CA PAU (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10048
CA PAU (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023 : RG n° 22/00261 ; arrêt n° 23/221
Publication : Judilibre
Extrait : « Cette convention conclue entre un commerçant français et un commerçant Danois est donc un contrat international conclu entre ressortissants de deux Etats-membres de l'Union Européenne comportant une clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises.
Le Règlement (UE) n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis a cessé de s'appliquer aux relations entre les Etat-membres et le Royaume-Uni à compter du 1er janvier 2021, date d'effet définitif du Brexit. A compter de cette date, et donc à la date du 30 septembre 2021 de la transmission de la demande de remise de l'assignation délivrée à la société Trustpilot A/S, le Royaume-Uni était devenu un Etat-tiers à l'Union Européenne. L'article 25 du Règlement précité, concernant les clauses attributives de compétence, n'était donc plus applicable à la clause attributive de compétence litigieuse qui désignait les juridictions du Royaume-Uni.
La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for (ci-après la Convention ») a donc vocation à s'appliquer à cette clause, comme le relève justement la société Trustpilot A/S, dès lors que cette convention a été ratifiée : - le 15 juin 2015 par l'Union Européenne, pour le compte des Etats-membres, à l'exception du Danemark, suite à la décision 2014/887/UE - par le Royaume-Uni le 1er avril 2019, avec effet à compter de sa sortie effective de l'Union Européenne - par le Danemark, en 2019. […]
Tel est le cas en l'espèce, la société Medisafe 911 ayant adhéré aux services gratuits de la plate-forme Trustpilot et accepté, avant son adhésion, les conditions d'utilisation et de vente pour les entreprises comportant la clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises dans un document numérique pouvant être sauvegardé ou imprimé.
Dans les contrats internationaux, à l'exception de certains d'entre eux, les parties choisissent librement la langue dans laquelle elles rédigent leurs accords. La société Medisafe 911, qui a accepté les conditions d'utilisation rédigées en langue anglaise, ne peut donc contester l'opposabilité de la clause litigieuse à raison de l'emploi de la langue anglaise.
Par ailleurs, dans l'ordre international, exclusif de toute application de l'article 48 du code de procédure civile français, la désignation globale des juridictions d'un Etat dans une clause attributive de compétence est licite dès lors que le droit interne de cet Etat permet de déterminer le tribunal spécialement compétent, ce qui n'est pas contesté en l'espèce, de sorte que le moyen tiré de l'imprécision de la clause désignant les juridictions anglaises et galloises sans indication de leur localisation ni de leur nature, n'est pas fondé.
Et, en déclinant la compétence du juge français au profit du juge anglais, la société Trustpilot A/S a respecté les dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, sans être tenue de désigner spécialement la juridiction anglaise matériellement et territorialement compétente.
Enfin, la société Medisafe 911 ne soutient pas que la clause attributive de compétence litigieuse ferait obstacle à la compétence impérative du juge français.
Et, seules les règles de conflit de juridiction doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, peu important même l'invocation de dispositions impératives constitutives de lois de police applicables au fond du litige. La société Medisafe 911, qui a éludé tout débat sur l'application de la convention de La Haye du 30 juin 2005, n'a soulevé aucun moyen tiré de cette Convention ayant pour effet d'écarter l'application de la clause attributive de compétence au présent litige, ni soutenu que la clause litigieuse, à la supposer valable, n'était pas applicable à ses prétentions.
L'article 6 a) de la Convention précise que tout tribunal d'un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique sauf si l'accord est nul en vertu du droit de l'Etat du tribunal élu. La nullité de la clause d'élection de for, à laquelle doit être assimilée toute autre sanction de droit interne ayant pour effet de priver la clause de tout effet légal, doit donc, en l'espèce, être examinée selon les règles du droit anglais, la société Trustpilot A/S ayant conclu à la compétence du juge anglais. Dès lors, le moyen tiré du caractère réputé non-écrit de la clause attributive de compétence litigieuse, fondé sur les dispositions du droit interne français de l'article 1171 du code civil, sanctionnant les clauses insérées dans un contrat d'adhésion créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, n'est donc pas opérant.
La cour n'a été saisie d'aucun moyen de contestation de la clause sur le fondement de l'article 6 c) de la Convention.
Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens de contestation de la clause attributive de compétence au profit du juge anglais sont infondés ou inopérants. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAU
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 19 JANVIER 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/00261. Arrêt n° 23/221. N° Portalis DBVV-V-B7G-IDH4. Nature affaire : Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts.
ARRÊT : Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 19 Janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
APRES DÉBATS à l'audience publique tenue le 17 novembre 2022, devant : Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport, assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de : Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller, Monsieur Marc MAGNON, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Société TRUSPILOT A/S
société de droit danois, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 5], [Localité 1] (Danemark), Représentée par Maître Sophie CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU, Assistée de Maître Djazia TIOURTITE (BIRD & BIRD AARPI), avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
SASU MEDISAFE 911
immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° XXX, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités au siège [Adresse 2], [Localité 3], Représentée par Maître Sophie LALANDE de la SARL SOPHIE LALANDE - AVOCAT-CONSEIL, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision en date du 13 JANVIER 2022 rendue par le PRÉSIDENT DU TC DE BAYONNE
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS et MOYENS DES PARTIES :
La société de droit danois Trustpilot A/S exploite une plate-forme numérique internationale d'hébergement d'avis de consommateurs, permettant à toute personne de déposer et de consulter gratuitement un avis sur une expérience vécue avec une entreprise, et à cette dernière de lui répondre.
Selon les règles de la plate-forme, toute personne voulant écrire un avis doit avoir un compte utilisateur sur Truspilot. Les avis sont définis comme un contenu généré par les utilisateurs qui en sont les propriétaires, et sont les seuls à pouvoir les modifier ou les supprimer définitivement.
Dès la publication du premier avis, l'entreprise évaluée est référencée sur la plate-forme.
De son côté l'entreprise peut « revendiquer » son profil Trustpilot pour répondre gratuitement aux avis postés sur la plate-forme Truspilot.
Pour revendiquer son profil Trustpilot, l'entreprise évaluée doit créer un compte « Trustpilot business » et accepter les « Terms of Use for Businesses ».
Une fois son profil revendiqué, l'entreprise peut répondre aux auteurs d'avis et accéder aux fonctions gratuites de la plate-forme Trustpilot. Le profil de l'entreprise mentionnera que le profil est revendiqué.
Selon le site Trustpilot, l'entreprise peut ainsi gérer sa réputation en ligne et améliorer sa relation client en invitant ses clients à lui faire part de leur avis sur leur expérience via la plate-forme Trustpilot.
La société par actions simplifiée de droit français Medisafe 911, dont le siège social est situé à [Localité 3] (64), spécialisée dans la vente en ligne de kits de premiers soins génériques et de sécurité a revendiqué une première fois son profil en avril 2020.
Le 4 février 2021, la société Medisafe 911 a « dé-revendiqué son profil ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 avril 2021, la société Medisafe 911 a dénoncé, par l'intermédiaire de son avocate, l'existence de 10 faux avis négatifs postés sur la plate-forme Trustpilot sans aucun lien avec une expérience d'achat la concernant, de nature à nuire à son image et à sa réputation, et, a mis en demeure la société Trustpilot A/S de « retirer sans délai à compter de la réception de la présente lettre, l'accès à l'ensemble de avis litigieux mensongers », en application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (dite LCEN).
Le 12 avril 2021, la société Trustpilot A/S a répondu que les auteurs des avis litigieux avaient été contactés par ses services et qu'ils avaient envoyé une documentation valable relative à leur expérience, en précisant que la documentation fournie par les auteurs ne pouvaient être communiquée sans l'accord de ceux-ci, ce qui n'était pas le cas, selon la réponse donnée à la société Medisafe 911.
Le 14 juin 2021, la société Medisafe 911 a de nouveau revendiqué son profil en créant un compte Business gratuit.
Le 28 juin 2021, la société Trustpilot A/S a suspendu du 28 juin au 27 juillet 2021 l'accès à son compte au motif que la société Medisafe 911 avait fourni des informations incorrectes et mensongères, et ce en application de l'article 42 des « Terms ou Use and Sale for businesses ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 juillet 2021, la société Medisafe 911, par l'intermédiaire de son avocate, a contesté la suspension de son compte ainsi que le refus de supprimer spécialement trois avis litigieux, diffamatoires et mensongers, dénoncés dans sa précédente mise en demeure.
Et, par la même lettre, la société Medisafe 911, au visa de l'article 2.6 des « Termes et Conditions » et de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, a mis en demeure la société Trustpilot A/S de :
- procéder promptement à la suppression des avis litigieux en raison de leur caractère illicite et en ce qu'ils violent les propres « Termes et Conditions » de la plate-forme, sous peine d'action en justice pour la sauvegarde de son image et de sa réputation, outre la réparation de son préjudice
- coopérer dans la gestion de ses signalements d'avis, n'acceptant pas le rejet systématique de ses demandes de retrait des avis manifestement illicites signalés par la société Medisafe 911 et sans que celle-ci soit en mesure de connaître les éléments sur lesquels se fonde ce rejet.
La société Trustpilot A/S a maintenu son refus de retrait des avis litigieux.
Le 30 septembre 2021, la société Medisafe 911 a transmis aux autorités danoises compétentes, selon les formes du règlement (CE) n°1393/2007 du Parlement européen et du conseil du 13 novembre 2007, une demande de remise à la société Trustpilot A/S d'une assignation par devant le président du tribunal de commerce de Bayonne, statuant en référé, aux fins de voir, au visa de l'article 873 du code de procédure civile, des articles 1231 et 1240 du code civil, des articles L. 111-7-2 et D. 111.17 du code de la consommation, 145 du code de procédure civile, de :
A titre principal :
- ordonner à la société Trustpilot A/S de supprimer de sa plate-forme pour le présent et l'avenir, dans les 8 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, la page intitulée mediasafe.fr en faisant disparaître tous les avis qu'elle contient
- ordonner la société Trustpilot A/S de se mettre en conformité avec les dispositions des articles L. 111-7-2 et D. 111-17 du code de la consommation et notamment l'enjoindre à :
- publier à proximité des avis les informations concernant l'existence ou non d'une procédure de contrôle et les critères de classement
- publier dans une rubrique spécifique et facilement accessible les informations requises concernant le délai de conservation des avis et l'existence ou non d'une contrepartie au dépôt d'avis
- ordonner à la société Trustpilot A/S de ne pas à nouveau publier de page relative au site mediasafe.fr et de nouveaux avis de consommateurs tant qu'elle ne respectera pas l'injonction susvisée
- assortir chacune des injonctions susvisées d'une astreinte de 1.000 euros par jour de retard ou de manquement à compter de l'ordonnance à intervenir, et de se réserver la liquidation de l'astreinte
- condamner la société Trustpilot A/S à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur dommages et intérêts, en réparation de ses préjudices financier et moral.
A titre subsidiaire :
- ordonner à la société Trustpilot A/S de lui communiquer la documentation justifiant de la réalité de leur expérience d'achat que lui ont fourni les auteurs des avis suivants :
- avis de «[N] [Y] » actualisé le 1er juin 2020
- avis de « [E] » du 6 juin 2020
- avis de « [K] » du 15 juin 2020
- avis de « JMC » actualisé le 25 juin 2020
- avis de « Pat » du 20 juillet 2020
- avis de « monsieur [B] » du 31 juillet 2020
- avis de « [P] » du 18 septembre 2020
- avis de « [I] [F] » du 25 novembre 2020
- avis de « Kalystha » du 23 décembre 2020
- avis de « [R] » actualisé le 17 février 2021
- avis de « [Z] [W] » actualisé le 3 mars 2021
- assortir cette injonction d'une astreinte de 1.000 euros par jour de retard suivant un délai de 48 heures à compter de la décision avant dire droit.
A titre infiniment subsidiaire :
- s'il devait être décidé n'y avoir lieu à référé, renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Bayonne et fixer une date pour qu'il soit statué au fond.
En tout état de cause, condamner la société Trustpilot A/S à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Trustpilot A/S a soulevé in limine litis l'incompétence internationale du juge français au profit du juge anglais ou gallois, sinon l'incompétence matérielle du juge des référés au profit du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, et, sur le fond, a conclu au rejet des prétentions de la requérante.
Par ordonnance contradictoire du 13 janvier 2022, le juge des référés commerciaux de Bayonne a :
- déclaré être compétent
- ordonné à la société Trustpilot A/S de supprimer de sa plate-forme, dans les huit jours de la signification de l'ordonnance, la page intitulée mediasafe.fr en faisant disparaître tous les avis qu'elle contient
- assorti cette condamnation d'une astreinte de 700 euros par jour de retard et ce pendant deux mois, en se réservant la liquidation de l'astreinte
- dit que la société Trustpilot A/S pourra à nouveau publier la page en question et les nouveaux avis de consommateurs à condition de publier à proximité de tous les avis les informations concernant l'existence ou non d'une procédure de contrôle et les critères de classement ainsi que de publier dans une rubrique spécifique et facilement accessible les informations requises concernant le délai de conservation des avis et l'existence ou non d'une contrepartie au dépôt d'avis
- débouté la société Medisafe 911 de ses autres demandes principales, subsidiaires et infiniment subsidiaires
- condamné la société Trustpilot A/S à payer à la société Medisafe 911 la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 27 janvier 2022, la société Trustpilot A/S a relevé appel de cette ordonnance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 novembre 2022.
* * *
Vu les dernières conclusions notifiées le 4 novembre 2022 par la société Trustpilot A/S qui a demandé à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant débouté la société Medisafe 911 du surplus de ses demandes, et, statuant à nouveau, de :
In limine litis, au visa des articles 1, 3 et 5 de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords de for :
- juger qu'elle est recevable à soulever in limine litis l'incompétence internationale du tribunal de commerce de Bayonne
- juger incompétentes les juridictions françaises et renvoyer la société Medisafe 911 à se pourvoir devant les juridictions compétentes de Londres.
A titre subsidiaire, au visa de l'article 12 du code de procédure civile et de l'article 6, I, 8 de la LCEN :
- déclarer incompétent le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne pour apprécier les demandes de suppression de contenu et renvoyer l'intimée à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire compétent.
A titre infiniment subsidiaire, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, de la loi 2004-575, des articles L. 111-7-2 et suivants, et D. 111-16 et suivants du code de la consommation, 482 et 145 du code de procédure civile, de :
- juger que la société Medisafe 911 ne démontre pas l'existence de l'urgence, ni davantage d'un trouble manifestement illicite ou encore d'un quelconque dommage imminent
- juger que l'existence de l'obligation invoquée est sérieusement contestable.
En conséquence :
- juger n'y avoir lieu à référé
- débouter la société Medisafe 911 de l'ensemble de ses demandes et prétentions.
En tout état de cause, condamner la société Medisafe 911 au paiement d'une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
*
Vu les dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2022 par la société Medisafe 911 qui a demandé à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, 1110, 1171, 1231 et 1240 du code civil, L. 111-7-2 et D. 111-17 du code de la consommation, 482 du code de procédure civile, de :
A titre principal :
- confirmer l'ordonnance entreprise.
A titre subsidiaire, avant dire droit :
- ordonner à la société Trustpilot A/S de communiquer à la société Medisafe 911 la documentation justifiant la réalité de leur expérience d'achat que lui ont fourni les auteurs des avis suivants :
- avis de « [N] [Y] » actualisé le 1er juin 2020
- avis de « [E] » du 6 juin 2020
- avis de « [K] » du 15 juin 2020
- avis de « JMC » actualisé le 25 juin 2020
- avis de « Pat » du 20 juillet 2020
- avis de « monsieur [B] » du 31 juillet 2020
- avis de « [P] » du 18 septembre 2020
- avis de « [I] [F] » du 25 novembre 2020
- avis de « Kalystha » du 23 décembre 2020
- avis de « [R] » actualisé le 17 février 2021
- avis de « [Z] [W] » actualisé le 3 mars 2021
A titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait n'y avoir lieu à référé :
- renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Bayonne pour qu'il soit statué au fond et dire que l'arrêt emportera saisine dudit tribunal.
En tout état de cause :
- condamner la société Trustpilot A/S au paiement d'une somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur l'exception d'incompétence du juge français :
La société Trustpilot A/S fait grief à l'ordonnance entreprise d'avoir écarté la clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises aux motifs que cette clause n'existait pas dans les conditions d'utilisation en vigueur en avril 2020, date de l'adhésion aux services gratuits de la plate-forme et qu'elle doit être réputée non écrite en raison de son manque de précision alors que la clause litigieuse a été acceptée lors de l'adhésion gratuite aux services du 14 avril 2021 et que sa validité est régie par la convention de La Haye sur les accords d'élection de for du 30 juin 2005.
La société Medisafe 911 conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise en faisant valoir que la clause d'élection de for invoquée par l'appelante lui est inopposable dès lors que :
- elle n'a pas connu ni accepté la clause litigieuse
- elle n'a pas pu en accepter librement les termes rédigés en langue anglaise qu'elle ne maîtrise pas
- la clause qui désigne les juridictions de l'Angleterre et du Pays de Galles, sans autre précision de la localisation ni de la nature de la juridiction élue, est imprécise et, comme telle doit être réputée non écrite en application de l'article 48 du code de procédure civile
- aurait-elle été valablement contractée, la clause souscrite dans le cadre d'un contrat d'adhésion est inapplicable au litige dès lors qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et, en conséquence, doit être réputée non écrite en application de l'article 1171 du code civil.
Mais, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'adhésion aux services gratuits de la plate-forme née de la revendication de son profil sur le site Trustpilot en mars 2020 a été résiliée le 4 février 2021 par la société Medisafe 911 en « dé-revendiquant » son profil.
C'est lors de la seconde revendication de son profil, en date du 14 juin 2021, que la société Medisafe 911 a souscrit une nouvelle adhésion à ces mêmes services.
En effet, il ressort des pièces versées aux débats par l'appelante (pièces 4, 9, 9 bis, 8, 8 bis) que le 14 juin 2021, à 6h13, la société Medisafe 911, à l'initiative de son dirigeant, M. [T] [U], a revendiqué son profil et adhéré aux services gratuits de la plate-forme Trustpilot après avoir expressément accepté les « Terms of Use and Sale for Businesses » (les conditions d'utilisation et de vente pour les entreprises).
L'appelante rapporte la preuve que la procédure d'inscription de l'entreprise ne peut aboutir qu'à la condition que celle-ci clique sur la case « j'accepte les Termes et conditions de Truspilot » (case rédigée en langue française) et se termine en cliquant sur le bouton « finaliser la configuration ».
Les « termes et conditions » acceptés renvoient au document intitulé « Terms of Use for Businesses », rédigé en langue anglaise, disponible et pouvant être sauvegardé et imprimé avant de finaliser son acceptation.
Ce document comportant 60 articles, dans sa version mise en ligne en octobre 2020, contractualise les conditions d'utilisation des services gratuits ou payants souscrits par une entreprise.
Selon la traduction, non contestée versée aux débats, il y est notamment précisé :
- en introduction : que vous souhaitiez utiliser Trustpilot gratuitement ou utiliser nos services payants, vous devrez accepter ces conditions afin que les droits et obligations de chacun soient clairs. Votre accès et votre utilisation de nos services sont, à tout moment, conditionnés par votre acceptation de ces conditions.
- article 47 résolution des litiges : La plupart de vos problèmes peuvent être résolus rapidement et à la satisfaction de tous en nous contactant via support.truspilot.com. Si nous ne parvenons pas à résoudre le problème ensemble, vous et nous acceptons d'apporter tout litige exclusivement devant les tribunaux compétents du lieu mentionné à l'article 60.
- article 60 : nos entités contractantes ; droit et juridiction : nos entités contractantes sont énumérées ci-dessous, ainsi que la loi et le lieu de juridiction applicables à tout litige entre vous et nous, sauf indication contraire dans les documents commerciaux qui vous sont fournis lors de votre inscription. [...].
Région : Royaume-Uni et Europe
entité : Trustpilot A/S
numéro d'enregistrement : 30276582
adresse : c/o Truspilot Limited, [Adresse 4], England, EC3R 7DD
droit applicable : Angleterre et Pays de Galles
lieu de juridiction : Angleterre et Pays de Galles
Cette convention conclue entre un commerçant français et un commerçant Danois est donc un contrat international conclu entre ressortissants de deux Etats-membres de l'Union Européenne comportant une clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises.
Le Règlement (UE) n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis a cessé de s'appliquer aux relations entre les Etat-membres et le Royaume-Uni à compter du 1er janvier 2021, date d'effet définitif du Brexit.
A compter de cette date, et donc à la date du 30 septembre 2021 de la transmission de la demande de remise de l'assignation délivrée à la société Trustpilot A/S, le Royaume-Uni était devenu un Etat-tiers à l'Union Européenne.
L'article 25 du Règlement précité, concernant les clauses attributives de compétence, n'était donc plus applicable à la clause attributive de compétence litigieuse qui désignait les juridictions du Royaume-Uni.
La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for (ci-après la Convention ») a donc vocation à s'appliquer à cette clause, comme le relève justement la société Trustpilot A/S, dès lors que cette convention a été ratifiée :
- le 15 juin 2015 par l'Union Européenne, pour le compte des Etats-membres, à l'exception du Danemark, suite à la décision 2014/887/UE
- par le Royaume-Uni le 1er avril 2019, avec effet à compter de sa sortie effective de l'Union Européenne
- par le Danemark, en 2019
L'article 1er précise que la Convention s'applique, dans des situations internationales, aux accords exclusifs d'élection de for conclus en matière civile ou commerciale.
L'article 3 a) stipule qu'un accord exclusif d'élection de for signifie un accord conclu entre deux ou plusieurs parties, qui est conforme aux exigences prévues au paragraphe c) et qui désigne pour connaître des litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d'un Etat contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d'un Etat contractant, à l'exclusion de la compétence de tout autre tribunal.
L'article 3 c) stipule qu'un accord d'élection de for doit être conclu ou documenté par écrit ou par tout autre moyen de communication qui rende l'information accessible pour être consultée ultérieurement.
Tel est le cas en l'espèce, la société Medisafe 911 ayant adhéré aux services gratuits de la plate-forme Trustpilot et accepté, avant son adhésion, les conditions d'utilisation et de vente pour les entreprises comportant la clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises dans un document numérique pouvant être sauvegardé ou imprimé.
Dans les contrats internationaux, à l'exception de certains d'entre eux, les parties choisissent librement la langue dans laquelle elles rédigent leurs accords.
La société Medisafe 911, qui a accepté les conditions d'utilisation rédigées en langue anglaise, ne peut donc contester l'opposabilité de la clause litigieuse à raison de l'emploi de la langue anglaise.
Par ailleurs, dans l'ordre international, exclusif de toute application de l'article 48 du code de procédure civile français, la désignation globale des juridictions d'un Etat dans une clause attributive de compétence est licite dès lors que le droit interne de cet Etat permet de déterminer le tribunal spécialement compétent, ce qui n'est pas contesté en l'espèce, de sorte que le moyen tiré de l'imprécision de la clause désignant les juridictions anglaises et galloises sans indication de leur localisation ni de leur nature, n'est pas fondé.
Et, en déclinant la compétence du juge français au profit du juge anglais, la société Trustpilot A/S a respecté les dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, sans être tenue de désigner spécialement la juridiction anglaise matériellement et territorialement compétente.
Enfin, la société Medisafe 911 ne soutient pas que la clause attributive de compétence litigieuse ferait obstacle à la compétence impérative du juge français.
Et, seules les règles de conflit de juridiction doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, peu important même l'invocation de dispositions impératives constitutives de lois de police applicables au fond du litige.
La société Medisafe 911, qui a éludé tout débat sur l'application de la convention de La Haye du 30 juin 2005, n'a soulevé aucun moyen tiré de cette Convention ayant pour effet d'écarter l'application de la clause attributive de compétence au présent litige, ni soutenu que la clause litigieuse, à la supposer valable, n'était pas applicable à ses prétentions.
L'article 6 a) de la Convention précise que tout tribunal d'un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique sauf si l'accord est nul en vertu du droit de l'Etat du tribunal élu.
La nullité de la clause d'élection de for, à laquelle doit être assimilée toute autre sanction de droit interne ayant pour effet de priver la clause de tout effet légal, doit donc, en l'espèce, être examinée selon les règles du droit anglais, la société Trustpilot A/S ayant conclu à la compétence du juge anglais.
Dès lors, le moyen tiré du caractère réputé non-écrit de la clause attributive de compétence litigieuse, fondé sur les dispositions du droit interne français de l'article 1171 du code civil, sanctionnant les clauses insérées dans un contrat d'adhésion créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, n'est donc pas opérant.
La cour n'a été saisie d'aucun moyen de contestation de la clause sur le fondement de l'article 6 c) de la Convention.
Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens de contestation de la clause attributive de compétence au profit du juge anglais sont infondés ou inopérants.
Par conséquent, l'ordonnance entreprise sera entièrement infirmée et, faisant droit au déclinatoire de compétence de l'appelante, il sera dit que le litige ressortit à la compétence des juridictions anglaises.
La société Medisafe 911 sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
et statuant à nouveau,
DÉCLARE le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne incompétent au profit des juridictions anglaises pour connaître du présent litige,
RENVOIE la société Medisafe 911 à mieux se pourvoir,
CONDAMNE la société Medisafe 911 aux dépens de première instance et d'appel,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
AUTORISE Me Crépin, avocat, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente