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CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 6 janvier 2022

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 6 janvier 2022
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 5
Demande : 18/04210
Date : 6/01/2022
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 23/02/2018
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9336

CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 6 janvier 2022 : RG n° 18/04210 

Publication : Jurica

 

Extrait : « L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont d'une part, la soumission ou la tentative de soumission et d'autre part, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Il appartient à la société qui se prétend victime d'apporter la preuve des éléments constitutifs du déséquilibre significatif qu'elle invoque.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective.

L'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à une obligation créant un déséquilibre significatif. Il doit en effet rapporter la preuve de l'élément de soumission ou de tentative de soumission en démontrant, par exemple, l'exclusion de toute possibilité de négociation.

En l'espèce, le fait que la société Laboratoires Meyssol ait rencontré des difficultés financières au moment de la conclusion du « contrat de collaboration » du 18 avril 2016 ne démontre aucune soumission ou tentative de soumission de la part de la société Adys. En outre, contrairement à ce que soutient la société Orapi, la preuve de la soumission ou de la tentative de soumission ne saurait se déduire de l'absence de réciprocité ou de contrepartie d'une obligation. En effet, il ne peut être inféré du seul contenu des clauses la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur.

Aucun déséquilibre significatif n'est donc caractérisé et la demande sur ce point ne peut prospérer. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 5

ARRÊT DU 6 JANVIER 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 18/04210 (12 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ELU. Décision déférée à la cour : jugement du 19 janvier 2018 - Tribunal de commerce de LYON - RG n° 2015J00157.

 

APPELANTE :

SAS ORAPI EUROPE

Ayant son siège social [adresse], [...], N° SIRET : XXX, Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Ayant pour avocat plaidant Maître B. Lucie de la SELARL AKLEA, avocat au barreau de LYON substituée à l'audience par Maître Marie B. de la SELARL AKLEA, avocat au barreau de LYON

 

INTIMÉE :

SASU ADYS

Ayant son siège social [...], [...], Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Représentée par Maître Bruno R. de la SCP SCP R. - B. - M., avocat au barreau de PARIS, toque : L0050, Ayant pour avocat plaidant Maître Florence A. de la SELARL B2R & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Camille LIGNIERES, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre, Mme Christine SOUDRY, conseillère, Mme Camille LIGNIERES, conseillère, qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Yulia TREFILOVA-PIETREMONT

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre et par Mme Yulia TREFILOVA-PIETREMONT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Les Laboratoires Meyssol était spécialisée dans la formulation, la fabrication, l'achat, la vente de produits chimiques et accessoires complémentaires destinés notamment à l'entretien, la maintenance, la fabrication et le nettoyage général.

La société Adys a pour activité principale le commerce de gros.

Pendant plusieurs années, la société Adys et la société Laboratoires Meyssol ont entretenu des relations commerciales aux termes desquelles la première achetait en gros des produits d'entretien fabriqués par la seconde.

La société Laboratoire Meyssol et la société Adys ont conclu le 18 avril 2006 un « contrat de collaboration » prévoyant que la société Laboratoires Meyssol s'engageait à ne pas démarcher directement ou indirectement les clients de la société Adys.

En 2008, la société Laboratoire Meyssol a fait l'objet d'une fusion absorption par la société Chimiotechnic Industrie. La nouvelle société a pris le nom de Orapi Europe (ci-après société Orapi).

En 2012/13, la société Orapi a développé puis fabriqué un spray bitumeux destiné à imperméabiliser les surfaces.

Le 6 mai 2013, la société Adys a commandé à la société Orapi des sprays bitumeux pour un montant de 39.091,97 euros en vue de les revendre à la société P.

Le 18 juillet 2013, la société Adys a passé à la société Orapi une autre commande de sprays pour un montant de 10.833,46 euros en vue de les revendre à la société P.

Par courriel du 16 septembre 2013, la société Orapi a informé la société Adys qu'elle avait reçu pour instructions de transférer cette seconde commande au nom de la société P.

Par lettre recommandée du 21 novembre 2013, la société Adys a mis en demeure la société Orapi de cesser immédiatement d'approvisionner directement la société P. en se prévalant du « contrat de collaboration » du 18 avril 2016.

Par acte du 13 janvier 2015, la société Adys a fait assigner la société Orapi devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins de la voir condamnée à lui verser la somme de 74.456,56 euros équivalente à sa perte de marge commerciale brute au titre de la violation de la clause de non-concurrence et la somme de 50.000 euros au titre du préjudice moral subi.

Par jugement du 19 janvier 2018, le tribunal de commerce de Lyon a :

- condamné la société Orapi à payer à la société Adys la somme de 74.456,56 euros outre intérêts au taux légal à compter de la date du jugement,

- débouté la société Adys de sa demande de dommages et intérêts,

- déboute la société Adys de sa demande d'injonction à l'égard de la société Orapi ainsi que de sa demande d'astreinte,

- débouté la société Orapi de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Orapi à payer à la société Adys, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société Adys du surplus de sa demande,

- condamné la société Orapi aux entiers dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire de ces décisions.

Par déclaration du 23 février 2018, la société Orapi a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Orapi à payer à la société Adys la somme de 74.456,56 euros outre intérêts au taux légal à compter de la date du jugement,

- débouté la société Orapi de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Orapi à payer à la société Adys, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Orapi aux entiers dépens de l'instance, - ordonné l'exécution provisoire.

 

Prétentions et moyens des parties :

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 26 mai 2021, la société Orapi demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1108 ancien, 1131 ancien, 1134 ancien, 1145 ancien, 1147 ancien, 1150 ancien, 1162 ancien du code civil,

Vu les dispositions des articles 9, 31, 122 et 700 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce,

Réformer intégralement le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 19 janvier 2018, sauf en ce qu'il a :

- débouté la société Adys de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

- débouté la société Adys de sa demande d'injonction à l'égard de la société Orapi lui faisant interdiction de vendre des produits aux clients listés au sein du contrat de collaboration, ainsi que de sa demande d'astreinte,

Et statuant à nouveau :

A titre liminaire : sur la nullité du contrat de collaboration pour absence de cause :

- dire et juger que l'objet de l'obligation de la société Orapi, au titre du contrat de collaboration est un engagement de non sollicitation de clientèle, constituant la cause dudit contrat pour la société Adys et que celui-ci ne bénéficie d'aucune contrepartie à la charge de la société Adys, - dire et juger que le contrat de collaboration est de ce fait dépourvu de cause pour la société Orapi,

En conséquence :

- dire et juger que le contrat de collaboration est privé d'un élément essentiel de validité, et ce dès sa formation, entraînant de ce fait sa nullité de plein droit,

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la part de la société Adys,

A titre liminaire : sur le défaut d'intérêt à agir de la société Adys à l'encontre de la société Orapi :

- dire et juger que la clause de non-concurrence est entachée de nullité, celle-ci n'étant pas valide,

- dire et juger à tout le moins que la clause de non-concurrence est réputée non écrite dans la mesure où elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,

- dire et juger qu'en tout état de cause, la clause de non-concurrence est caduque dans la mesure où sa cause a disparu,

En conséquence :

- dire et juger que la société Adys n'a pas d'intérêt à agir à l'encontre de la société Orapi,

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la part de la société Adys,

A titre principal : sur le respect par Orapi de ses engagements contractuels :

- dire et juger que la société Adys ne démontre aucunement l'existence d'acte de démarchage imputable à la société Orapi,

En conséquence

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la part de la société Adys,

A titre subsidiaire : sur l'absence de justification du préjudice allégué :

- dire et juger que le préjudice dont se prévaut la société Adys n'est justifié ni dans son principe ni dans son quantum,

En conséquence :

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la part de la société Adys,

A titre subsidiaire, et si par extraordinaire il était considéré que le préjudice subi par la société Adys est certain et qu'un lien avec la prétendue faute commise par la société Orapi est fait, le montant de la condamnation de la société Orapi dans ce cadre ne pourra dépasser la somme de 31.162,68 euros,

En tout état de cause :

- condamner la société Adys au paiement de la somme de 25.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Orapi, distraits au profit de Maître B.-G. Avocat sur son affirmation de droit,

- condamner la société Adys aux entiers frais et dépens de l'instance distraits au profit de Maître B.-G. Avocat sur son affirmation de droit.

[*]

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 18 mai 2021, la société Adys demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1145 et 1147 anciens du code civil,

Vu les articles 515 et 700 du code de procédure civile,

- dire et juger que la société Orapi a violé son obligation contractuelle de non-concurrence envers la société Adys,

- dire et juger que la société Orapi fait preuve d'une particulière déloyauté envers la société Adys et n'a pas exécuté de bonne foi ses obligations contractuelles,

En conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a condamné la société Orapi à payer à la société Adys la somme de 74.456,56 euros à titre de dommages et intérêts équivalant à son préjudice financier direct et certain ou, à titre subsidiaire, à sa perte de chance de réaliser 100 % de sa marge brute commerciale, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- dire et juger que la faute et la déloyauté de la société Orapi envers la société Adys lui a causé un préjudice moral,

Et en conséquence,

- Condamner la société Orapi à payer à la société Adys la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- Condamner la société Orapi à payer à la société Adys la somme de 16.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Orapi aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP R.B.M. avocat sur son affirmation de droit.

[*]

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juin 2021

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur l'intérêt à agir de la société Adys à l'encontre de la société Orapi :

La société Orapi soulève tout d'abord le défaut d'intérêt à agir de la société Adys à son encontre en invoquant la nullité de la clause de non-concurrence dont cette dernière se prévaut, son caractère réputé non-écrit du fait du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties qu'elle crée et enfin sa caducité du fait de la disparition de sa cause.

Outre que la société Orapi prétend seulement au rejet des demandes adverses et ne soulève pas, dans le dispositif de ses conclusions, l'irrecevabilité de l'action de la société Adys à son encontre, alors même que la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, il sera relevé que les moyens qu'elle invoque à l'appui de sa contestation de l'intérêt à agir de la société Adys sont des moyens de fond qui doivent en conséquence faire l'objet d'un examen au fond.

 

Sur le fond :

La société Orapi et la société Adys s'opposent quant à la validité et l'exécution du « contrat du collaboration » conclu le 18 avril 2006 qui est ainsi rédigé :

« Les Laboratoires MEYSSOL s'engagent à ne pas démarcher directement, par l'intermédiaire de sous-traitants identifiés ou de toute société liée capitalistiquement aux Laboratoires MEYSSOL, toute société clairement identifiée par la société Adys comme client distributeur final.

Cette collaboration porte sur tous les produits confiés en fabrication par la société Adys aux Laboratoires MEYSSOL, ainsi que tous produits fournis par Laboratoires MEYSSOL à la société Adys en marque Adys ou à marque distributeur.

Les produits conditionnés à la marque de Adys ou à celle de ses clients ne devront en aucun cas être proposés aux clients et distributeurs des Laboratoires MEYSSOL sans accord écrit de la société Adys.

Laboratoires MEYSSOL ne peuvent être tenus responsables d'une commercialisation indirecte par des grossistes ou revendeurs agissant à leur compte, sous leur marque propre ou sous une marque distributeur (cas des produits fournis sans étiquetage par MEYSSOL).

Ce contrat est valable pour une durée d'un an et sera reconduit tacitement. Il peut être dénoncé par les deux parties par lettre recommandée avec accusé de réception avec un délai minimum de 1 mois avant la date anniversaire. »

Il comporte en annexe une « Liste des clients Adys identifiés à la date de la signature du contrat de collaboration » qui désigne les clients suivants : « OUTIROR, GROUPE ESPACE FRANCE (DIRECT DELTA - SAINT ETIENNE OUTILLAGE), BRICOBJECTIF (CENTRE OUTILLAGE -CATA OUTILS), P.A.V, P., GROUPE 3 SUISSES (VITRINE MAGIQUE, SEPTENTRION), TELESHOPPING, M6BOUTIQUE, HT CONFORT, JJA, EASY LOGISTIQUE, GERS EQUIPEMENT, COGEX, MGM JOUET, CELSIUS, VETIR ».

Cette annexe comporte une mention manuscrite aux termes de laquelle il est indiqué : « PS: Il conviendra d'annexer pour ces clients les produits faisant l'objet du contrat. »

Néanmoins aucune liste de produits n'a été annexée au contrat.

Le « contrat de collaboration » litigieux s'analyse en une clause de non-sollicitation par laquelle la société Laboratoires Meyssol s'est obligée à ne pas démarcher la clientèle de son distributeur, la société Adys. Cette clause s'apparente à une clause de non-concurrence et doit en suivre le régime.

Par ailleurs, il apparaît que ce contrat s'inscrit dans un cadre plus vaste.

Il ressort en effet des écritures des parties que la conclusion de ce « contrat de collaboration » s'est faite dans le cadre de relations commerciales entretenues entre d'une part, la société Laboratoires Meyssol devenue Orapi et d'autre part, la société Adys ; cette dernière achetant en gros les produits fabriqués par la première en vue de leur revente. Si aucun contrat de distribution n'a formellement été conclu entre ces deux sociétés, il résulte néanmoins des éléments produits aux débats qu'un tel contrat existait entre les parties puisque la société Adys s'approvisionnait régulièrement auprès de la société Laboratoires Meyssol puis de la société Orapi pour répondre aux demandes de ses clients détaillants. Il apparaît ainsi que le flux d'approvisionnements entre ces sociétés s'élevait à 113.865 euros en 2008, 521.921 euros en 2009, 171.836 euros en 2010, 127.890 euros en 2011, 37.142 euros en 2012 et 39.285 euros en 2013.

En conséquence, il convient d'apprécier la validité de ce « contrat de collaboration » dans le cadre plus large du contrat de distribution liant les deux sociétés.

 

Sur la nullité du « contrat de collaboration » :

La société Orapi prétend que le « contrat de collaboration » est nul pour défaut de cause ou tout au moins en raison d'une cause « disproportionnée » aux engagements qui lui étaient imposés.

La société Adys réplique que la cause de l'engagement souscrit par la société Orapi était de bénéficier de commandes de sa part et donc de développer son chiffre d'affaires. Elle dément tout arrêt des commandes à la société Orapi et souligne que l'objet du litige porte justement sur une commande du 18 juillet 2013 que la société Orapi n'a pas honorée.

Selon l'article 1131 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet.

Ainsi qu'il a été énoncé ci-dessus le « contrat de collaboration » s'analyse en réalité en une clause de non-sollicitation de clientèle insérée au sein d'un contrat plus large de distribution entre la société Laboratoires Meyssol et la société Adys.

Or cette clause de non-sollicitation a pour contrepartie l'approvisionnement en produits de la société Adys ; cette société ayant entendu, pour continuer à s'approvisionner auprès de son fournisseur, protéger sa clientèle de tout démarchage de la part de ce dernier.

Par ailleurs, il convient de relever que l'insuffisance de cause ou la disproportion de la contrepartie consentie ne constituent pas une cause de nullité du contrat.

La demande en nullité du « contrat de collaboration » sera en conséquence rejetée.

 

Sur la clause de non-concurrence :

Sur la validité de la clause de non-concurrence :

La société Orapi prétend que la clause de non-concurrence est nulle. Elle fait en effet valoir que cette clause était prévue pour une durée et un territoire indéterminés, qu'elle n'identifiait pas précisément les clients concernés et qu'elle était ainsi disproportionnée. Elle précise que la société Adys ne lui commandait plus de produits en 2013 de sorte qu'elle n'avait plus d'intérêt à protéger. Elle ajoute que cette clause n'était assortie d'aucune contrepartie.

La société Adys prétend au contraire que la clause litigieuse était limitée dans le temps et dans l'espace. Elle affirme que la clause visait à protéger ses intérêts légitimes et qu'elle était proportionnée.

La liberté de faire le commerce ou d'exercer une industrie ne peut être restreinte par des conventions particulières que si ces conventions n'impliquent pas une interdiction générale et absolue, c'est-à-dire ne sont pas illimitées tout à la fois quant au temps et quant au lieu. La clause de non-concurrence doit en outre protéger un intérêt légitime et être proportionnée à la protection de cet intérêt.

En l'espèce, la clause de non-sollicitation de clientèle stipulée en faveur de la société Adys visait à protéger sa clientèle de tout démarchage de la part de son fournisseur, la société Laboratoires Meyssol puis Orapi. Il apparaît en effet que la société Laboratoires Meyssol avait pour objet la vente de produits d'entretien au-delà de leur fabrication et que la société Orapi a pour objet la vente de produits industriels de sorte que ces sociétés sont en situation de concurrence avec la société Adys qui dispose donc d'un intérêt légitime à protéger la clientèle qu'elle s'est constituée contre tout risque de détournement. Il sera relevé que contrairement à ce que soutient la société Orapi, la clause litigieuse est limitée dans le temps puisqu'elle s'applique au cours de relations contractuelles entretenues par les parties ; la durée de la clause étant bornée à l'achèvement de relations de distribution entretenues. Elle est encore limitée dans l'espace puisqu'elle vise une liste de clients déterminés. A cet égard, il convient de relever que les clients énumérés en annexe sont suffisamment déterminables pour la société débitrice de l'obligation contractée et que cette dernière n'a jamais interrogé sa cocontractante sur ce point, ce qui démontre qu'aucun doute n'existait à cet égard. En outre, la société Adys ne réalisant aucune activité à l'export et les clients visés dans la clause ayant une activité essentiellement nationale, la clause était nécessairement limitée au territoire national. Par ailleurs, la clause n'interdisait pas toute activité à la société Orapi mais exclusivement le démarchage de la clientèle de son distributeur.

Il sera encore observé que la validité d'une clause de non-concurrence, sauf en matière de droit du travail, n'est pas subordonnée à la stipulation d'une contrepartie notamment financière.

Enfin, contrairement à ce que soutient la société Orapi, l'intérêt de la société Adys de protéger sa clientèle était bien actuel dès lors qu'il est établi que les deux sociétés entretenaient encore des relations de distribution ainsi qu'en témoignent les flux d'affaires constatés jusqu'en 2013 entre les deux sociétés et plus particulièrement, les commandes des 6 mai et 18 juillet 2013.

En conséquence, la clause litigieuse, délimitée, légitime et proportionnée, n'encourt aucune nullité.

 

Sur le déséquilibre significatif créé par la clause :

La société Orapi prétend qu'en tout état de cause, la clause litigieuse est constitutive d'un déséquilibre significatif à son détriment.

La société Adys dément tout déséquilibre significatif en l'absence de preuve d'une contrainte exercée au moment de la conclusion du contrat.

L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont d'une part, la soumission ou la tentative de soumission et d'autre part, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Il appartient à la société qui se prétend victime d'apporter la preuve des éléments constitutifs du déséquilibre significatif qu'elle invoque.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective.

L'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à une obligation créant un déséquilibre significatif. Il doit en effet rapporter la preuve de l'élément de soumission ou de tentative de soumission en démontrant, par exemple, l'exclusion de toute possibilité de négociation.

En l'espèce, le fait que la société Laboratoires Meyssol ait rencontré des difficultés financières au moment de la conclusion du « contrat de collaboration » du 18 avril 2016 ne démontre aucune soumission ou tentative de soumission de la part de la société Adys. En outre, contrairement à ce que soutient la société Orapi, la preuve de la soumission ou de la tentative de soumission ne saurait se déduire de l'absence de réciprocité ou de contrepartie d'une obligation. En effet, il ne peut être inféré du seul contenu des clauses la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur.

Aucun déséquilibre significatif n'est donc caractérisé et la demande sur ce point ne peut prospérer.

 

Sur la caducité de la clause pour disparition de sa cause :

La société Orapi invoque encore la disparition de la cause en cours d'exécution du contrat.

La société Adys dénie tout arrêt des commandes à la société Orapi.

Ainsi qu'il a été précédemment relevé, il est établi que les deux sociétés entretenaient encore des relations de distribution en 2013 ainsi qu'en témoignent les flux d'affaires constatés entre les deux sociétés jusqu'en 2013 et plus particulièrement les commandes des 6 mai et 18 juillet 2013.

La demande de caducité de la clause ne peut donc être accueillie.

 

Sur l'exécution de la clause de non-concurrence :

La société Adys prétend que la société Orapi n'aurait pas respecté les termes de la clause de non-sollicitation souscrite puisqu'elle aurait démarché l'un de ses clients figurant dans la liste annexée au « contrat de collaboration » du 18 avril 2006, la société P., pour lui vendre directement le spray bitumeux en l'évinçant. Elle précise que le fait que la société P. ait contacté la société Orapi ne saurait exclure l'existence d'un démarchage dès lors que l'appel de la société P. n'avait pas pour objet de passer une commande directe et que c'est la société Orapi qui est à l'origine de cette proposition. En tout état de cause, elle estime que la société Orapi n'a pas exécuté de bonne foi son obligation puisqu'elle a proposé à la société P. de lui réserver l'exclusivité du produit à condition de traiter directement avec elle sans intermédiaire.

La société Orapi relève que les clauses de non-concurrence doivent être interprétées strictement dès lors qu'elles restreignent la liberté du commerce. Elle ajoute que les termes clairs et précis de la clause litigieuse ne peuvent faire l'objet d'une interprétation. Elle soutient que l'interdiction mise à sa charge portait sur du démarchage, soit une sollicitation de la clientèle à son domicile. Or elle soutient que c'est la société P. qui l'a contactée et qui lui a proposé de lui acheter le spray bitumeux sous réserve de bénéficier d'une exclusivité de fourniture. Elle fait valoir qu'aucune mauvaise foi ne peut lui être reprochée.

Il résulte des éléments produits aux débats que la société Adys s'est rapprochée de la société Orapi pour lui confier le développement d'un produit nouveau, un spray bitumeux, que la société Adys a participé à la mise au point de ce produit (courrier de la société Orapi à la société Adys du 13 avril 2012) sans qu'aucune exclusivité ne lui soit consentie sur ce produit (courriels du 30 juillet 2013 échangés entre M. X. de la société Adys et M. Y. de la société Orapi), que la société Adys a présenté ce produit à la société P. qui s'est montrée très intéressée pour le commercialiser et lui en a passé commande au mois de mai 2013, qu'au moment de la mise sur le marché de ce produit par la société P., celle-ci a découvert que le produit était déjà commercialisé par une société concurrente, la société D., sous la marque « Le Colmateur », que la société P. s'est émue de ce fait auprès de la société Adys qui lui a suggéré de se rapprocher de la société Orapi (attestation de M. Z. de la société P. et courriel de la société Adys à la société P. du 29 juillet 2013) et que M. Z. a effectivement rencontré le dirigeant de la société Orapi le 26 août 2013.

A la suite de cette rencontre, M. Z. a adressé le 26 août 2013, le courriel suivant à la société Orapi :

« Comme convenu ensemble ce jour en conclusion de notre rendez-vous, vous trouverez ci-dessous la synthèse de notre proposition concernant le démarrage « en direct » (sans intermédiaire) d'une collaboration d'une nouvelle ampleur entre nos 2 sociétés »

Tout d'abord la priorité du moment est de repartir sur de bonnes bases concernant la commercialisation de votre spray bitumeux.

En effet, suite à la présentation que nous en a faite la société Adys :

Nous avons immédiatement pensé que ce produit présentait un très beau potentiel pour la vente assistée par l'image,

Nous avons donc donné notre accord à M. X. (Adys) pour le lancement d'un test sur la base de quelque milliers de pièces par référence (…) commande déjà passée chez vous,

Nous avons déposé un nom « Colmat'pro »

Nous avons réalisé un film de démonstration, (…)

Nous avons commencé à présenter ce produit à certains de nos acheteurs (...) ».

Ainsi il apparaît que c'est la société P. qui s'est rapprochée de la société Orapi, avec l'accord de la société Adys, pour pouvoir poursuivre la vente du spray bitumeux et négocier avec elle des conditions d'exclusivité, qui n'avaient pas été prévues à l'origine, afin de préserver les investissements jusqu'alors réalisés pour la commercialisation de ce produit (dépôt d'un nom, réalisation d'un film, présentation du produit auprès de clients).

L'attestation de M. Z., directeur général adjoint de la société P., versée aux débats ne contredit pas cette version. Si M. Z. affirme que la société Orapi lui a « fait comprendre que si nous voulions obtenir des engagements de la part d'Orapi par rapport à une éventuelle exclusivité de fabrication, il ne pouvait y avoir d'intermédiaire entre nous (…) C'est donc Orapi qui nous a fortement incités à signer un contrat directement avec eux en nous faisant miroiter la résolution de notre problème multidistributeurs », il sera relevé que ces affirmations ne sont étayées par aucun autre élément de preuve et qu'en outre, M. Z. indique avoir été en litige avec la société Orapi au sujet du contrat de collaboration conclu avec elle le 1er octobre 2013.

Le fait qu'un contrat de collaboration portant notamment sur la distribution du produit « Colmat'Pro » ait été conclu entre la société P. et la société Orapi le 1er octobre 2013 ne permet pas de démontrer que la société Orapi a pris l'initiative de ce contrat et en a dicté les conditions d'autant plus qu'il ressort de ce qui précède que c'est la société P. qui a sollicité la société Orapi pour bénéficier d'une exclusivité pour la distribution de ce produit.

Dans ces conditions, aucun élément ne démontre un démarchage de la part de la société Orapi à l'égard de la société P. en violation de l'obligation souscrite dans le « contrat de collaboration » du 18 avril 2006 ni un quelconque manquement à l'obligation de bonne foi contractuelle.

En conséquence, la responsabilité contractuelle de la société Orapi ne peut être engagée et les demandes de dommages et intérêts seront rejetées. Le jugement entrepris sera réformé de ces chefs.

 

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société Adys succombe à l'instance. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens de première instance et aux frais irrépétibles seront infirmées. La société Adys sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel étant précisé que les dépens d'appel pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile. La société Adys sera condamnée à payer à la société Orapi une somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande de ce chef sera rejetée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

REJETTE la demande de nullité du « contrat de collaboration » du 18 avril 2006 ;

REJETTE la demande de nullité de la clause de non-sollicitation contenue dans le « contrat de collaboration » du 18 avril 2006 ;

DIT que cette clause ne crée pas de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

DIT que cette clause n'est pas caduque ;

REJETTE l'action en responsabilité contractuelle de la société Adys à l'encontre de la société Orapi pour violation de la clause de non-sollicitation conclue le 18 avril 2006 et pour manquement à l'obligation de bonne foi ainsi que les demandes de dommages et intérêts subséquentes ;

CONDAMNE la société Adys à payer à la société Orapi une somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la société Adys au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société Adys aux dépens de première instance et d'appel ;

DIT que les dépens d'appel pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE                             LA PRÉSIDENTE

C. BURBAN                                     M-A PRIGENT