CA LYON (1re ch. civ. A), 21 décembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10624
CA LYON (1re ch. civ. A), 21 décembre 2023 : RG n° 19/01113
Publication : Judilibre
Extrait : « Si les obligations de prévention des risques assurés constituent habituellement des conditions à l'octroi des garanties contractuelles, la clause susmentionnée révèle au cas d'espèce qu'elles ont été prévues expressément et de manière non équivoque à peine de déchéance du droit à l'indemnité d'assurance. Il s'ensuit que les prescriptions édictées à l'annexe P. 2009/23/03/11 et aux différents articles de l'annexe PI2009/10/12/14 énumérés à l'annexe « clauses applicables au contrat » ne constituent pas des conditions préalables à la naissance du droit à garantie, mais des obligations dont la méconnaissance déchoit l'assuré de ce droit. La clause litigieuse constitue en conséquence une clause de déchéance soumise aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances, dont la mise en œuvre se trouve subordonnée à sa stipulation en caractères très apparents.
Or, la société MJ Synergie se prévaut implicitement de la violation de cette disposition, dans la mesure où elle conclut au caractère inopérant de la clause litigieuse, motif tiré de ce qu'elle n'a pas été rédigée en des termes très apparents. Force est de constater que seul le dernier alinéa de cette clause a été stipulé en caractères très apparents, à l'exclusion des alinéas précédents, dont le premier désigne les annexes énumérant les différentes obligations de prévention des risques pesant sur l'assuré à peine de déchéance et revêt en conséquence un caractère indissociable de l'alinéa prévoyant cette déchéance. Il s'ensuit que la clause invoquée par les administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD ne peut être opposée à la société MJ Synergie et que les moyens élevés en défense pour dénier la garantie de cet assureur ne sont pas fondés. Le droit à garantie est donc acquis. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE A
ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/01113. N° Portalis DBVX-V-B7D-MGFV. Décision du Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE, Au fond du 24 janvier 2019 : RG : 18/03260.
APPELANTE :
SARL DE LA MINOTERIE JEAN GAULIN
[Adresse 9], [Localité 5], Représentée par la SELARL JEAN PHILIPPE BELVILLE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 3030, Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET COTESSAT BUISSON, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
INTIMÉE :
Société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED
[Adresse 7], [Adresse 7], [Localité 6], Représentée par Maître Marie SAULOT, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1713, Et ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Baptiste MEYRIER, avocat au barreau de PARIS
INTERVENANTS :
M. R. ès qualité d'administrateur judiciaire de la société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED
PricewaterhouseCoopers Limited [Adresse 4], [Localité 6], Représenté par Maître Marie SAULOT, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1713, Et ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Baptiste MEYRIER, avocat au barreau de PARIS
SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Maître G. en qualité de liquidateur de la SARL DE LA MINOTERIE JEAN GAULIN
[Adresse 3], [Localité 1], Représentée par la SELARL JEAN PHILIPPE BELVILLE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 3030 Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET COTESSAT BUISSON, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
M. L. ès qualité d'administrateur judiciaire de la société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED
PricewaterhouseCoopers Limited, [Adresse 2], [Localité 8], Représenté par Maître Marie SAULOT, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1713, Et ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Baptiste MEYRIER, avocat au barreau de PARIS
Date de clôture de l'instruction : 27 juin 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 5 octobre 2023
Date de mise à disposition : 7 décembre 2023 prorogée au 14 décembre 2023, puis 21 décembre 2023, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Anne WYON, président - Julien SEITZ, conseiller - Thierry GAUTHIER, conseiller, assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Selon contrat du 4 septembre 2015, la Société de la minoterie Jean Gaulin a assuré ses locaux d'exploitation situés à [Localité 5] (Ain) auprès de la société Elite Insurance Company LTD, celle-ci ayant préalablement mandaté le cabinet Riskattitude, afin de procéder à la visite technique des locaux et d'émettre des recommandations quant à la prévention du risque incendie.
La Société de la minoterie Jean Gaulin a procédé le 2 août 2017 à une déclaration de sinistre, à raison de dommages en toiture causés par un orage de grêle survenu le 30 juillet 2017.
L'expert d'assurance mandaté par la société Elite Insurance Company LTD a procédé le 17 août 2017 à la vue des lieux, sans que son rapport ne soit communiqué à la Société de la minoterie Jean Gaulin.
Par courrier recommandé du 28 février 2018, la société Amour Risk, représentant la société Elite Insurance LTD a opposé un refus de garantie à la réclamation de la Société de la Minoterie Jean Gaulin.
Les échanges ultérieurs n'ont pas permis de régler amiablement le litige.
Par assignation signifiée le 3 septembre 2018, la Société de la minoterie Jean Gaulin a fait citer la société Elite Insurance Company LTD devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, afin de l'entendre condamner à lui payer différentes sommes en exécution de ses garanties.
Par jugement réputé contradictoire du 24 janvier 2019, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a débouté la Société de la minoterie Jean Gaulin de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens de l'instance, en retenant que la demanderesse n'établissait pas la réalité du sinistre allégué.
La Société de la minoterie Jean Gaulin a relevé appel de cette décision selon déclaration enregistrée le 13 février 2019.
Par jugement du 11 décembre 2019, la Cour suprême de Gibraltar a confié la gestion des actifs et affaires de la société Elite Insurance Company LTD à M. R. de la société PricewaterhouseCoopers Limited, et M. L. de la société PricewaterhouseCoopers LLP, en application de la loi de Gibraltar sur l'insolvabilité de 2011.
La Société de la minoterie Jean Moulin a déclaré ses créances par courrier recommandé et courriel du 11 mars 2020, avant d'appeler MM. R. et L., pris en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, en cause d'appel, selon actes d'huissier adressés le 28 septembre 2020 au greffe de la Cour suprême de Gibraltar, conformément à l'article 9-2 du Règlement (CE) n°1393/2007 du Conseil de l'Union Européenne.
Par jugement du 7 décembre 2022, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a prononcé la liquidation judiciaire de la Société de la minoterie Jean Gaulin, en désignant la société MJ Synergie, prise en la personne de Maître G., en qualité de liquidatrice.
La société MJ Synergie est intervenue volontairement à l'instance.
[*]
Aux termes de ses conclusions déposées le 31 mars 2023, la société MJ Synergie, agissant en sa qualité de liquidatrice de la Société de la minoterie Jean Gaulin demande à la cour, au visa des articles L. 113-1 et suivants du code des assurances, de :
- infirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 24 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse,
- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à MM. R. et L., en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD,
- déclarer recevables et bien fondées les demandes de la Société de la minoterie Jean Gaulin faites à l'encontre de MM. R. et L. es qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD,
- débouter MM. R. et L., en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- juger que MM. R. et L., en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, sont tenus de garantir le sinistre
« grêle » survenu le 30 juillet 2017 sur les locaux exploités par la Société de la minoterie Jean Gaulin,
en conséquence :
- fixer la créance de la Société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la Société de la minoterie Jean Gaulin, au passif de la société Elite Insurance Company LTD à la somme de 138.473,33 euros TTC en réparation de ce sinistre et conformément à ses garanties,
- fixer la créance de la Société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la Société de la minoterie Jean Gaulin au passif de la société Elite Insurance Company LTD à la somme de 48.388 euros correspondant aux pertes d'exploitation, conséquences directes du sinistre,
- condamner MM. R. et L., en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, à payer à la Société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la Société de la minoterie Jean Gaulin, la somme de 2.000 euros pour la procédure de première instance et 2.000 euros pour la procédure d'appel, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner MM. R. et L., en qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, aux dépens de première instance et d'appel.
[*]
Par conclusions récapitulatives déposées le 4 février 2021, la société de droit étranger Elite Insurance Company LTD, prise en la personne de ses administrateurs judiciaires, MM. R. et L., demande à la cour de :
- In limine litis, dire que l'instance ne pourra être reprise tant que la Société de la minoterie Jean Gaulin n'aura pas déclaré sa créance à la procédure collective d'Elite et que toute éventuelle condamnation dans la présente instance ne pourra tendre qu'à la fixation de celle-ci au passif de cette dernière,
subsidiairement, sur le fond :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant :
- principalement, dire que l'irrespect par la Société de la minoterie Jean Gaulin des différentes clauses de l'annexe « Moyens de prévention et de protection » n° P2009/23/03/11, de l'annexe « Prévention incendie » n° PI2009/10/12/14 et de l'annexe 2 « Plan de prévention -recommandations », qui constituaient autant de conditions de la garantie, entraîne une situation de non-assurance,
- subsidiairement, dire qu'Elite est bien fondée à opposer à la Société de la minoterie J. Gaulin les clauses de déchéance de garantie figurant aux conditions particulières signées par cette dernière, ainsi qu'à l'article 3.2.4.3 des conditions générales auxquelles renvoient celles-ci,
- en toute hypothèse, condamner la Société de la minoterie Jean Gaulin à la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour couvrir les frais d'expertise et de défense supportés par la concluante par la seule faute et la grande mauvaise foi de l'appelante.
[*]
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction de la cause par ordonnance du 27 juin 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle elle a été mise en délibéré au 7 décembre 2023. Le délibéré a été prorogé au 14 décembre 2023 puis 21 décembre 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur le moyen tiré de l'interruption de l'instance :
Vu les articles 271 et 292 de la Directive n° 2009/138 (CE) du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) ;
Vu les articles L. 326-20 et L. 326-28 du code des assurances ;
Vu les articles 369 et suivants du code de procédure civile ;
Vu l'article L. 622-22 du code de commerce ;
Les administrateurs de la société Elite Insurance Company LTD font valoir que la procédure d'insolvabilité ouverte au profit de leur administrée a interrompu la présente instance, et que celle-ci ne peut être valablement reprise, de par les dispositions de l'article L. 622-22 du code de commerce, sans justification de la déclaration de créance de la Société de la minoterie Jean Gaulin.
La société MJ Synergie ne conclut pas à cet égard.
Sur ce :
Conformément à l'article L. 326-20 du code des assurances, sous réserve des articles L. 326-21 à L. 326-29 du même code, les mesures d'assainissement définies à l'article L. 323-8 et les décisions concernant l'ouverture d'une procédure de liquidation prises par les autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France à l'égard d'une entreprise d'assurance ayant son siège sur le territoire de cet Etat produisent tous leurs effets sur le territoire de la République française sans aucune autre formalité, y compris à l'égard des tiers, dès qu'elles produisent leurs effets dans cet Etat.
Il s'ensuit que la décision du 11 décembre 2019, par laquelle la Cour suprême de Gibraltar, territoire associé au Royaume-Uni, a confié la gestion des actifs et affaires de la société Elite Insurance Company LTD à MM. R. et L. produit effet de plein droit sur le territoire français.
S'agissant par exception des effets des procédures collectives ouvertes dans un autre Etat-membre sur les instances en cours, l'article 292 de la Directive n°2009/138 (CE) du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) dispose : « Les effets des mesures d'assainissement ou de la procédure de liquidation sur une instance en cours concernant un actif ou un droit dont l'entreprise d'assurance est dessaisie sont régis exclusivement par le droit de l'Etat membre dans lequel l'instance est en cours ».
Cette disposition a été transposée en droit français à l'article L. 326-28 du code des assurances, en vertu duquel les effets de la mesure d'assainissement ou de l'ouverture de la procédure de liquidation sur une instance en cours en France concernant un bien ou un droit dont l'entreprise d'assurance est dessaisie sont régis exclusivement par les dispositions du code de procédure civile.
Pour l'application des articles 292 de la Directive et L. 326-28 du code des assurances, la notion d'instance concernant un bien ou un droit dont l'entreprise d'assurance est dessaisie s'interprète comme incluant les actions par lesquelles un assuré sollicite la reconnaissance de l'obligation à garantie de l'assureur (voir sur ce point Cour de justice de l'Union européenne 13 janvier 2022 C 724-20).
Il est constant en l'espèce que la procédure d'administration judiciaire ouverte à Gibraltar au bénéfice de la société Elite Insurance Company LTD est postérieure à l'introduction de la présente instance.
Ses effets sur le déroulement de celle-ci se trouvent par conséquent régis par l'article 369 du code de procédure civile, en vertu duquel l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur.
Tel est le cas du jugement d'administration judiciaire du 11 décembre 2019, qui a par conséquent interrompu l'instance.
Il résulte toutefois de l'article L. 326-28 du code des assurances et de l'article L. 622-22 du code de commerce qu'une telle interruption se poursuit jusqu'à ce que le créancier ait procédé à la déclaration de sa créance et que l'instance est alors reprise de plein droit, le mandataire et, le cas échéant, l'administrateur, dûment appelés, mais tend uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant (Cass. 2ème civ., 25 mai 2022, n° 19-12.048).
La Cour de justice de l'Union européenne a jugé sur ce point que « la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'instance est en cours, au sens de cet article, a pour objet de régir tous les effets de la procédure de liquidation sur cette instance » et en particulier, « qu'il convient d'appliquer les dispositions du droit de cet Etat membre qui, premièrement, prévoient que l'ouverture d'une telle procédure entraîne l'interruption de l'instance en cours, deuxièmement, soumettent la reprise de l'instance à la déclaration au passif de l'entreprise d'assurance, par le créancier, de sa créance d'indemnité d'assurance et à l'appel en cause des organes chargés de mettre en œuvre la procédure de liquidation et, troisièmement, interdisent toute condamnation au paiement de l'indemnité, celle-ci ne pouvant plus faire l'objet que d'une constatation de son existence et d'une fixation de son montant, dès lors que, en principe, de telles dispositions n'empiètent pas sur la compétence réservée au droit de l'Etat membre d'origine, en application de l'article 274, paragraphe 2, de ladite directive » (Cour de justice de l'Union européenne 13 janvier 2022 C 724-20).
Il s'ensuit :
- que la présente instance n'a pu être valablement reprise contre M. R. et L., administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD qu'à la condition que la Société de la minoterie Jean Gaulin ait préalablement déclaré sa créance,
- que l'instance ne peut tendre qu'à la fixation des créances détenues par la Société de la minoterie Jean Gaulin sur la société Elite Insurance Company LTD au titre du contrat d'assurance les ayant liées.
La société MJ Synergie justifie de ce que la Société de la minoterie Jean Gaulin a déclaré sa créance entre les mains des administrateurs de la société Elite Insurance Company LTD par pli recommandé du 11 mars 2020, avant d'appeler les administrateurs judiciaires de cette société en cause d'appel par actes d'huissier adressés le 28 septembre 2020 au greffe de la Cour suprême de Gibraltar conformément à l'article 9-2 du Règlement (CE) n°1393/2007 du Conseil de l'Union Européenne.
Il convient en conséquence de juger que l'instance a été valablement reprise et d'examiner les demandes de fixation de créance formées par l'appelante.
Sur les demandes de fixation de créances :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Vu l'article L. 112-4 du code des assurances ;
La société MJ Symergie fait valoir que la réalité du sinistre litigieux est suffisamment établie par les pièces versées aux débats et que l'assureur se trouve tenu de le prendre en charge, en application de la garantie « Tempête, neige, grêle » organisée par la police d'assurance.
Elle ajoute que les obligations de prévention des risques stipulées comme conditions de la garantie s'entendent de celles prévues à l'annexe P2009/23/03/11 et de celles prévues aux différents articles de l'annexe PI2009/10/12/14 énumérés à l'annexe « clauses applicables au contrat », à l'exclusion des mesures préconisées dans l'annexe 2 « Plan de prévention – recommandations ».
Elle affirme que la Société de la minoterie Jean Gaulin a respecté l'ensemble de ces obligations et conclut partant au rejet des moyens élevés par les administrateurs de la société d'assurance à dessein de faire obstacle à ses demandes.
Elle se prévaut subsidiairement de ce que la clause subordonnant les garanties au respect des obligations de prévention des risques serait contraire aux dispositions des articles L. 132-1 du code de la consommation et 1170 du code civil, en ce qu'elle créerait un déséquilibre significatif à son détriment et viderait l'obligation essentielle de l'assureur de sa substance.
Elle ajoute que les obligations de prévention ne sont pas rédigées en des termes très apparents, mais en des termes complexes les privant de précision et de clarté.
Elle soutient également :
- que ces obligations portent toutes sur le risque incendie, si bien que la société Minoterie Jean Gaulin a pu croire qu'elles ne conditionnaient pas le droit à garantie au titre des autres risques,
- que ces obligations portent toutes sur le risque incendie, de sorte qu'en faire une condition d'application des autres garanties viderait le contrat de sa substance,
- que l'assureur n'établit pas que le sinistre a été causé ou aggravé par la faute de l'assuré.
Elle affirme pour finir que la clause subordonnant les garanties au respect des obligations de prévention des risques ne peut constituer une clause de déchéance, les clauses de déchéance ne sanctionnant que des manquements de l'assuré postérieurs au sinistre.
Les administrateurs de la société Elite Insurance Company LTD soutiennent que les obligations de prévention des risques énumérées dans les conditions particulières du contrat d'assurance constituent autant de conditions à l'octroi des différentes garanties, dont la méconnaissance affecte l'existence même du droit à garantie, quand même :
- l'inobservation des obligations de prévention des risques n'aurait eu aucune incidence sur la survenance du sinistre,
- l'obligation méconnue porterait-elle sur un risque étranger à la garantie invoquée,
- l'obligation n'aurait-elle pas été stipulée en des termes très apparents, l'article L. 112-4 du code des assurance ne leur étant pas applicable.
Ils affirment que la Société de la minoterie Jean Gaulin a méconnu les obligations prévues à l'annexe P2009/23/03/11, à l'annexe PI2009/10/12/14 ainsi qu'à l'annexe 2 « Plan de prévention – recommandations » et qu'elle n'a pas le droit en conséquence de prétendre à l'application de la garantie invoquée.
Ils font observer pour le surplus que les articles L. 132-1 du code de la consommation et 1170 du code civil sont inapplicables à l'espèce et que la jurisprudence selon laquelle une accumulation d'exclusions vidant la garantie de substance rend ces exclusions inopposables à l'assuré ne peut être étendue aux conditions subordonnant le droit à garantie, qui ne sont pas assimilables à des exclusions.
Les administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance LTD soutiennent subsidiairement qu'à supposer que la clause litigieuse ne puisse constituer une clause subordonnant la naissance du droit à garantie à des conditions de prévention des risques, elle devrait alors s'analyser en une clause de déchéance de garantie, valablement stipulée.
Sur ce :
En application de l'article L. 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
La cour retient par ailleurs que les clauses de déchéance peuvent valablement sanctionner des manquements imputables à l'assuré, que ces manquements soient antérieurs ou postérieurs au sinistre.
Le constat d'huissier du 21 février 2019 et le rapport du cabinet Polyexpert entreprises du 12 février 2018 établissent suffisamment que les bâtiments assurés ont été endommagés par la tempête de grêle survenue le 30 juillet 2017.
Les conditions générales de la police définissant la garantie « Tempête, neige ou grêle » ne sont pas versées aux débats, mais les administrateurs de la société Elite Insurance Company Limited ne contestent pas que les dommages causés au bâtiment assuré répondent à la définition du risque ainsi garanti.
Ils se prévalent en revanche de la clause insérée en page 3 des conditions particulières du contrat d'assurance multirisque professionnelle, rédigées dans les termes suivants :
« MOYENS DE PREVENTION ET DE PROTECTION :
Le souscripteur déclare que les moyens de protection sont conformes aux niveaux : I - III -VIII de l'annexe « moyens de prévention et de protection » n° P 2009/23/03/11.
LES CLAUSES APPLICABLES AU CONTRAT : Exclusion des clauses : 2.16.3.5 & 2.16.3.9 & 2.16.3.10 et 2.5.1§10 (eaux de ruissellement) des dispositions générales.
Se reporter à l'annexe 1 : « Les clauses applicables au contrat ».
FAUTE PAR L'ASSURE DE SE CONFORMER A LA TOTALITE DES OBLIGATIONS ET CONDITIONS CONTRACTUELLES CITEES CI-DESSUS, IL SERA ENTIEREMENT DECHU DE TOUS LES DROITS A L'INDEMNITE PREVUE PAR CE CONTRAT ».
Si les obligations de prévention des risques assurés constituent habituellement des conditions à l'octroi des garanties contractuelles, la clause susmentionnée révèle au cas d'espèce qu'elles ont été prévues expressément et de manière non équivoque à peine de déchéance du droit à l'indemnité d'assurance.
Il s'ensuit que les prescriptions édictées à l'annexe P. 2009/23/03/11 et aux différents articles de l'annexe PI2009/10/12/14 énumérés à l'annexe « clauses applicables au contrat » ne constituent pas des conditions préalables à la naissance du droit à garantie, mais des obligations dont la méconnaissance déchoit l'assuré de ce droit.
La clause litigieuse constitue en conséquence une clause de déchéance soumise aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances, dont la mise en œuvre se trouve subordonnée à sa stipulation en caractères très apparents.
Or, la société MJ Synergie se prévaut implicitement de la violation de cette disposition, dans la mesure où elle conclut au caractère inopérant de la clause litigieuse, motif tiré de ce qu'elle n'a pas été rédigée en des termes très apparents.
Force est de constater que seul le dernier alinéa de cette clause a été stipulé en caractères très apparents, à l'exclusion des alinéas précédents, dont le premier désigne les annexes énumérant les différentes obligations de prévention des risques pesant sur l'assuré à peine de déchéance et revêt en conséquence un caractère indissociable de l'alinéa prévoyant cette déchéance.
Il s'ensuit que la clause invoquée par les administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD ne peut être opposée à la société MJ Synergie et que les moyens élevés en défense pour dénier la garantie de cet assureur ne sont pas fondés.
Le droit à garantie est donc acquis.
La société MJ Synergie justifie, par la production d'un devis du 04 décembre 2017 émis par la société NTT Toiture, que les frais de remise en état des dommages provoqués par le sinistre s'établissent au montant de 138.473,33 euros.
L'analyse succincte du bilan de l'appelante aux termes de laquelle la société Fiducial expertise fait connaître que la période du premier août 2017 au 31 mars 2018 se caractérise par une perte de marge brute de 48.388 euros par rapport à la même période de l'exercice antérieur ne permet pas de mettre cette perte en relation avec le sinistre. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande correspondante.
Il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société de la minoterie Jean Gaulin de ses demandes et de fixer sa créance sur la société Elite Insurance Company LTD à la somme de 138.473,33 euros, en rejetant le surplus de sa prétention indemnitaire.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;
MM. les administrateurs de la société Elite Insurance Company LTD succombent à l'instance. Il convient en conséquence d'infirmer les dispositions du jugement de première instance relatives aux frais irrépétibles et dépens.
Statuant à nouveau, il y a lieu de dire MM. R. et L., ès qualités, tenus aux dépens de première instance et d'appel, en fixant la créance correspondante pour mémoire.
Il convient également de fixer la créance de la Société de la minoterie Jean Gaulin sur la société Elite Insurance company LTD au titre des frais irrépétibles de première et de seconde instance à la somme de 4.000 euros.
Il convient enfin de rejeter la demande formée par MM. R. et L. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt mixte et contradictoire prononcé en dernier ressort,
- Juge que l'instance a été valablement reprise contre MM. R. et L., es qualité d'administrateurs judiciaires de la société Elite Insurance Company LTD, et qu'elle ne se trouve plus interrompue ;
- Infirme le jugement prononcé le 24 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Fixe la créance de la Société de la minoterie Jean Gaulin sur la société Elite Insurance Company LTD à la somme de 138.473,33 euros, et rejette le surplus de sa prétention indemnitaire ;
- Juge que MM. R. et L., ès qualités, sont tenus aux dépens de première instance et d'appel et fixe la créance de la Société de la minoterie Jean Gaulin sur la société Elite Insurance Company LTD pour mémoire ;
- Fixe la créance de la Société de la minoterie Jean Gaulin sur la société Elite Insurance Company LTD au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel à 4.000 euros ;
- Rejette la demande formée par MM. R. et L. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT