CA PARIS (pôle 5 ch. 10), 14 mars 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9493
CA PARIS (pôle 5 ch. 10), 14 mars 2022 : RG n° 20/16923
Publication : Jurica
Extrait : « Selon l'article L. 442-6 du code de commerce, alors applicable, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [1° à 4°]
Les consorts X. font valoir l'existence d'obligations qui seraient de nature à créer un déséquilibre significatif à leur encontre.
Mais, d'une part, M. J.-C. X. a expressément demandé à son créancier un échéancier de paiement dans un courriel du 26 février 2016 (pièce 4) : « le plus raisonnable que nous avons pu te proposer. L. et moi nous engageons à respecter cet échéancier. Je ne sais pas quel type de garantie te proposer si notre engagement moral ne suffisait pas ; nous sommes parfaitement conscients de l'engagement que tu as eu envers nous pour nous permettre d'atteindre ce niveau de dette ; nous t'en remercions, sommes reconnaissants et tu peux compter sur notre total investissement sur tes projets ».
S'ils allèguent un « engagement moral » qui aurait précédé l'accord de règlement, les consorts X. ont en réalité occulté à leur créancier le fait qu'ils n'entendaient pas régler leurs dettes. Une partie de ces dettes avait en effet déjà fait l'objet d'un « plan d'apurement » octroyé par la société Alto le 25 août 2014 (pièce 1), indiquant un « socle de dette » de 135.716 euros et un paiement en 11 échéances qui n'a suscité aucune contestation des consorts X. En proposant, puis en signant l'accord de règlement, octroyé « de façon ultime » par leur créancier le 23 mars 2016, les consorts X. ont à nouveau retardé le paiement de leurs dettes. Six années après, cet engagement « moral », n'est pas respecté.
De plus, contrairement à leurs allégations sur l'existence d'un « abus de solidarité » à leur encontre, les consorts X. ont poursuivi sciemment les relations commerciales avec leur créancier après l'accord de règlement, comme le confirment les comptes sociaux de la société Feeling Musique au 30 juin 2016 (marchandises acquises pour un montant de 534 702 euros) et différentes commandes.
Les consorts X. ont ainsi effectué une commande de 30 items distincts le 07 septembre 2016 (pièce 13) : « voici nos besoins pour la rentrée ». Une autre commande a trait le 26 janvier 2017 à un « important marché sur l'étranger qui devrait nous permettre de voir le jour» (pièce 17). Celle du 21 novembre 2017 finalise « 3 flûtes Trevor et 3 saxholder » avec la mention « merci de nous établir la facture » (pièce 20). Ces livraisons ne sont pas contestées, d'autant que la revendication de matériels initiée par la société Alto le 24 janvier 2018 a donné lieu à une réponse de l'administrateur judiciaire de la société Feeling Musique selon laquelle « les biens revendiqués ne sont plus présents dans les stocks de la société Feeling au jour de l'ouverture du redressement judiciaire » (pièce 14).
Requalifiant de façon prétorienne l'accord de règlement comme étant un « contrat d'adhésion » (écrits p 22), les consorts X. n'ont versé aux débats aucun élément qui confirmerait leurs allégations sur l'existence d'un déséquilibre significatif, parmi les huit pièces de leur dossier.
Il en résulte que le moyen doit être rejeté. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 10
ARRÊT DU 14 MARS 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/16923 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWDJ. Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 octobre 2020 - Tribunal de Commerce de PARIS – R.G. n° 2019068042.
APPELANTE :
SAS ALTO MUSIQUE
Ayant son siège social [...], [...], N° SIRET : XXX, Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Vincent B. de la SELEURL B. AVOCAT CONSEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : R087
INTIMÉS :
Monsieur J.-C. X.
Domicilié [...], [...], né le [date] à [ville]
Monsieur L. X.
Domicilié [...], [...], né le [date] à [ville]
Représentés par Maître Julie C. de la SELARL JCD AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque : C0880, substituée par Maître Charlotte C., de la SELARL JCD AVOCAT, avocate au barreau de PARIS, toque : C0880
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 7 février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Edouard LOOS, Président, Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère, Monsieur Stanislas de CHERGÉ, Conseiller, qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sylvie CASTERMANS dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
MM. J.-C. et L. X. (les consorts X.) sont respectivement gérant et associé à 90 % de la société anonyme Feeling Musique, qui a une activité de vente au détail d'instruments de musique située [...].
Ayant comme fournisseur la Sas Alto Musique (Alto), la société Feeling Musique a connu de nombreux retards de paiements à son égard.
Le 26 février 2016, les consorts X. ont proposé à la société Alto un échéancier afin de résorber la dette de la société Feeling Musique, d'un montant de 208.408 euros, sur une période de 24 mois. Un accord de règlement a été conclu le 23 mars 2016 entre la société Alto, les consorts X. et la société Feeling Musique. Les consorts X. et la société Feeling Musique se sont portés « co-débiteurs solidaires ».
Faute d'exécution de l'échéancier, et sur saisine de la société Alto, par ordonnance de référé du 28 février 2017, le président du tribunal de commerce de Paris a condamné la société Feeling Musique et M. J.-C. X. au paiement in solidum de la somme de 186.720 euros, outre intérêts depuis la date de l'assignation. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la présente cour en date du 22 novembre 2017.
Par jugement du 7 septembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a placé la société Feeling Musique en procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 5 novembre 2018, il a arrêté un plan de cession, prononcé la liquidation judiciaire et désigné la Selafa Mja, en la personne de Maître Frédérique L., en tant que liquidateur. La créance de 208.408 euros de la société Alto a été admise pour le même montant par ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Paris en date du 18 octobre 2018.
La société Alto a saisi le tribunal de commerce de Pontoise qui, par jugement du 4 septembre 2019, s'est déclaré incompétent et invité les parties à mieux se pourvoir, les défendeurs ayant visé les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Par actes extrajudiciaires en date des 27 novembre et 28 novembre 2019, la société Alto a assigné M. J.-C. X. et M. L. X. devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 23 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a statué comme suit :
- Requalifie l'accord de paiement du 23 mars 2016 en acte de cautionnement ;
- Dit l'acte nul ;
- Déboute la société Alto musique de l'ensemble de ses demandes ;
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société Alto musique aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62 euros dont 15,72 euros de TVA ;
Par déclaration du 23 novembre 2020, la société Alto a interjeté appel du jugement.
La Selafa Mja, en la personne de Maître Frédérique L., liquidateur de la société Feeling Musique, n'est pas dans la cause.
[*]
Par dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2021, la société Alto demande à la cour :
Vu les articles 1200, 1203, 1204 et 1134 du code civil, dans leur version applicable au litige, 561 du code de procédure civile,
- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 23 octobre 2020,
- Ordonner l'exécution de l'accord de règlement du 23 mars 2016 ;
- Condamner solidairement M. L. X. et M. J.-C. X. à payer à la société Alto musique la somme en principal de 208.420,97 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le tribunal de commerce de Pontoise, soit le 24 janvier 2018 ;
- Condamner solidairement M. J.-C. X. et M. L. X., à payer à la société Alto musique la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Ordonner qu'à défaut de règlement des condamnations prononcées et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions des articles 10 à 12 du décret du 12 décembre 1996 modifié, devront être supportées M. J.-C. X. et M. L. X., solidairement, en sus de l'indemnité mise à leur charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Constater l'irrecevabilité en appel des demandes de nullité présentées par MM. X. ;
- Débouter MM. X. de toutes leurs demandes, fins et prétentions.
[*]
Par dernières conclusions signifiées le 12 mai 2021, MM. L. et J.-C. X. demandent à la cour :
Vu les articles 6, 1108, 1112, 1128, 1131, 1162, 1241 et 1326, anciens du code civil, L. 341-2 et L. 341-3, anciens du code de la consommation et L.442-6 I 2°, ancien du code de commerce,
A titre principal :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié l'accord de règlement en date du 23 mars 2018 en cautionnement et l'a annulé pour défaut de mention manuscrite obligatoire ;
A titre subsidiaire
- Juger que l'acte de cautionnement emporte expressément garantie des dettes fournisseurs futures de la société Feeling Musique ;
- Juger que l'acte de cautionnement est entaché de nullité ;
- Prononcer la nullité l'engagement contracté par MM. J.-C. et L. X. en date du 23 mars 2018 ;
A titre infiniment subsidiaire :
- Juger que la société Alto musique a soumis MM. X. à des obligations entachées de déséquilibre significatif ;
- Condamner la société Alto musique à payer à MM. X. la somme de 208.408,67 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Ordonner la compensation avec la dette de Messieurs X. ;
A titre très infiniment subsidiaire :
- Constater que dans l'accord de règlement du 23 mars 2016 ne figure aucune stipulation d'intérêts ;
- Constater que dans l'accord de règlement du 23 mars 2016, les seules dettes futures couvertes sont les dettes fournisseurs ;
- Constater que la société Alto musique omet sciemment de comptabiliser les règlements de la société Feeling Musique intervenus postérieurement à l'accord de règlement du 23 mars 2016 ;
- Rejeter la demande de condamnation de MM. X. à payer solidairement à la société Alto musique la somme de 208.408,67 euros, à défaut pour elle de pouvoir justifier du quantum de sa créance ;
A défaut,
- Fixer le quantum de la créance de la société Alto musique à un montant ne pouvant excéder la somme de 186.720,97 euros ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Alto Musique à payer à MM. X. la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
Sur la recevabilité d'une demande des consorts X. :
La société Alto soutient que les consorts X. ont formulé une prétention irrecevable en appel. Il s'agit de la demande en nullité de l'accord de règlement qui aurait été consenti de manière viciée en invoquant la dépendance économique. La dépendance économique est un moyen irrecevable en appel en application de l'article 909 du code de procédure civile.
Ceci étant exposé,
L'article 909 du code de procédure civile, tel qu'il est rappelé par la société Alto au soutien de sa demande d'irrecevabilité, concerne la compétence du conseiller de la mise en état, comme le prévoit l'article 914 du code de procédure civile. La société Alto est mal fondée à en faire état devant la présente cour.
De plus, la société Alto se contredit elle-même en indiquant que ce moyen « a été écarté en première instance ». Les moyens développés par les consorts X. devant les premiers juges ont, en l'état des attendus du jugement querellé, visé à « annuler l'engagement contracté par les consorts X. (.), constater que l'acte de cautionnement emporte expressément garantie des dettes fournisseurs futures de Feeling Musique ; « annuler le dit cautionnement ».
La demande formulée par les consorts X. ne constitue pas une nouvelle prétention. Elle tend aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges.
Il n'y a pas lieu en conséquence de la déclarer irrecevable.
Sur la requalification de l'accord de règlement du 23 mars 2016 en acte de cautionnement et sa régularité :
La société Alto musique fait valoir que l'accord de règlement du 23 mars 2016 est un acte de commerce qui engage directement les codébiteurs à titre principal et solidaire. L'acte permet au créancier de demander directement le paiement aux codébiteurs. Le crédit accordé constitue la cause de l'engagement des codébiteurs ayant un intérêt personnel et commun au règlement de la dette. Contrairement à un acte de cautionnement qui est un engagement unilatéral et accessoire à une dette principale, l'acte repose sur des engagements réciproques de crédit. L'acte comprend un nouveau crédit accordé sur la globalité de la dette du débiteur initial et aucune autre dette supplémentaire n'a été générée après sa conclusion. Les intimés, ayant complété et signé l'acte, avaient conscience de leur engagement à titre personnel sur la dette. La requalification en cautionnement constitue une dénaturation des termes de l'engagement signé.
MM. J.-C. et L. X. répliquent que l'acte est un engagement distinct de l'engagement initial par lequel le garant s'engage à régler la dette d'un tiers, consenti en cours d'exécution, de sorte qu'il constitue un cautionnement. La qualification de codébiteur solidaire suppose qu'elle a été acquise dès la naissance de la dette. Une fois la dette née, il n'est plus possible de s'engager solidairement à la payer à moins de recourir à une garantie autonome ou à un cautionnement. Les consorts X. ont pris l'engagement moral de garantir les dettes de la société en leur qualité de représentant de la société Feeling Musique, dans l'hypothèse d'un échéancier, et non en leur nom personnel. Il s'agit d'un accord de règlement de la dette préexistante de la société. À ce titre, l'acte contient la mention de « dettes garanties » et ne fait référence à aucun engagement à première demande de sorte qu'il ne peut qu'être qualifié de cautionnement. L'acte litigieux présente un défaut de mention manuscrite et encourt la nullité.
Ceci étant exposé,
L'accord de règlement conclu le 23 mars 2016 entre la société Alto et la société Feeling Musique, mentionne M. J.-C. X. en tant que représentant de la société Feeling Musique et en tant que « client », ainsi que M. L. X. en tant que « client ». M. J.-C. X. et M. L. X. ont chacun signé l'accord de règlement, reconnaissant expressément l'existence d'une créance de la société Alto d'un montant de 208 408 euros. Ils s'engagent en tant que codébiteurs à la régler selon un échéancier annexé, soit un virement par semaine s'étalant entre le 1er mars 2016 et le 28 février 2018.
Les conventions légalement formées font la loi des parties et doivent être exécutées de bonne foi.
L'accord de règlement conclu le 23 mars 2016 a pour unique objet l'apurement d'une créance de nature commerciale, mentionnant expressément que « la société Alto accepte de consentir d'ultimes délais de paiement ». L'accord ne mentionne aucun engagement personnel ni une quelconque information qui porterait sur la détention de biens ou de revenus, ni un éventuel appel en garantie. Il ne concerne pas des « tiers », mais trois « clients » signataires : la société Feeling Musique, le représentant légal de la société Feeling Musique, M. J.-C. X. et son associé majoritaire, M. L. X.
Simple aménagement des conditions générales de paiement entre deux sociétés commerciales, l'accord ne prévoit aucune condition à son exécution qui doit être immédiate. De ce point de vue, constituant leurs propres preuves (« cette garantie ne pouvait être qu'un cautionnement »), les consorts X. ne démontrent ni l'existence d'une garantie à partir d'une « intention » ou d'un « engagement moral » qui auraient été manifestés dans un courriel préalable, ni le fait qu'il s'agirait d'un acte par lequel ils se substitueraient à une personne morale ou physique.
La caution ne se présumant pas, il doit être relevé qu'aucun élément ne permet une requalification prétorienne du dit contrat en acte de caution d'un engagement.
De plus, il doit être rappelé que l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 22 novembre 2017, confirmant l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris en date du 28 février 2017 selon laquelle : « M. J.-C. X. est bien engagé solidairement en qualité de commerçant ; la participation de M. L. X. n'en dénature pas le caractère commercial », a précisé que : « la commercialité de l'engagement personnel de M. J.-C. X. n'est pas sérieusement contestable dès lors qu'il a un intérêt patrimonial au paiement de la dette de la société anonyme Feeling Musique pour en être le président du conseil d'administration, ainsi que le démontre l'extrait Kbis, et l'actionnaire majoritaire à hauteur de 98 % ; il reconnaît dans l'accord du 23 mars 2016 avoir un intérêt commun avec la société pour le règlement de sa dette ; la qualité de co-débiteur de M. J.-C. X. solidaire de la société Feeling Musique résulte, avec l'évidence requise devant le juge des référés, des termes de l'accord d’engagement du 23 mars 2016 qu'il a signé après avoir apposé la mention manuscrite « lu et approuvé » et par lequel il s’est engagé solidairement avec la société Feeling Musique et M. L. X. à régler la dette commerciale de la société selon l'échéancier joint en annexe, se déclarant expressément solidaire de la société Feeling Musique, accord confortant son courrier électronique du 26 février 2016 dans lequel il proposait, avec L. X., à la société Alto de régler la créance de la société Feeling Musique suivant un échéancier sur 24 mois tenant compte des factures d'intérêts émises de 21.009 euros ».
C'est donc à tort que les premiers juges ont requalifié l'accord de paiement du 23 mars 2016 en acte de cautionnement.
Il se déduit de ce qui précède que l'accord de paiement du 23 mars 2016 modifie les conditions de règlement de diverses factures d'instruments de musique et ne crée aucune obligation supplémentaire entre deux sociétés commerciales. Il ne peut aucunement relever « des dispositions d'ordre public du code de la consommation » et encourir de ce chef la nullité en ce qu'il n'en respecterait pas le formalisme.
C'est donc également à tort que les premiers juges ont dit l'acte nul et débouté la société Alto musique de l'ensemble de ses demandes.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement dont appel.
Sur la régularité de l'accord de règlement du 23 mars 2016 (moyens relatifs à la « violence économique », au « vice de consentement » et à l'existence de « dettes futures ») :
La société Alto soutient que les consorts X. ont sollicité un échéancier et des délais de paiement en connaissance de l'état de cessation des paiements. Les consorts X. ont reconnu avoir proposé de donner une garantie personnelle et l'engagement répond à ce que les codébiteurs ont demandé, dans la perspective de passer de nouvelles commandes.
A titre subsidiaire, les consorts X. font valoir la nullité du contrat sur le fondement de la violence économique, le défaut de cause et par extraordinaire le défaut de cause licite, outre l'existence de « dettes futures » qui doit conduire au rejet de tout paiement.
Ceci étant exposé,
Les consorts X. font valoir l'application des articles 1143 et 1162 et 1128 du code civil, une jurisprudence datant de 1992 et l'état de la doctrine en 1988.
Mais l'accord de règlement a été conclu le 23 mars 2016. Les dispositions l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 étant entrées en vigueur le 1er octobre 2016, il y a lieu de relever que l'article 1134 du code civil, alors applicable, dispose que les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
D'une part, s'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, les consorts X. ne justifient aucunement de l'existence d'une « dépendance économique » dont ils auraient été les victimes de la part de leur créancier, sur une période qu'ils ne peuvent définir.
Les consorts X. omettent de rappeler la teneur courtoise des échanges qui ont été tenus avec leur créancier, préalablement à l'accord de règlement du 23 mars 2016. Ils ont eux-mêmes proposé à leur créancier un échéancier de paiement dans un courriel du 26 février 2016 (pièce 4) : « compte-tenu des particularités du marché actuel, le plus raisonnable que nous avons pu te proposer ». Cet accord de règlement du 23 mars 2016, dénué de clause portant sur des intérêts ou des pénalités, entérine une nouvelle prolongation de délais de paiement, au seul bénéfice des consorts X. qui ont ainsi obtenu l'absence de saisine du juge de l'exécution.
De plus, les consorts X. ont reconnu les difficultés conjoncturelles de la société Feeling Musique après la signature de l'accord de règlement du 23 mars 2016. Le rapport de gestion du 30 juin 2016 du conseil d'administration de la société Feeling Musique contredit les consorts X., car il indique : « depuis le 30 juin 2016, l'activité n'a pas repris comme nous l'espérions ; la rentrée scolaire a été un peu morose, pas du tout au même niveau que les années précédentes ; les dettes auprès des fournisseurs ayant fait l'objet d'échéanciers sur quatre ans sont en cours de renégociation » (pièce 8). Ils ont ainsi renégocié leurs dettes avec tous leurs fournisseurs. De même, le rapport du commissaire aux comptes de la société Feeling Musique sur l'exercice clos le 30 juin 2016 (pièce 8) a été signé le 11 décembre 2016, près de neuf mois après l'accord de règlement, rendant mal fondée toute référence à sa mise en garde tardive sur la pérennité de la société.
Enfin, les consorts X. sont mal fondés à se prévaloir à l'encontre de leur créancier de leur incapacité à régler leurs dettes et à mettre en place une procédure collective pour préserver la société Feeling Musique. Ils ont ainsi attendu passivement l'assignation en procédure collective à la date du 04 août 2017 par leur créancier, la société Alto. La fragilité financière de la société Feeling Musique dont ils se prévalent a posteriori a été suivie de mesures adéquates grâce à l'initiative de leur créancier. Les consorts X. n'ont de ce point de vue pas mis dans la cause la Selafa Mja, en la personne de Me Frédérique L., liquidateur de la société Feeling Musique.
L'accord de règlement conclu le 23 mars 2016 n'a ainsi aucunement constitué un « avantage excessif » au détriment de la société Feeling Musique.
Il en résulte que le moyen doit être rejeté.
D'autre part, en ce qui concerne le défaut allégué de cause licite, il y a lieu de relever que les consorts X. se réfèrent de manière erronée à des dispositions applicables après la signature de l'accord de règlement, à savoir les articles 1162 et 1169 du code civil.
Constituant leurs propres preuves (« on ne peut admettre que la cause de leur engagement serait la dette principale et les délais accordés » ; « engagement illicite ou immoral »), les consorts X. échouent à remettre en cause la loi des parties entérinant l'octroi de délais de paiement pour des factures qui ne sont pas contestées.
Par ailleurs, les consorts X. opèrent une confusion entre l'accord de règlement, portant sur un report de délais de paiement entre deux sociétés, et la procédure collective qui a suivi. Ils qualifient ainsi l'accord de règlement d'action « en comblement de l'insuffisance d'actif », indiquant l'existence d'un « actif disponible et d'un passif exigible » sans précision. Mais la procédure de redressement judiciaire a été initiée postérieurement, par jugement du 7 septembre 2017 du tribunal de commerce de Paris, et la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 05 novembre 2018. Ils ne sont ainsi pas fondés à opposer à leur cocontractant le constat rétroactif d'une cessation de paiement à une date évaluée par l'administrateur judiciaire près de deux ans après l'accord de règlement. Ils ne peuvent en tout état de cause reprocher à leur cocontractant d'avoir accordé l'échelonnement de leurs dettes en se prévalant d'une situation postérieure liée à une procédure collective.
En s'intitulant dans leurs écrits « garants personnes physiques », les consorts X. se contredisent dans les débats. Ils ont en effet fait valoir la situation financière dégradée de la société Feeling Musique pour remettre en question l'accord de règlement. Mais, en tant que mandataire social et principal actionnaire de la société Feeling Musique, les consorts X. avaient le devoir d'informer préalablement leur créancier de leur impossibilité à régler l'échéancier, ce qui fragilise leur bonne foi.
Il en résulte que le moyen doit être rejeté.
En ce qui concerne l'existence de « dettes futures » qui conduirait à « annuler l'accord dans cette limite », selon les consorts X., l'accord de règlement mentionne un montant de créance de 208.408,67 euros. De ce point de vue, les consorts X. ont indiqué eux-mêmes que ce montant de 208.408,67 euros est une « dette principale que les consorts X. ont entendu garantir » (écrits, p 10), confirmant de fait l'existence d'une dette certaine, liquide et exigible.
Il en résulte que ce dernier moyen doit être rejeté.
C'est donc à tort que les premiers juges ont débouté la société Alto musique de l'ensemble de ses demandes.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement dont appel sur tous ces chefs.
Sur « le déséquilibre significatif » de l'accord de règlement du 23 mars 2016 et le quantum de la créance de la société Alto :
La société Alto soutient que les consorts X. ont reconnu avoir proposé une garantie personnelle et qu'ils se contredisent en ce qu'ils affirment avoir souhaité prendre un engagement moral. Ils ne peuvent prétendre avoir subi un déséquilibre significatif en ayant obtenu des délais supplémentaires par la conclusion de cet acte. Les consorts X. ont pris l'initiative de proposer un échéancier en fixant le montant qu'ils ont qualifié « le plus raisonnable » et de s'engager à titre personnel et solidaire à le respecter.
Les consorts X. font valoir que leur intention était de prendre l'engagement moral de garantir les dettes de la société. Ils ont été contraints, du fait de l'état de cessation des paiements, d'accepter la garantie exigée par l'appelante sans qu'ils en prennent conscience. L'étalement de la dette revenait à faire payer des échéances de 2.350 euros par semaine, ce qui s'est avéré impossible compte tenu des difficultés existantes. MM. X. soulignent, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, qu'ils ont été soumis à un déséquilibre significatif par cet engagement rédigé à la manière d'un engagement de codébiteurs solidaires et que cet engagement est constitutif d'un abus de solidarité.
Ceci étant exposé,
Selon l'article L. 442-6 du code de commerce, alors applicable, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ;
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;
4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ».
Les consorts X. font valoir l'existence d'obligations qui seraient de nature à créer un déséquilibre significatif à leur encontre.
Mais, d'une part, M. J.-C. X. a expressément demandé à son créancier un échéancier de paiement dans un courriel du 26 février 2016 (pièce 4) : « le plus raisonnable que nous avons pu te proposer. L. et moi nous engageons à respecter cet échéancier. Je ne sais pas quel type de garantie te proposer si notre engagement moral ne suffisait pas ; nous sommes parfaitement conscients de l'engagement que tu as eu envers nous pour nous permettre d'atteindre ce niveau de dette ; nous t'en remercions, sommes reconnaissants et tu peux compter sur notre total investissement sur tes projets ».
S'ils allèguent un « engagement moral » qui aurait précédé l'accord de règlement, les consorts X. ont en réalité occulté à leur créancier le fait qu'ils n'entendaient pas régler leurs dettes. Une partie de ces dettes avait en effet déjà fait l'objet d'un « plan d'apurement » octroyé par la société Alto le 25 août 2014 (pièce 1), indiquant un « socle de dette » de 135.716 euros et un paiement en 11 échéances qui n'a suscité aucune contestation des consorts X. En proposant, puis en signant l'accord de règlement, octroyé « de façon ultime » par leur créancier le 23 mars 2016, les consorts X. ont à nouveau retardé le paiement de leurs dettes. Six années après, cet engagement « moral », n'est pas respecté.
De plus, contrairement à leurs allégations sur l'existence d'un « abus de solidarité » à leur encontre, les consorts X. ont poursuivi sciemment les relations commerciales avec leur créancier après l'accord de règlement, comme le confirment les comptes sociaux de la société Feeling Musique au 30 juin 2016 (marchandises acquises pour un montant de 534.702 euros) et différentes commandes.
Les consorts X. ont ainsi effectué une commande de 30 items distincts le 7 septembre 2016 (pièce 13) : « voici nos besoins pour la rentrée ». Une autre commande a trait le 26 janvier 2017 à un « important marché sur l'étranger qui devrait nous permettre de voir le jour » (pièce 17). Celle du 21 novembre 2017 finalise « 3 flûtes Trevor et 3 saxholder » avec la mention « merci de nous établir la facture » (pièce 20). Ces livraisons ne sont pas contestées, d'autant que la revendication de matériels initiée par la société Alto le 24 janvier 2018 a donné lieu à une réponse de l'administrateur judiciaire de la société Feeling Musique selon laquelle « les biens revendiqués ne sont plus présents dans les stocks de la société Feeling au jour de l'ouverture du redressement judiciaire » (pièce 14).
Requalifiant de façon prétorienne l'accord de règlement comme étant un « contrat d'adhésion » (écrits p 22), les consorts X. n'ont versé aux débats aucun élément qui confirmerait leurs allégations sur l'existence d'un déséquilibre significatif, parmi les huit pièces de leur dossier.
Il en résulte que le moyen doit être rejeté.
D'autre part, en ce qui concerne la créance de la société Alto, il y a lieu de relever que l'accord de règlement fixe la somme de 208.408 euros. Cette créance de 208.408 euros, présentée le 20 février 2018 dans le cadre de la procédure collective de la société Feeling Musique, a été admise par ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Paris en date du 18 octobre 2018.
La présente cour a relevé le « caractère non sérieusement contestable de la créance de 186.720 euros au regard du Grand livre de comptabilité arrêté au 31 mars 2017 », dans son arrêt du 22 novembre 2017, rappelant que cette créance a été présentée par la société Alto en tant que « provision au titre des factures impayées ».
Si les consorts X. contestent le relevé du Grand livre de la société Alto, l'accord de règlement signé des parties prévoit clairement « des livraisons à venir » et que « toute dette fournisseur future non incluse dans le montant sera ajoutée à la dette globale ». La société Alto renonce toutefois à faire valoir les commandes postérieures à l'accord de règlement et demande que soient condamnés solidairement M. L. X. et M. J.-C. X. à payer à la société Alto musique la somme en principal de 208.420,97 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le tribunal de commerce de Pontoise, soit le 24 janvier 2018.
La société Alto est en conséquence fondée à faire valoir une créance de 208.420,97 euros à l'encontre des consorts X.
M. L. X. et M. J.-C. X., co-débiteurs solidaires, doivent être condamnés solidairement à payer à la société Alto la somme de 208.420,97 euros, assortie des intérêts au taux légal, à compter du 1er mars 2016, date de la première échéance déterminée par l'accord de règlement du 23 mars 2016.
La solution du litige conduira à rejeter les autres demandes.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour
DIT n'y avoir lieu à prononcer l'irrecevabilité de la demande de M. L. X. et M. J.-C. X. portant sur la nullité de l'accord de règlement ;
INFIRME le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE solidairement M. L. X. et M. J.-C. X. à payer à la société Alto Musique la somme de 208 420,97 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2016 ;
DIT qu'à défaut de règlement de la condamnation prononcée et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions des articles 10 à 12 du décret du 12 décembre 1996 modifié, seront supportées solidairement par M. J.-C. X. et M. L. X., en sus de l'indemnité mise à leur charge au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande ;
CONDAMNE solidairement M. L. X. et M. J.-C. X. à payer à la société Alto Musique la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement M. L. X. et M. J.-C. X. aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Cyrielle BURBAN Edouard LOOS