CA MONTPELLIER (2e ch. sect. A), 14 mai 1998
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1205
CA MONTPELLIER (2e ch. sect. A), 14 mai 1998 : RG n° 97/002977
Publication : Lamyline
Extrait : « Selon l'article L. 121-22-4ème, ne sont pas soumises aux articles L. 121-23 et suivants du même code : les ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de tout autre profession. En l'espèce, il apparaît que le contrat litigieux a pour finalité la cession d'un distributeur de hamburgers, la société X. pouvant tirer bénéfice de cette opération intermédiaire qui lui permet d'exercer une activité complémentaire à l'exploitation de la boucherie. Ce contrat n'entre donc pas dans le champ d'application des articles L. 121-23 à L. 121-28 du Code de la Consommation et M. X., en sa qualité de gérant de la société, ne pouvait se prévaloir d'aucune faculté de renonciation à ce titre. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION A
ARRÊT DU 14 MAI 1998
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 97/0002977.
APPELANTE :
SARL GEDAX
[adresse], ayant pour avoué constitué Maître ROUQUETTE, assisté de Maître GIPULO, Avocat
INTIMÉE :
SARL SOCIETE D'EXPLOITATION DE LA BOUCHERIE X.
[adresse], ayant pour avoué constitué la SCP SALVIGNOL-GUILHEM, assisté de Maître SAUTREUIL, Avocat substituant Maître LIDY-BOGUET, Avocat
COMPOSITION DE LA COUR : OTTAVY Jean-Loup, Président de Chambre, DERDEYN Patrick, Conseiller, MININI Jeanne, Conseiller.
ARRÊT CONTRADICTOIRE
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LES FAITS :
Suite au démarchage de La SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. par un représentant de la SARL GEDAX, Mme X. a commandé une machine distributeur de hamburgers, par contrat en date du 9 mai 1996, pour un prix de 168.870 Francs.
Elle a émis un chèque d'un montant de 29.000 Francs à titre d'acompte au profit de la société GEDAX.
Par lettre en date du 10 mai 1996, M. X., gérant de la SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X., a notifié son intention de résilier ledit contrat.
La société GEDAX a refusé cette résiliation, par courrier en date du 13 mai 1996.
LA PROCÉDURE :
Suivant exploit d'huissier en date du 5 août 1996, la société X. a fait assigner la société GEDAX afin de faire constater la nullité de la vente litigieuse et, subsidiairement, de faire constater la résiliation de la dite vente.
La société X. a requis en tout état de cause la restitution de l'acompte de 29.000 Francs et le paiement des sommes de 5.000 Francs à titre de dommages et intérêts et 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Tribunal de Commerce de Perpignan, dans son jugement en date du 8 avril 1997, a constaté la résiliation du contrat de commande, aux motifs que Mme X. n'avait pas pouvoir pour contracter avec la société GEDAX au nom de la société X., que la commande a été annulée par le gérant de cette dernière, conformément aux dispositions de l'article L. 121-22 du code de la consommation et qu'au demeurant le contrat litigieux était soumis à des conditions suspensives qui ne se sont pas réalisées.
Le Tribunal a en conséquence ordonné la restitution de l'acompte de 29.000 Francs, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996 et condamné la société GEDAX au paiement des sommes de 5.000 Francs pour résistance abusive, 3.000 Francs au titre des frais non taxables exposés, ainsi qu'aux entiers dépens, et a ordonné l'exécution provisoire de cette décision.
La société GEDAX a relevé appel de cette décision.
Elle conteste l'argumentation tendant à démontrer que Mme X. n'avait pas pouvoir pour engager la société X.
Elle requiert le bénéfice de la théorie de l'apparence, soulignant que l'agent commercial ne pouvait douter des pouvoirs de Mme X., compte tenu de la nature du commerce et du fait que cette dernière, qui porte le même nom que la société intimée, a signé le bon de commande litigieux, émis un chèque d'acompte et aurait exigé la mention de l'accord de sa banque.
Elle affirme qu'il n'est pas usuel qu'un gérant de société donne procuration à une simple caissière pour émettre des chèques et qu'en outre la banque se serait opposée au paiement du chèque d'acompte s'il avait été signé abusivement.
Elle souligne au demeurant l'attitude de M. X. qui n'a pas demandé la nullité de la vente pour défaut de pouvoir du contractant mais pour raison d'opportunité.
Elle reproche au tribunal d'avoir considéré que la vente a été conclue sous la condition suspensive de la confirmation par l'acquéreur de son engagement.
La société GEDAX affirme que la clause litigieuse s'adresse au vendeur qui se réserve le droit d'une part de confirmer une commande passée par son agent commercial qui n'a pas tout pouvoir pour engager la société et, d'autre part de s'assurer de la solvabilité de son cocontractant.
Elle conteste l'existence d'une condition suspensive liée à l'obtention d'un financement bancaire en affirmant que la seule mention du nom de la banque dans le contrat de commande ne peut constituer cette condition.
Elle soutient en outre que la SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. s'est engagée pour le besoin de son activité professionnelle et ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 121-22 du code de la consommation qui prévoit une faculté de renonciation.
Elle prétend enfin que le tribunal de pouvait écarter l'application de la clause du contrat de vente prévoyant la non-restitution de l'acompte aux motifs que l'acquéreur n'a pas justifié de l'existence d'un préjudice, alors que ledit préjudice résulte du paiement de la commission du représentant.
Elle rappelle que la clause pénale ne peut être modérée par le juge que s'il justifie de son caractère manifestement excessif.
La société GEDAX conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la Cour de dire qu'elle peut conserver la somme de 29.000 Francs à titre de la clause pénale. Elle sollicite en outre la condamnation de la SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. au paiement de la somme de 5.000 Francs au titre des frais non taxables exposés, ainsi qu'aux entiers dépens.
La SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. soutient que le représentant de la société GEDAX, en sa qualité de professionnel, ne pouvait ignorer que, dans le cadre juridique d'une SARL, seul le gérant a le pouvoir d'engager la société et qu'ainsi il devait vérifier si Mme X. était habilitée pour engager ladite société.
Elle prétend que les circonstances ne permettent pas d'invoquer le bénéfice de la théorie de l'apparence et qu'il est courant que le gérant donne procuration sur les comptes bancaires de la société.
L'intimée conteste l'argumentation de l'appelant tendant à affirmer que la clause du contrat prévoyant la confirmation de la commande s'adresse uniquement au vendeur qui se réserve ainsi le droit de vérifier la solvabilité de ses acquéreurs, dès lors qu'il n'a pas à effectuer cette vérification, le solde du prix du matériel vendu devant être réglé par l'acquéreur à la livraison du dit matériel.
Elle affirme que la clause litigieuse ne peut avoir pour objet que la confirmation de la commande par l'acquéreur et, en ce qui concerne le vendeur, sa faculté de confirmation est prévue dans les conditions générales de vente.
Au demeurant, l'intimée soutient qu'en raison de l'ambiguïté des clauses litigieuses, il convient de faire application de l'article 1162 du code civil qui précise que « dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ».
Dès lors, elle estime qu'il faut considérer que la confirmation de commande a été stipulée en faveur de l'acquéreur et au pire que la confirmation doit émaner des deux parties.
La société X. soutient en outre que la commande était soumise à la condition d'obtention d'un crédit bancaire et que la banque s'est opposée à financer cet investissement.
L'intimée requiert le bénéfice des dispositions de l'article L. 121-22 du code de la consommation en affirmant que la convention litigieuse n'avait pas de rapport direct avec son activité professionnelle.
Subsidiairement, elle affirme que la clause qui prévoit la non-restitution de l'acompte versé s'analyse en une clause pénale et qu'à ce titre, le juge peut la modérer en l'absence de préjudice subi.
Elle conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la SARL GEDAX à payer la somme de 15.000 Francs au titre des frais non taxables exposés, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE / MOTIFS DE LA DÉCISION :
I - Sur la conclusion du contrat litigieux :
Si la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. conteste l'existence de pouvoirs au profit de Mme X. lui permettant de contracter en son nom, et bien qu'il ne soit pas contesté qu'un représentant, en sa qualité de professionnel averti, doit s'assurer que son cocontractant a le pouvoir d'engager la société pour laquelle il est salarié, il convient de rechercher si le représentant de la société GEDAX a pu légitimement penser que Mme X. bénéficiait de cette capacité.
Il apparaît que Mme X., dont le nom est également celui de la dénomination sociale de la société intimée, a négocié, contracté et émis un chèque d'acompte d'un montant de 29.000 Francs afin d'acquérir le matériel litigieux.
Il apparaît en outre que la nature de l'activité (boucherie de village) de la société X. implique généralement que les dirigeants sociaux s'occupent également du service de la clientèle.
Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des circonstances de la négociation contractuelle, le représentant de la société GEDAX a pu légitimement croire que Mme X. bénéficiait des pouvoirs lui permettant de contracter au nom de la société X.
En conséquence, c'est à tort que le Tribunal a rejeté l'application de la théorie de l'apparence au cas d'espèce.
II - Sur la confirmation de la commande :
L'analyse des dispositions de l'article 2 des « conditions générales de vente » permet de dire que seul le vendeur dispose de la faculté de confirmer la commande, cette faculté se transformant même en obligation dans le cas de commandes prises par les représentants du vendeur.
A l'opposé, l'acquéreur n'a que la possibilité de modifier ou d'annuler la commande avec cette particularité que le vendeur conserve la faculté discrétionnaire d'accepter ou de refuser l'exercice de cette possibilité.
En conséquence, la confirmation de la commande ne peut en aucun cas s'analyser en une condition suspensive comme l'a, à tort, retenu la juridiction consulaire.
III - Sur la condition suspensive liée au financement de l'achat par une banque :
La société X. affirme avoir soumis l'exécution du contrat litigieux à l'obtention d'un financement sans pour autant rapporter la preuve de ces allégations.
Les références portées sur le contrat au nom du comptable de la société et de la banque gestionnaire de ses comptes, ne sauraient constituer une telle preuve faute de mentions expresses, acceptées par le vendeur, de voir soumettre la réalisation de la vente à l'octroi d'un financement déterminé (une telle possibilité a d'ailleurs été envisagée aux termes des dispositions de l'article 3 « des conditions générales de vente » sous réserve du respect d'un certain formalisme).
En conséquence, c'est à tort que le Tribunal de Commerce a considéré que le contrat litigieux avait été conclu sous la condition suspensive d'obtention d'un financement, et que cette condition n'avait pas été réalisée.
IV - Sur le bénéfice des dispositions du code de la consommation :
La société X. invoque le bénéfice des dispositions des articles L. 121-22 et suivants du code de la consommation afin de légitimer sa faculté de renonciation au contrat litigieux.
Selon l'article L. 121-22-4ème, ne sont pas soumises aux articles L. 121-23 et suivants du même code : les ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de tout autre profession.
En l'espèce, il apparaît que le contrat litigieux a pour finalité la cession d'un distributeur de hamburgers, la société X. pouvant tirer bénéfice de cette opération intermédiaire qui lui permet d'exercer une activité complémentaire à l'exploitation de la boucherie.
Ce contrat n'entre donc pas dans le champ d'application des articles L. 121-23 à L. 121-28 du Code de la Consommation et M. X., en sa qualité de gérant de la société, ne pouvait se prévaloir d'aucune faculté de renonciation à ce titre.
En conséquence, c'est à tort que le tribunal a accordé à la société X. le bénéfice des dispositions susvisées.
Cependant, il convient de faire application de l'article 3 de conditions générales de vente qui prévoient expressément la possibilité d'annuler la commande.
M. X. ayant ainsi notifié son intention de ne pas donner suite à cette commande, par courrier en date du 10 mai 1996, et la société GEDAX n'ayant pas requis l'exécution forcée du contrat litigieux, il convient de constater l'annulation de ce contrat.
V - Sur la restitution de l'acompte :
Il n'est pas contesté par les parties qu'une somme de 29.000 Francs a été versée par la société X. au profit de la société GEDAX le jour de la signature du contrat.
Il ressort de l'article 3 des conditions générales de vente du contrat litigieux que « si le vendeur n'accepte pas la modification ou l'annulation, ce à quoi il ne peut être tenu, les acomptes de quelque montant que ce soit ne seront pas restitués (...) ».
Il résulte des écritures de l'appelant que ce dernier ne conteste pas la qualification de cette clause en clause pénale par le tribunal.
Dès lors que la clause pénale a pour finalité la contrainte des parties à l'exécution de leur obligation ou la réparation de l'inexécution par le cocontractant de son obligation, le juge, pour apprécier le caractère excessif de cette clause, peut relever l'absence de préjudice subi par le bénéficiaire de ladite clause.
En l'espèce, La société GEDAX ne peut justifier de l'application de la clause litigieuse, à hauteur de l'intégralité de la somme versée à titre d'acompte, en invoquant le seul préjudice entraîné par la rémunération de son représentant.
C'est à bon droit que le tribunal a souligné que la société GEDAX n'avait pas l'obligation de verser une commission à son agent commercial dès lors que l'annulation de la commande lui a été notifiée le lendemain de la conclusion de la commande litigieuse.
Cependant, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la restitution de l'intégralité de l'acompte et d'accorder à la société GEDAX la somme de 5.000 Francs, à titre de dommage et intérêts, compte tenu de l'annulation d'une commande passée entre professionnels qui constitue une perte de gains, en application de l'article 3 des conditions générales de vente.
La société GEDAX devra dès lors restituer le surplus de l'acompte versé par la société X.
Enfin, l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au détriment de l'intimée qui succombe en cause d'appel et supportera les entiers dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après avoir délibéré.
Reçoit l'appel en la forme.
Réforme le jugement rendu le 8 avril 1997 par le Tribunal de Commerce de Perpignan.
Statuant à nouveau,
Constate l'annulation de la commande litigieuse.
Condamne La SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. à payer à la société GEDAX la somme de 5.000 Francs au titre de la clause pénale.
Condamne La société GEDAX à restituer à la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. le surplus de la somme versée.
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Condamne La SARL SOCIETE D'EXPLOITATION de la BOUCHERIE X. aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître ROUQUETTE Avoué, en application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.