CA NÎMES (4e ch. com.), 11 mai 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9629
CA NÎMES (4e ch. com.), 11 mai 2022 : RG n° 20/01872
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article 13 des conditions générales de vente signée par la locataire stipule que « les matériels loués devront, dès la résiliation des contrats, être restitués immédiatement dans les locaux désignés par le bailleur et verser une indemnité forfaitaire définitive outre les loyers impayés ainsi que tous les accessoires, en réparation du préjudice subi lié à la perte de la totalité des loyers HT restant à courir ».
Pour assurer la bonne exécution de cette clause, cette somme sera majorée d'une peine égale à 10 % de la totalité des loyers HT restant à échoir. Cet article précise en outre que tous les frais et honoraires, toutes dépenses que le bailleur devra exposer pour satisfaire à l'obligation de restitution du locataire défaillant sont à la charge exclusive du locataire.
La locataire dénonce l'existence de contrats d'adhésion n'ayant donné lieu à aucune négociation et considère dès lors que la clause édictée à l'article 13 doit être réputée non écrite car abusive en ce qu'elle créée un déséquilibre significatif entre les parties contractantes.
En-dehors du premier contrat, les autres actes comportent tous une clause spécifique selon laquelle une restitution du matériel est possible après 36 mois sans pénalités démontrant par la même l'existence de négociation ou la possibilité de négocier ce qui rend inopérant l'argument susvisé pour l'ensemble des contrats.
La locataire ne peut donc légitimement indiquer que la clause lui a été imposée par son cocontractant et qu'elle n'a pas été en mesure de négocier la teneur.
Elle ne démontre aucun déséquilibre entre les parties de sorte que cette clause doit être considérée comme valable ce qu'a indiqué justement le tribunal de commerce. »
COUR D’APPEL DE NÎMES
QUATRIÈME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 11 MAI 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/01872. N° Portalis DBVH-V-B7E-HYMU. TRIBUNAL DE COMMERCE D'AUBENAS, 2 juin 2020 : R.G. n° 2019 1719.
APPELANTE :
SAS VAUCLUSE DIFFUSION
immatriculée au RCS sous le numéro XXX, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social, [...], [...], Représentée par Maître Emmanuelle V. de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES, Représentée par Maître H. Amila, substituant Maître Hedy S. de la SELAS F., Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
SAS L. EQUIPEMENT
SAS au capital de YYY €, immatriculée au RCS de AUBENAS sous le n° ZZZ, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [...], [...], [...], Représentée par Maître Typhaine DE R. de la SCP D. & C., Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'ARDECHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS : Mme Corinne STRUNK, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, Mme Corinne STRUNK, Conseillère, Madame Claire OUGIER, Conseillère.
GREFFIER : Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4èmechambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS : À l'audience publique du 14 avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 mai 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT : Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Corinne STRUNK, Conseillère, pour la présidente empêchée, le 11 mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ :
Vu l'appel interjeté le 29 juillet 2020 par la Sas Vaucluse Diffusion à l'encontre du jugement prononcé le 2 juin 2020 par le tribunal de commerce d'Aubenas dans l'instance n° 20191719 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 mars 2022 par la Sas Vaucluse Diffusion, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 7 septembre 2021 par la Sas L. Equipement, intimée et appelant incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 31 mars 2022 en date du 13 décembre 2021 pour une fixation à l'audience de plaidoiries du 14 avril 2022 ;
Vu le message reçu par Rpva le 31 mars aux termes duquel l'intimée demande le rejet des dernières écritures de son contradicteur comme étant tardives et non respectueuse du contradictoire ;
* * *
La société Vaucluse Diffusion (ci-après la locataire), spécialisée dans le commerce de détail d'autres équipements du foyer, a souscrit divers contrats de location de charriots élévateurs pour une durée de 60 mois auprès de la société L. Equipement (ci-après le bailleur) dans le cadre de l'exploitation de ses magasins.
Elle s'est rapprochée de son cocontractant pour résilier tous les contrats de location par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception le 19 décembre 2018.
Dans ce courrier, la locataire l'informait de ce qu'il pouvait récupérer le matériel loué fin février 2019 et que passé cette date, elle s'exonérerait du paiement des loyers et des éventuelles indemnités.
Le bailleur récupérait ce matériel et adressait à son cocontractant une facture définitive comprenant les indemnités de résiliation au 28 février 2019 ainsi que le remboursement des frais de transport soit une somme totale de 80.973,53 euros.
Il adressait à sa locataire une mise en demeure le 12 avril 2019 l'invitant à régler cette somme.
Dans ce contexte, et par acte d'huissier délivré le 17 juillet 2019, le bailleur saisissait la juridiction consulaire pour obtenir la condamnation de son cocontractant au paiement des sommes restant dues ainsi qu'à des dommages et intérêts du fait de sa résistance abusive.
Par jugement du 2 juin 2020, le tribunal de commerce d'Aubenas a :
- Condamné la locataire à payer au bailleur la somme de 80.973,53 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019,
- Rejeté la demande en paiement de la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- Condamné la locataire à verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné la locataire aux dépens de l'instance dont frais de greffe taxés à la somme de 63,36 euros ttc.
* * *
La locataire expose qu'elle appartient à un groupe international qui a connu de graves difficultés financières et économiques en 2017 suite à un scandale financier le contraignant à cesser l'activité de certaines sociétés dont la sienne.
Cette cessation totale et définitive d'activité devait ainsi entraîner la fermeture de 5 de ses 6 magasins avec effet au 28 février 2019 en présence d'une chute importante de son chiffre d'affaires lequel a été divisé par trois de 2017 à 2018, la contraignant dans ce contexte à réclamer la résiliation de nombreux contrats dont ceux la liant au bailleur.
Elle allègue également que la société a accumulé d'importantes pertes financières liées aussi à la concurrence déloyale d'internet avec l'essor de la vente en ligne impactant directement son activité. Sur ce point, elle considère que cette concurrence n'était pas prévisible contrairement à ce qu'indique son contradicteur
Dans ce contexte, elle fonde la demande de résiliation des contrats sur l'article 1195 du code civil alléguant pour ce faire de circonstances imprévisibles et extérieures en présence de difficultés financières rencontrées par le groupe international auquel elle appartient, la contraignant à la cessation d'activité et la fermeture de plusieurs magasins.
Elle indique à cet égard que lors de la signature des contrats de location, elle était dans l'incapacité d'anticiper ses futures difficultés financières ainsi que le scandale financier impactant le groupe qui est la cause essentielle de la résiliation des contrats dont l'exécution devenait particulièrement onéreuse, ce qui l'autorisait à les résilier de manière unilatérale et sans pénalité.
Ce faisant, le tribunal de commerce devait faire application de la théorie de l'imprévision et écarter la demande en paiement.
A défaut, elle s'oppose à l'application de la clause relative à l'indemnité de résiliation ; la locataire prétend en effet qu'il s'agit de contrats d'adhésion n'ayant donné lieu à aucune négociation et que dès lors la clause édictée à l'article 13 doit être réputée non écrite car abusive en ce qu'elle créée un déséquilibre significatif entre les parties contractantes.
A titre subsidiaire, l'appelante s'oppose au montant exorbitant de la clause pénale et dénonce l'absence de justificatifs versés au soutien de la facture relative à l'indemnité réclamée qui ne détaille pas la base de calcul.
Elle rappelle également la possibilité de sortir du contrat à l'issue de 36 mois d'engagement sans pénalité ce qui n'a pas été considéré par la juridiction consulaire ; elle dénonce enfin la contrariété entre les chiffres retenus dans le tableau des pénalités établi par l'intimée et les sommes réclamées par la suite.
A défaut, l'appelante demande à la cour qu'elle procède à une baisse très significative du montant de la clause pénale qui s'avère excessive tout en considérant son attitude particulièrement loyale, celle-ci ayant informé son cocontractant de son intention de résilier les contrats dès le mois de décembre 2018 pour lui permettre de s'organiser et récupérer le matériel.
[*]
Dans des conclusions du 27 octobre 2020 complétées par un jeu d'écritures daté du 29 mars 2022, l'appelante sollicite de la Cour, en application des articles 1195, 1171, 1110 al 2, 1226 ancien et 1231-5 du code, de :
La déclarant recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
« Dit que la clause forfaitaire d'indemnisation prévue dans les conditions générales de vente est en réalité une clause pénale,
Dit n'y avoir lieu à réviser le montant demandé au titre de la clause pénale, telle que requalifiée,
Débouté la société appelante de l'ensemble de ses demandes,
Condamné la société appelante à payer à la société intimée la somme de 80.973,53€, outre intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019,
Condamné la société appelante à à la société la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société appelante aux dépens, dont frais de greffe taxés à la somme de 63,36 € TTC.
Ordonné l'exécution provisoire du jugement ».
Statuant à nouveau,
Recevoir la société appelante en ses demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
- Dire et juger que les contrats liant la société appelante à la société intimée sont des contrats d'adhésion.
- Dire et juger que ces contrats présentent une clause abusive créant un déséquilibre significatif entre les parties contractantes.
- Dire et juger que l'article 13 des conditions générales de vente du contrat est réputé non écrit.
- Dire et juger que la société intimée ne peut se prévaloir de la clause relative à une indemnité de pénalité prévue à l'article 13.
- Dire et juger que les difficultés économiques imprévisibles rencontrées par le Groupe International ayant gravement impacté la situation économique de la société appelante, ayant rendu impossible la poursuite de son activité et l'ayant contrainte à fermer ses établissements, sont des changements de circonstances imprévisibles ayant rendu manifestement excessive et impossible, l'exécution des contrats la liant à la société intimée.
- Dire et juger que les contrats liant la société appelante à la société intimée sont donc résiliés depuis le 28 février 2019 et ce sans indemnité.
Subsidiairement, dans l'hypothèse où l'application de l'article 1195 du code civil ne serait pas retenu ou ne serait pas applicable,
- Dire et juger que la société intimée ne justifie nullement d'un préjudice pouvant être fixé à la somme de 80.973,53 euros
- Dire et juger que la société intimée est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombait au titre de la fixation dudit préjudice
- Dire et juger que le montant forfaitaire des indemnités de résiliation sollicité par la société intimée constitue des dommages et intérêts ayant uniquement pour objectif de sanctionner le manquement de la société appelante, s'analysant en des « clauses pénales » pouvant donc être d'office réduites par un juge
- Dire et juger que la clause pénale dont se prévaut la société intimée est abusive et que les sommes qu'elle sollicite en paiement d'indemnités forfaitaires de résiliation des divers contrats sont manifestement très excessives.
En conséquence,
- Dire et juger, au vu du caractère abusif de la clause pénale, de la bonne foi de la société appelante, de la cessation de son activité, et du comportement de la société intimée, que l'indemnité forfaitaire dont elle se prévaut s'élèvera à 1 € symbolique
- Dire et juger que l'équité ne justifie pas de la société appelante de payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens, dont frais de greffe taxés à la somme de 63,36 euros TTC.
En toutes hypothèses,
- Débouter la société intimée, de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident.
- Condamner la société intimée à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Condamner l'intimée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
* * *
Le bailleur conteste à titre principal l'applicabilité de l'article 1195 du code civil et la théorie de l'imprévision pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 mais également en l'absence de preuve de circonstances imprévisibles et de l'onérosité excessive de sa situation. Elle considère pour sa part que son lien avec le groupe international évoqué n'est pas établi et relève que les difficultés financières sont bien antérieures au prétendu scandale.
Sur ce point, elle souligne que l'appelante n'a pas cessé toute activité puisqu'elle poursuit l'exploitation d'un établissement sur Marseille. Elle conteste également le caractère extérieur et imprévisible de ses difficultés, l'essor du E-commerce étant selon elle prévisible.
Enfin, il souligne que son cocontractant ne l'a jamais sollicité pour renégocier les termes des contrats comme cela est prévu à l'article 1195 du code civil le plaçant devant le fait accompli en résiliant les contrats.
Il réclame l'application réclame des conditions générales des contrats et notamment les dispositions prévues à l'article 13 relatives à la résiliation, contestant l'existence de contrat d'adhésion rappelant qu'en dehors du premier contrat, ces derniers contiennent une clause spécifique qui atteste justement d'une négociation.
Sa demande est entièrement justifiée et le calcul de l'indemnité repose bien sur une durée de 36 mois.
Il conteste enfin l'existence d'une clause pénale et à défaut rappelle sa légalité et sa conformité aux pratiques commerciales s'opposant à toute diminution.
[*]
Dans ses dernières conclusions, l'intimée sollicitée de la Cour, en application des articles 1103 et 1195 du code civil, de :
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Aubenas en ce qu'il a condamné la société appelante à lui payer à la société la somme de 80.973,53 €, outre intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019, et aux entiers dépens.
- Infirmer pour le surplus sauf à dire n'y avoir lieu à réviser le montant demandé au titre de la clause pénale, si la Cour confirmait que la clause alléguée devait être requalifiée comme telle,
En conséquence,
- Condamner la société appelante à lui payer la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- Condamner la Société appelante à lui payer la somme de 5.000 € en application des frais irrépétibles de première instance et 5.000 €au titre des frais irrépétibles d'appel,
- Condamner la Société appelante aux entiers dépens d'appel en sus de ceux de première instance.
- Débouter la société appelante de toutes demandes, fins et prétentions.
[*]
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Sur le rejet des conclusions du 29 mars 2022 :
Selon l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications, et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, le bailleur a remis ses conclusions par Rpva le 29 mars 2022 pour une audience fixée le 7 avril 2022 avec une clôture des débats fixée au 31 mars 2022.
L'appelante considère cette communication comme tardive et déloyale à deux jours de la clôture, alors que la partie adverse avait en sa possession ses écritures depuis le 7 septembre 2021 ; elle prétend avoir été privée de la faculté de prendre connaissance de ses écritures dans un délai raisonnable et de la possibilité d'y répondre.
En l'état, les nouvelles conclusions ne comprennent pas de modifications substantielles par rapport à celles déposées le 27 octobre 2020 s'agissant du développement de moyens précédemment évoqués et ne comportant pas non plus de nouvelles prétentions.
Par ailleurs, il doit être considéré qu'un délai de deux jours est suffisant pour la partie adverse de prendre connaissance des nouvelles écritures et y répondre de manière pertinente de sorte que la demande, tendant à voir déclarer les conclusions déposées le 29 mars 2022 irrecevables pour non-respect du principe du contradictoire, sera rejetée.
Sur la demande principale :
Sur la théorie de l'imprévision :
L'article 1195 du code civil énonce que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procédure à son adaptation. A défaut, dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe ».
Au cas présent, les parties sont liées par 12 contrats de location, le premier signé en 2015 et les 11 autres signés après le 1er octobre 2016.
Par lettre recommandée adressée avec accusé de réception le 19 décembre 2018, adressée pour chaque contrat, le conseil de la locataire a informé son cocontractant de la résiliation anticipée des contrats les liant en ces termes :
« Notre cliente connaît actuellement des difficultés financières et économiques très importantes qu'elle ne parvient pas à surmonter malgré les efforts qu'elle n'a de cesse de déployer.
Cette situation s'explique par le fait que la société locataire appartient au Groupe S. international, lequel fait, comme vous le savez certainement, l'objet d'un scandale financier mondial ayant trait à de prétendues irrégularités comptables.
Cette situation a généré un effondrement du cours des actions et le groupe tente désormais, afin d'éviter une faillite imminente, de mettre en place une restructuration de sa dette soutenue par un pourcentage très élevé de créanciers ».
Dans ce contexte, la société locataire, qui avait bon espoir de ne pas subir les foudres économiques et financiers de cette affaire, a bien tenté de poursuivre au mieux son activité.
Malheureusement, le fait est qu'elle est aujourd'hui directement et très fortement impactée par la pression de ces évènements, devenus irrésistibles. En effet, la situation est critique au point que la société prévoit la mise en place très prochaine d'un plan social, cette dernière devant faire face à une perte de 10 millions d'euros environ chaque année.
Vous noterez que ce changement de circonstances, que la société locataire subit malgré elle, mènera à une cessation totale de son activité au 28 février 2019.
En conséquence, nous vous informons que la société locataire n'a pas d'autre choix que de résilier, outre le contrat principal de location la liant à la société intimée, ce contrat accessoire vous liant à ladite date ; vous précisant que le matériel, objet du contrat, sera en principe récupéré par la société intimée avant la fermeture en semaine 09 ;
A toutes fins utiles, le législateur, soucieux de protéger les contractants ayant à subir les conséquences d'un changement de circonstances économiques, financières ou autres dans le cadre de l'exécution d'un contrat, a d'ailleurs prévu cette possibilité de rupture aux termes de l'article 1195 du code civil ».
Par courriers en réponse du 22 janvier 2019, le bailleur s'oppose à aux conditions de résiliation entendant faire application des conditions générales du contrat soulignant que le locataire ne propose pas une renégociation mais imposant à son cocontractant une résiliation sans frais ce à quoi il s'oppose.
En l'état, l'article 1195 du code civil ne s'appliquant qu'aux contrats conclus après le 1er octobre, le contrat signé en 2015 ne peut être concerné par la théorie de l'imprévision. Pour les 11 autres contrats, l'article susvisé est applicable.
En l'occurrence, il est justifié que la société locataire a fermé l'intégralité de ses magasins, sauf celui établi sur Marseille, pour partie en mai et juin 2017, avec une fermeture en juillet 2019 et une en janvier 2020.
Elle met en lien ces fermetures avec les difficultés rencontrées par le groupe international S. dues à la révélation de fraudes comptables massives ayant fait dégringoler le cours de bourse du groupe et produit en pièce 1 des articles de presse faisant état « de l'histoire d'un petit marchand de meubles allemand, devenu un géant sud-africain de la distribution, le rival mondial d'I., propriétaire de marques célèbres, notamment en France et qui s'effondre comme un château de cartes » ainsi que l'impact sur C' France dont le groupe international est l'unique actionnaire.
La locataire produit également le bilan portant sur la période du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2018 ainsi qu'un courrier attestant du dépôt d'un plan de sauvegarde de l'emploi établi dans le cadre d'un projet de cessation totale et définitive de l'activité de la société appelante.
Si les difficultés de la locataire sont réelles comme en atteste le bilan comptable laissant apparaître une perte de 38.061.610 euros en 2017 et de 22.759.570 euros en 2018, toujours est-il que la locataire n'établit pas le lien juridique qui la rattacherait au groupe international dont elle fait état dans ses écritures , les documents produits concernant l'enseigne C'avec laquelle il n'est pas démontré qu'elle ait un lien ce que souligne l'intimée de sorte qu'elle ne peut légitimement revendiquer les difficultés du groupe pour solliciter l'application de la théorie de l'imprévision.
Par ailleurs, l'examen du bilan révèle que les difficultés sont bien antérieures aux problèmes économiques rencontrées par le groupe international et se trouvent en toute hypothèse sans lien avec le scandale financier évoqué.
Il n'est pas démontré enfin que les difficultés financières de la société appelante soient imprévisibles et extérieures à son fonctionnement ni qu'elles soient liées à une concurrence déloyale du fait du développement du e-commerce sur internet dont rien ne prouve d'ailleurs qu'il revêt un caractère imprévisible, car étant une suite logique du développement d'internet débuté depuis plusieurs années.
Pour finir, il n'est pas justifié que les parties soient entrées dans une phase de renégociation comme le suggère l'article 1195 du code civil, la locataire informant simplement son cocontractant de la résiliation anticipée du contrat de sorte que les conditions de forme posées par ledit article ne sont pas respectées.
En conséquence, en l'absence de preuve par la locataire de circonstances imprévisibles et extérieures aux parties, l'appelante ne peut revendiquer l'application de la théorie de l'imprévision comme l'a justement indiqué le tribunal de commerce dont la décision sera confirmée de ce chef.
Sur la nullité de la clause :
L'article 13 des conditions générales de vente signée par la locataire stipule que « les matériels loués devront, dès la résiliation des contrats, être restitués immédiatement dans les locaux désignés par le bailleur et verser une indemnité forfaitaire définitive outre les loyers impayés ainsi que tous les accessoires, en réparation du préjudice subi lié à la perte de la totalité des loyers HT restant à courir ».
Pour assurer la bonne exécution de cette clause, cette somme sera majorée d'une peine égale à 10% de la totalité des loyers HT restant à échoir. Cet article précise en outre que tous les frais et honoraires, toutes dépenses que le bailleur devra exposer pour satisfaire à l'obligation de restitution du locataire défaillant sont à la charge exclusive du locataire.
La locataire dénonce l'existence de contrats d'adhésion n'ayant donné lieu à aucune négociation et considère dès lors que la clause édictée à l'article 13 doit être réputée non écrite car abusive en ce qu'elle créée un déséquilibre significatif entre les parties contractantes.
En-dehors du premier contrat, les autres actes comportent tous une clause spécifique selon laquelle une restitution du matériel est possible après 36 mois sans pénalités démontrant par la même l'existence de négociation ou la possibilité de négocier ce qui rend inopérant l'argument susvisé pour l'ensemble des contrats.
La locataire ne peut donc légitimement indiquer que la clause lui a été imposée par son cocontractant et qu'elle n'a pas été en mesure de négocier la teneur.
Elle ne démontre aucun déséquilibre entre les parties de sorte que cette clause doit être considérée comme valable ce qu'a indiqué justement le tribunal de commerce.
Sur la clause pénale :
Selon l'article 1231-5 du code civil, « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent' sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure ».
Le tribunal de commerce a retenu l'existence d'une clause pénale du fait de son caractère comminatoire, indemnitaire et compensatoire.
Cette analyse sera confirmée en présence d'une clause prévoyant la majoration de l'indemnité d'une peine égale à 10% de la totalité des loyers ht restant à échoir ayant pour effet de contraindre le locataire à exécuter le contrat jusqu'à son terme et à défaut en ce qu'elle permet une réparation subie par le bailleur du fait de l'exécution partielle du contrat.
La qualification de clause pénale sera donc retenue et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
En l'état, il est sollicité une somme de 67.027,94 euros ventilée comme suit :
- 6.388,50 euros pour le contrat présentant encore 19 mois à effectuer avant le terme sur la base d'un loyer de 305,67 euros ;
- 2.992,99 euros par contrat ayant encore 13 mois avant la sortie sur la base d'un loyer de 209,30 euros soit 20.950,93 euros pour 7 contrats ;
- 3.024,31 euros par contrat ayant encore 13 mois avant la sortie sur la base d'un loyer de 211,49 euros, soit 6.048,62 euros pour deux contrats ;
- 8.409,97 euros par contrat ayant encore 13 mois avant la sortie sur la base d'un loyer de 588,11 euros, soit 33.639,88 euros pour quatre contrats ;
La somme réclamée ne paraît pas excessive ni dérisoire de sorte qu'il y sera fait droit dans sa totalité.
Sur la créance :
Le montant de la créance est contesté par la locataire qui souligne la contradiction existant entre un premier tableau établi par le bailleur et reprenant les pénalités et les chiffres aujourd'hui réclamés.
Le bailleur ne conteste pas cette divergence qu'il explique par une erreur de calcul dans le premier tableau, les indemnités ayant été calculées sur une durée de 60 mois sans prendre en compte la possibilité pour la locataire de sortir de la relation contractuelle au bout de 36 mois.
En l'état, le décompte final prévoit l'application de la clause spécifique prévoyant une sortie du matériel au bout de 36 mois sauf pour le premier contrat ce qui est correspond aux termes contractuels.
Les sommes réclamées sont par ailleurs conformes aux dispositions prévues à l'article 13 des conditions générales de vente de sorte qu'il sera fait droit à la demande en paiement comprenant à la fois l'indemnité de pénalités de sortie ainsi que les frais de transport puisqu'il est prévu la restitution à la charge du locataire.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré qui a condamné l'appelante au paiement de la somme de 80.973,53 euros ttc assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019.
Sur la demande pour procédure abusive :
La mauvaise appréciation de ses droits n'est pas constitutive d'une résistance abusive ; il convient de débouter le bailleur de sa demande de dommages et intérêts et de confirmer le jugement déféré de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La locataire, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel et payer à l'appelante une somme équitablement arbitrée à 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Déboute Sas L. Equipement de la demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions déposées le 29 mars 2022 irrecevables pour non-respect du principe du contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la Sas Vaucluse Diffusion à payer à la société L. Equipement une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
Dit que la société SAS Vaucluse Diffusion supportera les dépens d'appel.
Arrêt signé par Mme STRUNK, Conseillère, pour la présidente empêchée, et par Monsieur LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale.
LE GREFFIER, LA CONSEILLÈRE,
POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE