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CA CHAMBÉRY (2e ch.), 8 septembre 2022

Nature : Décision
Titre : CA CHAMBÉRY (2e ch.), 8 septembre 2022
Pays : France
Juridiction : Chambery (CA), 2e ch.
Demande : 20/00857
Date : 8/09/2022
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 30/07/2020
Référence bibliographique : 9742 (prêt immobilier, monnaie étrangère)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9770

CA CHAMBÉRY (2e ch.), 8 septembre 2022 : RG n° 20/00857 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Il en résulte que les époux X. percevaient, au jour de la souscription des emprunts, 80 % de leurs revenus en devises suisses. Or, contrairement à ce qui est exposé par l'appelant, le remboursement en devises suisses n'est pas prohibé lorsque les emprunteurs perçoivent l'essentiel de leurs revenus en CHF de sorte que la nullité des clauses fixant le remboursement des échéances en devises ou la nullité des concours libellés en devises n'est pas encourue, la devise de l'emprunt et du remboursement des échéances étant la même que celle des revenus de Madame Y. qui percevait le salaire le plus important du foyer. »

2/ « En ce qu'elles portent sur le fonctionnement du mécanisme de remboursement des échéances du prêt, convenues en devises, les clauses litigieuses constituent l'objet principal de la convention dans la mesure où elles définissent les modalités d'exécution de l'obligation principale des emprunteurs, soit l'obligation de rembourser les échéances selon les modalités contractuellement fixées en contrepartie du déblocage des fonds par la banque.

Or, les stipulations critiquées, rédigées en des termes clairs et compréhensibles tant sur le plan formel que grammatical pour un consommateur normalement avisé, s'avèrent parfaitement intelligibles quant aux conséquences économiques relatives au risque de change et plus spécialement encore pour des emprunteurs bénéficiant, avant la signature du contrat, de revenus en euros pour l'un puis de revenus en CHF pour l'autre et qui s'avèrent donc notoirement conscients de l'évolution dans le temps de la parité euros / CHF puis de l'ampleur et de la portée économique d'une telle clause quant au risque de change.

Par conséquent, ces dernières ne sauraient être déclarées abusives et réputées non-écrites. En ce sens, Monsieur X. et Madame Y. doivent être déboutés de leurs demandes. »

3/ « En l'espèce, il a été rappelé que les emprunteurs percevaient majoritairement leurs revenus en francs suisses et étaient en capacité de comprendre l'incidence des stipulations relatives au risque de change à la signature du contrat. En outre, il doit être relevé que Monsieur X. et Madame Y. ont l'un et l'autre signé une notice, préalablement à leur engagement, stipulant que « l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêt, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français. Ce taux peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, par rapport aux prêts en euro. Mais attention, le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit. Nous pensons qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt et l'invitons à contacter son agence habituelle s'il devait estimer qu'une couverture du risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune. La couverture à terme est un moyen d'éliminer totalement ou partiellement le risque de change [...]. Les conditions et les modalités de réalisation de cette opération seront examinées sur demande de l'emprunteur ».

Il en résulte que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manifestement exécuté de façon précise et détaillée son obligation d'information et mise en garde de Monsieur X. et Madame Y. quant à l'existence d'un risque de change et sur les conséquences économiques subséquentes susceptibles d'intervenir en leur faveur ou en leur défaveur en leur proposant, au surplus, s'ils l'estimaient nécessaires, d'envisager la souscription d'une couverture pour limiter l'aléa issu du mécanisme. Dès lors, aucune faute ne saurait être reprochée à la banque. »

 

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/00857. N° Portalis DBVY-V-B7E-GPVA. Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'Annecy en date du 26 mai 2020, RG 19/01435.

 

Appelant :

M. X.

né le [Date naissance 2] à [Localité 6], demeurant [Adresse 4], Représenté par Maître Nicolas PARADAN, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

 

Intimées :

Mme Y.

née le [Date naissance 1] à [Localité 5], demeurant [Adresse 3], Représentée par la SCP COTTET-BRETONNIER NAVARRETE, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

SA CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE

 dont le siège social est sis [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal, Représentée par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocat au barreau d'ANNECY

 

COMPOSITION DE LA COUR : Lors de l'audience publique des débats, tenue le 12 avril 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par : - Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente - Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, - Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 14 juin 2011, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a consenti à Monsieur X. et à Madame Y. son épouse pour l'acquisition d'une maison individuelle :

- un prêt habitat en devises n° 41XX3 d'un montant correspondant à la contre-valeur en CHF de la somme de 100.000 euros remboursable trimestriellement au taux fixe de 2,85 %,

- un prêt habitat en devises n° 41YY4 d'un montant correspondant à la contre-valeur en CHF de la somme de 144.709 euros remboursable trimestriellement au taux initial révisable de 0,9283%,

- un prêt à taux zéro n° 418ZZ5 d'un montant de 36.080 euros remboursable sur 192 mois.

Les époux X. s'étant montrés défaillants dans le remboursement des échéances, la banque a prononcé la déchéance du terme des concours le 28 juin 2019 en mettant en demeure les emprunteurs d'avoir à lui régler la somme totale de 239.994,68 euros selon décompte arrêté à cette même date.

Faute de règlement spontané, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a fait assigner en paiement les époux X. par acte des 30 septembre et 3 octobre 2019.

Par jugement réputé contradictoire du 26 mai 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :

- condamné les époux X. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie les sommes suivantes :

* 101.045,23 euros au titre du prêt n° 41XX3 selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts au taux contractuel de 2,85 % à compter du 1er septembre 2019,

* 121.159,98 euros au titre du prêt n° 41YY4 selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts au taux contractuel de 0,03 % à compter du 1er septembre 2019,

* 18.227,60 euros au titre du prêt n° 418ZZ5 selon décompte arrêté au 5 juillet 2019, outre intérêts au taux légal à compter de la présentation de la mise en demeure le 19 octobre 2018,

- condamné les époux X. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux X. aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous,

- débouté la Casse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie du surplus de ses prétentions,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par acte du 30 juillet 2020, Monsieur X. a interjeté appel du jugement.

Statuant sur incident, par ordonnance du 8 juillet 2021, le conseiller de la mise en état de la 2ème section de la chambre civile de la cour d'appel de Chambéry a retenu la recevabilité de l'appel principal de Monsieur X. ainsi que celle de l'appel incident de Madame Y.

*

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur X. demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré l'ayant condamné au paiement du solde du prêt et des intérêts,

- dire que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son devoir d'information en ne lui permettant pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'un emprunt en devises suisses sur ses obligations financières,

- retenir la responsabilité de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie pour manquement au devoir d'information,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à la déchéance des intérêts,

- constater que le risque de change pesait exclusivement sur lui,

- constater que la clause figurant dans l'offre de prêt de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie se bornait à mentionner que l'emprunteur consentait à supporter le risque de change mais ne faisait aucunement référence, pas plus que l'offre de prêt, aux conséquences économiques concrètes liées à la réalisation du risque de change sur la situation et les obligations financières de l'emprunteur,

- constater que n'étaient pas explicitées les conséquences résultant mécaniquement d'une variation du taux de change sur l'augmentation potentielle de la contre-valeur en euros du capital restant dû et du montant en euros des échéances de remboursement,

- dire qu'en qualité de consommateur non-averti, il ne pouvait anticiper les conséquences économiques qu'impliquerait un décrochage de l'euro par rapport au franc suisse,

- dire que la clause aboutit à faire peser sur lui de manière significative un risque de change dont il n'était manifestement pas en mesure d'apprécier la nature et la portée au jour de la souscription de l'offre de prêt,

- juger qu'une telle clause, ne saurait être regardée comme suffisamment claire et compréhensible et qu'elle a pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et qu'elle doit être considérée comme abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation,

En conséquence,

- procéder à l'annulation des clauses litigieuses qui seront réputée non-écrites,

- prononcer la nullité de la clause qui prévoit la devise suisse en monnaie de règlement et prononcer la nullité des prêts n°41XX3, 41YY4 et 418ZZ5 consentis par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,

- rappeler que la stipulation d'une obligation en monnaie étrangère est licite, dès lors que cette monnaie est prévue non comme instrument de paiement mais comme unité de compte,

- constater que le franc suisse a été utilisé comme monnaie de paiement dans les offres de prêt n°41XX3, 41YY4 et 418ZZ5 consenties par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,

- juger que la clause en espèces étrangères du prêt litigieux doit être frappée de nullité absolue et donc imprescriptible,

En conséquence,

- dire que Monsieur X. et Madame Y. ne seront tenus qu'au remboursement du capital initialement prévu en euros,

- condamner Monsieur X. et Madame Y. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie les sommes dues au titre du capital restant avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole des Savoie à payer Monsieur X. et Madame Y. les sommes versées au titre des intérêts et des commissions de change arrêtées,

- constater la compensation à due concurrence des créances réciproques des parties,

- dire que les sûretés réelles ou personnelles garantissant chacun des contrats de prêt annulés subsisteront jusqu'à l'extinction de l'obligation de restitution de l'emprunteur pour chaque prêt concerné,

À titre infiniment subsidiaire, vu les dispositions de l'article L. 313-12 du code de la consommation, ordonner la suspension de ses obligations durant une année,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à lui payer une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

[*]

Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 2 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame Y. demande pour sa part à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en l'intégralité de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire et juger nulle la clause de change stipulée dans l'offre de prêt établie par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à lui payer, une indemnité équivalente au montant des pertes occasionnées par la variation du cours du change :

pour la période antérieure à la déchéance du terme selon le taux de change en vigueur pendant la durée du crédit,

pour la période postérieure à la déchéance du terme selon le taux de change en vigueur au jour de la déchéance du terme,

- dire et juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son devoir de conseil à son égard,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à lui payer une indemnité équivalente au montant des pertes occasionnées par la variation du cours du change :

pour la période antérieure à la déchéance du terme selon le taux de change en vigueur pendant la durée du crédit

pour la période postérieure à la déchéance du terme selon le taux de change en vigueur au jour de ladite déchéance du terme,

- dire et juger que la clause pénale insérée dans les prêts régularisés avec la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie est sujette à modération,

- la modérer à hauteur de 1 euro symbolique.

[*]

En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 14 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :

Sur la condamnation de l'emprunteur au respect des obligations contractuelle,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Sur l'absence de nullité du contrat,

- constater que les prêts en devises se justifient par les revenus de l'emprunteur principal, Madame Y.,

- constater l'absence d'atteinte au cours de la monnaie nationale des contrats de prêt,

En conséquence, à titre principal,

- débouter Monsieur X. et Madame Y. de leurs demandes tendant à voir prononcer la nullité des contrats de prêts,

À titre subsidiaire, si la cour devait prononcer la nullité des contrats de prêts,

- condamner solidairement Monsieur X. et Madame Y. à lui restituer la somme de 353 625,27 CHF outre intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2011,

Sur l'absence de caractère abusif lié à la devise CHF, à titre principal,

- constater l'absence de clause abusive dans les contrats de prêt,

- débouter en conséquence Monsieur X. et Madame Y. de leur demande visant à ce que la clause imposant le remboursement des échéances du prêt en devises CHF soit réputée non-écrite,

À titre subsidiaire, si la cour retenait le caractère abusif de la stipulation d'intérêt conventionnel,

- constater que les prêts sont à intérêts et non gratuits,

En conséquence,

- dire et juger que doit être substitué au taux d'intérêt conventionnel le taux d'intérêt légal sur toute la durée du prêt,

Sur son obligation d'information et de conseil,

- constater qu'elle n'est pas assujettie à un devoir de conseil envers les emprunteurs,

- constater qu'elle a respecté ses devoirs de mise en garde et d'information à l'égard de Monsieur X. et Madame Y.,

- constater l'absence de préjudice de Monsieur X. et Madame Y.,

En conséquence,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard de Monsieur X. et Madame Y.,

- débouter Monsieur X. et Madame Y. de leur demande de condamnation à des dommages et intérêts dirigée contre elle,

Sur la demande de délais de paiement,

- constater que Monsieur X. est mal fondé en sa demande,

- constater que Monsieur X. ne justifie ni d'une situation financière difficile, ni d'une perspective d'amélioration liée à un éventuel report des paiements,

En conséquence, à titre principal,

- débouter Monsieur X. de sa demande de délai de grâce,

- à titre subsidiaire, si des délais de grâce étaient accordés, dire et juger que le taux d'intérêt conventionnel doit s'appliquer,

Sur le paiement d'une indemnité d'exigibilité forfaitaire,

- constater que le montant de la clause d'indemnité d'exigibilité forfaitaire n'est pas disproportionné,

- débouter en conséquence Madame Y. de sa demande de voir ramener à l'euro symbolique l'indemnité de recouvrement de 7 % contractuellement prévue par le prêt souscrit,

Sur les frais irrépétibles et les dépens,

- condamner solidairement Monsieur X. et Madame Y. à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement Monsieur X. et Madame Y. aux entiers dépens, avec application au profit de la SCP Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

[*]

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2022.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande en paiement :

Selon l'article 1134 du code civil, dans sa version en vigueur au jour de la conclusion du contrat, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Il n'est pas contesté par Monsieur X. et Madame Y. qu'ils ont solidairement souscrits les offres de prêts susvisées le 14 juin 2011 et qu'ils ont ultérieurement rencontré des difficultés à honorer le remboursement des échéances convenues à compter de l'été 2018.

La régularité de la déchéance du terme du contrat de prêt, intervenue le 28 juin 2019, n'est pas contestée en son principe par les emprunteurs lesquels opposent toutefois à la banque, la nullité du contrat ou des « clauses de contre-valeur », le caractère abusif de la « clause relative au risque de change » ainsi qu'un manquement de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à ses devoirs de conseil, d'information ou de mise en garde.

 

Sur la nullité des clauses de contre-valeur et des prêts en devises :

Il a été exposé par Monsieur X. au titre des faits constants et il est justifié par la demande de financement versée aux débats qu'au jour de la souscription des concours, Madame Y. était employée en Suisse et percevait un salaire en CHF équivalent à la contre-valeur de 5.190 euros par mois, étant par ailleurs indiqué que Monsieur X. était, pour sa part, gérant d'un garage automobile et percevait à ce titre une somme de 1.300 euros par mois.

Il en résulte que les époux X. percevaient, au jour de la souscription des emprunts, 80 % de leurs revenus en devises suisses. Or, contrairement à ce qui est exposé par l'appelant, le remboursement en devises suisses n'est pas prohibé lorsque les emprunteurs perçoivent l'essentiel de leurs revenus en CHF de sorte que la nullité des clauses fixant le remboursement des échéances en devises ou la nullité des concours libellés en devises n'est pas encourue, la devise de l'emprunt et du remboursement des échéances étant la même que celle des revenus de Madame Y. qui percevait le salaire le plus important du foyer.

 

Sur les stipulations relatives au risque de change :

Les appelants exposent que la clause relative au risque de change figurant à l'intitulé « dispositions particulière relative au risque de change » et spécifiant que ce risque est supporté en totalité par les emprunteurs s'avère abusive en ce qu'elle aurait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Conformément à l'article L. 132-1 du code de la consommation, recodifié à l'article 212-1 du même code, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il est de jurisprudence constante que les demandes ou contestations se rapportant au caractère abusif d'une stipulation contractuelle s'avèrent recevables à tout stade de l'exécution de la convention sans qu'une quelconque prescription puisse être opposée à celui qui se prévaut du caractère abusif d'une stipulation.

Toutefois, l'appréciation du caractère abusif des clauses ne peut porter ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

En ce qu'elles portent sur le fonctionnement du mécanisme de remboursement des échéances du prêt, convenues en devises, les clauses litigieuses constituent l'objet principal de la convention dans la mesure où elles définissent les modalités d'exécution de l'obligation principale des emprunteurs, soit l'obligation de rembourser les échéances selon les modalités contractuellement fixées en contrepartie du déblocage des fonds par la banque.

Or, les stipulations critiquées, rédigées en des termes clairs et compréhensibles tant sur le plan formel que grammatical pour un consommateur normalement avisé, s'avèrent parfaitement intelligibles quant aux conséquences économiques relatives au risque de change et plus spécialement encore pour des emprunteurs bénéficiant, avant la signature du contrat, de revenus en euros pour l'un puis de revenus en CHF pour l'autre et qui s'avèrent donc notoirement conscients de l'évolution dans le temps de la parité euros / CHF puis de l'ampleur et de la portée économique d'une telle clause quant au risque de change.

Par conséquent, ces dernières ne sauraient être déclarées abusives et réputées non-écrites. En ce sens, Monsieur X. et Madame Y. doivent être déboutés de leurs demandes.

 

Sur l'action en responsabilité dirigée contre la banque :

A l'égard d'emprunteurs non-avertis, le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consiste en la perte de chance de ne pas contracter, si la banque les avait mis en garde quant à l'inadaptation de leur engagement au regard de leurs revenus et sur le risque d'endettement qui en résulte. Le devoir d'information se définit plus largement comme l'obligation pour l'établissement bancaire de communiquer aux emprunteurs une information suffisante sur les caractéristiques du crédit proposé à la souscription. Hors hypothèse de la souscription d'un contrat d'assurance-groupe, le devoir de conseil s'entend d'un devoir d'orientation plus général lequel ne saurait être opposé à la banque que dans la mesure où les parties y auraient contractuellement consenti, sous peine d'immixtion de la banque dans les intérêts de ses clients.

En l'espèce, il a été rappelé que les emprunteurs percevaient majoritairement leurs revenus en francs suisses et étaient en capacité de comprendre l'incidence des stipulations relatives au risque de change à la signature du contrat. En outre, il doit être relevé que Monsieur X. et Madame Y. ont l'un et l'autre signé une notice, préalablement à leur engagement, stipulant que « l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêt, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français. Ce taux peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, par rapport aux prêts en euro. Mais attention, le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit. Nous pensons qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt et l'invitons à contacter son agence habituelle s'il devait estimer qu'une couverture du risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune. La couverture à terme est un moyen d'éliminer totalement ou partiellement le risque de change [...]. Les conditions et les modalités de réalisation de cette opération seront examinées sur demande de l'emprunteur ».

Il en résulte que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manifestement exécuté de façon précise et détaillée son obligation d'information et mise en garde de Monsieur X. et Madame Y. quant à l'existence d'un risque de change et sur les conséquences économiques subséquentes susceptibles d'intervenir en leur faveur ou en leur défaveur en leur proposant, au surplus, s'ils l'estimaient nécessaires, d'envisager la souscription d'une couverture pour limiter l'aléa issu du mécanisme.

Dès lors, aucune faute ne saurait être reprochée à la banque.

 

Sur la modération de l'indemnité de recouvrement forfaitaire :

Conformément à l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

En l'espèce, il est constant que les contrats en devises souscrits en 2011 engageaient les emprunteurs sur 25 ans. Ces derniers ont honorés les remboursements convenus jusqu'à l'été 2018 de sorte que l'indemnité de 7 % revendiquée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie s'avère manifestement excessive eu égard au préjudice réellement subi par elle. En ce sens, il convient de réduire le montant de l'indemnité à la somme de 3 745 euros pour le prêt n°41XX3 et à la somme de 4 533 euros pour le prêt n°41YY4.

*

Il en résulte que Monsieur X. et Madame Y. sont condamnés à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, en principal, intérêts échus et indemnité de recouvrement, les sommes de :

- 98.038,67 euros au titre du prêt en devises n°41XX3, selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts à taux contractuel de 2,85 % à compter du 1er septembre 2019,

- 117.865,83 euros au titre du prêt en devises n°41YY4, selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts à taux contractuel de 0,03 % à compter du 1er septembre 2019,

- 18.227,60 euros au titre du prêt à taux zéro n°418ZZ5 selon décompte arrêté au 5 juillet 2019, outre intérêts à taux légal à compter de la présentation de la mise en demeure le 19 octobre 2018.

 

Sur la demande de délais de grâce :

Au visa de l'article L. 313-12 du code de la consommation, recodifié à droit constant à l'article L. 314-20 du même code, Monsieur X. sollicite le bénéfice d'une suspension de ses obligations.

Au soutien de cette demande, il avance qu'il subit une dégradation significative de sa situation financière, comparativement à celle qui était la sienne au jour de la souscription du crédit, en ce qu'il s'avère au jour de l'instance célibataire et allocataire des minima sociaux suite à la liquidation judiciaire de son entreprise. Il verse en ce sens aux débats le jugement du 13 mars 2017 prononçant le divorce entre les ex-époux X., une attestation de la Caisse d'allocations familiales de mars 2022 justifiant qu'il perçoit le revenu de solidarité active ainsi que son avis d'imposition établi pour l'année 2021 ne mentionnant aucun revenu imposable.

Au regard des pièces versées aux débats par ce dernier, il est manifeste que Monsieur X., sans activité professionnelle du fait de liquidation précitée, se trouve dans l'incapacité manifeste de régler les sommes dues au prêteur alors-même qu'il dispose d'un actif immobilier qu'il envisage de proposer à la vente en vue d'un désintéressement de la banque.

Dès lors, il convient de faire droit à sa demande et d'ordonner la suspension de sa condamnation à paiement pendant une durée d'un an afin de lui permettre de mettre en vente l'appartement acquis au moyen du financement du 14 juin 2011.

 

Sur les demandes annexes :

Monsieur X. et Madame Y., qui succombent en principal, sont condamnés in solidum à payer la somme de 3.000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils sont outre condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Réforme partiellement le jugement déféré mais statuant à nouveau pour davantage de clarté,

Condamne Monsieur X. et Madame Y. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie les sommes de :

- 98.038,67 euros au titre du prêt en devises n°41XX3, selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts à taux contractuel de 2,85% à compter du 1er septembre 2019,

- 117.865,83 euros au titre du prêt en devises n°41YY4, selon décompte arrêté au 29 août 2019, outre intérêts à taux contractuel de 0,03% à compter du 1erseptembre 2019,

- 18.227,60 euros au titre du prêt à taux zéro n°418ZZ5 selon décompte arrêté au 5 juillet 2019, outre intérêts à taux légal à compter de la présentation de la mise en demeure le 19 octobre 2018,

Ordonne, au profit de Monsieur Monsieur X., la suspension de sa condamnation à paiement pour une durée de un an à compter du prononcé du présent arrêt,

Condamne in solidum Monsieur X. et Madame Y. à payer la somme de 3 000 euros à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne in solidum Monsieur X. et Madame Y. aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Ainsi prononcé publiquement le 8 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière                                                 P/La Présidente