CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 17 novembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9948
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 17 novembre 2022 : RG n° 21/14018 ; arrêt n° 2022/330
Publication : Judilibre
Extrait : « Sur ce, la SAS Epoka n'ayant pas comparu en première instance, ses demandes doivent être appréciées d'une part, au regard des dispositions des articles 564 et 567 du Code de procédure civile et, d'autre part, au regard de l'article 910-4 du Code de procédure civile qui impose aux parties, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, de présenter dès leurs conclusions mentionnées aux articles 905-1, 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, la demande faite en application des articles L. 441-1 et L.441-2 du code de commerce tendant à faire constater l'existence d'un déséquilibre significatif et à voir réputer non écrite la clause litigieuse, ne tend pas aux mêmes fins que la demande initiale tendant à ne pas contester l'application de la clause mais à en réduire le montant. Il en va de même pour la demande en restitution, qui serait la conséquence du caractère non écrit de la clause en application des dispositions du Code de commerce susvisées qui n'a pas le même objet que la demande de cantonnement de la condamnation.
Les demandes tendant à voir reconnaitre un déséquilibre significatif entre les parties et à en tirer les conséquences sont irrecevables tant sur le fondement des articles 564 à 567 du Code de procédure civile que sur le fondement de l'article 910-4 de ce même code. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 3-3
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/14018. Arrêt n° 2022/330. N° Portalis DBVB-V-B7F-BIFOA. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 17 Septembre 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 2019F01044.
APPELANTE :
SAS EPOKA
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 1], représentée par Maître Isabelle FICI de la SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉE :
SAS JAGUAR NETWORK
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 2], représentée par Maître François ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Maître Yasmine EDDAM, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre, Madame Gwenael KEROMES, Présidente, Madame Françoise PETEL, Conseillère.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022, Signé par Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 10 janvier 2018, la SAS Epoka a conclu avec la SAS Jaguar Network un contrat de prestations de services pour les besoins de son activité, d'une durée de 36 mois moyennant des redevances trimestrielles d'un montant de 10 519,05 euros.
Diverses factures sont demeurées impayées et, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mars 2019, la SAS Jaguar Network a notifié à la SAS Epoka la résiliation du contrat conformément à l'article 14 des conditions générales et réclamé le paiement de la somme de 72.814,10 € correspondant aux mensualités restant dues jusqu'à la fin de la période de l'engagement contractuel, le 30 mars 2021.
La SAS Jaguar Network a fait assigner la SAS Epoka devant le tribunal de commerce de Marseille lequel a, par jugement du 17 septembre 2019 :
- condamné la société Epoka à payer à la société Jaguar Network la somme de 93.728,17 € (quatre-vingt-treize mille sept cent vingt-huit euros et dix-sept centimes) en principal avec intérêts au taux appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 (dix) points de pourcentage à compter de la date d'échéance courant sur chacune des factures ;
- conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, dit que les intérêts échus se capitaliseront par périodes annuelles et porteront intérêts au même taux ;
- conformément aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné la société Epoka à payer à la société Jaguar Network la somme de 1.000 € (mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la procédure ;
- conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, condamné la société Epoka aux dépens toutes taxes comprises de l'instance ;
- conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile, ordonné pour le tout, l'exécution provisoire ;
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.
Par déclaration du 16 octobre 2019, la SAS Epoka a interjeté appel de cette décision.
[*]
Par conclusions du 12 septembre 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Epoka demande à la cour de :
in limine litis
- rejeter la demande d'irrecevabilité formulée par Jaguar Network à l'encontre des demandes d'Epoka.
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er octobre 2019.
et statuant à nouveau,
à titre principal
- juger que les conditions générales de vente de Jaguar Network constituent un contrat d'adhésion et que l'article 14 est une clause non négociable, déterminée à l'avance par la société Jaguar Network, qui crée un déséquilibre significatif,
en conséquence
- juger que l'article 14 des conditions générales de vente de Jaguar Network est réputé non écrit,
- fixer le montant de la condamnation de la société Epoka à la somme de 21.914,07 €, au titre des factures dues antérieurement à la résiliation du contrat par Jaguar Network,
- condamner la société Jaguar Network à restituer la somme de 114.218,84 euros, montant versé par la société Epoka au titre des condamnations prononcées par le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er octobre 2019, diminué de la somme de 21.914,07 €,
- rejeter toutes les autres demandes, fins et prétentions de la société Jaguar Network,
à titre subsidiaire
- juger que l'article 14 des conditions générales de vente de Jaguar Network constitue une clause pénale susceptible d'être réduite en raison de son caractère manifestement excessif,
en conséquence
- fixer le montant de la condamnation de la société Epoka à la somme de 21.914,07 €, au titre des factures dues antérieurement à la résiliation du contrat par Jaguar Network,
- réduire à un euro le montant de la clause pénale sollicitée par la société Jaguar Network,
- condamner la société Jaguar Network à restituer la somme de 114.218,84 euros, montant versé par la société Epoka au titre des condamnations prononcées par le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er octobre 2019, diminué de la somme de 21.915,07 €.
- rejeter les autres demandes, fins et prétentions de la société Jaguar Network,
en tout état de cause
- condamner la société Jaguar Network à verser la somme de 5.000 euros à la société Epoka au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Jaguar Network aux dépens.
[*]
Par conclusions du 25 août 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Jaguar Network demande à la cour de :
- déclarer irrecevables les demandes nouvelles formulées par la société Epoka dans ses conclusions du 6 juillet 2020 et du 10 février 2022 à savoir :
* juger que les conditions générales de Jaguar Network constituent un contrat d'adhésion et que l'article 14 est une clause non négociable, déterminée à l'avance par la société Jaguar Network, qui crée un déséquilibre significatif,
* juger que l'article 14 des conditions générales de vente de Jaguar Network est réputé non écrit,
* condamner la société Jaguar Network à restituer la somme de 114.218,84 euros montant versé par la société Epoka au titre des condamnations prononcées par le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er octobre 2019, diminué de la somme de 21.914,07 euros,
* réduire à un euro le montant de la clause pénale sollicitée par la société Jaguar Network,
* condamner la société Jaguar Network à restituer la somme de 114.218,84 euros montant versé par la société Epoka au titre des condamnations prononcées par le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er octobre 2019, diminué de la somme de 21.914,07 euros.
à titre principal
- confirmer le jugement rendu le 17 septembre 2019 par le tribunal de Marseille
- prendre acte que la société Epoka reconnaît être débitrice de la somme de 21.914,17 euros envers la société Jaguar Network
- condamner la société Epoka au paiement de la somme de 94.128,17 € outre intérêts tels qu'appliqués par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage et ce, jusqu'à parfait paiement.
- ordonner la capitalisation des intérêts.
- condamner la société Epoka au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de 1'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Epoka aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes de la SAS Epoka :
La SAS Jaguar Network soutient que les prétentions relatives au déséquilibre significatif créé par l'article 14 des conditions générales et à la demande de restitution associée, sont nouvelles et irrecevables puisque non formulées dans les premières conclusions d'appelante de la SAS Epoka.
L'appelante réplique qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles mais de moyens nouveaux et que la demande de restitution n'est qu'une explicitation de la demande de cantonnement contenue dans ses premières conclusions.
Sur ce, la SAS Epoka n'ayant pas comparu en première instance, ses demandes doivent être appréciées d'une part, au regard des dispositions des articles 564 et 567 du Code de procédure civile et, d'autre part, au regard de l'article 910-4 du Code de procédure civile qui impose aux parties, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, de présenter dès leurs conclusions mentionnées aux articles 905-1, 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, la demande faite en application des articles L. 441-1 et L.441-2 du code de commerce tendant à faire constater l'existence d'un déséquilibre significatif et à voir réputer non écrite la clause litigieuse, ne tend pas aux mêmes fins que la demande initiale tendant à ne pas contester l'application de la clause mais à en réduire le montant. Il en va de même pour la demande en restitution, qui serait la conséquence du caractère non écrit de la clause en application des dispositions du Code de commerce susvisées qui n'a pas le même objet que la demande de cantonnement de la condamnation.
Les demandes tendant à voir reconnaitre un déséquilibre significatif entre les parties et à en tirer les conséquences sont irrecevables tant sur le fondement des articles 564 à 567 du Code de procédure civile que sur le fondement de l'article 910-4 de ce même code.
Seules seront examinées en conséquence les demandes de la SAS Epoka figurant dans le dispositif de ses conclusions du 16 janvier 2020.
Surabondamment, il est observé qu'en application des articles L.441-1, L.442-1 et D.442-2 du Code de commerce, la cour d'appel d'Aix-en-Provence est dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour en connaitre.
2. Sur la qualification de clause pénale et le montant de la condamnation :
La SAS Epoka soutient que l'article 14 des conditions générales constitue indiscutablement une clause pénale en ce qu'elle vise à sanctionner doublement le cocontractant contraint de régler l'intégralité du contrat alors qu'il est privé des services.
Elle ajoute que le montant réclamé est manifestement excessif puisqu'elle a cessé d'utiliser les services de l'intimée depuis septembre 2018, sans que cette dernière ne subisse de préjudice ou de perte, les ressources qui lui étaient initialement affectées pouvant être réaffectées à un autre client.
La SAS Jaguar Network fait valoir au contraire que cette clause n'a pas pour objet de sanctionner l'inexécution de ses obligations par le cocontractant, mais d'indemniser une résiliation anticipée du contrat, le juge n'ayant alors aucun pouvoir de modération.
Sur ce, le contrat a été conclu pour une durée initiale de 36 mois et l'article 14 des conditions générales stipule que le contrat peut être résilié de plein droit par Jaguar Network huit jours après une mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception demeurée sans effet, à défaut de paiement par le client à son échéance de l'une des sommes dues au titre du contrat ou en cas d'inexécution contractuelle (…) La résiliation du contrat entrainera, sans autre mise en demeure, l'exigibilité en sus de toute somme impayée, de la totalité des mensualités restant à échoir à la date de la résiliation jusqu'à l'expiration du contrat.
Ces stipulations, incluses dans la clause intitulée « suspension des services JN « résiliation du contrat - terme du contrat - conséquences » visent à sanctionner le comportement du client en raison du non-paiement de sommes dues au titre du contrat entraînant la résiliation de celui-ci.
Cette clause constitue en conséquence une clause pénale susceptible de modération si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
S'agissant d'une résiliation anticipée du contrat conclut initialement pour une durée déterminée de 36 mois, elle n'a aucun caractère excessif alors qu'elle tend à faire respecter l'équilibre financier du contrat et compenser l'amortissement des investissements initiaux sur toute la durée du contrat, étant précisé que les services fournis consistaient en la mise à disposition et la maintenance de divers serveurs Jaguar Network ainsi que des services de sauvegarde et de boites mails, lesquels ne peuvent, sans frais, être mis à la disposition d'autres clients.
La SAS Jaguar Network ne justifie pas de la réalité de la somme de 94.128,17 qu'elle réclame alors que le total des factures et de l'indemnité de résiliation est égal à 93.728,17 centimes comme l'a exactement jugé le tribunal de commerce de Marseille.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 17 septembre 2019,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS Epoka à payer à la SAS Jaguar Network la somme de trois mille euros,
Condamne la SAS Epoka aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT