TGI PARIS (1re ch. 2e sect.), 30 mars 1995
CERCLAB - DOCUMENT N° 1641
TGI PARIS (1re ch. 2e sect.), 30 mars 1995 : RG n° 5659/94 ; jugement n° 5
(sur appel CA Paris (1re ch. B), 14 juin 1996 : RG n° 95/14424)
Extrait : « Attendu que cette clause limitative de responsabilité qui n'a pas fait l'objet de contestation par la demanderesse dans ses écritures, doit trouver application, en vertu de l'article 1150 du CODE CIVIL ; que dans la mesure où la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE n'établit ni même n'allègue de faute lourde à l'encontre d'EDF, il y a lieu de limiter la réparation du préjudice à l'indemnité contractuellement prévue ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
PREMIÈRE CHAMBRE DEUXIÈME SECTION
JUGEMENT DU 30 MARS 1995
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 5659/94. Jugement n° 5. Assignation du 18 février 1994.
DEMANDERESSE :
SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE
SOCIÉTÉ CIVILE dont le siège est [adresse], représentée par : LA SCP DE SARIAC-JAUNEAU AVOCAT P 281
DÉFENDEURS :
ÉLECTRICITÉ DE FRANCE,
Etablissement Public national dont le siège est : [adresse] - et pour la procédure : [adresse]
L'UAP INCENDIE ACCIDENT,
SA dont le siège est : [adresse],
représentées par : Maître PELLISSIER, AVOCAT P 23
[minute page 2]
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Magistrats ayant délibéré : Madame TAILLANDIER, VICE PRÉSIDENT, Madame NESI, JUGE, Madame JEAN-DRAEHER, JUGE
GREFFIER : Madame BIGET
DÉBATS : À l'audience du 16 février 1995 tenue publiquement
JUGEMENT : Prononcé en audience publique, contradictoire,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE qui dispose dans le cadre de son activité d'aquaculture de divers bassins alimentés en eau de mer par des pompes électriques a souscrit le 28 février 1987 auprès d'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE deux contrats pour la fourniture d'énergie électrique.
Le 11 février 1990, une interruption de la fourniture d'énergie électrique provoquées par la foudre a entraîné l'arrêt complet de l'alimentation en eaux des bassins d'élevage, et par voie de conséquence la mort de la plus grande partie des poissons, faute d'oxygénation.
Se fondant sur un rapport d'expertise ordonnée en référé, la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE a fait assigner ÉLECTRICITÉ DE FRANCE et l'UNION DES ASSURANCES DE PARIS (UAP) afin que EDF soit déclarée entièrement responsable de l'interruption de [minute page 3] distribution de courant électrique, répare les conséquences financières des désordres constatés soit :
* 5.451,75 Francs hors taxes pour les réparations d'urgence des installations,
* 541.785 Francs pour les pertes instantanées,
* 2.452.078,00 Francs pour les pertes indirectes ou d'exploitation
avec intérêts au taux légal.
et soit condamnée à lui verser à titre de dommages-intérêts une somme qui ne saurait être inférieure à 1.000.000 Francs ainsi que la somme de 50.000 Francs en application de l'article 700 NCPC,
demandant au Tribunal de statuer sur les garanties de la compagnie UAP vis à vis d'EDF qu'elle assure, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Elle estime que la responsabilité d'EDF qui dispose d'un monopole de distribution du courant électrique et qui se trouve tenue envers les utilisateurs d'une obligation de résultat, est totale à raison de la défaillance de son réseau, de son incapacité à tester normalement ses lignes et du manque total d'information du client. Elle précise par ailleurs que le sinistre n'a pas été causé par ses installations qui fonctionnaient parfaitement et qu'elle avait à titre de précaution installé une alarme et un groupe électrogène assorti d'un contrat de maintenance, ce qui ne fait partie d'aucune obligation contractuelle.
Les défenderesses concluent que le matériel endommagé se trouvait à [lieu-dit A], un des deux lieux d'exploitation, qu'à [lieu-dit B] seule une interruption de fourniture pendant vingt minutes s'est [minute page 4] produite tenant à l'interruption due à l'éclatement du poste de [lieu-dit C], laps de temps insusceptible de mettre en danger la survie des poissons, tout événement ultérieur ne pouvant être imputé qu'aux carences de l'installation de la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE et au manque de réactions de son personnel.
Elles considèrent qu'en tout état de cause, ladite interruption due à l'éclatement du poste de [lieu-dit C] sous l'effet de la foudre relève d'un aléa assimilable aux termes de l'article XII du contrat passé entre les parties, à un cas de force majeure, exonératoire de toute responsabilité pour EDF.
Subsidiairement, elles demandent au Tribunal en vertu de la clause limitative d'indemnisation « à moins de faute lourde établie » de juger que le préjudice allégué ne peut dépasser une indemnité égale au prix de la fourniture vendue au cours d'une journée moyenne et pensent que le préjudice dont se prévaut la demanderesse ne correspond pas à son activité, en tant que société civile, que postérieurement au 1er avril 1990, il ne peut être question de prendre en considération un quelconque préjudice au profit de la SOCIÉTÉ DE LA PETITE TONILLE, du fait de la vente de son cheptel à la société AQUACOLE ÎLE DE RÉ et qu'en toute hypothèse, les conclusions de Messieurs X. et Y. ne peuvent servir de base à l'appréciation du préjudice allégué.
Elles sollicitent la condamnation au paiement de la somme de 50.000 Francs au titre des dispositions de l'article 700 NCPC.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 5] SUR LES RESPONSABILITÉS :
Attendu qu'aux termes de l'article XII du contrat pour la fourniture d'énergie électrique liant la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE et EDF, cette dernière est en principe responsable des interruptions inopinées de fourniture et par suite des dommages qui pourraient en résulter pour le client, à l'exception de ceux résultant des interruptions inopinées s'il établit que celles-ci sont le fait du client ou sont imputables à la force majeure ;
Attendu qu'il résulte du rapport de M. Z. désigné par ordonnance de référé du 15 novembre 1990, que la tempête qui s'est produite dans la nuit du 11 au 12 février 1990 à l'ÎLE DE RÉ a entraîné des perturbations sur la distribution EDF M.T. [N.B. moyenne tension], notamment le 11 vers 20 heures (coupure totale de la fourniture sur les lieux-dits B. et A. pendant plus de vingt minutes et d'une phase sur l'alimentation du lieu-dit A. qui a été localisée le 12 février à 8 h. 30 et réparée à 10 h. 30), perturbations qui ont eu pour conséquence la mise hors service des installations électriques courants forts et courants faibles de la SCA FERME DE LA PETITE TONILLE du fait d'anomalies de l'alimentation électrique M.T. de l'EDF ;
Que l'expert considère que le fait générateur est de la responsabilité d'EDF dont les installations n'ont pas pu faire face à une situation qui ne peut être considérée comme exceptionnelle dans le site considéré dans la nuit du 11 au 12 février 1990, mais retient des circonstances aggravantes à la charge de la SCA FERME DE LA PETITE TONILLE qui disposait, à l'évidence en tant qu'abonnée de moyens de sécurité nettement en dessous du risque et qui a fait preuve d'une parcimonie d'investissement trop poussée ; qu'il retient [minute page 6] également des circonstances aggravantes à la charge de la société ETP A. entreprise d'électricité qui a réalisé des travaux dans la ferme, qui a failli à son obligation de conseil notamment pour le choix du régime de neutre et pour celui du mode de détection de défaut d'alimentation au lieu dit [nom] ;
Qu'il est d'avis de partager les responsabilités à hauteur de :
- 70 % pour EDF responsable du fait générateur
- 25 % pour la SCA FERME DE LA PETITE TONILLE co-responsable des circonstances aggravantes,
- 5% pour la société ETP A., co-responsable des circonstances aggravantes ;
Attendu qu’EDF soutient que l'exploitation se situe en deux lieux différents et comporte des installations séparées, alimentées séparément et que les installations de [lieu dit] ne se sont trouvés privées d'alimentation en énergie électrique du fait du réseau d'EDF que durant vingt minutes de telle sorte que la coupure sur la ligne de moyenne tension n'a pu affecter que les installations de [lieu-dit B.] ;
Mais attendu que l'expert, répondant aux dires d'EDF durant ses opérations, indique que la divergence conséquence technique des parties sur le sujet de mode l'alimentation des installations des lieux dits [B. et A.] a été levée de visu lors d'une réunion sur place le 22 décembre 1992, que l'argumentation n'est donc pas fondée ;
Attendu qu'il y a lieu d'observer en outre que la défenderesse par lettre du 15 février 1990, soit quelques jours après les faits, a reconnu que [lieux-dits B. et A.] [minute page 7] avaient été touchées par la rupture d'un fil de moyenne tension sans distinguer quant aux conséquences ; qu'elle est donc mal venue à prétendre aujourd'hui que la coupure a été sans incidence sur les installations de [lieu-dit B.] ;
Attendu que pour dénier sa responsabilité dans l'interruption de la fourniture d'énergie électrique, EDF et sa compagnie d'assurance se prévalent également de la force majeure, estimant que l'éclatement du poste MT/BT relève en l'espèce d'un aléa technique assimilable à un cas de force majeure et qu'en l'état actuel de la technique, il n'existe pas de procédé permettant de mettre en tout état de cause hors d'atteinte de la foudre, un poste de type de celui de [lieu-dit C.] ;
Attendu que comme il l'a été rappelé plus haut le contrat pour la fourniture d'énergie électrique prévoit qu'EDF n'est pas responsable des dommages résultant des interruptions inopinées de fourniture si elles sont imputables à la force majeure, qu'il est à cet égard précisé que dans l'état actuel de la technique, la fourniture d'énergie électrique reste malgré toutes les précautions prises, soumise à des aléas, variables d'ailleurs suivant les régions et les lieux desservis, et qu'ainsi peuvent se produire des interruptions qui, dans certaines limites en durée et en nombre variables dans chaque cas, doivent être assimilées au point de vue de la responsabilité d'EDF à des cas de force majeure ;
Mais attendu que l'expert a estimé que la situation à laquelle les installations d'EDF n'ont pu faire face à savoir tempête avec des vents avoisinant les 120 km/ à l'heure, orage et chute de foudre, ne pourrait être considérée comme exceptionnelle dans le site en question dans la nuit du 11 au 12 [minute page 8] février 1990 ; que les anomalies à l'origine de l'interruption dans la fourniture d'électricité ne sont donc pas imprévisibles ni irrésistibles pour ce site fréquemment exposé à des tempêtes ; qu'EDF consciente des anomalies relevées dès avant l'incident de février 1990, quant à la qualité de l'alimentation en électricité de la commune de [ville], avait procédé ainsi qu'elle l'indique dans une lettre du 29 mars 1989, à des modifications de la ligne moyenne tension afin d'améliorer sensiblement la desserte des installations de la demanderesse ;
Qu'en outre l'expert a mis une part de responsabilité dans le sinistre litigieux à la charge de la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE, précisément en raison de l'insuffisance de ses moyens de sécurité ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'entériner les conclusions expertales retenant la responsabilité d'EDF à hauteur de 70 % dans les conséquences dommageables de l'interruption de la distribution du courant électrique desservant les installations de la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE entre le 11 février 1990 à 19 h. 57 et le 12 février 1990 à 10 h. 30 ;
SUR LE PRÉJUDICE
Attendu que l'expert assisté de deux sapiteurs a établit un chiffrage des pertes de la FERME AQUACOLE se répartissant de la façon suivante :
- réparations d'urgence des installations : 5.451,75 Francs hors taxes
- perte instantanée : 541.785,00 Francs
- perte d'exploitation : 2.452.078,00 Francs
[minute page 9] Mais attendu qu'EDF se fondant sur l'alinéa 3 de l'article XII du contrat estime que le préjudice allégué ne peut dépasser une indemnité égale au prix de la fourniture vendue au cas d'une journée moyenne et sollicite la réduction des sommes sollicitées ;
Attendu que l'article précité stipule :
« qu’à moins de faute lourde établie, l'indemnité due par EDF ne pourra dépasser, par interruption et dans la limite du préjudice subi par le client, le prix de la fourniture (énergie et puissance) vendue au cours d'une journée moyenne, au point de livraison considéré, moyenne journalière étant établie sur la base du dernier relevé. Pour une même journée, le montant total de l'indemnité ne pourra dépasser deux fois le prix de la fourniture vendue au cours d'une journée moyenne ».
Attendu que cette clause limitative de responsabilité qui n'a pas fait l'objet de contestation par la demanderesse dans ses écritures, doit trouver application, en vertu de l'article 1150 du CODE CIVIL ; que dans la mesure où la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE n'établit ni même n'allègue de faute lourde à l'encontre d'EDF, il y a lieu de limiter la réparation du préjudice à l'indemnité contractuellement prévue ;
Attendu qu'il convient en outre, de faire application au profit de la demanderesse des dispositions de l'article 700 NCPC ;
Attendu que l'exécution provisoire ne se justifie pas en l'espèce ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
[minute page 10] Déclare EDF responsable à hauteur de 70 % des conséquences dommageables de l'interruption dans la distribution du courant électrique desservant les installations de la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE entre le 11 février 1990 à 19 h 57 et le 12 février 1990 à 10 h 30 ;
Condamne EDF solidairement avec l'UAP à réparer le préjudice subi par la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE dans la limite de l'indemnité prévue à l'alinéa 3 de l'article XII du contrat pour la fourniture d'énergie électrique liant les parties.
Condamne solidairement EDF et l'UAP à payer à la SOCIÉTÉ CIVILE DE LA PETITE TONILLE la somme de 8.000 Francs au titre de l'article 700 NCPC.
Rejette le surplus des demandes.
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Condamne les défenderesses aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Dit que les dépens pourront être recouvrés par Bernard de SARIAC, AVOCAT, conformément aux dispositions de l'article 699 NCPC.
FAIT ET JUGÉ À PARIS LE 30 MARS 1995
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Page dixième et dernière.