CA RENNES (2e ch.), 26 mai 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10338
CA RENNES (2e ch.), 26 mai 2023 : RG n° 20/03407 ; arrêt n° 259
Publication : Judilibre
Extrait : « La BPGO fait valoir à juste titre que la recommandation de la commission des clauses abusives du 14 avril 2005 prohibant le recours à une année bancaire de 360 jours a été rendue en matière de compte de dépôts dont les intérêts sont calculés journellement et qu'elle ne saurait dès lors trouver application en matière d'intérêts d'emprunt dont les intérêts sont calculés mensuellement comme en l'espèce.
Pour le calcul du TEG d'un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d'un mois de 30 jours sur une année de 360 jours, produit un résultat mathématique strictement équivalent à l'application du rapport d'un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l'annexe à l'article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Si même en présence d'un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d'un calcul d'intérêts sur la base d'une année de 360 jours peut, lorsqu'il existe des intérêts produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d'échéance prévue par le tableau d'amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit, les emprunteurs n'apportent pas la preuve suffisante, qui leur incombe, et n'allèguent au demeurant pas même, qu'il existe en l'espèce de telles échéances brisées et qu'en tous cas celles-ci aient pu générer la facturation d'un trop perçu d'intérêts intercalaires en leur défaveur de nature à affecter l'exactitude du TEG au-delà de la marge d'erreur d'une décimale précédemment rappelée.
Par ailleurs, l'application de ce rapport aux échéances brisées de l'opération a pu, à supposer même qu'il en existe, tout au plus générer un écart d'intérêts minime insusceptible de vicier raisonnablement le consentement des emprunteurs à l'acceptation d'une telle clause s'ils avaient bénéficié d'une négociation individuelle.
Il en résulte que M. Y. et Mme X. ne démontrent pas que cette clause créerait un déséquilibre significatif à leur détriment, de sorte qu'elle ne saurait être qualifiée d'abusive.
Surabondamment, il sera observé que cette clause, qui porte sur la rémunération prévue en contrepartie du service financier offert au consommateur et, partant, sur l'objet même du contrat, est rédigée de façon claire et compréhensible, et que l'opacité qui lui est prêtée relativement à ses prétendues conséquences économiques ne résulte que de calculs réalisés par les emprunteurs au soutien de leurs contestations dont la pertinence n'a pas été retenue.
Il n'y a donc pas lieu de déclarer cette clause non écrite, et moins encore la stipulation d'intérêts conventionnels, qui lui est en toute hypothèse distincte et demeurerait applicable quand bien même la clause de calcul des intérêts sur 360 jours serait réputée non écrite. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 26 MAI 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/03407. Arrêt n° 259. N° Portalis DBVL-V-B7E-QZGF.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
GREFFIER : Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 9 mars 2023, devant Monsieur Jean-François POTHIER, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 26 mai 2023, après prorogation, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST
[Adresse 1], [Localité 2], Représentée par Maître Tiphaine LE BERRE BOIVIN, postulant, avocat au barreau de RENNES, Représentée par Maître Jean-Philippe RIOU de la SELARL PARTHEMA, plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
[Madame] X.
[Adresse 4], [Localité 3]
Monsieur Y.
[Adresse 4], [Localité 3]
Représentés par Maître Yohann KERMEUR de la SELARL KERMEUR AVOCAT, postulant, avocat au barreau de RENNES, Représentés par Maître Hervé BROSSEAU, plaidant, avocat au barreau de NANCY
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon offre préalable de crédit immobilier acceptée le 6 septembre 2010 la Banque populaire Atlantique, devenue le Banque populaire Grand-Ouest (la BPGO) a consenti à M. Y. et Mme X. un prêt immobilier de 187.768 euros au taux de 3,75 %, remboursable en 180 mensualités.
Par avenant accepté le 10 février 2015, le taux d'intérêt a été réduit à 2,90 % pour un TEG de 3,04 %.
Par acte du 18 décembre 2017 les consorts Y. X. ont fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Nantes pour contester la validité de la clause d'intérêts.
Estimant abusive la clause de calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours le tribunal judiciaire de Nantes a par jugement du 9 juillet 2020 :
- Déclaré irrecevable la demande de M. Y. et de Mme X. au titre de la demande de nullité de la clause d'intérêts contractuels.
- Déclaré recevable la demande tendant à voir déclarer cette clause abusive.
- Dit que la clause du contrat permettant à l'établissement de crédit de calculer les intérêts sur une année de 360 jours constitue une clause abusive.
- Prononcé la nullité de la clause d'intérêts du prêt n° 08620646 du 6 septembre 2010.
- Ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel pour toute la durée du prêt, avec les variations périodiques prévues par la loi pour le taux légal.
- Condamné la société Banque Populaire Grand Ouest à rembourser à M. Y. et Mme X. la somme égale à la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal conformément aux dispositions qui précèdent.
- Condamné la société Banque Populaire Grand Ouest aux dépens de l'instance.
- Condamné la société Banque Populaire Grand Ouest à payer à M. Y. et Mme X. la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
[*]
La BPGO est appelante du jugement et par dernières conclusions notifiées le 7 janvier 2022, elle demande de :
Déclarer irrecevables et en tout état de cause mal fondés M. Y. et Mme X. en leurs demandes
Débouter M. Y. et Mme X. de leurs demandes, fins et conclusions ;
Condamner M. Y. et Mme X. à payer à la banque la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner M. Y. et Mme X. aux entiers dépens d'instance et d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Rejeter toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires aux présentes.
[*]
Par dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2021, Mme X. et M. Y. demandent de :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamné l'appelante à payer une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les conditions générales du contrat de prêt comportent une clause de « conditions financières » qui stipule que « Les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû au taux fixé aux conditions particulières sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours ».
La BPGO fait grief au jugement d'avoir retenu qu'une telle clause serait abusive en ce que l'incidence financière de son application serait dissimulée aux emprunteurs.
M. Y. et Mme X. prétendent que cette clause de calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours serait abusive comme créant à leur détriment un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de prêt, en ce que qu'elle dissimule aux emprunteurs des modalités de calcul des intérêts qui leur seraient défavorables.
La BPGO fait valoir à juste titre que la recommandation de la commission des clauses abusives du 14 avril 2005 prohibant le recours à une année bancaire de 360 jours a été rendue en matière de compte de dépôts dont les intérêts sont calculés journellement et qu'elle ne saurait dès lors trouver application en matière d'intérêts d'emprunt dont les intérêts sont calculés mensuellement comme en l'espèce.
Pour le calcul du TEG d'un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d'un mois de 30 jours sur une année de 360 jours, produit un résultat mathématique strictement équivalent à l'application du rapport d'un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l'annexe à l'article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Si même en présence d'un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d'un calcul d'intérêts sur la base d'une année de 360 jours peut, lorsqu'il existe des intérêts produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d'échéance prévue par le tableau d'amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit, les emprunteurs n'apportent pas la preuve suffisante, qui leur incombe, et n'allèguent au demeurant pas même, qu'il existe en l'espèce de telles échéances brisées et qu'en tous cas celles-ci aient pu générer la facturation d'un trop perçu d'intérêts intercalaires en leur défaveur de nature à affecter l'exactitude du TEG au-delà de la marge d'erreur d'une décimale précédemment rappelée.
Par ailleurs, l'application de ce rapport aux échéances brisées de l'opération a pu, à supposer même qu'il en existe, tout au plus générer un écart d'intérêts minime insusceptible de vicier raisonnablement le consentement des emprunteurs à l'acceptation d'une telle clause s'ils avaient bénéficié d'une négociation individuelle.
Il en résulte que M. Y. et Mme X. ne démontrent pas que cette clause créerait un déséquilibre significatif à leur détriment, de sorte qu'elle ne saurait être qualifiée d'abusive.
Surabondamment, il sera observé que cette clause, qui porte sur la rémunération prévue en contrepartie du service financier offert au consommateur et, partant, sur l'objet même du contrat, est rédigée de façon claire et compréhensible, et que l'opacité qui lui est prêtée relativement à ses prétendues conséquences économiques ne résulte que de calculs réalisés par les emprunteurs au soutien de leurs contestations dont la pertinence n'a pas été retenue.
Il n'y a donc pas lieu de déclarer cette clause non écrite, et moins encore la stipulation d'intérêts conventionnels, qui lui est en toute hypothèse distincte et demeurerait applicable quand bien même la clause de calcul des intérêts sur 360 jours serait réputée non écrite.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes des emprunteurs de voir déclarer abusive la clause de calcul des intérêts sur une année de 360 jours, annuler la clause d'intérêts conventionnels, et d'avoir ordonné la substitution du taux légal au taux d'intérêts conventionnel et d'avoir ordonné le remboursement de la différence.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la BPGO l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il leur sera alloué une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 9 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Nantes, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M. Y. et de Mme X. au titre de la demande de nullité de la clause d'intérêts contractuels et déclaré recevable la demande tendant à voir déclarer cette clause abusive.
Déboute M. Y. et Mme X. de leurs demandes.
Condamne M. Y. et de Mme X. à payer à la Banque populaire Grand-Ouest une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. Y. et de Mme X. aux dépens de première instance et d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT