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CA MONTPELLIER (ch. com.), 23 novembre 2021

Nature : Décision
Titre : CA MONTPELLIER (ch. com.), 23 novembre 2021
Pays : France
Juridiction : Montpellier (CA), ch. com.
Demande : 21/03721
Date : 23/11/2021
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 8/06/2021
Référence bibliographique : 6241 (L. 442-1 C. com., compétence arbitrale)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9289

CA MONTPELLIER (ch. com.), 23 novembre 2021 : RG n° 21/03721 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Après avoir soumis au tribunal arbitral dans leur courrier de saisine du 16 mai 2020, une demande de réfaction de la promesse de vente et subsidiairement, sa révision et, encore plus subsidiairement, la fixation des conditions de résiliation, les cessionnaires ont renoncé à leurs demandes principale et subsidiaire tendant à la réfaction et révision du prix, ayant soumis audit tribunal des demandes d'indemnisation des préjudices découlant du refus fautif des cédants de renégocier la cession, de leur comportement à l'origine de la rupture des relations contractuelles et de leur résistance abusive à l'application de la clause compromissoire.

Les demandes soumises au tribunal arbitral par les cédants (qui ont effectivement évolué compte tenu du refus du tribunal arbitral de surseoir à statuer) sont relatives à l'indemnisation de la violation par les cessionnaires de la promesse synallagmatique en application de la clause pénale, à l'indemnisation d'un préjudice découlant d'une faute délictuelle caractérisée par la recherche d'un avantage ou d'une obligation sans contrepartie, tendant à leur imposer un déséquilibre significatif sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce et à l'indemnisation sur un fondement délictuel d'un préjudice découlant de la rupture abusive des pourparlers de la seconde promesse.

Ainsi, indépendamment de la similitude des demandes formées auprès de chaque juridiction, qui est étrangère à la priorité de la compétence de l'une sur l'autre, les demandes des parties, relatives à l'appréciation de la responsabilité contractuelle, et délictuelle, respectives de chacune dans le cadre de l'opération de cession de parts sociales qui les lie, se rattachent dans une acception large à l'exécution de la promesse synallagmatique de cession de parts sociales du 9 décembre 2019 et du projet de promesse de cession ayant suivi, qui forment un ensemble contractuel, en ce compris les relations pré-contractuelles, et entrent dans le champ d'application de la clause compromissoire.

Par ailleurs, les articles 2059 et 2060 du code civil déterminent les litiges inarbitrables, à savoir ceux qui ne peuvent être soustraits à la connaissance des juges étatiques, lorsque, d'une part, la compromission concerne des droits indisponibles et d'autre part, lorsque les causes du litige (outre des matières étrangères au présent litige) intéressent l'ordre public.

Aucune illicéité de la convention d'arbitrage elle-même, en ce qu'elle donnerait mission au tribunal arbitral de violer l'ordre public n'est soulevée tandis que l'éventuelle violation du règlement général de l'Autorité des marchés financiers se situe hors du champ d'application de la clause compromissoire et ne relève pas de l'office du tribunal arbitral, ne pouvant, dès lors, rendre inarbitrable le litige.

Des dispositions d'ordre public, applicables au litige, fussent-elles constitutives de lois de police, ne font pas obstacle à la priorité de la compétence du tribunal arbitral, sauf comme déjà indiqué, inapplicabilité manifeste, au demeurant non établie, de la clause compromissoire. Il appartiendra le cas échéant au tribunal arbitral de juger d'une éventuelle violation de l'ordre public applicable par les demandes dont il est saisi, y compris celles fondées sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce

Le tribunal arbitral a, dans sa sentence du 2 mars 2021, retenu en réponse à l'argumentation des cédants contestant l'application du principe compétence-compétence, que celui-ci devait recevoir pleine application, considérant qu'aucune cause de nullité, ni inapplicabilité de la clause compromissoire n'étaient manifestes, cette dernière ayant une très large extension. Il a ainsi retenu sa compétence pour statuer sur « le périmètre de l'arbitrage et traiter les constatations telles que les cessionnaires ou les cédants les ont, à ce jour, formulées », estimant « qu'il lui appartiendrait, au besoin, de revenir sur le point de savoir si les demandes formées par les cédants ou/et les cessionnaires entrent ou non dans le champ de l'arbitrage prévu par la clause compromissoire ».

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la clause compromissoire n'étant ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable et le litige n'étant pas inarbitrable, le tribunal de commerce de Perpignan, et partant la cour, ne sont pas compétents pour statuer sur le litige opposant les parties.

En conséquence, le jugement ne pourra qu'être infirmé et les parties seront renvoyées en application des dispositions de l'article 81 du code de procédure civile à mieux se pourvoir, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'irrecevabilité, tirée de la fin de non-recevoir touchant les demandes formées devant le premier juge sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce. »

 

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/03721. N° Portalis DBVK-V-B7F-PBBY. Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er juin 2021, TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN : R.G. n° 2020j00153.

 

APPELANTS :

Monsieur O. X.

[...], [...], Représenté par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représenté par Maître Marc B., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Monsieur A. X.

[...], [...], [...], Représenté par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représenté par Maître Marc B., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

SA CATANA GROUP

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis [...], [...], Représentée par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représenté par Maître Marc B., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Société de droit tunisien HACO

Prise en la personne de son gérant en exercice domicilié es qualité au siège social sis [...], [...], [...], Représentée par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représenté par Maître Marc B., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

SAS FINANCIERE P.

[...], [...], Représentée par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représenté par Maître Marc B., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

 

INTIMÉS :

Monsieur F. Y.

[...], [...], Représenté par Maître Christine A. H., avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Jacques Henri A. de la SCP A. H., A. - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant, Représenté par Maître Dominique A., avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur A. Y.

[...], [...], Représenté par Maître Christine A. H., avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Jacques Henri A. de la SCP A. H., A. - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant, Représenté par Maître Dominique A., avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur Cl. Z.

[...], [...], [...], Représenté par Maître Christine A. H., avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Jacques Henri A. de la SCP A. H., A. - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant, Représenté par Maître Dominique A., avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur C. Z.

[...], [...], Représenté par Maître Christine A. H., avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Jacques Henri A. de la SCP A. H., A. - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant, Représenté par Maître Dominique A., avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

 

Ordonnance d'Assignation à Jour Fixe du 15 juin 2021

COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 OCTOBRE 2021, en audience publique, Madame Anne-Claire BOURDON, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de : Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller, Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Audrey VALERO

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; - signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par acte sous seing privé en date du 9 décembre 2019, F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. et O. X. et A. X., la SA Catana Group, agissant pour le compte de la société de droit tunisien Haco, et la SAS Financière P. ont signé une promesse synallagmatique de cession des parts sociales, sous diverses conditions suspensives, par laquelle les cessionnaires s'engagent à acquérir l'ensemble des parts sociales (460.975 parts) de la SARL de droit tunisien Magic Yachts, détenues par les cédants, pour une somme de 6.800.000 euros, réglée dans le cadre d'un échelonnement jusqu'au 15 septembre 2023.

La signature de la convention devait intervenir au plus tard le 31 mars 2020. Elle comprend une clause compromissoire.

Cette promesse initiale a été suivie par trois avenants de prorogation ; un second projet de promesse, prévoyant notamment un prix de cession à hauteur de 5.800.000 euros, n'a pas été signé par les parties.

Par courriel du 20 mars 2020, O. X. a indiqué à F. Y. que compte tenu de la pandémie de coronavirus et de la crise économique, en découlant, l'acquisition de la société Magic Yachts ne pouvait plus être réalisée.

Le 27 mars 2020, le conseil des cédants indiquait que ceux-ci considéraient la vente parfaite dans les termes de la promesse du 9 décembre 2009, sauf à substituer le dernier projet de promesse synallagmatique.

Le 1er avril suivant, le conseil des cessionnaires lui répondait que l'ensemble des conditions suspensives n'était pas levé et que la promesse de vente du 9 décembre 2019 était caduque.

Ces échanges entre les parties n'ayant pas abouti, les cessionnaires ont désigné le 16 mai 2020 Jean-Paul N. en qualité d'arbitre en application de la clause compromissoire prévue à l'acte et mis en demeure les cédants d'avoir à nommer leur arbitre.

Faute d'une telle désignation, les cessionnaires ont saisi par acte d'huissier du 12 juin 2020 le président du tribunal judiciaire de Perpignan, statuant « en la forme des référés », que la clause compromissoire désignait comme juge d'appui, afin de voir désigner un arbitre et que soit constitué le tribunal arbitral.

F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. ont déposé le 22 septembre 2020, une requête en récusation à l'égard du président du tribunal judiciaire de Perpignan, qui n'a pas prospéré, le premier président de cette cour, par ordonnance du 1er octobre 2020 (frappée d'un pourvoi), ayant rejeté la demande de récusation.

Par jugement selon la procédure accélérée au fond du 23 septembre 2020 (frappé d'un appel-nullité devant cette cour), le président du tribunal judiciaire de Perpignan, a :

« - rejeté l'exception de nullité de l'assignation,

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- constaté que la procédure d'arbitrage entre les parties est régulièrement engagée,

- ordonné la composition du tribunal arbitral conformément aux termes de la clause compromissoire stipulée à la promesse synallagmatique de cession de parts sociales du 9 décembre 2019,

- constaté l'absence de toute désignation d'un arbitre par Messieurs F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z.,

- déclaré bien fondée la récusation de l'arbitre désigné par la société Haco, Monsieur O. X., Monsieur A. X., la SAS financière P. et la SA Catana group,

- désigné en qualité d'arbitre pour le compte de Messieurs F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. : Monsieur le professeur Daniel M., président de la commission d'arbitrage du centre de médiation et d'arbitrage (CMAP) Faculté de droit-[...] (...),

- désigné en remplacement de l'arbitre récusé, en qualité d'arbitre pour le compte de la société Haco, Monsieur O. X., Monsieur A. X., la SAS financière P. et la SA Catana group : Monsieur le Professeur D., adhérent de la chambre arbitrale maritime de Paris, université Paris I-Panthéon Sorbonne-Paris (...),

- dit que les arbitres ainsi désignés exerceront leurs fonctions dans le cadre juridique de la clause compromissoire stipulée à la promesse synallagmatique de cession de parts sociales du 9 décembre 2019,

- laissé les dépens à la charge de chaque partie qui les a engagés,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

- rappelé que la présente décision bénéficie de droit de l'exécution provisoire par application des articles 481-1 et 514 du code de procédure civile. »

Le 2 octobre 2020, les cessionnaires ont invité les arbitres désignés par le juge d'appui a désigné le tiers arbitre et le 16 octobre suivant, le professeur M. a informé les parties de sa nomination.

Saisi par acte d'huissier en date du 17 novembre 2020 délivré par les cédants, le premier président de cette cour a, par ordonnance de référé du 3 février 2021, déclarer irrecevable la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 23 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Perpignan.

Le 2 mars 2021, le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle sur incident (elle aussi frappée d'un appel-nullité devant la cour d'appel de Paris), dans laquelle il :

«- se dit valablement constitué,

- dit irrecevables les demandes des cédants, peu important qu'elles puissent être considérées comme des fins de non-recevoir ou des exceptions de procédure et débouté les cessionnaires de leurs demandes visant à rejeter les fins ou exceptions,

- a donné acte aux cédants de leurs réserves quant aux modalités de conduite de l'arbitrage quant à l'acceptation éventuelle de leur mission par les arbitres, quant à leur volonté de solliciter la récusation de Monsieur le président du tribunal arbitral et quant au refus des arbitres et des cessionnaires de signer leur version du procès-verbal de constitution du tribunal arbitral,

- se dit en ce qui concerne le périmètre de l'arbitrage qu'il est, sur le fondement de la clause compromissoire, compétent pour traiter les constatations telles que les cessionnaires ou les cédants les ont, à ce jour, formulées, et qu'il appartiendra aux arbitres de se prononcer dans la sentence qu'ils rendront sur leur bien-fondé et, au besoin, y revenir sur le point de savoir si les demandes formées par les cédants ou/et les cessionnaires entrent ou non dans le champ de l'arbitrage prévu par la clause compromissoire,

- dit que la demande de communication des pièces présentées par les cédants est devenu sans objet,

- dit que ni l'existence d'une ventilation inégalitaire du prix entre les différents acquéreurs, ni une éventuelle violation des articles 223-1 et 223-7 du règlement général de l'AMF constituent des « red flags » rendant inarbitrables les demandes des cessionnaires,

- a débouté les cédants de leur demande de sursis à statuer en raison des actions judiciaires pendantes,

- a débouté les cédants de leur demande de consignation et les cessionnaires de leur demande de donné acte,

- dit qu'il y a lieu d'écarter des débats les pièces 12. 0,12. 2 et 12. 3 des cessionnaires,

- a débouté les cessionnaires de leurs demandes présentées à titre reconventionnel,

- a condamné les cédants à verser in solidum au cessionnaire somme de 10.000 euros (...). »

Entre-temps, avant même que le tribunal judiciaire ne statue, les consorts Y. et Z. avaient saisi par actes d'huissier en date des 8 et 10 juillet 2020 le tribunal de commerce de Perpignan afin d'obtenir la condamnation des cessionnaires au paiement d'une indemnité forfaitaire de 680.000 euros prévue à l'article 5-1 de la promesse ainsi que des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce au titre du déséquilibre significatif imposé, pour rupture abusive de pourparlers concernant la seconde promesse et pour abus d'ester en justice, qui, par jugement en date du 1er juin 2021 :

«- a dit l'exception d'incompétence recevable en la forme,

- a rejeté au fond l'exception d'incompétence,

- s'est déclaré compétent,

- a renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du mardi 13 juillet 2021 à 14 heures 30,

- a dit que la présente décision tient lieu de convocation,

- a réservé les frais irrépétibles et les dépens en fin de cause. »

Par déclaration motivée reçue le 8 juin 2021, O. X. et A. X., la société Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la société Financière P. ont régulièrement relevé appel, contestant ce jugement sur la compétence et sollicité, par requête du 9 juin 2021, une autorisation d'assigner à jour fixe.

Par actes d'huissier de justice en date des 7, 8, 19 et 23 juillet 2021, délivrés sur autorisation d'assigner à jour fixe du 15 juin 2021, O. X. et A. X., la société Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la société Financière P. ont assigné à comparaître F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z., devant la chambre commerciale de cette cour le 19 octobre 2021 à 14 heures.

[*]

O. X. et A. X., la société Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la société Financière P. demandent à la cour, par conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 18 octobre 2021 :

«- vu les dispositions des articles 1448 et 1465 du code de procédure civile, vu la clause compromissoire de la promesse de vente, vu les articles 80 et suivants du code de procédure civile, (...)

- faisant droit au présent appel-compétence, infirmer le jugement rendu (...),

- dire et juger que le tribunal de commerce de Perpignan est incompétent et doit se dessaisir de l'entier litige au profit du tribunal arbitral constitué et saisi en date du 23 décembre 2020, composé par M. le Professeur Philippe D., M. le Professeur Daniel M. et M. le Professeur Philippe M.,

- dire et juger que les demandes formées par Monsieur F. Y., Monsieur A. Y., Monsieur Cl. Z. et Monsieur C. Z. contre Messieurs O. X. et A. X., la société Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la société Financière P. selon assignation devant le tribunal de commerce de Perpignan en date du 8 juillet 2021 sont irrecevables,

- en conséquence, débouter Monsieur F. Y., Monsieur A. Y., Monsieur Cl. Z. et Monsieur C. Z. [mots manquants] contre Messieurs O. X. et A. X., la société Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la société Financière P. selon assignation devant le tribunal de commerce de Perpignan en date du 8 juillet 2020,

- renvoyer pour le surplus les parties devant le tribunal arbitral,

- condamner solidairement Monsieur F. Y., Monsieur A. Y., Monsieur Cl. Z. et Monsieur C. Z. à payer à la société Haco, Monsieur O. X., Monsieur A. X., Financière P. SAS et Catana Group la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.»

Au soutien de leur appel, ils font essentiellement valoir que :

- le principe compétence-compétence consacre la compétence de l'arbitre pour statuer sur sa propre compétence (ou investiture) et interdit au juge étatique de statuer sur cette même compétence (ou investiture) même lorsque l'arbitre n'est pas saisi,

- les conditions prévues par l'article 1448 sont cumulatives,

- ce n'est que par exception lorsque la clause compromissoire est manifestement nulle ou inapplicable que le juge étatique peut retenir sa compétence, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- le président du tribunal judiciaire de Perpignan, ainsi que les arbitres, n'ont retenu aucune nullité ou inapplicabilité manifestes et le conflit entre ces deux décisions et le jugement dont appel doit être résolu au profit de la compétence arbitrale en application du principe compétence-compétence,

- la jurisprudence interprète de façon très restrictive le caractère manifestement inapplicable ou nul d'une clause compromissoire alors qu'à l'inverse la compétence arbitrale est appréciée très largement,

- le recours à l'arbitrage n'est pas exclu du seul fait de dispositions impératives applicables, y compris les litiges relatifs à la rupture d'une relation commerciale établie,

- l'inarbitrabilité du litige ne pourrait être retenue par le juge étatique que si elle constituait une cause d'inapplicabilité ou de nullité de la clause compromissoire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- il appartient aux arbitres de statuer sur l'arbitrabilité du litige, étant entendu que s'agissant d'un arbitrage international, l'ordre public de référence est l'ordre public international,

- au surplus le contentieux ne porte plus sur une réfection du prix mais seulement sur l'imputabilité de la rupture ou de l'inexécution du contrat tandis que les dispositions de l'article 1195 [et non 1995] du code civil dans leur version issue de l'ordonnance du 1er février 2016 relatives à l'imprévision sont applicables,

- si la comparaison de l'objet de procédures arbitrales et consulaires est inutile, au demeurant, celui-ci est identique en ce qui concerne les demandes contractuelles (les deux promesses forment un ensemble contractuel unique et la pseudo-rupture des pourparlers de la seconde promesse entre dans le champ de la clause compromissoire),

- le tribunal de commerce était « incompétent » (fin de non-recevoir) pour statuer sur l'ensemble des demandes compte tenu de la demande fondée sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce (aucune disjonction n'étant possible).

[*]

F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. sollicitent de voir, aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 19 octobre 2021 :

«- vu les dispositions des articles 1448 et 1465 du code de procédure civile, vu les articles 5.1 et 7.3 de la promesse conclue le 09 décembre 2019 ; vu l'article 80 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement (...),

- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Perpignan afin que celui-ci statue sur le fond de leurs demandes,

- condamner Messieurs O. X. et A. X., les sociétés Financière P. et Catana Group à verser chacun à Messieurs F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum Messieurs O. X. et A. X., les sociétés Financière P. et Catana Group aux entiers dépens.»

Ils exposent en substance que :

- le tribunal de commerce a été saisi avant le tribunal arbitral et les demandes introduites par les cessionnaires diffèrent de celles formées par les cédants devant le tribunal de commerce,

- le tribunal judiciaire a clairement rappelé qu'il incombait au tribunal de commerce d'apprécier de sa compétence,

- la demande d'arbitrage dévoie le périmètre de la clause compromissoire dans le seul dessein de modifier le prix de cession alors qu'une telle modification n'entre pas dans le champ de la clause compromissoire,

- il appartient au juge étatique de déclarer un litige inarbitrable, ce qui est le cas en l'espèce (« red flags » (sic)), puisque la ventilation du prix de vente entre les différents acquéreurs pourrait constituer une infraction d'abus de biens sociaux (aucune convention réglementée telle que prévue par l'article L. 225-38 du code de commerce n'a été produite) tandis que la société Catana Group n'a pas respecté ses obligations d'information telles que prévues par les articles 223-1 et 223-7 du règlement de l'Autorité des marchés financiers (communiqués tardifs et inexacts),

- la crise sanitaire n'était qu'un prétexte, puisque les cessionnaires ont en réalité renoncé à acheter préférant négocier une concession dans la zone franche de Bizerte,

- le caractère inarbitrable du litige entacherait la sentence arbitrale d'insécurité juridique,

- les demandes formées devant le tribunal arbitral et le tribunal de commerce ne sont pas identiques ; elles ont évolué,

- l'irrecevabilité soulevée quant à l'application des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce présente un caractère nouveau à hauteur de cour (sans être reprise au dispositif des conclusions), et, en tout état de cause, une disjonction est toujours possible.

[*]

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS de la DÉCISION :

Selon l'article 1442 du code de procédure civile, la convention d'arbitrage prend la forme d'une clause compromissoire ou d'un compromis. La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats.

La clause compromissoire de la promesse synallagmatique de cession de parts sociales, signée le 9 décembre 2019 entre les parties, stipule que :

« La présente promesse sera régie et interprété conformément à la législation de la République Française.

Les Parties s'efforceront de résoudre à l'amiable tout litige découlant de la présente promesse dans un délai de trente (30) jours après réception du document écrit invoquant le litige. En cas d'échec, toutes les contestations de toute nature qui peuvent ou pourront s'élever à l'occasion soit de l'exécution, soit de l'interprétation de la présente promesse ou de la mise en œuvre de ses contrats accessoires, seront soumises en premier et dernier ressort à un collège arbitral de trois arbitres constitués de la manière suivante :

Une des parties désignera son arbitre, l'autre désignera le sien dans le délai de 15 jours suivant la notification qui lui aura été faite de la désignation du premier arbitre.

Les arbitres ainsi désignés choisiront le troisième dans un délai de 15 jours de la notification qui leur aura été faite de leur désignation.

En cas de défaillance de l'une des parties à désigner un arbitre, comme en cas de défaut de désignation du troisième arbitre, huit jours après la mise en demeure qui lui aura été faîte, il sera pourvu à cette désignation par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Perpignan, non susceptible de recours, sur assignation de la partie la plus diligente.

Le collège arbitral sera amiable compositeur et sera tenu de déposer sa sentence, non susceptible de recours, dans un délai de 6 mois. ll sera dispensé des formalités de la procédure et des délais ordinaires.

Les sentences arbitrales seront prononcées à la majorité et exécutées par provision nonobstant opposition. Le collège arbitral décidera par qui et dans quelles proportions seront supportés les honoraires de l'arbitrage, ainsi que les frais, y compris le cas échéant, ceux d'enregistrement, les doubles droits et amendes.

Le collège arbitral sera dispensé de déposer sa sentence. »

La validité de cette clause n'est pas contestée.

L'article 1448 du même code précise que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. La juridiction de l'Etat ne peut relever d'office son incompétence. Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite.

Selon l'article 1465 de ce code, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel.

Ces dispositions s'appliquent à l'arbitrage international, à savoir l'arbitrage, en application des articles 1504 et 1506, qui met en cause des intérêts du commerce international, à défaut de convention contraire comme c'est le cas en l'espèce s'agissant d'une opération de cession de parts sociales d'une société de droit tunisien, ne se dénouant pas économiquement dans un seul Etat eu égard notamment à la nationalité italienne, française et tunisienne des parties à l'acte.

Ainsi, en application combinée des articles 1442 et 1465 du code de procédure civile, le principe est celui de la compétence du tribunal arbitral et de l'incompétence de la juridiction étatique, que le tribunal arbitral soit saisi ou non, comme en l'espèce, ce dernier ayant été saisi, c'est-à-dire définitivement constitué lors de l'acceptation par le dernier arbitre de sa mission le 16 octobre 2020, alors que le tribunal de commerce de Perpignan a été saisi par actes d'huissier en date des 8 et 10 juillet 2020, remis au greffe le 13 juillet 2020.

Le juge étatique doit se déclarer incompétent dès lors que l'objet du litige a un lien, apprécié de façon extensive, avec la matière arbitrale. Il appartient ensuite aux arbitres d'apprécier si le lien existant entre le litige et la matière arbitrale définie par la convention d'arbitrage est suffisant.

Cependant, lorsque le tribunal arbitral n'est pas encore constitué, le juge étatique est compétent s'il juge que la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, seules exceptions au principe de la compétence de la juridiction arbitrale.

La nullité manifeste est celle qui s'impose à l'évidence, elle ne peut être retenue que lorsqu'elle est décelable à la seule lecture de la clause et du contrat litigieux. En l'espèce, aucune nullité n'est même alléguée.

La convention d'arbitrage est inapplicable lorsque, quoique valable, elle n'intègre pas le litige dans son champ d'application ; l'inapplicabilité doit être évidente et ne susciter aucun doute.

En l'espèce, le champ d'application de la clause compromissoire est, de façon assez habituelle, très large puisqu'elle prévoit de soumettre au tribunal arbitral « toutes les contestations de toute nature qui peuvent ou pourront s'élever à l'occasion soit de l'exécution, soit de l'interprétation de la présente promesse ou de la mise en œuvre de ses contrats accessoires ».

Après avoir soumis au tribunal arbitral dans leur courrier de saisine du 16 mai 2020, une demande de réfaction de la promesse de vente et subsidiairement, sa révision et, encore plus subsidiairement, la fixation des conditions de résiliation, les cessionnaires ont renoncé à leurs demandes principale et subsidiaire tendant à la réfaction et révision du prix, ayant soumis audit tribunal des demandes d'indemnisation des préjudices découlant du refus fautif des cédants de renégocier la cession, de leur comportement à l'origine de la rupture des relations contractuelles et de leur résistance abusive à l'application de la clause compromissoire.

Les demandes soumises au tribunal arbitral par les cédants (qui ont effectivement évolué compte tenu du refus du tribunal arbitral de surseoir à statuer) sont relatives à l'indemnisation de la violation par les cessionnaires de la promesse synallagmatique en application de la clause pénale, à l'indemnisation d'un préjudice découlant d'une faute délictuelle caractérisée par la recherche d'un avantage ou d'une obligation sans contrepartie, tendant à leur imposer un déséquilibre significatif sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce et à l'indemnisation sur un fondement délictuel d'un préjudice découlant de la rupture abusive des pourparlers de la seconde promesse.

Ainsi, indépendamment de la similitude des demandes formées auprès de chaque juridiction, qui est étrangère à la priorité de la compétence de l'une sur l'autre, les demandes des parties, relatives à l'appréciation de la responsabilité contractuelle, et délictuelle, respectives de chacune dans le cadre de l'opération de cession de parts sociales qui les lie, se rattachent dans une acception large à l'exécution de la promesse synallagmatique de cession de parts sociales du 9 décembre 2019 et du projet de promesse de cession ayant suivi, qui forment un ensemble contractuel, en ce compris les relations pré-contractuelles, et entrent dans le champ d'application de la clause compromissoire.

Par ailleurs, les articles 2059 et 2060 du code civil déterminent les litiges inarbitrables, à savoir ceux qui ne peuvent être soustraits à la connaissance des juges étatiques, lorsque, d'une part, la compromission concerne des droits indisponibles et d'autre part, lorsque les causes du litige (outre des matières étrangères au présent litige) intéressent l'ordre public.

Aucune illicéité de la convention d'arbitrage elle-même, en ce qu'elle donnerait mission au tribunal arbitral de violer l'ordre public n'est soulevée tandis que l'éventuelle violation du règlement général de l'Autorité des marchés financiers se situe hors du champ d'application de la clause compromissoire et ne relève pas de l'office du tribunal arbitral, ne pouvant, dès lors, rendre inarbitrable le litige.

Des dispositions d'ordre public, applicables au litige, fussent-elles constitutives de lois de police, ne font pas obstacle à la priorité de la compétence du tribunal arbitral, sauf comme déjà indiqué, inapplicabilité manifeste, au demeurant non établie, de la clause compromissoire. Il appartiendra le cas échéant au tribunal arbitral de juger d'une éventuelle violation de l'ordre public applicable par les demandes dont il est saisi, y compris celles fondées sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Le tribunal arbitral a, dans sa sentence du 2 mars 2021, retenu en réponse à l'argumentation des cédants contestant l'application du principe compétence-compétence, que celui-ci devait recevoir pleine application, considérant qu'aucune cause de nullité, ni inapplicabilité de la clause compromissoire n'étaient manifestes, cette dernière ayant une très large extension. Il a ainsi retenu sa compétence pour statuer sur « le périmètre de l'arbitrage et traiter les constatations telles que les cessionnaires ou les cédants les ont, à ce jour, formulées », estimant « qu'il lui appartiendrait, au besoin, de revenir sur le point de savoir si les demandes formées par les cédants ou/et les cessionnaires entrent ou non dans le champ de l'arbitrage prévu par la clause compromissoire ».

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la clause compromissoire n'étant ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable et le litige n'étant pas inarbitrable, le tribunal de commerce de Perpignan, et partant la cour, ne sont pas compétents pour statuer sur le litige opposant les parties.

En conséquence, le jugement ne pourra qu'être infirmé et les parties seront renvoyées en application des dispositions de l'article 81 du code de procédure civile à mieux se pourvoir, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'irrecevabilité, tirée de la fin de non-recevoir touchant les demandes formées devant le premier juge sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Succombant sur leur appel, F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. seront condamnés in solidum aux dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 6 000 euros, leur demande sur ce fondement étant rejetée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 1er juin 2021 et statuant à nouveau,

Dit que le tribunal de commerce de Perpignan, et partant la cour, ne sont pas compétents pour statuer sur le litige opposant F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. à O. X. et A. X., la SA Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la SAS Financière P.,

Vu l'article 81 du code de procédure civile, renvoie les parties à mieux se pourvoir,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur l'irrecevabilité, tirée de la fin de non-recevoir, affectant les demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce,

Condamne in solidum F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. à payer à O. X. et A. X., la SA Catana Group, la société de droit tunisien Haco et la SAS Financière P. la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum F. Y., A. Y., Cl. Z. et C. Z. aux dépens d'appel.

le greffier,                  le président,