CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 22 novembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 10022
CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 22 novembre 2022 : RG n° 20/01536
Publication : Judilibre
Extrait : « Or, l'article L. 442-4, III du code précité prévoit que les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-1 sont attribuées aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. Ces juridictions sont en l'espèce le tribunal de commerce de Nancy et la cour d'appel de Paris, en application de l'article D. 442-3 qui renvoie à l'annexe 4-2-2 du livre IV du même code.
Est relatif à l'application de l'article L. 442-1 un litige dans lequel cette application est demandée par une partie mais contestée par l'autre, telle en l'espèce la société Seiko France selon qui le texte est inapplicable à un contrat antérieur à son entrée en vigueur, l'examen de cette contestation relevant des juridictions spécialement désignées.
Le non-respect de ces dispositions constitue une fin de non-recevoir d'ordre public qui doit être relevée d'office (Cass. com 31 mars 2015, n° 14-10016).
Il résulte ainsi des articles L. 442-1, I, 2°, D. 442-3 du code de commerce et R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, suivant lequel sauf disposition particulière, la cour d'appel connaît de l'appel des jugements des juridictions situées dans son ressort, que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par le deuxième texte sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l'application du premier, que les recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées sont portés devant la cour d'appel de Paris et que ceux formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, quand bien même elles auraient statué sur de tels litiges, sont portés devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle elles sont situées. Il incombe alors à la cour d'appel, saisie conformément à ces règles, d'examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal, puis, le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel (Com. 29 mars 2017, pourvoi n° 15-17.659).
En conséquence, relevant d'office l'irrecevabilité des demandes présentées au tribunal de commerce de Besançon sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce au regard des dispositions des articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code, la cour rouvrira les débats sur ce seul point et renverra l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de présenter leurs observations. »
COUR D’APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116.00013 -
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/01536. N° Portalis DBVG-V-B7E-EJU5. S/appel d'une décision du TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANÇON en date du 30 septembre 2020 [R.G. n° 2019002852]. Contradictoire. Code affaire : 50B Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
SARL BIJOUTERIE VAUBAN
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège SARL inscrite au RCS de TOULON sous le numéro XXX, Sise [Adresse 1], Représentée par Maître Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANÇON, avocat postulant, Représentée par Maître Renaud GAIRE, avocat au barreau de TOULON, avocat plaidant
ET :
INTIMÉE :
SAS SEIKO France
prise en la personne de son représentant légal en exercice immatriculée au registre du commerce de Besançon sous le numéro YYY, Sise [Adresse 2], Représentée par Maître Fabienne AUGE de la SELARL ADAWE, avocat au barreau de BESANÇON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, Conseillers.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre
ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE, magistrat rédacteur et Cédric SAUNIER, conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 20 septembre 2022 a été mise en délibéré au 22 novembre 2022. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Exposé du litige :
Par protocole de distribution sélective du 20 octobre 2014, la SAS Seiko France a consenti à la SARL Bijouterie Vauban la distribution de montres de marque Seiko, pour une durée d'un an tacitement renouvelable.
Elle lui a ensuite notifié la résiliation de ce protocole, par courrier du 13 février 2018, lui reprochant de l'avoir violé en persistant à mettre en vente des montres Seiko sur les sites web Le Bon Coin et Chronomania, malgré un premier avertissement suivi d'un engagement à cesser ce type de vente.
Sur assignation délivrée le 23 juillet 2019 par la société bijouterie Vauban à la société Seiko France, pour voir dire illicite la clause de résolution appliquée par celle-ci, et pour obtenir sa condamnation à l'indemniser pour rupture abusive du contrat et reprendre les relations commerciales, le tribunal de commerce de Besançon, par jugement du 30 septembre 2020, a :
- déclaré valide la clause résolutoire ;
- déclaré la société Seiko France bien fondée à avoir « actionné » cette clause ;
- débouté la société Bijouterie Vauban de ses demandes ;
- débouté la société Seiko France de sa demande reconventionnelle ;
- condamné la société Bijouterie Vauban à lui payer 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à payer les dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu que la clause 8.2, de nature résolutoire, ne créait pas un déséquilibre significatif entre les droits des parties au sens de l'article L. 442-1, 2° du code de commerce, dès lors que les parties avaient pu librement convenir que la résolution pourrait intervenir sans mise en demeure préalable, et dès lors ensuite que la clause était ouverte aux deux contractants ; que la seule violation de l'article 5 du protocole, constituée par la mise en vente de montres Seiko sur des sites grand public, était grave et suffisait à justifier la résolution ; que, de plus, cette violation était réitérée malgré mise en garde préalable et promesse d'y mettre fin ; qu'au demeurant la résiliation sans préavis était expressément permise à l'article L. 441-2 du code de commerce ; et enfin, que la société Seiko ne justifiait pas du préjudice dont elle demandait réparation reconventionnellement.
La société Bijouterie Vauban a interjeté appel de cette décision par déclaration parvenue au greffe le 10 novembre 2022 [N.B. lire sans doute 2020]. L'appel porte sur tous les chefs de jugement sauf le débouté de la demande reconventionnelle formée par la société Seiko.
[*]
Par conclusions transmises le 5 février 2021 visant les articles 1102 du code civil et L. 442-1, I et II du code de commerce, ainsi que la loi dite Galland n° 96-588 du 1er juillet 1996, l'appelante demande à la cour de :
- réformer le jugement ;
- dire illicite, inapplicable et de nul effet la clause 8.2.1 ;
- dire son application abusive ;
- dire brutale, intempestive et abusive la rupture du contrat ;
- condamner la société Seiko France à lui payer un dédommagement financier de 28 358 euros ;
- la condamner à la reprise des relations commerciales ;
- la condamner à lui payer 10.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- la condamner à lui payer 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens, dont distraction au profit de son avocat.
L'appelante soutient que l'article 8.2 du contrat, qui permet à une partie de résilier unilatéralement le contrat de plein droit immédiatement après avoir constaté une infraction aux règles stipulées aux articles 3 et 5, est illicite en ce qu'elle crée entre les parties un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 441-2, I, 2° précité, en permettant une résiliation sans délai de préavis raisonnable ; que la résiliation est injustifiée dès lors qu'elle supposait que le distributeur ait contrevenu cumulativement aux articles 3 et 5 du contrat, alors qu'en l'espèce seul l'article 3 a été enfreint ; que la seule sanction applicable était l'une des sanctions disciplinaires visées à la fin de l'article 3.4.5 ; et que la rupture brutale et abusive des relations contractuelles justifie réparation tant du préjudice financier que du préjudice moral qui en sont résultés.
[*]
La société Seiko France, par conclusions transmises le 26 avril 2021 portant appel incident visant les articles 1215, 1224 et 1225 du code civil, ainsi que l'article L. 442-6, 5° du code de commerce, demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle et en ce qu'il a condamné la société Bijouterie Vauban à lui payer 2.000 euros pour les frais irrépétibles ;
subsidiairement,
- prononcer la résolution judiciaire du contrat ;
en tout état de cause,
- condamner la société Bijouterie Vauban à lui payer 20.000 euros de dommages et intérêts ;
- et la condamner à lui payer 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens,
L'intimée soutient que le contrat est un contrat à durée indéterminée auquel il peut être mis fin à tout moment conformément aux effets du renouvellement prévus à l'article 1215 du code civil, applicable au contrat conclu en 2014 mais renouvelé postérieurement au 1er octobre 2016 ; que l'article 8.2.1 du contrat permet sa résiliation de plein droit et immédiatement après constat d'une infraction aux articles 3 et 5, et sans mise en demeure, ainsi qu'en ont convenu les parties conformément au dernier alinéa de l'article 1225 du code civil et sans enfreindre le premier alinéa de l'article 1224, inapplicable en cas de mise en œuvre de clause résolutoire prévue au contrat ; que le fait pour le revendeur de proposer à la vente des montres de luxe Seiko sur des sites de vente grand public constitue une faute grave ayant un effet dévastateur pour l'image de la marque, justifiant la résiliation ; que la rupture n'a pas été brutale dès lors qu'elle a été précédée de mise en garde, aveux, excuses et engagements à ne pas réitérer, puis cependant de la persistance de l'infraction ; que la clause de résolution ne crée aucun déséquilibre entre les parties dès lors que la violation litigieuse relève de l'article 3 et non de l'article 5 incriminé par l'appelant comme la source du déséquilibre ; qu'au demeurant la disposition invoquée de l'article L. 441-1, I, 2° est inapplicable pour n'être entrée en vigueur que le 26 avril 2019 ; que la sanction disciplinaire de retrait d'agrément ne concerne que l'hypothèse distincte du cas d'espèce où le revendeur utilise un site internet agréé par Seiko ou son propre site marchand ; que la demande de dommages et intérêts n'est pas fondée ; de même que la demande de reprise des relations commerciales.
[*]
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction a été clôturée le 30 août 2022. L'affaire a été appelée à l'audience du 20 septembre 2022 et mise en délibéré au 22 novembre suivant.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
La validité de la résiliation du contrat litigieux est d'abord contestée au motif que la clause serait illicite pour violation de l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, suivant lequel « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services (...), de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »
Par ailleurs, la société Bijouterie Vauban sollicite des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-1, II du même code, relatif à la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Ces actions en contestation de la clause et en réparation de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ont été exercées par la société Bijouterie Vauban devant le tribunal de commerce de Besançon, dont le jugement est déféré devant la cour d'appel de la même ville.
Or, l'article L. 442-4, III du code précité prévoit que les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-1 sont attribuées aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. Ces juridictions sont en l'espèce le tribunal de commerce de Nancy et la cour d'appel de Paris, en application de l'article D. 442-3 qui renvoie à l'annexe 4-2-2 du livre IV du même code.
Est relatif à l'application de l'article L. 442-1 un litige dans lequel cette application est demandée par une partie mais contestée par l'autre, telle en l'espèce la société Seiko France selon qui le texte est inapplicable à un contrat antérieur à son entrée en vigueur, l'examen de cette contestation relevant des juridictions spécialement désignées.
Le non-respect de ces dispositions constitue une fin de non-recevoir d'ordre public qui doit être relevée d'office (Cass. com 31 mars 2015, n° 14-10016).
Il résulte ainsi des articles L. 442-1, I, 2°, D. 442-3 du code de commerce et R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, suivant lequel sauf disposition particulière, la cour d'appel connaît de l'appel des jugements des juridictions situées dans son ressort, que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par le deuxième texte sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l'application du premier, que les recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées sont portés devant la cour d'appel de Paris et que ceux formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, quand bien même elles auraient statué sur de tels litiges, sont portés devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle elles sont situées. Il incombe alors à la cour d'appel, saisie conformément à ces règles, d'examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal, puis, le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel (Com. 29 mars 2017, pourvoi n° 15-17.659).
En conséquence, relevant d'office l'irrecevabilité des demandes présentées au tribunal de commerce de Besançon sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce au regard des dispositions des articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code, la cour rouvrira les débats sur ce seul point et renverra l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de présenter leurs observations.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement ;
Avant dire droit sur tous autres chefs de litige ;
Relève d'office l'irrecevabilité des demandes présentées au tribunal de commerce de Besançon tendant à l'application de l'article L. 442-1 du code de commerce au regard des dispositions des articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code ;
Rouvre les débats sur ce seul chef ;
Renvoie l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de présenter leurs observations ;
Désigne M. S. F. en qualité de conseiller à la mise en état ;
Impartit à la société Bijouterie Vauban un délai pour conclure d'un mois à compter de l'arrêt ;
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
La greffière Le président de chambre