CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 27 septembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10578
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 27 septembre 2023 : RG n° 21/22128
Publication : Judilibre
Extraits (arguments de l’appelant) : « A titre plus subsidiaire encore, sur le fondement de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, L 312-21 du code de la consommation, article R 312-2 du même code, […], A titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version en vigueur au moment de la conclusion du contrat, - RÉPUTER NON ECRITE la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015 ».
Extraits (motifs) : 1/ « En définitive, la société TB Suresnes, qui déplore n'avoir pu mesurer la portée de son engagement, ne démontre pas qu'elle aurait accepté la clause litigieuse parce qu'elle aurait légitimement cru n'avoir à supporter qu'une indemnité modérée. La preuve d'une erreur excusable et déterminante n'est pas rapportée. Le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il déboute la société TB Suresnes de ses demandes d'annulation. »
2/ « Le banquier dispensateur de crédit doit par suite éclairer l'emprunteur sur les caractéristiques du prêt accordé. La banque est notamment tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat.
L'expérience du gérant de la société P2 en matière d'acquisitions immobilières n'exonérait pas la société Triodos Bank NV de son devoir d'information.
Sur ce point, il n'est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l'analyse détaillée des premiers juges qui ont estimé insuffisante l'information fournie à la société P2 sur le calcul de l'indemnité de remploi, s'agissant en particulier du premier montant à calculer, à savoir la différence entre le montant cumulé des intérêts que le prêteur aurait perçu au titre du crédit considéré et le montant cumulé des intérêts que le prêteur percevrait dans le cadre d'un réinvestissement du montant remboursé an titre du crédit considéré dans des obligations linéaires belges. Il n'est pour s'en convaincre que de lire les développements consacrés par l'intimée à ces modalités de calcul (pages 15 à 24), qui contiennent de nombreuses précisions nécessaires sur l'utilisation du taux d'intérêt contractuel minimal pour pallier la nature révisable du taux conventionnel ; d'une durée moyenne restant à courir au lieu de la durée résiduelle du prêt ; d'obligations linéaires belges équivalentes aux crédits en cause pour déterminer le taux applicable ; d'une méthode d'interpolation linéaire pour calculer ce taux à partir des obligations linéaires belges retenues.
Le manquement de la société Triodos Bank NV à son devoir d'information ne peut toutefois entraîner l'annulation que s'il est de nature à vicier le consentement de la société P2. Or, pour les motifs précédemment exposés, le défaut d'information retenu en l'espèce ne présente pas un caractère déterminant du consentement de l'emprunteur. La nullité de la clause litigieuse ou du prêt n'est donc pas encourue de ce chef.
L'inexécution de son obligation par l'établissement de crédit ouvre droit à dommages et intérêts pour l'emprunteur. Les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice de la société TB Suresnes. Celle-ci ne peut en effet prétendre à des indemnités de 730.000 euros et de 4.000 euros représentant la quasi-totalité des indemnités de remploi qu'elle a payées, alors que les parties étaient convenues du principe de telles indemnités, et que l'appelante ne démontre pas qu'elle aurait pu en négociant obtenir de l'établissement de crédit qu'il les réduisît à un montant symbolique. Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/22128 (8 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3S7. Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 novembre 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 19/10185.
APPELANTE :
SARL TB SURESNES
prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège [Adresse 2], [Localité 3], Représentée par Maître Thierry CHAPRON de la SCP CHAPRON LANIECE YGOUF ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0479, Représentée par Maître Alain LANIECE de la SCP CHAPRON LANIECE, avocat plaidant
INTIMÉE :
Société TRIODOS BANK NV
société de droit néerlandais, prise en son établissement de [Localité 4], sis [Adresse 6], Belgique, prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 5], [Localité 1] (pays), Représentée par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, ayant pour avocat plaidant Maître Lionel ATTAL
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère et M. Marc BAILLY, président de chambre entendu en son rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Marc BAILLY président de chambre, chargé du rapport M. Vincent BRAUD, président, MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère.
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Mélanie THOMAS, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte sous seing privé du 30 juillet 2015, la société Triodos Bank NV consentait à la société civile immobilière P2 trois prêts :
- un prêt « Crédit A » d'un montant de 5.266.000 euros, d'une durée de 15 ans et destiné à financer en partie l'acquisition d'un immeuble ;
- un prêt « Crédit B » d'un montant de 650.000 euros, d'une durée de 5 ans et 6 mois, pour le rachat de la partie de surloyers préfinancée par le vendeur, le remboursement de ce prêt étant garanti par une hypothèque conventionnelle prise sur le bien immobilier ;
- un prêt « Crédit Relais TVA » d'un montant de 1.430.000 euros destiné à financer la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de l'acquisition immobilière, d'une durée de 6 mois.
L'article 7.4 de cet acte prévoyait une indemnité en cas de remboursement volontaire par anticipation, dite indemnité de remploi, dont la définition est donnée au paragraphe Définitions et interprétations :
« indemnité d'un montant positif égale à la perte de revenus pour le prêteur et correspondant au plus élevé des deux montants suivants :
« - la différence entre (i) le montant cumulé des intérêts que le prêteur aurait perçu au titre du crédit considéré et (ii) le montant cumulé des intérêts que le prêteur percevrait dans le cadre d'un réinvestissement du montant remboursé au titre du crédit considéré dans des obligations linéaires belges ; et
« - six mois d'intérêts (au taux d'intérêt applicable au crédit considéré), calculés sur la partie du crédit faisant l'objet du remboursement. »
La SCI P2 ayant informé la banque de sa volonté de rembourser les prêts par anticipation, cette dernière lui adressait, le 11 avril 2019, un décompte indicatif des deux prêts comprenant l'indemnité de remploi, d'un montant de 775.491,88 euros pour le crédit A et de 7.667,29 euros pour le crédit B.
Par lettre recommandée du 18 avril 2019, la SCI P2 contestait les modalités de calcul et le montant des indemnités de remploi, qu'elle estimait ne pouvoir être supérieures à 127.046,17 euros pour le crédit A et à 7.366,19 pour le crédit B.
Le 30 avril 2019, la société Triodos Bank NV adressait un décompte définitif fixant l'indemnité de remploi pour le crédit A à la somme de 731.651,90 euros et pour le crédit B à la somme de 4.747,81 euros, qui était réglé par la SCI P2 en même temps que les sommes restant dues au titre des prêts.
Contestant l'indemnité de remploi des deux prêts, la SCI P2 a assigné la société Triodos Bank NV devant le tribunal de grande instance de Paris par exploit en date du 12 juillet 2019, notamment en nullité de la clause d'indemnité de remploi.
Par jugement contradictoire en date du 18 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- Constaté que la SARL TB Suresnes est venue aux droits de la SCI P2 le 15 juillet 2020 ;
- Condamné la société Triodos Bank NV à payer à la SARL TB Suresnes la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Débouté la SARL TB Suresnes du surplus de ses demandes ;
- Condamné la société Triodos Bank NV à payer à la SARL TB Suresnes la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Triodos Bank NV aux dépens ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
* * *
Par déclaration du 15 décembre 2021, la société TB Suresnes a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 octobre 2022, la société à responsabilité limitée TB Suresnes, anciennement société civile immobilière P2, demande à la cour de :
- RECEVOIR la société TB SURESNES en son appel, le dire bien fondé,
- RECEVOIR la société TRIODOS BANK NV en son appel incident, le dire mal fondé,
- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS en date du 18 novembre 2021 en ce qu'il a rejeté la demande de la société TB SURESNES de voir consacrer une erreur ayant vicié son consentement et en conséquence, dit qu'il ne pouvait y avoir nullité, ni du contrat ni de la clause litigieuse, pour erreur, en tout état de cause, de réduction du montant de l'indemnité sur le fondement de l'erreur,
- LE CONFIRMER en ce qu'il a jugé que la société TRIODOS BANK NV a manqué à son obligation d'information,
- L'INFIRMER en ce qu'il a condamné la société TRIODOS BANK NV à régler à la société TB SURESNES seulement la somme de 20.000 € au titre du manquement à son obligation d'information,
- L'INFIRMER en ce qu'il a débouté la société TB SURESNES du surplus de ses demandes,
statuant à nouveau,
A titre principal,
- PRONONCER la nullité pour vice du consentement de la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015,
En conséquence,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à restituer à la société TB SURESNES (anciennement SCI P2) les sommes de :
- 731.651,90 € au titre du crédit A,
- 4.747,81 € au titre du crédit B,
Ce avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du18 avril 2019,
Le cas échéant, à titre subsidiaire, sur la sanction du vice du consentement, si la Cour devant juger la clause d'indemnité de remploi indissociable des autres clauses de la convention de crédit,
- PRONONCER la nullité pour vice du consentement de la convention de crédit, et en conséquence, ordonner les restitutions subséquentes,
Encore plus subsidiairement sur la sanction,
- REDUIRE le montant de l'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015 à une somme qui ne saurait excéder 3% du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à restituer la différence entre les indemnités perçues et le montant des indemnités fixées qui ne sauraient excéder 3% du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
A titre subsidiaire,
- DIRE ET JUGER que la société TRIODOS BANK NV a manqué à son obligation d'information,
En conséquence,
- PRONONCER la nullité pour vice du consentement de la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015, et CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à restituer à la société TB SURESNES (anciennement SCI P2) les sommes de :
- 731.651,90 € au titre du crédit A,
- 4.747,81 € au titre du crédit B
Ce avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du18 avril 2019,
Le cas échéant, et subsidiairement, sur la sanction du manquement au devoir d'information,
- DIRE ET JUGER, compte tenu de ce manquement à l'obligation d'information, que la société TRIODOS BANK NV engage sa responsabilité contractuelle,
En conséquence,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à réparer le préjudice subi par la société TB SURESNES (anciennement SCI P2) à hauteur des sommes suivantes :
- 730.000 euros au titre du crédit A,
- 4.000 euros au titre du crédit B.
A titre plus subsidiaire encore, sur le fondement de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, L 312-21 du code de la consommation, article R 312-2 du même code,
- DÉCLARER abusive la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015,
En conséquence,
- RÉPUTER NON ECRITE la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015,
- DIRE et JUGER le cas échéant que les plafonnements prévus à l'article L 312-21 du code de la consommation sont applicables,
- RÉDUIRE le montant de l'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015 à une somme qui ne saurait excéder 3 % du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à restituer la différence entre les indemnités perçues et le montant des indemnités fixées qui ne sauraient excéder 3 % du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
A titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version en vigueur au moment de la conclusion du contrat,
- RÉPUTER NON ECRITE la clause d'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015,
- RÉDUIRE le cas échéant le montant de l'indemnité de remploi insérée à la convention de crédit annexée à l'acte notarié du 30 juillet 2015 à une somme qui ne saurait excéder 3 % du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à restituer la différence entre les indemnités perçues et le montant des indemnités fixées qui ne sauraient excéder 3% du montant du capital restant à rembourser sur le CREDIT A,
En toute hypothèse,
- DÉBOUTER la société TRIODOS BANK NV de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à régler à la société TB SURESNES (anciennement SCI P2) la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV aux entiers dépens,
y ajoutant en cause d'appel :
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV à régler, en cause d'appel, à la société TB SURESNES (anciennement SCI P2) la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER la société TRIODOS BANK NV aux entiers dépens.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 12 juillet 2022, la société de droit néerlandais Triodos Bank NV demande à la cour de :
Confirmer le jugement du 18 novembre 2021 en ce qu'il a :
- Constaté que la SARL TB SURESNES est venue aux droits de la SCI P2 le 15 juillet 2020 ;
- Débouté la SARL TB SURESNES du surplus de ses demandes ;
Infirmer le jugement du 18 novembre 2021 en ce qu'il a :
- Jugé que la société Triodos Bank NV avait manqué à son obligation d'information et l'a condamnée, à ce titre, à verser 20.000 € de dommages-intérêts à la société SARL TB SURESNES (venant aux droits de la SCI P2) ;
- Condamné la société Triodos Bank NV à payer à la société SARL TB SURESNES (venant aux droits de la SCI P2) la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ;
- Condamné la société Triodos Bank NV aux dépens.
Et statuant à nouveau, au besoin en y ajoutant :
- Débouter la SARL TB SURESNES de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la SARL TB SURESNES à payer à la société Triodos Bank NV la somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SARL TB SURESNES aux entiers dépens.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 09 mai 2023 et l'audience fixée au 20 juin 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
CELA EXPOSÉ,
Sur le vice du consentement :
L'article 1108 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose :
« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :
« Le consentement de la partie qui s'oblige ;
« Sa capacité de contracter ;
« Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ;
« Une cause licite dans l'obligation ».
Aux termes de l'article 1109 ancien du même code, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par le dol.
Aux termes de l'article 1110 ancien, alinéa premier, du même code, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
La société TB Suresnes estime qu'elle est fondée, au vu des montants exorbitants réclamés et de son absence de compréhension de la formule bancaire utilisée par la banque, à rechercher la nullité pour vice du consentement de la clause d'indemnité, notamment pour erreur. Elle expose que si elle avait eu, au moment de l'engagement, une connaissance précise du montant des indemnités à acquitter en cas de remboursement anticipé, elle n'aurait pas contracté dans ces conditions. L'appelante en conclut que compte tenu de son montant, cet aspect de l'engagement revêt les caractères d'une qualité substantielle.
L'appelante ne prétend cependant pas s'être trompée, lors de la conclusion du contrat, sur le montant de l'indemnité de remploi convenue entre les parties. Ainsi que l'a exactement jugé le tribunal, sous couvert de vice du consentement, la société TB Suresnes se plaint de l'obscurité de la formule de calcul de l'indemnité. Ce faisant, elle ne caractérise pas une erreur sur la substance du contrat, non plus qu'aucun autre vice du consentement.
Au reste, le montant de l'indemnité de remploi, dont l'emprunteur ne nie pas avoir accepté le principe, n'apparaît pas avoir été un élément déterminant de son consentement. Un tel caractère déterminant ne ressort ni des termes du contrat lui-même, ni des circonstances ayant entouré sa conclusion. L'emprunteur, qui se plaint de ne pouvoir calculer le montant de l'indemnité de remploi à la seule lecture des stipulations du prêt, ne s'en est pas inquiété lors de la conclusion de celui-ci en sollicitant les éclaircissements qu'il pouvait estimer nécessaires. Or, la société P2 avait la capacité de comprendre que la faculté de remboursement volontaire par anticipation qui lui était donnée était soumise au payement d'une contrepartie. En effet, la société civile immobilière P2 avait notamment pour objet l'acquisition de tout bien immobilier, l'administration et l'exploitation par bail, location ou autrement dudit immeuble et de tous autres immeubles bâtis dont elle pourrait devenir propriétaire ultérieurement, par voie d'acquisition, échange, apport ou autrement. En outre, l'intimée expose sans être contredite que le gérant de la société P2, [L] [S], et son associé, [D] [I], étaient l'un et l'autre gérants de nombreuses autres sociétés ayant une activité immobilière ou de holding.
En définitive, la société TB Suresnes, qui déplore n'avoir pu mesurer la portée de son engagement, ne démontre pas qu'elle aurait accepté la clause litigieuse parce qu'elle aurait légitimement cru n'avoir à supporter qu'une indemnité modérée. La preuve d'une erreur excusable et déterminante n'est pas rapportée. Le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il déboute la société TB Suresnes de ses demandes d'annulation.
Sur le devoir d'information :
Aux termes de l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Le banquier dispensateur de crédit doit par suite éclairer l'emprunteur sur les caractéristiques du prêt accordé. La banque est notamment tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat.
L'expérience du gérant de la société P2 en matière d'acquisitions immobilières n'exonérait pas la société Triodos Bank NV de son devoir d'information.
Sur ce point, il n'est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l'analyse détaillée des premiers juges qui ont estimé insuffisante l'information fournie à la société P2 sur le calcul de l'indemnité de remploi, s'agissant en particulier du premier montant à calculer, à savoir la différence entre le montant cumulé des intérêts que le prêteur aurait perçu au titre du crédit considéré et le montant cumulé des intérêts que le prêteur percevrait dans le cadre d'un réinvestissement du montant remboursé an titre du crédit considéré dans des obligations linéaires belges. Il n'est pour s'en convaincre que de lire les développements consacrés par l'intimée à ces modalités de calcul (pages 15 à 24), qui contiennent de nombreuses précisions nécessaires sur l'utilisation du taux d'intérêt contractuel minimal pour pallier la nature révisable du taux conventionnel ; d'une durée moyenne restant à courir au lieu de la durée résiduelle du prêt ; d'obligations linéaires belges équivalentes aux crédits en cause pour déterminer le taux applicable ; d'une méthode d'interpolation linéaire pour calculer ce taux à partir des obligations linéaires belges retenues.
Le manquement de la société Triodos Bank NV à son devoir d'information ne peut toutefois entraîner l'annulation que s'il est de nature à vicier le consentement de la société P2. Or, pour les motifs précédemment exposés, le défaut d'information retenu en l'espèce ne présente pas un caractère déterminant du consentement de l'emprunteur. La nullité de la clause litigieuse ou du prêt n'est donc pas encourue de ce chef.
L'inexécution de son obligation par l'établissement de crédit ouvre droit à dommages et intérêts pour l'emprunteur. Les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice de la société TB Suresnes. Celle-ci ne peut en effet prétendre à des indemnités de 730.000 euros et de 4.000 euros représentant la quasi-totalité des indemnités de remploi qu'elle a payées, alors que les parties étaient convenues du principe de telles indemnités, et que l'appelante ne démontre pas qu'elle aurait pu en négociant obtenir de l'établissement de crédit qu'il les réduisît à un montant symbolique. Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante en supportera donc la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.
Il n'y a pas lieu en équité à condamnation sur ce fondement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR,
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société TB Suresnes aux dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT