T. COM. BAYEUX, 27 février 2004
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 180
T. COM. BAYEUX, 27 février 2004 : RG n° inconnu
(sur appel CA Caen (1re ch. civ. et com.), 30 juin 2005 : RG n° 04/01116)
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYEUX
JUGEMENT DU 27 FÉVRIER 2004
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Audience du vendredi 27 février 2004 à 9 heures 30 ;
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré : Monsieur MOUCHEL, Président ; Messieurs DESPLANQUES et DESPREZ, Juges ;
Greffier des débats et du prononcé : Maître Régis GRAS ;
Débats à l'audience du 20 février 2004 ;
Jugement prononcé publiquement par Monsieur MOUCHEL, Président à l'audience de ce Jour ;
DANS LA CAUSE ENTRE :
Monsieur X. et Madame Y., son épouse
demeurant ensemble à [adresse], DEMANDEURS, comparant par la SELARL THILL, LANGEARD et associés, avocats au Barreau de Caen, D’UNE PART ;
ET :
Le Cabinet LM IMMOBILIER, SARL
dont le siège social est [adresse], exploitant sous le nom commercial « CABINET MALAPEL », DÉFENDEUR comparant par le cabinet de Maîtres SALMON, ONRAED, MARGUERIE, avocats au Barreau de CAEN. D'AUTRE PART ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] MOTIFS DU TRIBUNAL :
Suivant acte de la SCP A. ET B. Huissiers de Justice associés à [ville] en date du 16 janvier 2004, les époux X. demeurant au bourg de [ville A.] (Calvados) ont fait assigner la SARL « Cabinet LM IMMOBILIER » exploitant sous le nom commercial « cabinet MALAPEL » dont le siège social est à [ville].
Les époux X. rappellent qu'ils ont cédé le 2 août 1999 aux époux Z. un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie exploité à [ville B.] (Calvados) dont l'acte mentionnait une clause de non concurrence leur interdisant de se rétablir directement ou indirectement dans un fonds de commerce de même nature que celui vendu ou de faire concurrence sous quelque forme que ce soit à l'acquéreur durant un délai de cinq ans et dans un rayon de 10 kms à vol d'oiseau du fonds vendu sous peine de fermeture immédiate et de tous dommages et intérêts.
Après avoir exploité un fonds de commerce à [ville C.] jusqu'en février 2002, les époux X. ont recherché un nouveau fonds de commerce à développer et ont donné mandat au cabinet MALAPEL spécialisé dans la négociation de fonds de commerce et notamment de boulangeries pâtisseries.
En exécution de ce mandat, le cabinet MALAPEL a négocié la cession du fonds de commerce de boulangerie situé à [ville A.] et appartenant aux époux W. Diverses démarches ont été entreprises par le cabinet MALAPEL afin de s'assurer qu'il n'existait pas d'obstacle à la régularisation, notamment en raison de la clause de non concurrence insérée dans l'acte de cession aux époux Z.
L'acte de cession du fonds de boulangerie par les époux W. au profit des époux X. a donc été régularisé le 29 novembre 2002 par acte sous seing privé rédigé par Maître C., avocat à Caen.
Le 14 février 2003, les époux X. ont été assignés à comparaître devant le Juge de Référés du Tribunal de commerce de Condé sur Noireau à la demande des époux Z. aux fins de voir constater la violation de la clause de non concurrence insérée dans l'acte du 2 août 1999 et ordonner la fermeture du fonds de commerce.
Par ordonnance du 27 mai 2003, Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Condé sur Noireau a fait doit à l'intégralité des demandes qui lui étaient présentées et a prononcé la fermeture du fonds de commerce exploité par les époux X. à [ville A.] sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter du 27 novembre 2003.
[minute page 3] Par arrêt du 20 novembre 2003, la Cour d'Appel de CAEN a confirmé cette décision, et les époux X. ont du cesser leur exploitation.
Le 10 décembre 2003, sous la médiation du Sous-Préfet de [ville C.], un protocole a été signé autorisant provisoirement et sans indemnité ni astreinte la réouverture du fonds de commerce des époux X. pour le période du 10 décembre 2003 au 31 janvier 2004.
Les époux X. affirment que la Cabinet MALAPEL n'ignorait pas la clause de non concurrence insérée dans l'acte de cession au profit des époux Z. et que dans ces conditions il a manqué à son devoir de conseil en tant que professionnel.
Que par ailleurs il n'a nullement mis en garde les époux X. sur l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient d'acquérir le fonds de commerce de [ville A.] compte tenu de la proximité des deux fonds.
Qu'aujourd'hui ils se trouvent dans l'impossibilité d'exploiter leur fonds de commerce et subissent de ce fait des préjudices importants liés à la faute lourde commise par le Cabinet MALAPEL ;
En conséquences, les époux X. demandent que la SARL Cabinet Laurent MALAPEL soit condamnée à réparer les multiples préjudices dont ils sont victimes et à leur payer :
Le montant des condamnations en vertu de la décision du Tribunal de commerce de CONDE SUR NOIREAU et la Cour d'Appel de CAEN savoir :
- Dommages et intérêts à titre provisionnel sur le préjudice économique d'un montant de 9.000 € ;
- Dommages et intérêts à titre provisionnel pour préjudice moral soit 1.500 € ;
- Article 700 de 1re instance soit 1.000 € ;
- Article 700 de la Cour d'appel soit 1.000 € ;
- Ainsi que tous les dépens de 1re instance et de l'appel ;
Sous réserve de la liquidation définitive des préjudices subis ;
La somme de 3.000 € en vertu de l'article 700 du NCPC au titre de la présente instance.
Il est demandé en outre l'exécution provisoire de la décision à intervenir, ainsi que la condamnation de la société LM IMMOBILIER aux entiers dépens.
De son côté, la SARL LM IMMOBILIER soutient :
Que les époux X. lui ont affirmé avoir vérifié la partie de la clause de non concurrence, et pouvoir en conséquence s'installer à [ville A.] sans la moindre difficulté.
[minute page 4] Avoir tenté d'obtenir des époux Z. une renonciation à recours sans succès.
Avoir fait signer aux époux X. une renonciation à recours contre elle-même.
LM IMMOBILIER précise qu'il incombe aux époux X. de rapporter la preuve d'une faute qui lui serait imputable et qu'il n'est tenu qu'à une obligation de conseil et non à une obligation de résultat, celle-ci incombant au rédacteur de l'acte.
LM IMMOBILIER soutient par ailleurs avoir sollicité à de nombreuses reprises des époux X. la communication de l'acte de cession de leur fonds de commerce de [ville B.] et que le défaut de communication de cette pièce le décharge de toute responsabilité.
LM IMMOBILIER conclu au débouté des époux X. de l'intégralité de leurs demandes et sollicite leur condamnation au paiement d'une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil pour procédure abusive.
LM IMMOBILIER demande en outre la condamnation des époux X. au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Sur la clause de non concurrence :
Attendu que la SARL LM IMMOBILIER, spécialiste de la négociation des fonds de commerce ne nie pas avoir eu connaissance d'une telle clause, par ailleurs ordinaire dans les actes de cession de fonds de commerce, mais indique seulement ne pas avoir eu communication de l'acte de cession contenant ladite clause.
Qu'elle ne peut donc prétendre ignorer l'existence de cette clause.
Sur la tentative d'obtenir des époux Z. une renonciation à recours :
Attendu que cette démarche faite par le cabinet immobilier est la preuve qu'il avait une parfaite connaissance des conséquences probables, du fait du refus essuyé, sur la suite des évènements.
[minute page 5]
Sur la renonciation à recours des époux X. contre LM IMMOBILIER :
Il est à noter que cette renonciation à tout recours est signée par les époux X. le jour de la cession.
Le cabinet LM IMMOBILIER reconnaît ainsi implicitement le risque qu'il fait encourir aux époux X. et tente par cette renonciation de dégager sa responsabilité.
Sur le devoir de conseil de LM IMMOBILIER :
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que le devoir de conseil est exigeant puisqu'il impose à l'agent immobilier d'informer son client « de tous risques que lui faisait courir l'opération projetée » et ensuite de le consulter utilement sur la façon de les éviter.
Qu'il est patent que LM IMMOBILIER a bien failli à son devoir de conseil en n'informant pas les époux X. des risques que lui faisait courir cette acquisition eu égard à la clause de non concurrence.
Le devoir de conseil, n'est pas une simple obligation de renseignement.
En vertu de ce devoir de conseil LM IMMOBILIER qui connaissait cette clause de non concurrence, devait soulever l'impossibilité pour les époux X. d'acquérir ce fonds de commerce
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL, après en avoir délibéré, en secret conformément à la loi, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort.
Vu les dispositions de l'article 1147 du Code Civil ;
Vu l'acte de cession du 2 août 1999 contenant la clause de non concurrence ;
Vu l'acte de cession du 29 novembre 2002 faisant abstraction de cette clause ;
DIT ET JUGE que LM IMMOBILIER a manqué à son devoir de conseil et en conséquence la CONDAMNE à payer aux époux X. :
[minute page 6] La somme de NEUF MILLE EUROS à titre de dommages et intérêts provisionnels à valoir sur le préjudice économique des époux Z. ;
La somme de MILLE CINQ CENT EUROS à titre de dommages et intérêts provisionnels à valoir sur le préjudice moral subi par les époux Z. ;
La somme de MILLE EUROS au titre de l'article 700 de 1re Instance ;
La somme de MILLE EUROS au titre de l'article 700 d'Appel.
CONDAMNE LM IMMOBILIER en tous les dépens, comprenant ceux de première instance et d'appel.
ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement.
CONDAMNE en outre LM IMMOBILIER à payer aux époux X. la somme de MILLE EUROS en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Condamne LM IMMOBILIER aux entiers dépens.