CA PARIS (pôle 4 ch. 8), 22 mars 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9508
CA PARIS (pôle 4 ch. 8), 22 mars 2022 : RG n° 21/03310 ; arrêt n° 2022/77
Publication : Jurica
Extrait : « L'article 113-1 alinéa 1er du code des assurances dispose que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. L'article L. 112-4 de ce même code ajoute que les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractère très apparents.
Il est en outre constant que les restrictions de garantie sont soumises au même régime que les exclusions. Si les conditions particulières dérogent aux dispositions générales, les exclusions comprises dans ces dernières ont toutefois vocation à recevoir application, sauf contrariété entre les deux documents contractuels, ce qui n'est pas le cas.
Une exclusion est formelle si les termes sont suffisamment précis pour ne laisser aucun doute sur la volonté des parties de restreindre le champ d'application de la garantie, et si la clause n'est pas susceptible d'interprétation. Ainsi, la nullité des clauses d'exclusion rédigées de façon imprécise est encourue, de même que l'invalidité des clauses ambiguës qui ne peuvent être comprises sans un travail d'interprétation.
En application de l'article 113-1 précité, une exclusion est considérée comme limitée si son contenu est parfaitement déterminé et qu'elle n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance.
En l'espèce, c'est vainement que les sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION soutiennent que la clause d'exclusion invoquée par l'assureur ne leur est pas opposable aux motifs qu'elle n'est ni formelle, ni limitée, en violation des dispositions du code des assurances applicable en la matière. L'exclusion de garantie de la « fermeture administrative » est stipulé en page 46 des conditions générales en caractère très apparent, (en gras dans le texte et dans une police supérieure au reste du texte).
Il est ainsi prévu que la « fermeture administrative » est assortie, outre les exclusions citées aux conditions générales, de deux exclusions spécifiques : - « les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national », - « les dommages résultant du non-respect par l'assuré de la règlementation en vigueur ».
C'est la première de ces exclusions qui est invoquée par l'assureur. Elle est spécifique à la garantie « fermeture administrative » qui elle-même conditionnée à « une décision des autorités administratives ou judiciaires ».
En l'absence de doute au sens de l'article 1190 du code civil sur l'impossibilité de mobiliser la garantie, il n'y a pas lieu à interpréter la clause d'exclusion conformément à l'article 1192 du code civil. La volonté claire et sans équivoque des parties était de restreindre le champ d'application de la garantie en excluant les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national, s'agissant de l'objet même de l'exclusion.
L'expression « fermeture collective d'établissement » suppose nécessairement la fermeture de plusieurs établissements, qu'il soit ceux appartenant à LÉON DE BRUXELLES ou d'autres établissements, la fermeture collective d'un seul établissement n'ayant aucun sens.
Les termes suffisamment clairs : « une même région » qui s'entend nécessairement de la circonscription administrative, ou « sur le plan national » qui correspond à l'ensemble du territoire national, permettent sans difficulté de déterminer la délimitation géographique de la clause.
Il convient ensuite de rechercher si l'application de l'exclusion a pour effet d'annuler dans sa totalité la garantie stipulée.
En l'espèce, la garantie « fermeture administrative » est uniquement conditionnée à l'existence d'une décision prise par les autorités administratives ou judiciaires compétentes, qu'elle qu'en soit la cause. Elle n'a donc pas pour seul objet de couvrir spécifiquement le risque de survenance d'une épidémie.
Le critère géographique retenu est limité puisqu'il permet de délimiter la portée de l'exclusion aux seules mesures de fermeture collective applicables à l'échelle régionale ou nationale, pour laisser dans le champ de la garantie, toutes les mesures de fermeture individuelle et toutes les mesures de fermeture collective applicables à l'échelle départementale ou locale. La clause n'exclut pas l'indemnisation des préjudices d'exploitation nés d'une décision de fermeture administrative collective de plusieurs établissements dans le même département, voire la même commune, si seul ce département ou cette commune sont touchés par la décision de fermeture administrative.
L'assureur fait d'ailleurs valoir à juste titre que le risque de fermeture collective sur un plan local (départemental ou communal) n'a rien d'improbable comme en attestent les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 par divers arrêtés préfectoraux et/ou municipaux.
Il soutient également justement que la Covid-19 est le premier cas d'épidémie qui a conduit à une fermeture collective d'établissement au niveau régional ou national, alors même que le risque de fermeture administrative existait bien auparavant et que le caractère très exceptionnel du risque de fermeture collective sur le plan régional, ou national, par rapport à l'ensemble des événements qui peuvent conduire à une mesure de fermeture administrative ou judiciaire d'un établissement confirme s'il en est besoin le caractère extrêmement limité de l'exclusion.
De leur côté, les appelantes ne démontrent pas que la commune intention des parties, lors de la souscription du contrat, était de couvrir le risque d'une fermeture collective de tous ses établissements sur le plan national en cas d'épidémie, risque systémique, anormal et spécial, que l'assureur peut légitiment refuser de couvrir.
Aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ne permet de considérer que la clause doit être réputée non écrite conformément à l'article 1171 du code civil.
La preuve est donc rapportée que la clause d'exclusion n'est pas de portée générale, n'a pas pour effet de vider la garantie de son objet et n'est pas contraire à l'obligation de garantie. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 8
ARRÊT DU 22 MARS 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/03310. Arrêt n° 2022/77 (16 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CDEWR. Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 février 2021 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2020049552.
APPELANTES :
SAS LÉON DE BRUXELLES
Société par actions, sous le, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège [...], [...], Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro n° XXX
SAS B. RESTAURATION
Société par actions simplifiée à associé unique, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège [...], [...], Immatriculée au RCS de Paris sous le n° YYY, Représentées par Maître Frédérique E., avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, assistées de Maître Emmanuelle P., SELAS S. P., avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS, toque P0468
INTIMÉES :
SA MMA IARD
[...], [...], N° SIRET : XXX,
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[...], [...], N° SIRET : YYY, Représentées par Maître Jean-Marie C. F. de la SCP S. - C.-F. & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0267, Assistées de Maître Bénédicte E., avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS, SCP S. C. F., toque P0267
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 18 janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, M. Christian BYK, Conseiller, M. Julien SENEL, Conseiller, qui en ont délibéré ; un rapport a été présenté à l'audience par Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Laure POUPET, Greffière présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SAS LÉON DE BRUXELLES exploite une chaîne de restauration qui compte 78 restaurants à travers la FRANCE employant 1.429 collaborateurs. Elle appartient depuis décembre 2019 au groupe B. RESTAURATION, acteur majeur de la restauration commerciale.
Les sociétés B. RESTAURATION et LÉON DE BRUXELLES sont assurées au titre d'une police MULTIRISQUE n°145 755 260 souscrite auprès des compagnies MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles (ci-après les « MMA ») couvrant l'ensemble de leurs restaurants et garantissant au titre d'une extension de garantie les pertes d'exploitation consécutives à une « fermeture administrative ».
Ce contrat d'assurance est constitué des Conditions Particulières signées le 2 juin 2020 à effet au 1er janvier 2020 et des Conventions Spéciales et Conditions Générales CS-CG MRI Base SI sur mesure version du 16 janvier 2017 (Texte de garanties et Conditions Générales MULTIRISQUE INDUSTRIELLE) (ci-après le contrat d'assurance). Il est tacitement reconduit chaque année avec une faculté de résiliation à chaque échéance annuelle.
Face au risque sanitaire lié à l'épidémie de Covid-19, le ministre des solidarités et de la santé a par arrêtés des 14 et 15 mars 2020 pris diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus et notamment une mesure générale d'interdiction pour certains ERP de recevoir du public, parmi lesquels les restaurants et débits de boissons à compter du 15 mars 2020, jusqu'au 15 avril 2020.
L'arrêté du 14 mars 2020 a ensuite été remplacé par le décret du 23 mars 2020 n° 2020-293 adopté dans le cadre d'une loi d'urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui a déclaré l'état d'urgence sanitaire.
Le décret n° du 23 mars 2020 a été remplacé par le décret n° 220-548 du 11 mai 2020, lui-même remplacé par le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, ce dernier ayant autorisé la réouverture des restaurants dans les départements situés en zone verte, ainsi que l'ouverture des terrasses pour les établissements situés en zone orange, mais maintenu l'interdiction de recevoir du public pour les établissements situés en zone rouge.
Par décret n° 2020-724 du 14 juin 2020, publié le 15 juin 2020, les mesures d'interdiction de recevoir du public ont été levées.
La société LÉON DE BRUXELLES a fermé l'ensemble de ses restaurants, à compter du 15 mars 2020 et jusqu'au 4 juin 2020 en province et 18 juin 2020 à PARIS.
Par courrier en date du 27 avril 2020, elle a déclaré le sinistre à son assureur.
Par courrier en date du 29 mai 2020, les MMA lui ont opposé un refus de garantie aux motifs que « la fermeture des établissements ne répond pas à la définition des dommages matériels », et que « sont exclus les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 août 2020, le conseil des sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION a opposé à l'assureur qu'en raison de l'imprécision de ses termes, l'exclusion invoquée ne permet pas de déterminer le périmètre des restaurants garantis ou exclus, outre qu'elle vide la garantie de son objet en écartant le risque principal qui est celui d'une fermeture collective de restaurants, qu'en conséquence, la clause n'est ni formelle ni limitée au sens des critères impératifs de l'article L. 113-1 du code des assurances, et a mis en demeure les MMA d'accorder leur garantie.
Les MMA ont cependant maintenu leur refus de garantie.
Par décret du 16 octobre 2020, les préfets de départements ont été autorisés à ordonner la fermeture administrative des établissements situés en ILE DE FRANCE et dans 8 métropoles (Aix-Marseille, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Rouen, Saint-Etienne, Toulouse) entre 21 heures et 6 heures du matin, mesure ensuite étendue par décret du 23 octobre à 54 départements.
Par décret du 29 octobre 2020, le gouvernement a de nouveau imposé une fermeture totale des restaurants situés sur le territoire métropolitain à compter du 30 octobre 2020 jusqu'au 31 janvier 2021.
Par courrier en date du 30 octobre 2020, la société LÉON DE BRUXELLES a effectué une nouvelle déclaration de sinistre ayant pour objet la prise en charge des pertes d'exploitation liées aux nouvelles mesures prises dans le cadre de la lutte contre l'épidémie du Covid-19, et liées aux mesures de couvre-feu et aux nouvelles mesures d'interdiction de recevoir du public ayant pris effet le 29 octobre 2020.
A défaut d'accord, par acte en date du 9 novembre 2020, les sociétés B. RESTAURATION et LÉON DE BRUXELLES ont assigné les MMA aux fins de voir :
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société LÉON DE BRUXELLES une indemnité de 2.000.000 euros en application de la garantie « fermeture administrative » prévue par la police multirisque n° 145 755 260 au titre des pertes d'exploitation subies par ses établissements situés dans la zone 1 (Paris, 78, 93, 94, 95, et Lyon) entre le 15 mars et leur réouverture les 4 et 18juin 2020 ;
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société LÉON DE BRUXELLES une indemnité de 2.000.000 euros en application de la garantie « fermeture administrative » prévue par la police multirisque n° 145755 280 au titre des pertes d'exploitation subies par ses établissements situés dans la zone 2 (autre sites) entre le 15 mars et le 4 juin 2020 ;
- juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020, date de la mise en demeure, et seront capitalisés en vertu des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société LÉON DE BRUXELLES une provision de 1.000.000 euros en application de la garantie « fermeture administrative » prévue par la police multirisque n° 145 755 260, au titre des pertes d'exploitations subies à compter du 17 octobre par les établissements situés dans les villes concernées par le couvre-feu et au titre de la fermeture totale de l'ensemble de ses établissements à compter du 30 octobre pour une durée d'au moins un mois ;
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles au paiement de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure ;
- juger qu'est de droit l'exécution provisoire de la décision à intervenir en toutes ses dispositions.
Par jugement en date du 4 février 2021, le tribunal de commerce de PARIS, a :
* dit que la SAS B. RESTAURATION n'a pas intérêt à agir dans la présente affaire ;
* débouté la SAS LÉON DE BRUXELLES de sa demande d'indemnisation à l'encontre de la SA MMA IARD et de la société MMA IARD Assurances Mutuelles ;
* condamné la SAS LÉON DE BRUXELLES à payer à la SA MMA IARD et à la société MMA IARD Assurances Mutuelles ensemble la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant ces dernières pour le surplus ;
* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires ;
* condamné la SAS LÉON DE BRUXELLES aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,74 euros dont 19,24 euros de TVA.
Par déclaration électronique du 18 février 2021, enregistrée au greffe le 23 février 2021, la SAS LÉON DE BRUXELLES et la SAS B. RESTAURATION ont interjeté appel du jugement.
[*]
Aux termes de leurs dernières écritures n° 3 notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, les appelantes, demandent à la cour, au visa des dispositions de l'article L.113-1 du code des assurances, et des articles 1103, 1104, 1170, 1171, 1188, 1190 du code civil, de :
- INFIRMER le jugement en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau :
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société LÉON DE BRUXELLES en application de la garantie « fermeture administrative » prévue par la police multirisque n° 145 755 260 :
A titre principal :
* 4.000.000 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du premier confinement (période du 15 mars au 18 juin 2020) ;
* 1.238.646 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du couvre-feu (période du 17 au 29 octobre 2020) ;
* 4.000.000 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du deuxième confinement (période du 30 octobre au 31 janvier 2021) ;
A titre subsidiaire :
* 2.000.000 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du premier confinement (période du 15 mars au 18 juin 2020) ;
* 1.238.646 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du couvre-feu (période du 17 au 29 octobre 2020) ;
* 2.000.000 euros pour les pertes d'exploitation subies au titre du deuxième confinement (période du 30 octobre au 31 janvier 2021) ;
A titre infiniment subsidiaire :
- juger que la garantie « fermeture administrative » de la police n° 145 755 260 est acquise à la société LÉON DE BRUXELLES à hauteur des plafonds contractuels (2.000.000 euros par zone et par sinistre) au titre des trois sinistres précités (premier confinement, couvre-feu et deuxième confinement) ;
- avant-dire droit sur le quantum, ordonner une mesure d'instruction sur le montant des indemnités calculées selon les critères contractuels, les conséquences de l'épidémie de Covid 19 devant être exclues des « facteurs externes » pouvant être retenus pour réduire la marge brute prise en compte ;
En tout état de cause :
- juger que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020, date de la mise en demeure, et seront capitalisés en vertu des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles au paiement de 30.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure ;
- débouter les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, à l'encontre des sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION.
[*]
Aux termes de leurs dernières écritures n° 2 notifiées par voie électronique le 27 décembre 2021, les MMA demandent à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, de :
A titre principal,
- dire et juger que l'épidémie du Covid-19 ne constitue pas un événement garanti par le contrat ;
- dire et juger que les mesures généralisées d'interdiction de recevoir du public ne constituent pas une décision de fermeture administrative des établissements assurés, lesquels étaient autorisés à rester ouverts pour effectuer de la vente à emporter ;
Et en tout état de cause
- CONFIRMER le jugement mais le réformant partiellement,
- dire et juger que la garantie "fermeture administrative" n'est pas acquise à titre principal indépendamment de l'application de la clause d'exclusion et débouter de ce chef LÉON DE BRUXELLES et, en tant que de besoin, le GROUPE B. de leurs fins et demandes,
Subsidiairement,
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la clause d'exclusion relative à la fermeture administrative est applicable en la cause ;
et ainsi,
- dire et juger la société MMA bien fondée à opposer l'exclusion contractuelle de garantie relative à la fermeture collective d'établissement pour l'ensemble des pertes résultant de la fermeture de tous les établissements situés sur le territoire national en application de l'arrêté du 14 mars 2020 et du décret du 23 mars 2020,
- dire et juger la société MMA bien fondée à opposer l'exclusion contractuelle de garantie relative à la fermeture collective d'établissement pour l'ensemble des pertes résultant de la fermeture de tous les établissements situés en région ILE DE FRANCE pendant la période du 17 octobre 2020 au 29 octobre 2020 en application de l'article 51du décret du 16 octobre 2020,
- dire et juger la société MMA bien fondée à opposer l'exclusion contractuelle de garantie relative à la fermeture collective d'établissement pour l'ensemble des pertes résultant de la fermeture de tous les établissements situés sur le territoire national en application du décret du 29 octobre 2020,
- dire et juger que les pertes d'exploitation résultant des mesures de couvre-feu sont non garanties, les interdictions de déplacement de la population constituant un facteur extérieur aux établissements qui n'auraient pas permis la réalisation d'un chiffre d'affaires ;
En conséquence :
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté la société LÉON DE BRUXELLES de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société LÉON DE BRUXELLES et le GROUPE B. au paiement d'une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Très subsidiairement,
- limiter la garantie des MMA aux seules pertes résultant des arrêtés préfectoraux édictant localement et pour une métropole désignée des mesures de couvre-feu sur la période du 17 avril au 24 avril 2020, soit les pertes subies par les établissements situés à LYON, TOULOUSE, MONTPELLIER et LILLE ;
- dire et juger que la garantie doit s'appliquer en tenant compte des facteurs extérieurs liés au confinement de la population et à la baisse de fréquentation des établissements ;
- dire et juger que la garantie doit s'appliquer dans la limite du plafond de 2 millions d'euros par sinistre, tous établissements confondus, déduction faite d'une franchise de 3 jours ouvrés ;
- dire et juger que la société LÉON DE BRUXELLES ne justifie pas du montant des pertes réellement subies ;
- débouter la société LÉON DE BRUXELLES et, en tant que de besoin, le GROUPE B. de leurs demandes.
[*]
Pour plus ample exposé des faits, procédure, prétentions et moyens des parties, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile
La clôture est intervenue le 10 janvier 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'intérêt à agir de la SAS B. RESTAURATION :
La présente action a été introduite devant le tribunal de commerce de PARIS par la société B. RESTAURATION et la société LÉON DE BRUXELLES.
Le tribunal a considéré que la SAS B. RESTAURATION n'apportait pas la preuve qu'elle était partie au contrat d'assurance et a dit en conséquence qu'elle n'avait pas intérêt à agir dans la présente affaire.
La déclaration d'appel des sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION tend à obtenir la réformation du jugement sur ce point et dans leurs dernières conclusions les sociétés appelantes sollicitent l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions.
La police d'assurance prévoit que :
* le souscripteur est la SA LÉON DE BRUXELLES,
* bénéficie provisoirement de la qualité d'assuré, au titre du contrat, « la ou les filiales futures du souscripteur créées au cours de l'année d'assurance concernée ainsi que la ou les holdings détenant plus de 80 % du souscripteur » ce qui est le cas de la société B. RESTAURATION, outre le fait que sa qualité d'actionnaire majoritaire lui confère un intérêt évident à agir à l'encontre des MMA aux fins de recouvrer les pertes financières dont elle sollicite la garantie par le contrat d'assurance.
Les MMA indiquent ne plus soutenir ce moyen d'irrecevabilité, de sorte que le jugement sera infirmé, la société B. RESTAURATION justifiant bien d'un intérêt à agir.
Sur les conditions d'application de la garantie des MMA :
Les sociétés appelantes sollicitent l'infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :
- l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du Covid-19 et notamment la fermeture des établissements CHR et des structures susceptibles d'accueillir du public, ainsi que les décisions subséquentes, ont contraint la société LÉON DE BRUXELLES à fermer ses 78 restaurants, aux dates suivantes :
* entre le 15 mars et le 4 juin, ou le 18 juin 2020 s'agissant des établissements situés à PARIS ;
* entre le 17 octobre ou le 24 octobre et le 29 octobre 2020 à partir de 21h ;
* entre le 30 octobre 2020 et le 19 mai 2021 (réouverture limitée aux terrasses, l'accueil des clients en salle n'ayant été possible qu'à compter du 9 juin 2021) ;
- l'article 1.7. du contrat « Pertes d'exploitation » inclut une extension « Fermeture administrative » qui prévoit que « sont garantis les dommages définis au paragraphe « Dommages assurés » ci-avant, résultant de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l'établissement assuré par suite d'une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes » ;
- la garantie « fermeture administrative » du contrat doit être jugée acquise au titre des trois périodes, dès lors que si ces sinistres sont distincts, il résulte tous d'une fermeture administrative ;
- l'assureur tente à tort d'appliquer à la garantie « fermeture administrative » les conditions relatives à la garantie de base des pertes d'exploitation qui ne joue que si les pertes sont consécutives à un dommage matériel ou à un péril dénommé ; or, l'extension de garantie n'est rattachée à aucun événement dénommé ; elle déroge aux autres garanties ou extensions dites
« à péril dénommé » imposant la survenance préalable d'un dommage matériel ou d'un
« évènement garanti » ; en l'espèce, l'événement garanti est la fermeture elle-même ; les fermetures administratives sont donc couvertes quelle qu'en soit la cause (et sauf exclusion), ni la pandémie ni l'épidémie n'étant des évènements exclus par la police ;
- ainsi, la garantie « fermeture administrative par suite d'une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes » doit intervenir, quelle que soit sa cause ;
- enfin, les mesures d'interdiction de recevoir du public sont bien des fermetures administratives dans la mesure où leur activité de restauration supposent l'accueil du public.
Les MMA sollicitent la confirmation du jugement en le réformant partiellement afin de voir juger que : « la garantie fermeture administrative n'est pas acquise à titre principal, indépendamment de l'application de la clause d'exclusion », faisant essentiellement valoir que :
* le contrat d'assurance fait la loi des parties et la liberté contractuelle ne peut être restreinte que par l'effet de la loi qui prévoit toutes les assurances obligatoires ;
* la garantie des pertes d'exploitation ne peut exister sans le consentement de l'assureur à garantir le dommage et doit être strictement appréciée au regard des termes du contrat et de la commune intention des parties lors de la souscription ;
* les assureurs ne peuvent être tenus d'assumer l'ensemble des pertes subies par tous les acteurs économiques ni les conséquences financières d'un arrêt quasi total de l'économie sur le territoire national, sauf à avoir préalablement accepté de couvrir ce risque et l'avoir intégré lors de la fixation des primes des contrats d'assurance ;
* en l'espèce, les garanties ne sont pas mobilisables dès lors que l'épidémie n'est pas un événement assuré visé au tableau des garanties « pertes d'exploitation » et que les mesures généralisées d'interdiction de recevoir du public ne constituent pas une décision de fermeture administrative des établissements assurés, lesquels étaient autorisés à rester ouverts pour la vente à emporter.
Sur ce,
Le contrat d'assurance est un contrat consensuel qui relève des dispositions des articles 1101 et suivants du code civil dans leur rédaction ici applicable, issue de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations.
Aux termes de l'article 1103 du code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » et l'article 1104 du même code précise que : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public ».
Le contrat fait la loi des parties et le principe de la liberté contractuelle ne peut être restreint que par l'effet de prescriptions légales impératives.
La garantie des pertes d'exploitation ne peut exister sans le consentement de l'assureur qui est libre de fixer les conditions et limites de sa garantie, et ne peut être tenu au-delà des garanties accordées.
Depuis le 1er janvier 2019, l'ensemble des établissements de la société LÉON DE BRUXELLES est assuré au titre d'une police MULTIRISQUE MMA n° 145755260 à effet au 1er janvier 2019, modifiée le 2 juin 2020 avec prise d'effet rétroactive au 1er janvier 2020. Les garanties souscrites à l'occasion de ce renouvellement n'ont pas été modifiées. Les parties conviennent qu'il remplace les polices antérieurement en vigueur.
Ce contrat est constitué des Conditions Particulières et des Conventions Spéciales et Conditions Générales CS-CG MRI Base SI sur mesure version du 16 janvier 2017 (Texte de garanties et Conditions Générales MULTIRISQUE INDUSTRIELLE).
Les conditions particulières comprennent un tableau des garanties (en page 8 à 15) mentionnant les « pertes d'exploitation » en page 13.
Les événements garantis sont prévus aux conditions générales et pour chaque événement, la police distingue ce qui est garanti et ce qui est exclu.
Les pertes d'exploitation sont prévues (page 44-45-46 et 47), ainsi qu'il suit :
(...)
1-7 PERTES D'EXPLOITATION
1-7-1 DOMMAGES ASSURES
Sont assurés, pendant la période d'indemnisation :
* les pertes d'exploitation c'est à dire :
- la perte de marge brute résultant de la baisse du chiffre d'affaires causées par l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise
- et, dans les limites prévues au paragraphe « calcul de l'indemnité » ci-après, le remboursement des frais supplémentaires d'exploitation engagés, avec l'accord de l'assureur afin de réduire la baisse du chiffre d'affaires.
* les frais supplémentaires additionnels (...)
* les pénalités de retard (...)
* les engagements sur matières premières (...)
* les honoraires d'expert (...).
(...)
1-7-2 DEFINITION DES GARANTIES
CONSEQUENCES DE DOMMAGES MATERIELS
Ce qui est garanti
Sont garantis les dommages définis au paragraphe « dommages assurés » ci-avant dès lors qu'il sont la conséquence de dommages matériels »
(...)
Ce qui est exclu (...)
EXTENSIONS DE GARANTIE
CARENCE DES FOURNISSEURS
(...)
Ce qui est garanti (...)
Ce qui est exclu (...)
CARENCE DES PRESTATAIRES
(...)
Ce qui est garanti (...)
Ce qui est exclu (...)
DIFFICULTES OU IMPOSSIBILITE MATERIELLE D'ACCES - INTERDICTION D'ACCES
(...)
Ce qui est garanti (...)
Ce qui est exclu (...)
FERMETURE ADMINISTRATIVE
CE QUI EST GARANTI :
Les dommages définis au paragraphe « Dommages assurés » ci-avant, résultant de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l'établissement assuré par suite d'une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes.
La période d'indemnisation commençant le jour du début de la fermeture obligatoire est égale à la durée de la fermeture obligatoire avec un maximum de 3 mois.
CE QUI EST EXCLU
Outre les exclusions citées aux conditions générales, ne sont pas garantis :
- les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national,
- les dommages résultant du non-respect par l'assuré de la réglementation en vigueur. »
Les appelantes sollicitent l'application de la garantie « fermeture administrative » ainsi contractuellement définie au titre des extensions de garantie en page 46 du contrat.
Sur la garantie de l'épidémie :
Les appelantes font valoir à juste titre que l'extension de garantie « fermeture administrative », non comprise dans le chapitre « conséquences de dommages matériels » n'est rattachée à aucun événement dénommé, l'événement garanti étant la fermeture administrative elle-même dérogeant ainsi aux autres garanties ou extensions dites « à péril dénommé » imposant la survenance préalable d'un dommage matériel ou d'un « événement garanti ».
Ni la pandémie ni l'épidémie ne sont exclues par la police, de sorte que rien ne s'oppose à ce qu'elles soient garanties au titre de l'extension « fermeture administrative ».
Certes, le tableau des garanties en page 13 du contrat, s'agissant des pertes d'exploitation, n'est pas suffisamment précis en ce qu'il ne prévoit pas l'extension de garantie spécifique « fermeture administrative » visées en page 45 des conditions générales.
Cependant compte tenu des éléments ci-dessus relevés, des règles d'interprétation des contrats, édictées aux articles 1188 et suivants du code civil, et du fait que l'interprétation des clauses d'un contrat d'assurance doit se faire, en cas de doute, dans le sens le plus favorable à l'assuré, la cour estime que la garantie « fermeture administrative » résultant de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l'établissement assuré par suite d'une décision des autorités administratives ou judiciaire compétentes est contractuellement prévue quelle qu'en soit la cause, donc y compris l'épidémie, et sauf exclusion.
Sur la qualification de fermeture administrative :
Devant le tribunal le principe de la fermeture administrative n'était pas contesté par les MMA, le débat ayant uniquement porté sur la validité de l'exclusion de garantie opposée.
En cause d'appel, les MMA contestent le principe même de la fermeture des établissements aux motifs que « les mesures d'interdiction de recevoir du public prises dans un contexte d'épidémie ne constituent pas une fermeture administrative des établissements couverte par le contrat d'assurance » car « les établissements étaient autorisés à rester ouvert pour l'activité de vente à emporter ou de livraison ». Elles considèrent que ces fermetures ont résulté de la « décision de gestion » de l'entreprise « de ne pas pratiquer de vente à emporter ».
La garantie des dommages définis au paragraphe « Dommages assurés » doit résulter de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l'établissement assuré par suite d'une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes.
La définition donnée de l'évènement garanti n'exige donc pas une fermeture totale de l'établissement. Il s'en infère qu'une interruption partielle de l'activité exercée suffit, sans qu'il soit exigé que cette interruption soit spécifique à l'établissement ou que l'établissement soit totalement fermé.
En l'espèce, l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 édicte notamment des mesures concernant les établissements recevant du public parmi lesquels figurent les restaurants et débits de boissons, qui ne peuvent accueillir du public jusqu'au 15 avril 2020. Les décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020 ont ensuite interdit aux restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars au 11 mai 2020, et le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 a réitéré cette interdiction à compter du 30 octobre 2020,
Si les établissements de cette catégorie ont été autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison, il résulte de la motivation de ces dispositions que le respect des règles de distances dans les rapports interpersonnels étant l'une des mesures les plus efficaces pour limiter la propagation du virus, afin de favoriser leur observation, il y a lieu de « fermer les lieux accueillant du public non indispensable à la vie de la Nation, tels que les cinémas, bars ou discothèques » et « qu'il en va de même des commerces à l'exception de ceux présentant un caractère indispensable comme les commerces alimentaires, pharmacies, banques, stations-services ou de distribution de la presse ».
Ces établissements étant ainsi énumérés de manière non exhaustive, il y a lieu d'y inclure les restaurants et débits de boissons, objets des mesures concernant les établissements recevant du public édictées par l'arrêté en question, reprenant en cela les catégories mentionnées à l'article GN1 de l'arrêté du 25 juin 1980.
C'est à tort que l'assureur soutient que les restaurants n'étaient pas fermés dès lors qu'ils étaient autorisés à rester ouverts pour l'activité de vente à emporter ou de livraison. L'interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative totale ou partielle des restaurants, et ce malgré la possibilité hypothétique de maintenir la vente à emporter et les livraisons, d'autant que les restaurants LÉON DE BRUXELLES proposaient une restauration traditionnelle à table, la vente à emporter et les livraisons ne pouvant constituer qu'une part très négligeable de leur activité, qui ne pouvaient en aucun cas justifier que ses restaurants restent ouverts durant les périodes de fermeture imposées.
Il ne peut être considéré en tout état de cause que les mesures prises n'ont pas eu pour conséquence d'entraîner la fermeture, à tout le moins partielle, des établissements concernés.
La fermeture de l'établissement, résultant bien d'une décision d'une autorité administrative compétente, à savoir le ministre de la santé, a ainsi vocation à s'appliquer à la société LÉON DE BRUXELLES dès lors qu'elle entre dans la catégorie d'établissement accueillant du public visé par la mesure en question.
En conséquence, sous réserve de l'exclusion de garantie invoquée par l'assureur, les appelantes sont bien fondées en leur demande de mise en jeu de la garantie au titre de la perte d'exploitation.
Sur l'exclusion de garantie stipulée en page 46 des conditions générales :
Les appelantes sollicitent l'infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :
* la police est par nature un contrat collectif souscrit pour les 78 restaurants appartenant à LÉON DE BRUXELLES et le risque de fermeture « collective » est le risque principal et l'objet essentiel de l'extension de garantie fermeture administrative ;
* le risque de l'assureur en cas de fermeture collective est fortement limité par la double limite d'une période d'indemnisation de trois mois et d'un plafond de garantie (2.000.000 euros par sinistre selon l'assureur) ;
* l'exclusion est interprétée de manière extensive et aléatoire par les MMA contrairement aux termes du contrat, aux dispositions impératives du code des assurances, et à toute bonne foi ;
* l'exclusion n'est pas formelle ; une interprétation est nécessaire en raison de l'imprécision des termes qui ne permet pas de déterminer le champ d'application de la garantie et de ses exclusions, les notions utilisées de fermeture collective et de région n'étant pas décrites dans la police ;
* elle vide l'extension de garantie de son objet en écartant le risque principal contre lequel LÉON DE BRUXELLES a voulu se garantir, celui d'une fermeture collective de restaurants, consentie pour un ensemble de 78 restaurants répartis sur le territoire national ;
* la clause d'exclusion n'est pas limitée ; son application a pour effet, dans un contexte de police collective, de vider la garantie « fermeture administrative » de son objet principal, ne laissant dans la garantie que le cas d'une fermeture isolée, situation improbable en période de pandémie ou d'épidémie et ne correspondant pas au risque de fermeture collective que LÉON DE BRUXELLES a voulu assurer en souscrivant cette extension ; elle a pour objet de priver l'assuré de toute garantie alors que le plafond ne couvre même pas les pertes subies par ses seuls restaurants parisiens ;
* en tout état de cause, le doute sur le sens de la clause doit profiter à l'assuré par application des articles 1171 et 1190 du code civil ;
* la clause d'exclusion doit en conséquence être réputée non écrite tant en vertu des dispositions impératives de l'article L. 113-1 du code des assurances, que sur le fondement de l'article 1170 du code civil.
Les MMA sollicitent la confirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :
* l'exclusion de garantie est opposable à l'assuré en ce qu'elle est rédigée de manière formelle et limitée, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
* la clause est formelle et non susceptible d'interprétation ; la volonté des parties était de restreindre le champ d'application de la garantie en excluant les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national, à savoir tous les établissements de l'assuré ainsi que tous les restaurants de France en application des mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre l'épidémie ; il n'y a aucune ambigüité dans l'utilisation des termes « région » ou « fermeture collective sur le plan national », ni sur leur délimitation ; la clause a donc vocation à s'appliquer aux déclarations de sinistres en ce qu'elles ont pour objet l'indemnisation des pertes d'exploitation résultant des mesures d'interdiction de recevoir du public, adoptées au plan national, et ayant entrainé la fermeture de tous les restaurants sur le territoire ;
* la clause d'exclusion est limitée dès lors qu'elle ne vide pas la garantie de sa substance ; le critère géographique retenu a pour objet de laisser le champ de la garantie à l'ensemble des décisions administratives individuelles applicables à un établissement, quel que soit l'événement assuré à l'origine de la fermeture (intoxication alimentaires, risques liés aux obligations d'hygiène et de sécurité de l'établissement, pollution, péril de l'immeuble, etc.), à l'ensemble des décisions administratives applicables au seul niveau local (départemental ou municipal) quel que soit l'événement assuré à l'origine de la fermeture (arrêté municipal ou préfectoral en cas de risques de troubles à l'ordre public ou de risques pour la population) ; le caractère très exceptionnel (évènement sanitaire lié au Covid-19 et les mesures sans précédent qui en découlent) du risque de fermeture collective sur le plan régional ou national par rapport à l'ensemble des évènements qui peuvent conduire à une mesure de fermeture administrative ou judiciaire d'un établissement confirme le caractère extrêmement limité de l'exclusion ; de plus la garantie « fermeture administrative » n'a pas pour objet de couvrir spécialement le risque d'épidémie et le risque de fermeture collective sur un plan local n'a rien d'improbable ; la Covid-19 est le premier cas d'épidémie qui a conduit à une fermeture collective d'établissement au niveau régional ou national alors que le risque de fermeture administrative existait auparavant;
* le contrat dénommé multirisque n'ayant pas pour objet de garantir spécifiquement et majoritairement le risque épidémique, il n'y avait pas lieu d'estimer qu'il ne correspondait pas aux besoins et à la situation de l'assuré ; le caractère exceptionnel du risque ne crée aucune obligation pour l'assureur de le couvrir ;
* le montant de la limite de garantie et son acceptation par l'assuré vient confirmer qu'il n'était pas dans l'intention des parties de couvrir un risque de type épidémie du Covid-19, risque exceptionnel qui a entrainé la fermeture de tous les établissements assurés sur une période 3 mois (15 mars- 15 juin) pour le 1er confinement et supérieur à 6 mois pour le second.
Sur ce,
L'article 113-1 alinéa 1er du code des assurances dispose que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
L'article L. 112-4 de ce même code ajoute que les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractère très apparents.
Il est en outre constant que les restrictions de garantie sont soumises au même régime que les exclusions.
Si les conditions particulières dérogent aux dispositions générales, les exclusions comprises dans ces dernières ont toutefois vocation à recevoir application, sauf contrariété entre les deux documents contractuels, ce qui n'est pas le cas.
Une exclusion est formelle si les termes sont suffisamment précis pour ne laisser aucun doute sur la volonté des parties de restreindre le champ d'application de la garantie, et si la clause n'est pas susceptible d'interprétation. Ainsi, la nullité des clauses d'exclusion rédigées de façon imprécise est encourue, de même que l'invalidité des clauses ambiguës qui ne peuvent être comprises sans un travail d'interprétation.
En application de l'article 113-1 précité, une exclusion est considérée comme limitée si son contenu est parfaitement déterminé et qu'elle n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance.
En l'espèce, c'est vainement que les sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION soutiennent que la clause d'exclusion invoquée par l'assureur ne leur est pas opposable aux motifs qu'elle n'est ni formelle, ni limitée, en violation des dispositions du code des assurances applicable en la matière.
L'exclusion de garantie de la « fermeture administrative » est stipulé en page 46 des conditions générales en caractère très apparent, (en gras dans le texte et dans une police supérieure au reste du texte).
Il est ainsi prévu que la « fermeture administrative » est assortie, outre les exclusions citées aux conditions générales, de deux exclusions spécifiques :
- « les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national »,
- « les dommages résultant du non-respect par l'assuré de la règlementation en vigueur ».
C'est la première de ces exclusions qui est invoquée par l'assureur. Elle est spécifique à la garantie « fermeture administrative » qui elle-même conditionnée à « une décision des autorités administratives ou judiciaires ».
En l'absence de doute au sens de l'article 1190 du code civil sur l'impossibilité de mobiliser la garantie, il n'y a pas lieu à interpréter la clause d'exclusion conformément à l'article 1192 du code civil. La volonté claire et sans équivoque des parties était de restreindre le champ d'application de la garantie en excluant les dommages résultant de la fermeture collective d'établissement dans une même région ou sur le plan national, s'agissant de l'objet même de l'exclusion.
L'expression « fermeture collective d'établissement » suppose nécessairement la fermeture de plusieurs établissements, qu'il soit ceux appartenant à LÉON DE BRUXELLES ou d'autres établissements, la fermeture collective d'un seul établissement n'ayant aucun sens.
Les termes suffisamment clairs : « une même région » qui s'entend nécessairement de la circonscription administrative, ou « sur le plan national » qui correspond à l'ensemble du territoire national, permettent sans difficulté de déterminer la délimitation géographique de la clause.
Il convient ensuite de rechercher si l'application de l'exclusion a pour effet d'annuler dans sa totalité la garantie stipulée.
En l'espèce, la garantie « fermeture administrative » est uniquement conditionnée à l'existence d'une décision prise par les autorités administratives ou judiciaires compétentes, qu'elle qu'en soit la cause. Elle n'a donc pas pour seul objet de couvrir spécifiquement le risque de survenance d'une épidémie.
Le critère géographique retenu est limité puisqu'il permet de délimiter la portée de l'exclusion aux seules mesures de fermeture collective applicables à l'échelle régionale ou nationale, pour laisser dans le champ de la garantie, toutes les mesures de fermeture individuelle et toutes les mesures de fermeture collective applicables à l'échelle départementale ou locale. La clause n'exclut pas l'indemnisation des préjudices d'exploitation nés d'une décision de fermeture administrative collective de plusieurs établissements dans le même département, voire la même commune, si seul ce département ou cette commune sont touchés par la décision de fermeture administrative.
L'assureur fait d'ailleurs valoir à juste titre que le risque de fermeture collective sur un plan local (départemental ou communal) n'a rien d'improbable comme en attestent les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 par divers arrêtés préfectoraux et/ou municipaux.
Il soutient également justement que la Covid-19 est le premier cas d'épidémie qui a conduit à une fermeture collective d'établissement au niveau régional ou national, alors même que le risque de fermeture administrative existait bien auparavant et que le caractère très exceptionnel du risque de fermeture collective sur le plan régional, ou national, par rapport à l'ensemble des événements qui peuvent conduire à une mesure de fermeture administrative ou judiciaire d'un établissement confirme s'il en est besoin le caractère extrêmement limité de l'exclusion.
De leur côté, les appelantes ne démontrent pas que la commune intention des parties, lors de la souscription du contrat, était de couvrir le risque d'une fermeture collective de tous ses établissements sur le plan national en cas d'épidémie, risque systémique, anormal et spécial, que l'assureur peut légitiment refuser de couvrir.
Aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ne permet de considérer que la clause doit être réputée non écrite conformément à l'article 1171 du code civil.
La preuve est donc rapportée que la clause d'exclusion n'est pas de portée générale, n'a pas pour effet de vider la garantie de son objet et n'est pas contraire à l'obligation de garantie.
En application de l'arrêté du 14 mars 2020, complété par celui du 15 mars 2020, du décret du 23 mars 2020 n°2020-293 adopté dans le cadre d'une loi d'urgence n° 2020-290 en date du 23 mars 2020 qui a déclaré l'état d'urgence sanitaire et du décret n° du 23 mars 2020 abrogé et remplacé par le décret n° 220-548 du 11 mai 2020, lui-même remplacé par le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, les pouvoirs publics ont adopté diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et notamment une mesure générale d'interdiction pour certains ERP de recevoir du public, parmi lesquels les restaurants, ceux-ci ont été contraints de fermer au public sur l'ensemble du territoire national pour la période comprise entre le 15 mars 2020 et le 1er juin 2020, et l'ensemble des restaurant situés en région Paris Ile de France (zone orange) ont fermé partiellement leur établissement (terrasses ouvertes) sur la période comprise en le 1er juin et le 15 juin 2020.
Ces mesures ont constitué des décisions de fermeture collective d'établissement sur « l'ensemble du territoire de la République » (plan national), ou sur une même région.
Les garanties du contrat ne peuvent donc être mobilisées, l'objet du sinistre correspondant au risque contractuellement exclu.
Les MMA sont en conséquence fondées à refuser leur garantie de ce chef.
Sur la garantie des pertes d'exploitation résultant des mesures de couvre-feu (période du 17 octobre au 29 octobre 2020) :
Les MMA font valoir que les pertes d'exploitation résultant des mesures de couvre-feu ne sont pas garanties, les interdictions de déplacement de la population constituant un facteur extérieur aux établissements, non garanti par le contrat, et qui n'auraient pas permis la réalisation d'un chiffre d'affaires. Les appelantes ne répondent pas explicitement sur ce point.
Sur ce,
En application de l'article 51 du décret du 16 octobre 2020 :
I Dans les départements mentionnés à l'annexe 2, le préfet de département interdit dans les zones qu'il définit, au seules fins de lutter contre la propagation du virus, « les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes. (...).
(...)
II Dans les zones définies par le préfet de département où l'interdiction des déplacements mentionnées au présent I s'applique :
1° Les établissements recevant du public relevant des types d'établissement définis (...) ne peuvent accueillir du public (...)
2° Les autres établissements recevant du public ne peuvent accueillir du public entre 21 heures et 6 heures du matin, sauf pour les activités mentionnées à l'annexe 5 (...)
Lorsqu'en application de l'article 51 du décret et de son annexe tous les territoires d'une même région étaient soumis au couvre-feu, alors l'exclusion s'applique.
Concernant les autres mesures de couvre-feu prises à l'échelle locale, l'exclusion n'est pas applicable en cas d'évènement garanti.
Il convient toutefois de déterminer si les conditions d'application de la garantie sont réunies au regard de la nature des mesures adoptées et de la définition des garanties.
Lorsque l'interdiction de déplacement existe, tous les établissements recevant du public, quel que soit leur activité ont interdiction de recevoir du public sur la période entre 21 heures et 6 heures du matin. L'interdiction d'accueillir du public durant les heures de couvre-feu ne peut donc être dissociées des interdictions de déplacement de la population.
Or, en application des termes du contrat, le dommage est évalué en tenant compte du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé en l'absence de sinistre et en tenant compte des facteurs extérieurs et intérieurs ayant eu indépendamment de ce sinistre, une influence sur son activité et ses résultats.
Les interdictions de déplacement de la population, que le Conseil d'Etat distingue des fermetures administratives, constituent bien des facteurs extérieurs à l'établissement non couverts par le contrat. Il ne fait aucun doute que du fait du couvre- feu l'assuré n'aurait eu aucun client en salle quand bien même ses établissements seraient restés ouverts puisque ses clients avaient une interdiction de quitter leur domicile, hors les cas autorisés parmi lesquels ne figurent pas la restauration et /ou les achats alimentaires.
En conséquence, au regard des modalités contractuelles d'évaluation des pertes d'exploitation aucune indemnité n'est contractuellement due puisque les pertes se seraient produites, même en l'absence de sinistre, soit la fermeture administrative des établissements, les mesures d'interdiction de déplacement (couvre-feu) de la population ne constituant pas un évènement garanti.
Le jugement sera en conséquence confirmé par motifs substitués.
Sur les autres demandes :
Compte tenu de l'issue du litige, l'examen des autres moyens concernant notamment le calcul des pertes d'exploitation et la demande d'expertise est devenu sans objet.
Le jugement sera confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
Les sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION qui succombent seront condamnées aux dépens d'appel.
Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties qui seront en conséquence déboutées de leurs demandes de ce chef.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement par motifs substitués, sauf en ce qu'il a dit que la société B. RESTAURATION ne justifie pas d'un intérêt à agir,
Statuant sur le chef infirmé et y ajoutant,
Dit que la société B. RESTAURATION justifie d'un intérêt à agir ;
Condamne les sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION aux dépens d'appel ;
Déboute, d'une part, les sociétés LÉON DE BRUXELLES et B. RESTAURATION et d'autre part, les sociétés MMA de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE