intervention du législateur, en dernier lieu en 2016, tendait justement à parfaire cet objectif de clarté de la loi et que l'article apparaît précis et non équivoque en ce qu'il met en œuvre de façon concrète les conséquences et constatations effectuées sur le fondement des articles L. 511-5 et L. 511-7 et prévoit les modalités de son exécution. Il précise que les dispositions peuvent être estimées complexes du fait de la matière en question et qu'elles sont destinées à des professionnels aguerris qui sont à même de saisir le sens et la portée des dispositions en cause.

Enfin, il avance, s'agissant de la liberté contractuelle, que ses limites doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et n'induisent pas d'atteintes disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. Il estime dans un premier temps que le fait pour le juge de pouvoir ordonner au professionnel de supprimer des clauses insérées dans des contrats en cours d'exécution a pour but de protéger le consommateur cocontractant en prévention d'un déséquilibre contractuel. Il conteste le chevauchement allégué du 1° et 2° du texte litigieux, dans la mesure où le 1° concerne l'office du juge qui a la possibilité de constater la nullité d'une clause abusive et d'enjoindre le professionnel à supprimer cette clause. Il retient que le 2° met en œuvre les conséquences que le professionnel est amené à supporter et qu'il a pour but de faire disparaître les clauses abusives identiques dans les contrats similaires proposés par les professionnels. Il affirme que le champ d'application du second alinéa est circonscrit à une certaine catégorie de contrat en réalité bien identifiée, de sorte que la liberté contractuelle est simplement limitée dans le but de servir l'intérêt général, limitation qui est proportionnée au regard de l'objectif de protection des consommateurs et des non-professionnels contre les clauses illicites, interdites ou abusives. En conséquence, le ministère public est d'avis que ces dispositions sont intelligibles, qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et qu'en conséquence, la question est dépourvue de caractère sérieux.

L'objectif à valeur constitutionnelle consistant à rendre la loi plus accessible et plus intelligible de manière à en faciliter la connaissance par les citoyens découle des articles 4, 5, 6, et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il rejoint partiellement le principe de clarté de la loi qui découle de l'article 34 de la constitution, qui délimite le domaine de la loi.

 

Mais ainsi que l'énonce le Conseil constitutionnel, (13 janvier 2005 n°2004-509), si le législateur doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (...) pour autant, ces autorités conservent le pouvoir d'appréciation et, en cas de besoin, d'interprétation inhérent à l'application d'une règle de portée générale à des situations particulières.

Le texte critiqué vient conférer à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, le droit d'agir en justice afin d'assurer l'effectivité de la réglementation des contrats de consommation et notamment de celle relative aux clauses abusives. Il détermine la finalité de son action, son périmètre et les sanctions encourues.

Le texte litigieux s'inscrit dans le chapitre relatif aux pouvoirs des agents habilités à rechercher et à constater les infractions en matière de protection des consommateurs et aux actions juridictionnelles ouvertes à l'autorité administrative.

Dans sa version initiale (article L. 141-1 VIII) du code de la consommation, le texte autorisait l'autorité administrative à solliciter du juge qu'il ordonne la suppression d'une clause abusive ou illicite dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur. Il permettait également à l'administration de solliciter devant les juridictions civiles, qu'il soit ordonné au professionnel, au besoin sous astreinte, toute mesure de nature à mettre un terme (...) aux agissements illicites mentionnées au I, II (dont le chapitre II du titre III du livre I du code de la consommation relatif aux clauses abusives), III. Ce dernier alinéa est demeuré inchangé, lors des ajouts successifs au texte initial.

Cette action en suppression, ouverte dans les mêmes termes aux associations de consommateurs agréées, ne peut conduire qu'à l'anéantissement et non à une nouvelle rédaction des stipulations litigieuses. Il s'agit de la manifestation d'un ordre public purement négatif.

Dans sa version antérieure à sa codification à l'article L. 524-1 du code de la consommation issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, ce texte a ouvert, au profit de l'autorité administrative, une action tendant à voir réputée non écrite la clause abusive ou illicite insérée dans les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs.

L'article L. 524-1 du code de la consommation est venu étendre la possibilité d'ordonner la suppression (prévue au 1°) des clauses illicites ou abusives à celles insérées dans les contrats en cours d'exécution.

Ainsi que l'a évoqué le rapporteur de la loi devant le sénat et l'explique d'ailleurs le Crédit Foncier de France, cet ajout est issu d'un amendement parlementaire dont la finalité était de revenir sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui (en) a restreint le champ de l'action préventive en excluant qu'elle puisse s'appliquer à des contrats, certes toujours en cours, mais qui ne sont plus proposés aux consommateurs.

Le texte critiqué vient préciser et délimiter le périmètre des actions ouvertes à l'autorité administrative. Le chevauchement allégué par le Crédit Foncier de France de l'action en suppression du 1° du texte et de l'action en déclaration (de réputé non-écrit) du 2° qui vise les contrats identiques (à ceux visés au 1°) est indifférent dès lors, que dans l'une ou l'autre des hypothèses, il s'agit de l'expression d'un ordre public purement négatif.

Enfin, le texte critiqué vient délimiter le domaine des sanctions des clauses illicites, abusives ou illégales en matière de droit de la consommation. La constitutionnalité des limites apportées par ce droit à la liberté du professionnel dans l'écriture des clauses des conventions proposées ou signées avec les consommateurs n'est pas en cause. Le Crédit Foncier de France ne prétend pas à une disproportion entre les impératifs d'intérêt général de protection de la partie la plus faible et l'encadrement législatif du contenu du contrat et compte tenu de ce qui précède, il ne peut pas rechercher une atteinte à cette liberté, dans une disproportion de la sanction de leur violation.

La question posée est dépourvue de sérieux en sorte qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Par décision insusceptible de recours immédiat

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que l'affaire sera rappelée à la mise en état du 23 juin 2021 à 10h30 ;

Condamne le Crédit foncier de France aux dépens de la présente instance afférente à la question prioritaire de constitutionalité.

LE GREFFIER                                LA PRÉSIDENTE