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T. COM. RENNES (1re ch.), 3 juillet 2025

Nature : Décision
Titre : T. COM. RENNES (1re ch.), 3 juillet 2025
Pays : France
Juridiction : Rennes (TCom)
Demande : 2023F00454
Date : 3/07/2025
Nature de la décision : Admission, Rejet
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 26/12/2023
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24351

T. COM. RENNES (1re ch.), 3 juillet 2025 : RG n° 2023F00454

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Les sociétés SELIMA et PROFIDIS soutiennent que la demande de l’AFC de juger réputées non écrites certaines clauses du contrat est en réalité une demande de nullité de la clause d’enseigne. Les sociétés SELIMA et PROFIDIS avancent que cette clause d’enseigne étant un élément déterminant du consentement du groupe CARREFOUR à s’associer avec l’entrepreneur, la demande d’anéantissement de cette clause, revient à solliciter la nullité de l’objet social des sociétés franchisées. Elles en déduisent alors que cette demande étant une action en nullité d’une société, elle se prescrit, conformément à l’article L. 235-9 du Code de commerce, en trois ans à compter du jour où la nullité est encourue. Le Tribunal dit que l’action intentée par AFC contre les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’inscrit dans un ensemble de relations contractuelles globales avec le groupe CARREFOUR. Par conséquent, le Tribunal déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande. »

2/ « Les conclusions des sociétés SELIMA et PROFIDIS s'articulent autour d'une fin de non-recevoir, un moyen de procédure visant à déclarer une demande irrecevable sans même en examiner le fond. Selon l'article 122 du Code de procédure civile, cela peut être invoqué pour diverses raisons, notamment le défaut de droit d'agir, la prescription ou l'autorité de la chose jugée. L'Association des Franchisés du Groupe Carrefour (AFC) a initié une action en justice et demande que la clause d'enseigne, présente dans les statuts des sociétés franchisées, soit « réputée non écrite ».

Cependant, les sociétés SELIMA et PROFIDIS soutiennent que cette formulation est une manœuvre pour contourner les règles de recevabilité. En réalité, la demande de « réputé non écrit » équivaut à une demande en nullité de ladite clause. Cet argument est renforcé par l'analyse du professeur [T] [I] [D], qui précise qu'en droit de la concurrence, la sanction d'une clause abusive ne peut être que sa nullité. Par conséquent, les demandes de l'AFC devraient être requalifiées en actions en nullité. La défense insiste sur le fait que la clause d'enseigne n'est pas un simple "accessoire" du contrat de société. Au contraire, elle constitue un élément déterminant du consentement du groupe Carrefour à s'associer avec les entrepreneurs partenaires. Cette clause garantit au groupe Carrefour le maintien d'un contrôle conjoint sur les sociétés d'exploitation. Sans elle, le partenariat n'aurait pas vu le jour. Cette position a été validée par la jurisprudence : Cour d'appel de Caen (12 oct. 2023) : A jugé que la référence à l'enseigne dans l'objet social n'est pas accessoire, compte tenu du montage de l'opération et de l'influence déterminante de Carrefour. En demandant l'annulation (le « réputé non-écrit ») de cette clause essentielle, l'AFC ne vise rien de moins que la nullité de l'objet social des sociétés concernées.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS affirment que la demande de l’AFC pour que la clause d'enseigne, présente dans les statuts des sociétés franchisées, soit « réputée non écrite » est une manœuvre pour contourner les règles de recevabilité et qu’en réalité, cette demande équivaut à une demande en nullité de ladite clause. Comme seul argument, les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’appuient sur l’analyse doctrinale du Professeur [T] [I] [D]. Concernant cette affirmation sur la nullité comme seule sanction en droit de la concurrence, le Tribunal n’a pas trouvé de sources (autre analyse doctrinale, jurisprudence, …) confirmant cette allégation. En application de l’article 9 du Code de procédure civile, les sociétés SELIMA et PROFIDIS sont défaillantes dans l’administration de la preuve qui est à leur charge.

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de dire irrecevables car prescrites les demandes formées par l’AFC et soulevées dans le cadre de l’assignation du 26 décembre 2023, relatives aux statuts des sociétés communes franchisées. »

3/ « Par un arrêt de principe du 28 février 2024, la Cour de cassation a retenu que l’action du Ministre sur le fondement de l’article L. 442-6 devenu L. 442-4 du Code de commerce est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil. La lecture combinée de l’article 2224 du Code civil et de l’arrêt PIZZA SPRINT permet de dire que le point de départ de la prescription est le jour où le Ministre a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits caractérisant une pratique restrictive lui permettant d’exercer son action. Ce point de départ glissant est à déterminer factuellement au vu des circonstances particulières et spéciales de chaque situation.

La fixation de ce point de départ est la date à laquelle le Ministre ou ses services ont eu concrètement connaissance ou aurait dû avoir connaissance des pratiques restrictives, de manière à pouvoir agir en justice afin de les faire sanctionner dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché et de la concurrence.

Il faut distinguer la simple connaissance de faits, insuffisante pour déclencher l’action du Ministre, de la connaissance de faits caractérisant une pratique restrictive de concurrence qui doivent réunir différents éléments constitutifs à savoir un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et la soumission ou la tentative de soumission à un tel déséquilibre. »

4/ « L'article L. 442-1, 2° du Code de commerce dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : […] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (nous soulignons). »

Cette clause interdit à toute entreprise (producteur, distributeur, prestataire de services) de soumettre ou de tenter de soumettre une autre partie à des obligations qui créent un déséquilibre important dans leurs droits et devoirs contractuels, que ce soit lors de la négociation, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat. Pour prouver un déséquilibre significatif, il faut démontrer qu'une entreprise a tenté d'imposer ou a imposé des obligations déséquilibrées à « l'autre partie » engagée dans la relation commerciale.

La loi distingue clairement l'auteur de la pratique (celui qui impose le déséquilibre) et la victime (celle qui le subit), désignée comme « l'autre partie ». Cette notion « d'autre partie » a été élargie par rapport à l'ancienne version de la loi qui visait spécifiquement les « partenaires commerciaux ». Dans cette affaire, l'AFC a attaqué les sociétés CPF et CSF, en les accusant de soumettre leurs membres (les franchisés) à des clauses contractuelles déséquilibrées.

L'AFC demande au tribunal de juger que les sociétés CPF et CSF constituent « l'autre partie à la négociation commerciale ».

a. Le Contexte Spécifique des Contrats de Franchise et le Déséquilibre Significatif : Les contrats de franchise sont expressément reconnus comme relevant du champ d'application de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce. La Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) a, par exemple, examiné la conformité de contrats au sein de réseaux (tels que les opticiens et les réseaux de soins) au regard de cette disposition.

Les relations de franchise se caractérisent fréquemment par l'imposition d'un contrat-type de franchise par le franchiseur à ses franchisés. En raison de la "position prépondérante" du franchiseur, ces contrats ne sont souvent pas effectivement négociés. Cette dynamique peut conduire à une "surprotection juridique de la tête de réseau". Le modèle économique de la franchise, par sa nature même, implique qu'un franchiseur octroie des droits et impose un cadre opérationnel standardisé afin de maintenir l'homogénéité du réseau et la cohérence de la marque. Cela se traduit souvent par des conditions contractuelles où les franchisés individuels disposent d'un pouvoir de négociation limité, les rendant particulièrement vulnérables à l'imposition de clauses significativement déséquilibrées.

b. Analyse de la Qualification Erronée de Carrefour comme "l'Autre Partie" : Dans l'affaire en question, l'AFC a demandé au Tribunal de juger que les sociétés CPF et C.S.F. constituaient "l'autre partie à la négociation commerciale". Or, cette qualification est erronée. La notion « d'autre partie" est, en droit, réservée à la victime du déséquilibre, c'est-à-dire celle qui subit les obligations déséquilibrées, et non à l'entreprise qui les impose.

En tant que franchiseur, CARREFOUR est l'entité qui aurait imposé les clauses déséquilibrées à ses franchisés. Conformément à l'interprétation établie de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce, Carrefour est donc « l'auteur » de la pratique restrictive alléguée, et non la "victime" qui la subit. La demande de l'AFC a fondamentalement méconnu cette distinction cruciale, attribuant incorrectement les rôles prévus par la loi. Cette situation illustre une application directe et sans ambiguïté du principe interprétatif fondamental de l'article L. 442- 1, I, 2° du Code de commerce. Si Carrefour est l'entité qui impose les clauses, elle est, par définition, « l'auteur » du déséquilibre potentiel. Inversement, "l'autre partie" est celle qui est soumise à ces clauses, c'est-à-dire les franchisés. L'erreur de l'AFC a consisté à confondre le responsable de la pratique avec la partie protégée, démontrant une lecture erronée du libellé de la loi et de son intention protectrice sous-jacente. Cette erreur est d'autant plus critique qu'elle identifie de manière incorrecte le sujet même de la protection légale.

L'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce est un instrument législatif essentiel pour encadrer les pratiques commerciales abusives, en particulier l'imposition d'obligations contractuelles significativement déséquilibrées. L'évolution législative, passant de la notion de « partenaire commercial » à celle, plus large, « d'autre partie », témoigne d'une volonté délibérée d'étendre le champ de protection pour englober un éventail plus vaste de relations commerciales, adaptant ainsi la loi aux réalités des dynamiques de marché. Le principe juridique clair et non équivoque est celui selon lequel « l'autre partie » désigne exclusivement la victime qui subit le déséquilibre significatif, et non l'auteur qui l'impose.

En conséquence, le Tribunal déboute l’AFC de sa demande de voir CSF et CPF nommée « l’autre partie » au sens de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce, tout en considérant que le groupe CARREFOUR constitue bien le « partenaire commercial » au sens des textes, des franchisés membres de l’association. Les sociétés du groupe CARREFOUR conservent bien leur qualité à se défendre. »

5/ « Les sociétés SELIMA et PROFIDIS argumentent que l'AFC ne peut pas baser ses demandes sur l'article 1171 du Code civil, ni de manière principale ni de manière subsidiaire. En effet, l'AFC se fonde sur l'article 1171 du Code civil en plus des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 du Code de commerce. Cependant, l'article 1171 du Code civil ne permet pas d'actions collectives. Il est destiné aux actions individuelles des cocontractants. Les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’appuient sur les dires du professeur Mme [T] [I] [D] et sur un autre auteur (F.-X. Licari, Fasc. 50 : Contrat – Contenu du contrat – Déséquilibre significatif du contrat, JurisClasseur Civil Code > Art. 1162 à 1171, §27) qui confirment que seules les parties directement concernées (les consommateurs ou adhérents) peuvent invoquer cet article, pas les associations, même agréées. Le professeur Mme [T] [I] [D] conclut que si même les associations de consommateurs agréées ne peuvent agir sur ce fondement, une association de franchisés sans agrément, ne le peut pas non plus. En conclusion, l'utilisation de l'article 1171 du Code civil par l'AFC suggère qu'elle agit en réalité pour des intérêts individuels de ses membres, ce qui rend son action irrecevable. De plus, même si elle agissait dans un intérêt collectif, elle ne serait pas recevable à le faire sur ce fondement.

Le Tribunal a déjà jugé plus haut sur l’intérêt collectif à agir de l’AFC. De plus, les sociétés SELIMA et PROFIDIS ne s’appuient que sur les dires doctrinaux d’un professeur, non confirmés par d’autres auteurs, ni la jurisprudence. De plus, elles n’avancent aucun point de droit. Elles sont défaillantes, au droit de l’article 9 du Code de procédure civile, dans l’administration de la preuve qui est à leur charge.

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’association n’est pas recevable à agir sur le fondement de l’article 1171 du Code civil. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL DE COMMERCE DE RENNES

PREMIÈRE CHAMBRE

JUGEMENT DU 3 JUILLET 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2023F00454.

Jugement prononcé le 3 Juillet 2025 - par mise à disposition au Greffe du Tribunal de Commerce de Rennes, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du CPC,

* signé par Monsieur Clément VILLEROY DE GALHAU, Président du Tribunal, assistée de Mme Anna-Gaëlle VINCENT, Greffière d'audience,

 

DEMANDEUR :

ASSOCIATION DES FRANCHISÉS DU GROUPE CARREFOUR

[Adresse 2], [Localité 4] * Représentants : Avocat plaidant : Maître François-Xavier AWATAR, avocat au barreau de Lyon -, Avocat postulant correspondant : Maître Christophe LHERMITTE, avocat au barreau de Rennes

 

DÉFENDEURS :

1/ SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (CPF)

[Adresse 10], [Adresse 10], [Localité 3] * Représentants : Avocats plaidants : Maître Pascal WILHELM et Emilie DUMUR, Cabinet Willhelm & Associés, avocats au barreau de Paris ; Avocat postulant correspondant : Maître Valérie LEBLANC, Cabinet ARES, avocate au barreau de Rennes

2/ SAS C.S.F.

[Adresse 10], [Adresse 10], [Localité 3] * Représentants : Avocats plaidants : Maître Pascal WILHELM et Emilie DUMUR, Cabinet Willhelm & Associés, avocats au barreau de Paris - Avocat postulant correspondant : Maître Valérie LEBLANC, Cabinet ARES, avocate au barreau de Rennes

3/ SAS PROFIDIS

[Adresse 10], [Adresse 10], [Localité 3] * Représentants : Avocats plaidants : Maître François KOPF et Mathieu DELLA VITTORIA, avocats au barreau de Paris - Avocat postulant correspondant : Maître François MOULIERE, cabinet AVOXA, avocat au barreau de Rennes

4/ SAS SELIMA

[Adresse 10], [Adresse 10], [Localité 3] * Représentants : Avocats plaidants : Maître François KOPF et Mathieu DELLA VITTORIA, avocats au barreau de Paris - Avocat postulant correspondant : Maître François MOULIERE, cabinet AVOXA, avocat au barreau de Rennes

Monsieur le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

[Adresse 1], [Localité 6] * Représentante : Mme X., directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Normandie, Pôle C, [Adresse 5], [Adresse 5], [Localité 7]

 

INTERVENANT VOLONTAIRE : EN PRÉSENCE DE :

Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes

représenté par Monsieur Matthieu-Jean THOMAS, procureur de la République adjoint,

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : L’affaire a été débattue le 27/02/2025 en audience publique, devant le Tribunal composé de : Monsieur Clément VILLEROY DE GALHAU, Président de Chambre, Madame Nathalie CRUSSOL, Monsieur Hervé DUMOUCEL, Monsieur Jean-Paul EYRAUD, Monsieur Yann TROUILLARD, Juges

Greffier d'audience lors des débats : Mme Anna-Gaëlle VINCENT

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

1. FAITS ET PROCÉDURE.

1.1 Présentation des parties....

1.1.1 L'Association des Franchises du groupe CARREFOUR (AFC)....

1.1.2 La société CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE (CPF).

1.1.3 La société CSF...

1.1.4 La société PROFIDIS...

1.1.5 La société SELIMA. 8

1.2 Présentation du réseau et du montage contractuel..... 8

1.3 La création de I'AFC et les raisons de l'assignation...

1.4 La procédure...... 9

1.4.1 Assignation du 26 décembre 2023.

1.4.2 L’intervention volontaire du ministre de l’Économie, des Finances et de la

Souveraineté industrielle et numérique le 11 juin 2024..... 15

1.4.3 L’intervention volontaire du Ministère Public le 12 février 2025. 17

1.4.4 L’audience du 27 février 2025...... 17

2. MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES. 18

2.1 Pour les sociétés CPF et CSF, en demande sur les exceptions de procédure et fins de non-recevoir...... 18

2.1.1 La nullité de l’assignation..... 18

2.1.2 La compétence du Tribunal de commerce de RENNEs.... 18

2.1.3 La prescription de I'action du ministre de I'économie et des finances.... 19

2.1.4 L’irrecevabilité de l’action du Ministère public.... 19

2.1.5 L’absence d’intérêt propre de l’AFC.. 20

2.1.6 L’absence d’habilitation de l’AFC. 20

2.1.7 La prescription..... 21

2.1.8 L’autorité de la chose jugée....... 21

2.1.9 L'autre partie á la négociation commerciale... 21

2.1.10 L’absence de prétentions juridiquement admissibles..... 21

2.1.11 La procédure abusive... 21

2.2 Pour les sociétés PROFIDIS et SELIMA, en demande sur les exceptions de procédure et fins de non-recevoir.. 24

2.3 Pour l’association des franchisés CARREFOUR (l’AFC), en défense aux exceptions de procédure et fins de non-recevoir. 26

2.3.1 Sur la nullité de l’assignation de l’association...... 27

2.3.1.1 Sur la capacité à agir de l’association.... 27

2.3.1.2 Sur le pouvoir du représentant légal de l’association..... 27

2.3.2 Sur la compétence du Tribunal de commerce de Rennes... 27

2.3.3 Sur les vices portant atteinte aux droits de la défense et sur la recevabilité des demandes de I'AFC..... 28

2.3.4 Sur son intérêt à agir :... 28

2.3.5 Sur le contournement des règles d’ordre public 29

2.3.6 Sur la prescription de l'action intentée par l'association. 29

2.3.7 Sur l’autorité de la chose jugée.... 29

2.3.8 Sur la recevabilité des fondements juridiques.. 30

2.3.9 Sur la recevabilité de l'intervention volontaire du Ministre.. 30

2.3.10 Sur la recevabilité des demandes du Ministère public... 30

2.3.11 Sur la prescription des demandes du Ministère public. 30

2.3.12 Sur la procédure abusive.... 31

2.4 Pour le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en réponse aux fins de non-recevoir soulevées. 34

2.4.1 Sur sa qualité à agir à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS : ... 34

2.4.2 Sur l’exception de la prescription de son action soulevée par les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS : ... 35

2.5 Pour le Ministére Public, en réponse aux tins de non-recevoir soulevée...... 37

3. DISCUSSION...... 37

3.1 Sur les exceptions de procédure soulevées :...... 37

3.1.1 Sur la nullité de l'assignation de l'AFC.. 37

3.1.1.1 Pour défaut de capacité à agir (soulevée par CSF et CPF).... 37

3.1.1.2 Sur la nullité de l’assignation de l’AFC pour défaut de pouvoir du président (soulevée par les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS).. 39

3.1.1.3 Sur la nullité de l’assignation de l’AFC pour indétermination de l’objet de sa demande (soulevée par SELIMA et PROFIDIS).. 40

3.2 Sur l’incompétence du Tribunal de commerce de RENNES en raison de la présence d’une clause compromissoire soulevée par CPF et CSF. 42

3.3 Sur les fins de non-recevoir soulevées :.... 46

3.3.1 Défaut de qualité.... 46

3.3.1.1 Sur la recevabilité de I'action du Ministére Public.. 46

3.3.1.2 Sur le défaut de qualité à agir du Ministère public concernant les relations d'associés... 47

3.3.2 Défaut d'intérét :. 47

3.3.2.2 Sur le défaut à agir dans l’intérêt collectif de ses membres, soulevé par SELIMA, PROFIDIS, CSF et CPF. 49

3.4 Prescription :. 51

3.4.1 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de l’AFC, soulevée par CPF et CSF :.. 51

3.4.2 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de l’AFC (soulevée

par les sociétés SELIMA et PROFIDIS).. 52

3.4.3 Sur la prescription des demandes de l’AFC visant à voir réputées non écrites certaines clauses des statuts, soulevée par les sociétés SELIMA et PROFIDIS.... 52

3.4.4 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (soulevée par les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS) et les demandes concernant les pièces du ministre... 53

3.4.5 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du Ministère public 56

3.5 Autorité de la chose jugée : 56

3.5.1 Sur la fin de non-recevoir à l’encontre de l’AFC tirée de l’autorité de la chose jugée (soulevée par les 4 entités du groupe CARREFOUR) :. 56

3.5.2 Sur l’irrecevabilité pour contournement des règles d’ordre public soulevée par SELIMA ET PROFIDIS : 58

3.6 Les autres demandes des parties : 59

3.6.1 Sur la demande formulée par l’AFC sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, de juger que les sociétés CPF et CSF constituent « l'autre partie a la négociation commerciale ". 59

3.6.2 Sur l’irrecevabilité des demandes formulées par l’AFC sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, soulevée par les 4 sociétés du groupe CARREFOUR.. 61

3.6.3 De l’admissibilité juridique des demandes formulées par l’AFC, mise en doute par CPF et CSF :. 63

3.6.4 Sur l’irrecevabilité des demandes de l’AFC sur le fondement de l’article 1171 du Code civil, soulevée par SELIMA et PROFIDIS :. 64

3.6.5 Sur la demande de l’AFC concernant la procédure abusive. 64

3.6.6 Sur l’article 700 et les dépens :. 65

 

1. FAITS ET PROCÉDURE :

1.1 Présentation des parties :

1.1.1 L'Association des Franchises du groupe CARREFOUR (AFC) :

L'AFC est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 regroupant des franchisés ou ex-franchisés des enseignes du groupe CARREFOUR aux fins de :

« - promouvoir et défendre les intérêts professionnels de ses membres en général, leurs intérêts juridiques, économiques et moraux dans le cadre de leurs activités au sein des réseaux de franchise du groupe Carrefour (à savoir pour les magasins de proximité : City, Contact, 8 à huit, Express, BIO, SO BIO, Proxi, Carrefour montagne ; pour les supermarchés : MARKET, Carrefour MARKET ; pour les hypermarchés : Carrefour ; pour le cash & carry : Promocash) et toute autre enseigne du groupe Carrefour;

Rééquilibrer les relations juridiques, financières et commerciales existantes entre : Les franchisés des réseaux de franchise du groupe CARREFOUR, et les sociétés du groupe CARREFOUR.

Mettre en œuvre les moyens utiles à la réalisation de son objet social et les compétences nécessaires pour tendre à la satisfaction de l'intérêt général de ses membres. »

1.1.2 La société CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE (CPF)

La société CPF est une filiale du groupe CARREFOUR qui a pour activité la gestion du réseau de franchise CARREFOUR PROXIMITÉ.

À cet effet, la société CPF développe depuis plus de trente ans divers concepts de magasins de distribution alimentaire de proximité sur l'ensemble du territoire national, répartis en plusieurs formats de franchise (City, Contact, Express, Bio, Montagne, 8 à Huit, Proxi, MARKET, etc.).

La société CPF est signataire de l’ensemble des contrats de franchise régularisés avec les franchisés CARREFOUR PROXIMITÉ.

1.1.3 La société CSF

La société CSF est l'entité du groupe CARREFOUR qui a pour mission de fournir aux franchisés du Groupe CARREFOUR leurs produits et se positionne en qualité de fournisseur de l'ensemble des réseaux de franchise.

Celle-ci s'approvisionnait jusqu'en septembre 2022 auprès de la centrale d'achat « ENVERGURE » issue du partenariat à l'achat entre les groupes CARREFOUR et SYSTEME U.

Dans le cadre de la relation de franchise envisagée, les futurs franchisés signent un contrat d'approvisionnement avec la société CSF.

1.1.4 La société PROFIDIS

La société PROFIDIS est une filiale à 100% du groupe CARREFOUR, qui détient des titres au sein du capital de la plupart des franchisés du réseau dans le cadre du système de franchise participative mise en place par ce dernier.

La signature de pacte d’associés entre PROFIDIS et l'associé franchisé est régularisée.

La société PROFIDIS est signataire de l'ensemble des statuts constitutifs des sociétés exploitantes de fonds de commerce sous enseigne CARREFOUR, soit directement soit via sa filiale SELIMA.

1.1.5 La société SELIMA

La Société SELIMA est une filiale détenue à 100 % par le groupe CARREFOUR via la société PROFIDIS (également détenue à 100 % par la société CPF) ayant notamment pour objet la prise de participation dans les sociétés exploitantes des fonds de commerce sous l'enseigne du groupe dans le cadre du système de franchise participative.

La société SELIMA détient des titres au sein du capital de la plupart des franchisés dits « investisseurs » du réseau.

Pour la majorité des franchisés investisseurs, la société SELIMA est signataire des statuts constitutifs et pactes d'associés des sociétés exploitant sous enseigne CARREFOUR.

1.2 Présentation du réseau et du montage contractuel

L'enseigne CARREFOUR est l'un des leaders de la grande distribution en France.

L'enseigne est exploitée au travers de :

248 points de vente en hypermarchés, de façon quasi exclusive en propre,

1 071 points de vente en supermarchés, exploités en propre pour quasiment la moitié, le reste des magasins étant exploités en franchise,

3 959 magasins de proximité exploités quasi exclusivement par des partenaires indépendants liés au groupe Carrefour par des contrats de franchise et d'approvisionnement, mais également par les Statuts des sociétés exploitantes ou des contrats de location-gérance,

146 magasins en France en cash & carry exclusivement exploités en franchise.

La branche PROXIMITÉ du groupe CARREFOUR (le réseau CARREFOUR PROXIMITÉ) est née de la fusion des groupes CARREFOUR et PROMODES en 1999.

Le montage contractuel remis en cause par l'AFC a été renforcé à compter de 2010 à l'occasion du passage des points de vente du réseau CARREFOUR PROXIMITÉ aux enseignes CARREFOUR CITY, CARREFOUR CONTACT et CARREFOUR EXPRESS.

Dans le cadre de ce montage, le groupe CARREFOUR, à travers les sociétés SELIMA et PROFIDIS, prend systématiquement des parts dans la société propriétaire du fonds de commerce, généralement, à hauteur de 26 %, soit une minorité de blocage au sein de la société franchisée exploitée sous forme sociétale de SARL.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS sont deux sociétés détenues à 100% par le groupe Carrefour.

Pour assurer le déploiement de son activité et de ses enseignes, le groupe CARREFOUR s’est appuyé sur des réseaux de franchise suivant trois modalités principales :

Des franchises « classiques » ou « simples » : l’entrepreneur partenaire du groupe Carrefour est propriétaire à 100% du capital de la société franchisée, elle-même propriétaire du fonds de commerce exploité sous enseigne Carrefour, créé ou acquis par ses propres moyens,

Des franchises en location-gérance : l’entrepreneur partenaire du groupe Carrefour est propriétaire à 100% du capital de la société franchisée, qui exploite en locationgérance un fonds de commerce, qui appartient donc à un tiers, en général au groupe Carrefour qui l’a créé ou acquis,

Des franchises « participatives » : l’entrepreneur partenaire détient 74% du capital de la société franchisée, à laquelle le groupe Carrefour donne l’opportunité d’acquérir et d’exploiter un fonds de commerce créé ou acquis par le groupe Carrefour. Dans ce schéma, le plus souvent consécutif à une location-gérance, le groupe Carrefour est à l’origine du projet (création du fonds et/ou appartenance à un réseau sous enseigne). Le solde de 26% du capital de la société commune franchisée est alors détenu par les sociétés SELIMA et PROFIDIS. Dans le cadre de cette opération, la société devient alors une « société commune franchisée » propriétaire du fonds de commerce qu’elle exploite, dans laquelle le groupe Carrefour, via SELIMA ou PROFIDIS, dispose d’une participation de 26%, le reste du capital et des droits de vote étant détenu à hauteur de 74% par l’entrepreneur.

Dans ce montage, le groupe CARREFOUR est également lié au franchisé investisseur par :

Un contrat d’approvisionnement conclu entre la société C.S.F et le franchisé,

Un contrat de franchise conclu entre la société CPF et le franchisé,

Des contrats satellites, tels que les conventions de fidélité, convention d’assistance sociale, contrats pack informatique et autres,

Un bail commercial avec la société SOVAL.

1.3 La création de I'AFC et les raisons de l'assignation

Plusieurs franchisés insatisfaits des relations commerciales et juridiques qu'ils entretiennent avec les différentes entités du groupe CARREFOUR ont souhaité rééquilibrer les liens contractuels noués avec ce dernier.

C'est ainsi qu'une trentaine de franchisés CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, connaissant des griefs similaires à l'encontre du groupe, ont créé l'AFC en février 2020.

Aujourd'hui, l'association compte 168 membres franchisés ou ex-franchisés sous enseigne CARREFOUR CITY, CARREFOUR CONTACT et CARREFOUR EXPRESS.

L’association a souhaité dénoncer plusieurs pratiques du groupe CARREFOUR dans sa relation de franchise.

Des réunions entre l’AFC et des représentants du groupe CARREFOUR ont eu lieu de novembre 2021 à juillet 2023 pour essayer de faire évoluer les relations contractuelles franchiseurs / franchisés, mais n’ont pu aboutir.

C'est dans ce contexte que l'AFC a souhaité assigner les entités du groupe CARREFOUR prenant part à la relation de franchise de ses membres.

1.4 La procédure

1.4.1 Assignation du 26 décembre 2023

Par quatre actes introductifs d’instance en date du 26 décembre 2023, signifiés à personne par Maître [E], Commissaire de justice associé à [Localité 8], l’ASSOCIATION DES FRANCHISES CARREFOUR a assigné les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, PROFIDIS,

SELIMA, et CSF à comparaître par devant les Président et juges du Tribunal de commerce de RENNES.

Vu les dispositions des articles 1129, 1134 et 1135 du Code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Vu les articles 1129, 1186, 1164, 1833, 1844-10 et 1210 du Code civil.

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

Vu les articles L. 442-1, L. 442-4, L.341-1, L.341-2, L.330-1, L.420-1, L.420-2 et L.420-3 du Code de commerce.

Vu la jurisprudence produite,

Vu les pièces versées au débat,

Il est demandé au Tribunal de commerce de céans de :

I. À TITRE PRINCIPAL

CONCERNANT LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF ENTRE LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES :

JUGER que I'ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR dispose d'un intérêt à agir ;

JUGER que les contrats de franchise, d'approvisionnement, les dispositions statutaires et les pactes d'associés sont indivisibles.

JUGER que le déséquilibre significatif doit être apprécié en prenant en compte l'ensemble des contrats litigieux ;

JUGER que les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF constituent des partenaires commerciaux conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de Commerce ;

JUGER que les sociétés SELIMA et PROFIDIS constituent des partenaires commerciaux conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;

JUGER que les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF constituent « l'autre partie à la négociation commerciale », conformément aux dispositions de l'article L. 442-1 du Code de commerce ;

JUGER que les sociétés SELIMA et PROFIDIS constituent « l'autre partie à la négociation commerciale », conformément aux dispositions de l'article L. 442-1 du Code de commerce ;

JUGER que les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, SELIMA et PROFIDIS soumettent les membres de l'ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR à des obligations déséquilibrées ;

En conséquence :

JUGER que la clause 3.1.9 du contrat de franchise, imposant des horaires et des jours d'ouverture est significativement déséquilibrée et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau ;

JUGER que la clause imposant un programme de fidélité aux franchisés est significativement déséquilibrée et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau ;

JUGER la pratique tendant à imposer aux franchisés des travaux de réparation incombant au Groupe franchise déséquilibrée et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau ;

JUGER la pratique tendant à imposer les prix de revente conseillés du franchiseur aux franchisés déséquilibrés et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau ;

JUGER que l'obligation de fidélité prévue à l'article 2.2 du contrat d'approvisionnement constitue en réalité une obligation de quasi-exclusivité ;

JUGER le surcoût des biens à l'achat cumulé à l'obligation de quasi-exclusivité résulte d'une inadéquation du prix au bien vendu et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau du Code de commerce ;

JUGER que l'article 2.3 « Livraison » du contrat d'approvisionnement régularisé avec CSF crée une obligation purement potestative au seul bénéfice de CSF, déséquilibrée et constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau du Code de commerce ;

JUGER que la clause d'enseigne contenue dans l'article 2 des statuts est significativement déséquilibrée en ce que, cumulée aux dispositions de l'article 15 des mêmes statuts, contraint le franchisé à demeurer au sein du réseau de franchise pendant toute la durée de vie de la société créée. Elle constitue une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau ;

JUGER que la combinaison des articles 1 et 2 du pacte d'associés crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations du Groupe CARREFOUR en ce qu'elles empêchent le franchisé d'exercer leur commerce dans des conditions normales d'exploitation. Elles constituent une violation des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau.

JUGER que la multiplication des clauses compromissoires est significativement déséquilibrée et contribue à un morcellement du litige au seul bénéfice du Groupe CARREFOUR. Elles constituent une violation des articles L. 442- 6 ancien et L. 442-1 nouveau.

JUGER qu'aucune contrepartie n'est apportée à de telles clauses ou pratiques du fait de l'absence patent de transmission du savoir-faire et d'assistance et que l'ensemble des contrats sont rédigés au seul bénéfice du Groupe CARREFOUR.

En conséquence :

JUGER que cesseront les pratiques d'imposition des horaires et jours d'ouverture des magasins ;

JUGER que cesseront les pratiques d'imposition d'adhésion obligatoire à un programme de fidélité ;

JUGER que cesseront les pratiques d'imposition de travaux incombant légalement au franchiseur ;

JUGER que cesseront les pratiques d'imposition de prix de revente par les sociétés CSF et CARREFOUR PROXIMITÉ France ;

JUGER que cesseront les pratiques tarifaires à l'achat de la société CSF conduisant à une inadéquation du prix au bien vendu ;

JUGER que cesseront les pratiques de modification potestatives des horaires de livraison en ce qu'elles entraînent une véritable désorganisation des magasins exploités ;

JUGER que cesseront les pratiques des sociétés SELIMA ou PROFIDIS tendant à dévaloriser les parts sociales des actionnaires majoritaires en ce qu'elles conduisent à une cession des parts à vil prix, cette dévalorisation des parts s'inscrivant dans l'ensemble de la relation de franchise ;

JUGER que cesseront les pratiques contraignant les franchisés à demeurer au sein du réseau de franchise pendant toute la durée de vie des sociétés créées par les franchisés avec les sociétés SELIMA et PROFIDIS.

II. À TITRE SUBSIDIAIRE SUR LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF ENTRE LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES TIRÉES DE L'ARTICLE 1171 DU CODE CIVIL

JUGER que l'article 1171 du code de procédure civile est applicable pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 ;

JUGER que les franchisés « investisseurs » se voient imposer des stipulations statutaires qui sont prérédigées par le Groupe CARREFOUR ;

JUGER que l'ensemble des statuts des membres dits « investisseurs » du Groupe CARREFOUR comportent une clause d'enseigne au sein même de l'objet social ;

JUGER que toute velléité de rupture du contrat du contrat se heurte au refus des associés SELIMA et PROFIDIS de modifier les stipulations statutaires ;

JUGER que les franchisés « investisseurs » sont contraints de régulariser un pacte d'associés ;

JUGER que le droit de préemption ne s'applique en réalité qu'au bénéfice du Groupe CARREFOUR.

En conséquence

JUGER que les stipulations statutaires et du pacte d'associés entrent dans le champ d'application de l’article 1171 du Code civil ;

JUGER que les statuts constituent des contrats d'adhésion ;

JUGER que ses clauses n'ont pas pu être négociées par les franchisés ;

JUGER que les clauses statutaires litigieuses empêchent les franchisés de quitter le réseau CARREFOUR ;

JUGER que ces clauses entraînent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

JUGER que le pacte d'associés est un contrat d'adhésion ;

JUGER que ses clauses n'ont pas pu être négociées par les franchisés ;

JUGER que l'application du droit de préemption et de la méthode de valorisation entraine une cession des parts à vil prix au bénéfice du Groupe CARREFOUR ;

JUGER que compte tenu des clauses statutaires, la cession des parts est la seule option permettant au franchisé de sortir du réseau ;

JUGER que ces clauses caractérisent un déséquilibre significatif tant pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016 que pour les contrats conclus après le 1er octobre 2018 ;

JUGER que ces clauses des statuts et du pacte d'associés seront réputées non-écrites.

III. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE : SUR LES AUTRES PRATIQUES DU GROUPE CARREFOUR

CONCERNANT LES SERVICES CARACTÉRISANT UN AVANTAGE SANS CONTREPARTIE AU BÉNÉFICE DU GROUPE CARREFOUR

JUGER qu'en leur qualité de fournisseur et franchiseur CSF et CARREFOUR PROXIMITÉ France sont des partenaires commerciaux pour les membres de l'association

JUGER que le système de fidélisation est onéreux et payé par les franchisés du réseau PROXIMITÉ

JUGER que les franchisés n'ont pas accès au fichier client généré par ces cartes

JUGER que cette carte génère des bons pour les réseaux CARREFOUR MARKET et CARREFOUR HYPERMARCHÉ

JUGER que les services de location de matériel sont amortis par le Groupe CARREFOUR en moins de trois années

JUGER que le franchiseur CARREFOUR PROXIMITÉ France réalise un profit indu sur la location de matériel

JUGER que le matériel loué est obsolète et pose de nombreuses difficultés aux adhérents de l'association

JUGER que les services de maintenance sont facturés aux franchisés

JUGER que ces services ne sont nullement performants ;

JUGER que la société CSF pratique un surcoût à l'achat ;

JUGER qu'il n'existe aucune contrepartie à l'onérosité abusive des prix à l'achat ;

JUGER que la méthode de calcul imposée par le contrat d'approvisionnement conduit le franchisé à s'approvisionner à hauteur de 70% auprès de CSF ;

JUGER que le système de ristourne entraine en réalité une imposition du taux de fidélité à plus de 80% ;

JUGER qu'aucune contrepartie n'est octroyée aux franchisés qui s'approvisionnent auprès de CSF à des prix plus onéreux que ceux du marché.

En conséquence

JUGER que le service de fidélisation est facturé aux adhérents de l'association ;

JUGER que le paiement du service de fidélisation est disproportionné au regard de la prestation fournie ;

JUGER que ce service constitue un avantage sans contrepartie ;

JUGER que la facturation des services de location de matériel et de maintenance est disproportionnée au regard des services rendus ;

JUGER que le surcoût à l'achat imposé par le fournisseur CSF constitue un avantage disproportionné au regard du service rendu ;

JUGER que la quasi-exclusivité conduisant les franchisés à s’approvisionner de manière quasi exclusive auprès du fournisseur et à des prix bien plus onéreux que ceux du marché est disproportionnée au regard du service rendu.

JUGER ET ORDONNER la cessation des pratiques susvisées ;

IV. CONCERNANT L'IMPOSITION DES PRIX DE REVENTE PRATIQUES PAR LE GROUPE CARREFOUR :

JUGER que les conditions de l'imposition des prix de revente sont réunies ;

En conséquence :

JUGER qu'il existe une réelle imposition des prix de revente conseillés aux franchisés par les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF en violation des dispositions de l'article L. 442-5 du Code de commerce.

V. CONCERNANT L'ABUS DANS LA FIXATION DES PRIX À L'ACHAT :

JUGER que la société CSF fixe unilatéralement ses prix de vente ;

JUGER que les prix de vente pratiqués par la société CSF sont abusifs en ce qu'ils sont non-compétitifs en violation des stipulations du contrat d'approvisionnement et sont supérieurs aux prix pratiqués par l'ensemble des concurrents sur le marché dont notamment le Groupe SYSTÈME U qui dispose d'une centrale d'achat commune avec le Groupe CARREFOUR ;

JUGER qu'aucune justification n'est apportée par la société CSF quant à ces prix prohibitifs ;

En conséquence :

JUGER qu'il existe un réel abus dans la fixation du prix de vente par la société CSF ;

VI. CONCERNANT LES PRATIQUES SOCIÉTALES DU GROUPE CARREFOUR :

JUGER que la clause d'enseigne contenue dans l'objet social de la société contrevient à la liberté contractuelle des franchisés ;

JUGER, que les décisions sociales des sociétés SELIMA et PROFIDIS sont prises dans les intérêts exclusifs du Groupe CARREFOUR ;

JUGER que les décisions sociales des sociétés SELIMA et PROFIDIS sont prises à l'encontre des intérêts des sociétés dans lesquelles elles prennent des participations ;

En conséquence :

JUGER que la clause d'enseigne contenue à l'article 2 des statuts est réputée non-écrite ;

JUGER que le caractère réputé non écrit de cette clause n’affecte en aucun cas l'intégrité de l'objet social des statuts des sociétés franchisées.

VII. CONCERNANT L'IMPOSSIBILITÉ POUR LES MEMBRES DE L'ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR DE QUITTER LE RÉSEAU ÉPONYME :

JUGER que le cumul des stipulations de la clause d'enseigne et de l'article 15 des statuts restreint la liberté d'exercice de l'activité commerciale des franchisés du Groupe CARREFOUR en ce qu'elles empêchent toute résiliation du contrat de franchise pendant toute la durée de vie de la société créée à cet effet ;

JUGER que le cumul des stipulations statutaires et de la clause de non-affiliation prévue à l'article 3.1.9 du contrat de franchise restreint la liberté d'exercice de l'activité commerciale des franchisés du Groupe CARREFOUR ;

JUGER que la clause de non-concurrence prévue au sein de l'article « Clause de non-concurrence » du pacte d'associés contrevient à la liberté d'exercice des franchisés du Groupe CARREFOUR ;

JUGER que les articles 1 et 2 du pacte d'associés contreviennent à la liberté d'exercice des franchisés du Groupe CARREFOUR en ce qu'ils contraignent ces derniers à demeurer au sein du réseau de franchise ;

JUGER que la clause résolutoire contenue dans les actes d'acquisition restreint la liberté d'exercice des franchisés en ce qu'elle contraint ces derniers à demeurer au sein du réseau CARREFOUR pendant a minima quatorze années ;

JUGER que l'ensemble de ces clauses n'entrent pas dans le champ d'application des exceptions prévues à l'article L.341-2 du Code de commerce.

En conséquence :

JUGER que les statuts et le pacte d'associés entrent dans le champ d'application de l'article L. 341-2 du Code de commerce pour les contrats conclus après l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l'égalité des chances économiques ;

JUGER que la clause d'enseigne contenue à l'article 2 des statuts est réputée non-écrite ;

JUGER que la clause de non-affiliation prévue à l'article 3.1.9 des contrats de franchise est réputée non-écrites [sic] ;

JUGER que la clause de non-concurrence prévue au sein des contrats de location-gérance est réputée non- écrites [sic] ;

JUGER que la clause de non-concurrence prévue au sein des pactes d'associés est réputée non-écrites [sic] ;

JUGER que les clauses de valorisation du prix prévues à l'article 2 des pactes d'associés sont réputées non- écrites ;

JUGER que la clause résolutoire prévue au sein des actes d'acquisition est réputée non écrite ;

VIII. CONCERNANT L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

CONDAMNER in solidum les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, PROFIDIS et SELIMA à la somme de 25.000 euros chacune (soit 100.000 euros au total) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L‘affaire a été enrôlée sous le numéro RG 2023F00454.

Lors de l'audience du 18 janvier 2024, la défense a indiqué soulever diverses irrégularités et irrecevabilités. Les parties se sont entendues pour un calendrier de procédure à 6 mois pour organiser les échanges.

L'affaire a été renvoyée à l'audience du 27 juin 2024 pour plaidoiries sur les incidents.

[*]

1.4.2 L’intervention volontaire du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique le 11 juin 2024

Par conclusions en intervention volontaire n°1 régularisées le 11 juin 2024, Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, représenté par Mme [L] [M], directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Normandie, s’est porté intervenant dans le cadre de l’instance, aux côtés de l’AFC. Il demande au Tribunal de :

Vu l’article L. 442-6 I 1° ancien du Code de commerce devenu L. 442-1 I 2° du Code de commerce

Vu les articles L. 490-8, R. 490-1 et R. 490-2 du Code de commerce

Sur la soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties :

Sur la soumission :

CONSTATER que l’ensemble des contrats signés entre les franchisés, locataires-gérants et le Groupe CARREFOUR forme un bloc indivisible conclu concomitamment dans un délai restreint ;

CONSTATER que les clauses de ces contrats n’ont pas pu être négociées par les franchisés et locataires-gérants ;

Sur le déséquilibre en lui-même :

DIRE ET JUGER que les clauses et pratiques mises en œuvre par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., PROFIDIS et SELIMA consistant à :

Imposer des prix de revente conseillés excessifs et non-compétitifs (article 2.3.2 du contrat de franchise) par le biais de l’imposition d’une obligation d’utiliser le matériel et des logiciels informatiques du franchiseur (article 3.1 du contrat de franchise) et l’imposition d’un contrôle régulier du positionnement tarifaire (article 7.1 du contrat de franchise)

Imposer une obligation de fidélité dans l’approvisionnement à un taux minimum de 45 à 50% (article 2.2 du contrat d’approvisionnement C.S.F.) s’avérant en réalité quasi- exclusive

Conditionner l’octroi de la ristourne achats et fidélité au respect de l’obligation d’approvisionnement prioritaire à un taux de 65% (article 3.2.2 des conditions générales d’approvisionnement C.S.F.

Imposer une clause de non-affiliation à un réseau concurrent (article 1 du contrat d’approvisionnement C.S.F. (article 3.1.9. du contrat de franchise C.P.F.), une clause de nonconcurrence (article 4.9 du contrat de location-gérance) et une clause de résiliation anticipée au seul bénéfice du franchiseur (article 7 du contrat de franchise, article 6 du contrat d’approvisionnement, article 4.10 du contrat de location gérance)

Imposer des clauses compromissoires dans chaque contrat aboutissant à une multiplication des procédures et un coût prohibitif pour les franchisés et locataires- gérants

Imposer dans le pacte d’associés un droit de préemption du fonds de commerce, une promesse unilatérale de vente au seul bénéfice du Groupe CARREFOUR pour une période supérieure à la durée du contrat de franchise et d’approvisionnement

Imposer dans le pacte d’associés une détermination unilatérale du prix de revente des parts de la société exploitante du fonds de commerce, sans prise en compte du marché et au seul profit du Groupe CARREFOUR

Imposer dans l’acte de cession du fonds de commerce une clause de retour de celuici au Groupe CARREFOUR d’une durée supérieure à la durée du contrat de franchise et d’approvisionnement

Imposer dans le contrat de société, un objet social au seul bénéfice du Groupe CARREFOUR.

sont constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit du Groupe CARREFOUR et contreviennent donc aux dispositions de l’article L. 442-1 I, 2°

CONSTATER qu’aucune contrepartie n’est apportée à ces clauses et pratiques déséquilibrées

En conséquence de tout ce qui précède, en vertu de l’article L. 442-4 anciennement L. 442-6 III du Code de commerce :

1. Prononcer la nullité des clauses susvisées ;

2. Enjoindre aux sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS, de cesser les pratiques susvisées sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard ;

3. Condamner in solidum les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS à une amende civile de 200 (deux cents) millions d’euros ;

4. Condamner les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS à publier à leurs frais pendant six mois à compter du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement sur les différents sites internet exploités par l’enseigne ;

5. Condamner les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS à publier à leurs frais, sous huit jours à compter du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement dans les trois quotidiens nationaux suivants : Le Monde, Les Échos et le Figaro ;

6. Condamner CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F, SELIMA et PROFIDIS à publier à leurs frais, sous huit jours à compter du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement dans les magazines spécialisés suivants : Le magazine LSA Conso, le magazine Linéaires, afin que cette décision soit portée à la connaissance des professionnels du secteur ;

7. Condamner in solidum les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS à payer au Trésor Public la somme de 80.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;

8. Condamner in solidum tes sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE. C.S.F., SELIMA et PROFIDIS aux entiers dépens :

9. Ordonner l’exécution provisoire de la décision.

Lors de l'audience du 27 juin 2024, suite à l'intervention volontaire du ministre, les parties ont demandé un nouveau calendrier de procédure. L'audience de plaidoirie sur les incidents a été fixée au 27 février 2025, devant une chambre spécialement composée du président, du vice-président et des 3 présidents de chambres de contentieux de ce tribunal.

[*]

1.4.3 L’intervention volontaire du Ministère Public le 12 février 2025

Par mail du 12 février 2025 adressé au greffe du Tribunal de commerce de Rennes, demandant sa diffusion à toutes les parties au procès, M. Matthieu-Jean THOMAS, procureur de la République adjoint, a informé les parties et juges de ce Tribunal de l’intention du parquet de Rennes de soutenir devant la juridiction saisie de la dite affaire les mêmes demandes que celles déjà formulées par M. le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et numérique dans ses conclusions en intervention n°1 du 14 juin 2024.

 

1.4.4 L’audience du 27 février 2025

Lors de l’audience du 27 février 2025, les parties ont été entendues sur diverses exceptions et fins de non-recevoir soulevées par les défendeurs.

Seules ces exceptions et fins de non-recevoir seront examinées, le présent jugement ne statuera pas sur le fond.

Le jugement, mis en délibéré, sera contradictoire et en premier ressort.

Les parties présentes à l’audience ont été informées conformément aux dispositions de l’article 450 du Code de procédure civile que le jugement sera prononcé par mise à disposition au Greffe le 5 juin 2025.

Le délibéré a été reporté au 3 juillet 2025.

 

2. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les parties ont déposé à l'audience à l’issue de leurs plaidoiries l'ensemble des pièces et justificatifs qu'elles considèrent comme nécessaires au soutien de leurs prétentions et, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, lecture en a été faite en délibéré et le Tribunal y fait expressément référence.

2.1 Pour les sociétés CPF et CSF, en demande sur les exceptions de procédure et fins de non-recevoir

La société CPF fait valoir ses moyens et arguments dans ses « CONCLUSIONS EN RÉPONSE AUX FINS DE NULLITE ET D’IRRECEVABILITE N°5 », signifiées le 20 février 2025, auxquelles il convient de se reporter.

La société CSF fait valoir ses moyens et arguments dans ses « CONCLUSIONS EN RÉPONSE AUX FINS DE NULLITE ET D’IRRECEVABILITE N°4 », signifiées le 13 février 2025, auxquelles il convient de se reporter.

Les sociétés CPF et CSF produisent deux jeux de conclusions distincts, mais plaident ensemble, sur les mêmes motivations, et avec les mêmes demandes. Seule la société CPF soutient l’irrecevabilité de l’action du Ministère Public.

2.1.1 La nullité de l’assignation

Les sociétés CPF et CSF soulèvent in limine litis l’exception de nullité de l’assignation de l’AFC pour défaut de capacité et de pouvoir d’ester en justice, en se fondant sur l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 fondatrice du statut des associations, et aux règles déclaratives et de fonctionnement qui en découlent.

Elles affirment que l’AFC s’est abstenue de communiquer les pièces visées par l’article 5 de la loi du 1er juillet, ainsi que la liste des membres de son conseil d’administration, ou encore la liste de ses membres ou celle des membres pour lesquels elle agit.

Elles demandent au Tribunal de céans de prononcer la nullité de l’assignation pour défaut de capacité à agir de l’AFC, pour défaut de pouvoir de M. [P] figurant au procès-verbal comme représentant de l’AFC alors qu’il n’aurait pas reçu pouvoir et que le Président de l’AFC serait la société BARLANG, ainsi que pour défaut de pouvoir de représentation du représentant légal de l’AFC.

2.1.2 La compétence du Tribunal de commerce de RENNES

Les sociétés CPF et CSF soulèvent in limine litis l’incompétence du Tribunal de commerce de RENNES, en raison de la présence des clauses compromissoires contenues dans les contrats signés entre la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et les membres de l’AFC.

Elles s’appuient sur la doctrine et produisent une jurisprudence abondante, notamment liée à de précédents contentieux entre des franchisés et le groupe CARREFOUR.

Les sociétés CPF et CSF soulèvent l’irrecevabilité de l’intervention et des demandes du Ministre de l’Économie en raison de l’acquisition de la prescription extinctive, ce dernier ayant eu connaissance au sens de l’article 2224 du Code civil, des faits pertinents concernant le fonctionnement du réseau de franchise du groupe CARREFOUR qui lui permettaient d’agir devant les juridictions compétentes dès l’année 2010, à l’occasion d’une décision rendue par l’Autorité de la concurrence le 3 mars 2010 et d’un avis rendu par l’Autorité le 7 décembre 2010 et de nouveau en 2015 à l’occasion d’une enquête diligentée par ses services auprès de franchisés CARREFOUR.

Elles soutiennent, doctrine et jurisprudence à l’appui, que les arguments développés par le ministre de l’Économie ne sont pas de nature à remettre en cause l’acquisition de la prescription extinctive à compter de l’année 2015, compte tenu de sa connaissance indéniable des faits pertinents qui lui permettaient d’agir dès le courant de l’année 2010 et qui sont restés constants, notamment à travers un contrôle réalisé par la DGCCRF en 2015 auprès de plusieurs franchisés CARREFOUR.

Elles soulignent que le délai commence à s'écouler lorsque le titulaire du droit a effectivement connu les faits permettant de l'exercer. Mais il peut courir dès avant, s'il est établi que le titulaire aurait dû les connaître. En somme, la prescription court à compter de la connaissance effective ou de l'ignorance blâmable de ce que l'on peut appeler les « faits pertinents ».

Sur ce point, le groupe CARREFOUR demande au Tribunal de faire injonction au ministre de l’Économie de verser aux débats l’intégralité des pièces relatives à l’enquête menée par ses services en 2015 et 2016 auprès des franchisés CARREFOUR.

Elles considèrent que le Ministre avait connaissance ou aurait manifestement dû connaître de tous les éléments factuels nécessaires pour caractériser la pratique restrictive de concurrence telle qu’il l’a décrite aux termes de son intervention volontaire du 11 juin 2024 depuis plus de 5 ans.

Elles soutiennent que l’action du Ministre de l’Économie est prescrite.

En conséquence, en application de l’article 122 du Code de procédure civile, elles demandent au Tribunal de prononcer l’irrecevabilité de l’action et des demandes formulées par le Ministre de l’Économie à l’encontre de CARREFOUR pour cause de prescription.

2.1.4 L’irrecevabilité de l’action du Ministère public

La société CPF soulève l’irrecevabilité de l’intervention du Ministère public visant à exercer la même action spéciale que celle déjà exercée par le Ministre de l’Économie, sur les mêmes fondements, et de soutenir les mêmes demandes, en raison :

1. d’un cumul contraire aux garanties du procès équitable et au principe de légalité des délits et des peines. S’appuyant sur les textes, la société CPF soutient que le Ministère public et le Ministre de l’Économie représentent tous deux les mêmes intérêts, à savoir ceux de la société, et agissent en défense de l’intérêt général tenant au fonctionnement du marché et de la concurrence. Ils sont donc cotitulaires de la même action publique.

Le groupe CARREFOUR se retrouve donc poursuivi par deux autorités publiques différentes qui défendent pourtant un intérêt commun et qui, sur le même fondement, forment les mêmes demandes.

La société CPF attire l’attention du Tribunal sur les questions procédurales que pose l’intervention du Ministère Public, quant aux garanties au procès équitable, au respect du contradictoire et au respect des droits de la défense.

La société CPF suggère que cette action traduit un ajustement de cause dans un contexte de prescription extinctive de l’action publique manifestement acquise.

2. de l’acquisition de la prescription extinctive

Le Ministre de l’Économie et le Ministère public s’étant vu attribuer la même action d’intérêt général en tant qu’agents du pouvoir exécutif agissant au nom de l’État, il doit être considéré que la prescription acquise à l’égard de l’un empêche l’autre d’agir, s’agissant de la même action frappée de prescription extinctive.

L’action publique prévue par les textes doit nécessairement obéir à un régime unitaire également quant à sa prescription extinctive.

Ainsi, la prescription de l’action du Ministère public en matière de pratiques restrictives de concurrence ne peut être autonome de celle du Ministre de l’Économie, car il s’agit d’une même action publique.

Selon la société CPF, l’action du Ministère public est irrecevable car prescrite, pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment concernant l’action du Ministre de l’Économie.

La société CPF ajoute que, même si la prescription de l’action du Ministère public est appréciée de manière autonome sur le fondement de l’article 2224 du Code civil, elle est également acquise à son égard, la décision SEFAG rendue le 3 mars 2010 ou l’avis n°10-A-26 rendu par l’Autorité de la concurrence le 7 décembre 2010, ou encore la demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde du franchisé FCL DISTRI en date du 7 janvier 2020 ayant été publiés.

2.1.5 L’absence d’intérêt propre de l’AFC

Les sociétés CPF et CSF soutiennent l’irrecevabilité de l’action introduite par l’AFC, qui ne justifie pas d’un intérêt propre et personnel distinct de l’intérêt collectif de ses membres.

Les sociétés CPF et CSF soutiennent que l’AFC échoue à justifier d’une atteinte personnelle, en tant que personne morale, distincte de l’atteinte qui serait causée à l’intérêt collectif de ses membres, et qui justifie de son intérêt propre et personnel à agir.

Les sociétés CPF et CSF commentent abondamment jurisprudence et doctrine pour établir que l’action introduite par l’AFC ne vise pas à défendre un quelconque intérêt collectif des sociétés exploitant un point de vente sous franchise dans le cadre du réseau de proximité du groupe CARREFOUR.

2.1.6 L’absence d’habilitation de l’AFC

Les sociétés CPF et CSF soutiennent que :

L’action de l’AFC introduite aux fins de défendre un intérêt collectif de ses membres est irrecevable, dès lors que les conditions strictes encadrant l’introduction d’une telle action par une association ne disposant pas d’une habilitation légale ne sont pas remplies, que l’action des franchisés CARREFOUR n’est pas en parfaite adéquation avec son objet statutaire,

L'AFC ne justifie pas des membres qui la composent.

Les sociétés CPF et CSF soulèvent l’irrecevabilité des demandes formulées par l’AFC à raison de leur prescription par application de la prescription quinquennale de droit commun prévue à l’article 2224 du Code civil, le délai commençant à courir à compter du jour où les sociétés ont conclu les contrats visés par l’action de l’AFC.

Elles rappellent que l’AFC refuse de produire les contrats et avancent que la plupart ont manifestement plus de 5 ans à la date de l’assignation.

2.1.8 L’autorité de la chose jugée

Les sociétés CPF et CSF soulèvent l’autorité de la chose jugée tenant aux décisions de justice obtenues dans le cadre de contentieux et d’arbitrage opposant le groupe Carrefour à certaines sociétés franchisées et aux protocoles transactionnels conclus entre le groupe Carrefour et certaines sociétés franchisées. L’AFC ne publiant pas la liste de ses membres, il n’est pas possible d’évaluer le risque d’entorse à ce principe, sachant qu’une sentence arbitrale, qui a autorité de la chose jugée entre les parties, peut également être opposable aux tiers. Il en est de même pour les franchisés ayant homologué un protocole transactionnel.

2.1.9 L’autre partie à la négociation commerciale

Les sociétés CPF et CSF soulèvent la confusion entretenue par l’AFC concernant « l’autre partie à la négociation commerciale » au sens des dispositions de l’article L. 442-1 du Code de commerce : s’agissant de la faculté de solliciter la cessation des pratiques, les dispositions applicables aux termes de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce n’accorderaient cette faculté qu’aux seules personnes justifiant d’un intérêt à compter de la mise en œuvre du nouvel article L. 442-4 du Code de commerce.

Ses dispositions seraient ainsi venues préciser que seule la victime des pratiques restrictives de concurrence était également fondée à solliciter la nullité des clauses et la répétition de l’indu.

2.1.10 L’absence de prétentions juridiquement admissibles

Les sociétés CPF et CSF affirment que les demandes formulées par l’AFC ne sont juridiquement pas admissibles au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, ses prétentions ne permettant pas au Tribunal de trancher de manière effective le litige qui lui est soumis puisqu’elles ne revendiquent l’application d’aucun effet juridique.

2.1.11 La procédure abusive

En s’appuyant sur l’article 581 du Code de procédure civile, les sociétés CPF et CSF s’opposent à la demande de l’AFC, qui au titre de la procédure abusive demande une indemnité de 400.000 € aux termes de son assignation.

 

[*]

Dans ses conclusions développées à l’audience, la société CSF demande au Tribunal de :

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme

Vu les articles 47 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Vu l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen,

Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association,

Vu la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) ; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie,

Vu l’article 4 du Code de procédure civile,

Vu les articles 11, 15, 16, 30, 31 et 32 du Code de procédure civile,

Vu les articles 132 et 133 du Code de procédure civile,

Vu les articles 9, 32-1, 74, 100, 101, 117, 119, 122, 416, 581 du Code de procédure civile

Vu l’article 480 du Code de procédure civile,

Vu les articles 422, 425, 1443, 1448, 1460 et 1484 du Code de procédure civile,

Vu l’article L.110-4 du Code de commerce,

Vu les articles L. 442-5, L. 442-6 anciens du Code commerce,

Vu les articles L. 442-1 et L. 442-4 nouveaux du Code de commerce,

Vu les articles L. 462-4, L. 490-8, R. 463-11, R. 464-27, D. 464-8-1, L. 470-7-1 et R. 464-8 du Code de commerce,

Vu l’article 10 du Code civil,

Vu les articles 1164, 1171, 1200, 1355, 1199 du Code civil,

Vu les articles 2044, 2052 et 2061, 2219, 2224 du Code civil,

Vu l’assignation de l’AFC,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

In limine litis,

JUGER que l’assignation de l’AFC est nulle,

JUGER que le Tribunal de commerce de Rennes est incompétent pour trancher les demandes portées par l’AFC à l’encontre de la société CSF au profit des tribunaux arbitraux compétents aux termes des clauses compromissoires des contrats de franchise de ses membres ;

A titre subsidiaire,

JUGER que l’action introduite par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR est irrecevable pour défaut de qualité à agir ;

JUGER que les demandes formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR sur le fondement des articles L. 442-6 ancien, L. 442-1 nouveau et L. 442-5 ancien du Code de commerce et l’article 1164 du Code civil sont prescrites pour les contrats de franchise qui seraient antérieurs au 26 décembre 2018 et sont irrecevables ;

JUGER que les demandes formulées par l’AFC dans l’intérêt de sociétés pour le compte desquels des actions en justice engagées avec la société CSF ont donné lieu à des décisions de justice seraient manifestement irrecevables à raison de l’autorité de la chose jugée attachée à ces décisions de justice ;

JUGER que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de sociétés auxquelles peuvent être opposées l’autorité de la chose jugée attachée à des sentences arbitrales rendues dans le cadre d’instances arbitrales ayant opposé ces dernières à la société CSF, sont irrecevables ;

JUGER que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de de sociétés qui ont conclus des protocoles transactionnels avec la société CSF auxquels sont attachées l’autorité de la chose jugée attachée, sont irrecevables ;

JUGER que les demandes formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR visant à ce qu’il soit jugé que la société CSF constitue « l’autre partie à la négociation commerciale » au sens de l’article L. 442-1 du Code de commerce sont irrecevables pour défaut de qualité à se défendre de la société CSF ;

JUGER que les demandes formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, la cessation de pratiques qui seraient mises en œuvre par de la société CSF, sont irrecevables ;

JUGER que les demandes formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR visées au 4.1. qui ne constituent pas des prétentions juridiquement et légalement admissibles sont irrecevables ;

A défaut, inviter la société CSF à conclure au fond ;

En tout état de cause,

JUGER que les pièces n°439, 440 et 441 versées aux débats par le Ministre de l’Economie sont dénuées de toute force probante ;

FAIRE INJONCTION au Ministre de l’Economie de produire l’entier dossier de l’enquête menée auprès des franchisés du groupe Carrefour entre 2015 et 2016, et notamment :

* Les pièces ayant justifié l’ouverture de cette enquête ;

* L’intégralité des questionnaires adressés aux franchisés du groupe Carrefour ;

* L’intégralité des réponses des franchisés du groupe Carrefour ;

* L’intégralité des procès-verbaux de déclarations de l’ensemble des franchisés du groupe Carrefour interrogés par ses services au cours de cette enquête.

PRONONCER l’irrecevabilité de l’action et des demandes du Ministre de l’Economie pour cause de prescription.

DEBOUTER l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

DEBOUTER le Ministre de l’Économie de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

CONDAMNER l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR au paiement de 100.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à la société CSF.

CONDAMNER le Ministre de l’Économie au paiement de 30.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à la société CSF.

CONDAMNER l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR et le Ministre de l’Économie aux entiers dépens.

La société CPF formule les mêmes demandes dans son dispositif et ajoute :

PRONONCER l’irrecevabilité de l’action du Ministère public.

[*]

Les sociétés PROFIDIS et SELIMA font valoir leurs moyens et arguments dans leurs « CONCLUSIONS EN DÉFENSE N°5 PORTANT UNIQUEMENT SUR LES ASPECTS PROCÉDURAUX », communiquées le 20 février 2025, auxquelles il convient de se reporter.

Elles demandent au Tribunal statuant dans un premier temps sur les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir de :

Vu les articles 11, 15, 16, 31, 54, 114, 122, 422 et 1448 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1171, 1355, 1833, 1844-10 et 2224 du Code civil,

Vu l’article L. 442-6 ancien du Code de commerce,

Vu les articles L. 442-1 et L. 442-4 du Code de commerce,

1. Concernant les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour :

Sur les exceptions de procédure :

In limine litis :

PRONONCER LA NULLITE de l’assignation délivrée par l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à SELIMA et PROFIDIS le 26 décembre 2023 ;

SE DECLARER INCOMPETENT pour statuer sur les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’égard de SELIMA et PROFIDIS au profit des tribunaux arbitraux compétents et renvoyer l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à mieux se pourvoir ;

Sur les fins de non-recevoir :

À titre principal :

JUGER que les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS ne sont pas comprises dans son objet social ;

JUGER que l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour ne vise en tout état de cause pas à défendre l’intérêt collectif de ses membres mais uniquement leurs intérêts individuels ;

DECLARER IRRECEVABLE l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS pour absence d’intérêt et de qualité à agir ;

A titre subsidiaire :

JUGER que l’objectif des membres de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour, au travers de la présente action, a été de pallier les carences de leur action en justice manifestement irrecevable car prescrites ou en raison de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions judiciaires, sentences arbitrales et protocoles transactionnels dans le cadre de litiges antérieurs les opposant à SELIMA et/ou PROFIDIS ;

JUGER que l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour vise à échapper à l’application d’une règle d’ordre public de procédure civile ;

DECLARER IRRECEVABLE l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS ;

A titre infiniment subsidiaire :

DECLARER IRRECEVABLES les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS visant à voir jugées non-écrites certaines clauses des statuts des sociétés communes franchisées dès lors qu’elles sont prescrites ;

DECLARER IRRECEVABLES les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour fondées sur l’article 1171 du Code civil ;

DECLARER IRRECEVABLES les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 ancien du Code de commerce, la cessation de pratiques résultant de clauses de statuts et pactes d’associés conclus avant le 26 avril 2019 ;

2. Concernant les demandes du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique :

Avant dire droit :

ORDONNER au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de produire (i) la totalité des échanges intervenus entre les franchisés du groupe Carrefour (ou leurs représentants) et le Pôle C de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (« DREETS ») de Normandie et (ii) l’intégralité du dossier d’enquête du Pôle C de la DREETS de Normandie, en lien avec l’enquête sur les relations entre le groupe Carrefour et ses franchisés diligentée en 2019 ;

ORDONNER au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de produire (i) l’intégralité des pièces ayant justifié l’ouverture de l’enquête menée en 2015 et en 2016 par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (devenues « DREETS ») et qui avait pour objet d’analyser les relations contractuelles au sein de diverses enseignes de distribution entre les franchisés et les franchiseurs au regard des règles de concurrence posées par le Code de commerce, (ii) l’intégralité des questionnaires adressés aux franchisés du groupe Carrefour, et (iii) l’intégralité des procès-verbaux de déclarations de l’ensemble des franchisés du groupe Carrefour interrogés par les services des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (devenues « DREETS ») sur cette période et plus généralement l’entier dossier d’enquête ;

En tout état de cause :

JUGER que les demandes du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique à l’égard de SELIMA et PROFIDIS sont prescrites ;

JUGER que le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n’a pas qualité à se prévaloir des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 du Code de commerce ;

En conséquence :

DECLARER IRRECEVABLE l’action du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS ;

3. Concernant les demandes du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes :

A titre principal :

JUGER que le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes n’a pas qualité à agir pour solliciter les mêmes demandes que celles précédemment présentées par le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique ;

JUGER que la prescription de l’intervention du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique empêche le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes de soutenir les mêmes demandes que celles du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique ;

A titre subsidiaire :

JUGER que les demandes du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes à l’égard de SELIMA et PROFIDIS sont prescrites ;

A titre infiniment subsidiaire :

JUGER que le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes n’a pas qualité à se prévaloir des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 du Code de commerce ;

En conséquence :

DECLARER IRRECEVABLE l’intervention du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS ;

4. En tout état de cause :

DEBOUTER l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour, le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour et le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique à verser chacun 50.000 euros aux sociétés SELIMA et PROFIDIS au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Le cas échéant, préalablement à tout jugement au fond, inviter les parties à conclure au fond.

[*]

2.3 Pour l’association des franchisés CARREFOUR (l’AFC), en défense aux exceptions de procédure et fins de non-recevoir

L’AFC fait valoir ses moyens et arguments dans ses « CONCLUSIONS RESPONSIVES ET RECAPITULATIVES A L’INCIDENT », signées et datées du 24 février 2025, auxquelles il convient de se reporter.

L’AFC rappelle qu’une mise en demeure a été adressée le 27 mars 2023 aux sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS de proposer et mettre en œuvre des solutions concrètes répondant aux attentes des franchisés ; qu’à la suite, le groupe CARREFOUR a sollicité la mise en œuvre d’une procédure de médiation ad ’hoc que l’association a accepté, mais que les parties n’ayant pas été en mesure de trouver un accord, la médiation a pris fin en date du 23 décembre 2023.

2.3.1 Sur la nullité de l’assignation de l’association

L’AFC soutient qu’elle détient la capacité à agir en justice et que son Président était bien autorisé à introduire une action devant le Tribunal de céans.

2.3.1.1 Sur la capacité à agir de l’association

L’AFC revient sur les règles de droit, la doctrine et la jurisprudence relatives au fonctionnement des associations, et rappelle que la constitution de l’Association des franchisés du groupe CARREFOUR a été régulièrement déclarée auprès de la préfecture du Calvados le 12 février 2020, puis a fait l’objet d’une publication au Journal officiel le 15 février 2020, et qu’un peu plus d’une année après sa constitution, l’association a procédé à la modification de ses organes dirigeants, ainsi que de l’adresse de son siège social, que ces modifications ont fait l’objet d’une déclaration auprès de la sous- préfecture de [Localité 9] en date du 09 juillet 2021.

Enfin, l’association a procédé à la modification de son objet statutaire en 2023 qui a également fait l’objet d’une publication auprès de la sous-préfecture de [Localité 9] en date du 4 octobre 2023, puis d’une publication au Journal Officiel, le 10 octobre suivant.

Son objet prévoit précisément qu’elle peut agir en justice.

Elle produit des éléments destinés à démontrer que sa situation administrative et juridique est parfaitement régulière et qu’elle a parfaitement capacité à agir.

2.3.1.2 Sur le pouvoir du représentant légal de l’association

Elle soutient que ses statuts, en date du 26 juillet 2023, prévoient la possibilité pour le Président de l’association, d’ester en justice au nom de l’AFC comme demandeur suivant des modalités particulières :

« Le Président est chargé d’exécuter les décisions du Bureau et d’assurer le bon fonctionnement de l’association.

Par ailleurs, l’article 10.6 des statuts prévoit les modalités de prise de décisions par le Conseil d’Administration par un vote de plus de 50% des membres dudit Conseil et que les décisions du Conseil d’administration sont matérialisées par l’édition d’un procès- verbal.

En l’espèce, la décision du Conseil d’administration de l’association du 22 juin 2021 qui donne capacité au Président d’agir en justice au nom de l’association est produite.

La demande de communication de la liste des administrateurs de l’AFC n’est pas justifiée d’un point de vue juridique, et refusée par l’AFC dont les membres souhaitent conserver l’anonymat par crainte de représailles.

2.3.2 Sur la compétence du Tribunal de commerce de Rennes

L’AFC revient sur la clause compromissoire invoquée par le groupe CARREFOUR, cite la jurisprudence et la doctrine, et soutient que la clause compromissoire contenue dans un contrat ne peut être opposée aux organes de la procédure, dès lors qu’elle exerce une action dans l'intérêt collectif des créanciers.

L’AFC rappelle qu’elle n’est pas partie aux contrats, dont les clauses compromissoires lui sont inopposables, d’autant que dans le cadre de cette procédure, l’AFC n’agit pas en qualité de mandataire de ses membres, mais dans leur intérêt collectif et dispose donc d’une action propre.

2.3.3 Sur les vices portant atteinte aux droits de la défense et sur la recevabilité des demandes de l’AFC

L’AFC soutient que son assignation remplit l’ensemble des exigences textuelles applicables aux assignations, notamment qu’elle fait mention des parties au litige, demandeur et défendeur, SELIMA et PROFIDIS sont donc parfaitement en mesure d’exercer leur droit à la défense.

Pour justifier de son droit à agir, l’AFC soutient agir au nom d’intérêts collectifs qui entrent dans son objet statutaire ainsi qu’en défense de son intérêt propre, que ses prétentions sont justifiées au travers de moyens exhaustifs, fondés en droit et en fait, et que le dispositif est conforme aux recommandations de la Cour de cassation.

L’AFC soutient que la validité et la recevabilité de son assignation ne sont pas discutables.

2.3.4 Sur son intérêt à agir :

L’AFC soutient, jurisprudence et doctrine à l’appui, qu’elle dispose d’un intérêt à agir dans le cadre de la présente instance. Elle allègue que les sociétés du groupe CARREFOUR mènent une entreprise de complexification et d’éparpillement des débats, constitutive de manœuvres dilatoires.

Sur l’intérêt à agir dans l’intérêt collectif, l’AFC soutient qu’il est désormais de principe qu’une association peut agir en défense d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet statutaire ; une association est particulièrement bien fondée à agir seule en réparation du préjudice collectif de ses membres, préjudice qui lui est propre puisqu’il intègre son objet statutaire.

Elle soutient que les défenderesses ont volontairement opéré une confusion entre intérêt collectif et intérêt général.

Les prétentions de la société CPF quant à une absence de démonstration d’un intérêt collectif et l’existence d’intérêts « divergents » entre les membres de l’AFC sont inopérantes, dans la mesure où l’intérêt collectif dépasse les intérêts individuels que peuvent avoir les membres.

Concernant les « ex-franchisés » du réseau CARREFOUR, l’AFC rappelle que la société SELIMA demeure au capital des sociétés franchisées malgré la résiliation des contrats de franchise et la dépose de l’enseigne.

Concernant la situation particulière des locataires-gérants : celle-ci est commune à tous les membres ayant signé des contrats de location-gérance ; il en va de même pour les franchisés investisseurs, l’ensemble des griefs soulevés par l’association étant communs à l’ensemble de ses membres.

L’AFC soutient que CARREFOUR ne peut légitimement remettre en cause sa qualité et son intérêt à agir après près de deux années d’échanges amiables, alors même que cette dernière agit en qualité de négociateur dans l’intérêt collectif de ses membres.

Concernant les sociétés SELIMA et PROFIDIS, qui soutiennent que « les demandes de l’AFC à leur encontre n’entrent pas dans son objet social », l’AFC rappelle que ces dernières sont des entités du groupe CARREFOUR qui prennent des participations au sein des sociétés franchisées, dans le but de détenir une minorité de blocage concernant les décisions importantes de la vie de la société, que cette relation d’associés fait partie intégrante du montage de franchise participative mis en place par le groupe CARREFOUR, dont le fond est vivement dénoncé par l’AFC.

Concernant la révélation de l’identité de ses membres, l’AFC soutient qu’aucun texte ne conditionne la production d’une telle liste à la recevabilité de l’action de l’association, et que tous les membres de l’association sont concernés par l’affaire portée devant le Tribunal de commerce de Rennes et par les griefs communs soulevés, qui constituent la raison même de la constitution de l’association, l’AFC n’individualise aucunement la situation personnelle de ses membres, seuls la collectivité et l’intérêt collectif étant évoqués, d’autant plus qu’il serait illusoire que l’ensemble des franchisés membres de l’association puissent avoir des situations parfaitement similaires.

Quant à la question de savoir si, par leur portée, les demandes formées excèdent l’objet social, l’AFC rappelle que ses demandes n’ont aucunement pour conséquence de conduire à l’anéantissement de l’ensemble des contrats de franchise, mais visent à rééquilibrer les relations commerciales des franchisés et à leur permettre de retrouver une liberté d’exploitation.

Sur l’intérêt individuel à agir de l’AFC, l’association soutient, textes, jurisprudence et doctrine à l’appui, que son préjudice est, conformément aux exigences textuelles, né et actuel, personnel et direct, légitime et juridique.

2.3.5 Sur le contournement des règles d’ordre public

L’AFC rappelle que la recevabilité de son action doit être appréciée au regard de l’association et non des situations particulières de ses membres ou de leurs actions individuelles ; que son action est parfaitement légitime, tout comme l’intérêt collectif au titre duquel elle agit.

2.3.6 Sur la prescription de l’action intentée par l’association

L’AFC rappelle les textes applicables, la jurisprudence et la doctrine.

Elle soutient qu’elle a été créée en janvier 2020, et a procédé à sa déclaration auprès de la préfecture en date du 15 février 2020, qu’elle n’était pas en mesure de connaître, avant cette date, des griefs allégués dans le cadre de la présente procédure, fondés sur les intérêts collectifs de ses membres, en lien avec son objet social, et ne visant pas des droits individuels de ses membres.

2.3.7 Sur l’autorité de la chose jugée

L’AFC rappelle que l’autorité de chose jugée repose sur trois critères cumulatifs : identité de parties, identité d’objet et identité de cause.

Concernant l’identité des parties, l’AFC soutient que les parties sont différentes des franchisés cités par le groupe CARREFOUR, et qu’elles n’agissent nullement en la même qualité, que l’AFC est seule partie défenderesse à la présente instance et demanderesse au fond, et que les franchisés n’étaient pas intervenus volontairement à l’instance.

Concernant l’identité d’objet et de cause, l’AFC rappelle que CARREFOUR soulève l’autorité de la chose jugée en évoquant des procédures arbitrales soumises à la confidentialité.

2.3.8 Sur la recevabilité des fondements juridiques

Concernant la possibilité pour l’AFC de demander la cessation des pratiques, l’AFC soutient que la raison d’être de l’article L. 442-6 du Code de commerce prévoyait, dès son introduction la possibilité pour toute personne justifiant d’un intérêt à agir, de demander la cessation des pratiques. Concernant les contrats conclus avant le 25 avril 2019, les demandes de la concluante sur ce point sont parfaitement recevables.

Concernant le caractère non-juridiquement admissible des demandes de l’AFC, cette irrecevabilité n’est pas prévue par le texte et n’a jamais été tranchée par la jurisprudence.

L’AFC soutient que les demandes de l’association sont toutes juridiquement fondées et qu’il existe un effet juridique attaché à chacune d’entre elle.

2.3.9 Sur la recevabilité de l’intervention volontaire du Ministre

L’AFC soutient que si les services du ministre de l’Économie ont eu connaissance des contrats à partir de 2015, ce n’est qu’à partir de 2021 que le ministre de l’Économie a pu bénéficier d’indices probants lui permettant d’exercer la présente action.

Par ailleurs, la majorité des contrats sont toujours en cours d’exécution et de nouveaux contrats sont conclus avec de nouveaux franchisés.

En conséquence, le point de départ de la prescription recommence à courir pour chaque nouveau contrat conclu lequel caractérise une nouvelle infraction de CARREFOUR. Elle soutient également que les clauses de non-concurrence prévues aux différents contrats constituent des clauses illicites, qui ne se sont révélées que de manière tardive, dans le cadre de la résiliation des contrats.

2.3.10 Sur la recevabilité des demandes du Ministère public

L’AFC soutient que l’action du Ministère public est autonome et complémentaire à celle du Ministre de l’Économie de sorte qu’elle ne peut être écartée ni au titre de la prescription acquisitive, ni au titre du prétendu caractère alternatif de l’action du Ministère public et du Ministre de l’Économie.

A la lecture des dispositions légales et de la position de la jurisprudence et de la doctrine, l’action du Ministère public est d’une part, distincte de l’action du ministre de l’Économie, et d’autre part elles se complètent parfaitement puisqu’il s’agit de deux intervenants volontaires distincts défendant pour le premier l’ordre public général et pour le second l’ordre public économique.

2.3.11 Sur la prescription des demandes du Ministère public

L’AFC soutient que c’est seulement par la lecture de l’assignation du 26 décembre 2023 que le Ministère public a eu connaissance des faits, que les conditions de la prescription doivent s’apprécier de manière indépendante, que le point de départ de la prescription débutera au jour de l’enrôlement de l’assignation de l’AFC devant le Tribunal de commerce de Rennes, soit le 26 décembre 2023.

2.3.12 Sur la procédure abusive

L’AFC demande réparation du préjudice subi au titre de la présente procédure engagée par les sociétés SELIMA, PROFIDIS, CPF et CSF qu’elle considère abusive.

Dans ses dernières conclusions, l’AFC demande au Tribunal de :

Vu les articles 30, 31, 32-1, 54,117, 121, 455, 480, 648, 855 et 1448 du Code de procédure civile,

Vu les articles L.110-4, L. 442-6 (ancien), L. 442-1, L. 442-5 (nouveau) du Code du commerce,

Vu les articles 1164, 1999, 2224, 1355,1180, 2061, 2224 du Code civil

Vu la jurisprudence et la doctrine versées aux débats,

Vu les pièces versées aux débats,

I. IN LIMINE LITIS : SUR LES DEMANDES DE NULLITÉ ET D’INCOMPÉTENCE DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE CEANS

1. Concernant la capacité à agir de l’association

JUGER que seule la publication au Journal Officiel octroie capacité juridique à l’association qui peut dès lors ester en justice ;

JUGER que l’opposabilité aux fiers de l’association valablement formée résulte de cette seule publication ;

JUGER qu’aucune autre condition n’est nécessaire pour justifier de la capacité à agir de l’Association ;

JUGER que la création de l’AFC a bien été déclarée à la préfecture ;

JUGER que la modification du président a bien été déclarée à la préfecture et est dès lors opposable aux fiers ;

JUGER que les modifications statutaires et les modifications survenues dans son administration au cours de sa vie associative ont également été déclarées ;

JUGER que seul le respect des stipulations statutaires permet de donner pouvoir au président pour agir au nom de l’association ;

JUGER que l’Autorisation du Conseil d’administration statutairement imposée a bien été donnée au président de l’AFC en date des 21 juin 2021 et 19 juillet 2023.

En conséquence

JUGER que l’AFC qui a rempli l’ensemble de ses obligations déclaratives dispose bien de la capacité à agir ;

JUGER que le Président a régulièrement été autorisé par le Conseil d’administration conformément aux stipulations statutaires afin d’ester en justice devant le Tribunal de commerce de Rennes et dispose en conséquence du pouvoir pour agir ;

DÉBOUTER les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ, France, CSF, SELIMA et PROFIDIS de leur demande de nullité.

2. Concernant la compétence du Tribunal de commerce

JUGER que l’effet relatif des contrats suppose l’inopposabilité d’une clause compromissoire à une personne qui ne l’a pas acceptée ;

JUGER que l’AFC n’est liée par aucun contrat au Groupe CARREFOUR ;

JUGER qu’une association qui agit dans l’intérêt collectif de ses membres ne peut se voir opposer les clauses compromissoires auxquels sont soumis ses adhérents ;

JUGER que l’AFC n’agit pas en représentation de ses membres ;

En conséquence

JUGER que les clauses compromissoires sont inopposables à l’AFC ;

JUGER que le principe « compétence-compétence » est inapplicable en l’espèce ;

JUGER que le Tribunal de commerce de Rennes sera dès lors compétent.

3. Concernant l’absence de vices portant atteinte aux droits de la défense de l’AFC

JUGER que l’AFC étant la seule partie à la présente instance, la communication de la liste de ses membres ne constitue pas une cause de nullité de l’assignation ;

JUGER que les demandes de l’AFC sont parfaitement claires et permettent manifestement d’identifier l’objet du litige ;

En conséquence :

JUGER qu’il n’est nullement porté atteinte aux droits de la défense des sociétés CARREFOUR PROXIMITE France, CSF, SELIMA et PROFIDIS ;

JUGER de la parfaite validité de l’assignation déposée par l’AFC et annexée aux présentes écritures ;

JUGER de la recevabilité des demandes de l’AFC.

II. SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES DE L’ASSOCIATION

1. Sur l’intérêt à agir de l’AFC

JUGER qu’en dehors de toute habilitation législative, une association peut agir en défense d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social ;

JUGER qu’il s’agit donc de l’unique condition à la recevabilité de l’action ;

JUGER que l’action introduite par l’AFC s’inscrit pleinement dans son objet statutaire et est utile à sa réalisation ;

JUGER qu’en organisant des réunions informelles ainsi qu’une procédure de médiation l’AFC a reconnu l’existence de l’intérêt collectif de ses membres ;

JUGER que les pratiques des sociétés CARREFOUR PROXIMITE France, CSF, SELIMA et PROFIDIS portent directement atteinte à l’AFC ;

En conséquence :

JUGER que l’AFC dispose bien d’un intérêt à agir en défense des intérêts collectifs de ses membres ;

JUGER que l’AFC dispose d’un intérêt à agir direct et personnel ;

JUGER recevable l’action de l’AFC.

JUGER que l’action de l’AFC est légitime et fondée et ne vise pas à contourner des règles d’ordre public ;

En conséquence :

JUGER recevable l’action de l’AFC ;

3. Concernant l’absence de prescription acquisitive

JUGER que l’AFC a été créée en janvier 2020, une telle création lui ayant conféré la personnalité juridique ;

JUGER que l’AFC ne pouvait connaitre des faits litigieux qu’après sa création ;

JUGER que les demandes de réputées non écrites sont imprescriptibles.

En conséquence :

JUGER que l’ensemble des demandes de l’AFC notamment relatives aux contrats antérieurs au 26 décembre 2018 ne se heurtent pas à la prescription acquisitive.

JUGER que l’intervention volontaire du Ministre ne se heurte pas à la prescription acquisitive

JUGER que les demandes du Ministère Public ne se heurtent pas à la prescription acquisitive

JUGER recevables les demandes de l’AFC.

4. Concernant l’absence d’autorité de la chose jugée

JUGER que l’irrecevabilité de la chose jugée suppose une identité de parties ainsi qu’une identité d’objet et de cause du litige ;

JUGER que l’AFC est seule partie demanderesse à l’instance au fond et défenderesse à la présente procédure ;

JUGER que le critère d’identité des parties n’est pas rempli ;

JUGER que les demanderesses à la présente procédure ne produisent pas les sentences arbitrales citées de sorte que leur objet n’est pas connu ;

JUGER que les demanderesses à la présente procédure ne produisent pas les sentences arbitrales de sorte que la cause des procédures arbitrales avancées dans le cadre des demandes des sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, SELIMA et PROFIDIS n’est pas connue ;

En conséquence :

JUGER que les critères de l’irrecevabilité tirée de l’autorité de la chose jugée ne sont pas remplis ;

JUGER que les demandes de l’AFC ne se heurtent pas à l’autorité de la chose jugée et sont dès lors recevables.

5. Concernant la recevabilité des fondements juridiques soulevés par l’AFC

JUGER que l’article L. 442-4 (nouveau) du Code de commerce précise les dispositions de l’article L. 442-6 (ancien du Code de commerce) ;

JUGER qu’aucun texte ne justifie l’irrecevabilité des demandes pour leur caractère « nonjuridiquement admissible » ;

JUGER que les demandes de l’AFC sont parfaitement fondées.

En conséquence

JUGER que l’AFC est juridiquement fondée à solliciter la cessation des pratiques ;

JUGER que les demandes de l’AFC sont fondées et qu’il existe un effet juridique attaché à l’ensemble de ses demandes ;

JUGER recevables les demandes de l’AFC à ce titre.

III. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

JUGER recevable et régulière l’assignation portée par l’AFC devant le Tribunal de commerce de céans ;

JUGER recevables et régulières les demandes du Ministère Public et du ministre de l’Économie ;

DÉBOUTER les sociétés CARREFOUR PROXIMITE France, CSF, SELIMA et PROFIDIS de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, SELIMA et PROFIDIS à la somme de 150000 euros chacune (soit 600.000 Euros) pour procédure abusive ;

CONDAMNER les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, SELIMA et PROFIDIS à la somme de 50.000 euros chacune, soit 200.000 Euros, au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civil ;

CONDAMNER les sociétés CARREFOUR PROXIMITÉ France, CSF, SELIMA et PROFIDIS aux entiers dépens ;

ENJOINDRE les parties CSF, CARREFOUR PROXIMITE France, SELIMA et PROFIDIS à conclure au fond.

2.4 Pour le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en réponse aux fins de non-recevoir soulevées.

Monsieur le Ministre fait valoir ses moyens et arguments dans ses « CONCLUSIONS EN RÉPONSE DU MINISTRE N°2 », signées et datées du 24 janvier 2025, auxquelles il convient de se reporter.

2.4.1 Sur sa qualité à agir à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS :

Il soutient qu’il a qualité pour agir à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS en raison de leur qualité de partenaires commerciaux et de l’analyse globale de la relation commerciale ; qu’il ressort de l’analyse des statuts et des pactes d’associés que ces contrats ont bien un effet sur le marché, et que la finalité de son action est la protection du bon fonctionnement du marché.

Il soutient que les sociétés SELIMA et PROFIDIS ont fourni les moyens et assuré l’exécution des contrats comportant des clauses manifestement déséquilibrées, et ont donc concouru aux dommages causés à leurs partenaires commerciaux par d’autres sociétés du Groupe CARREFOUR (CARREFOUR PROXIMITE France et C.S.F. en l’occurrence) en raison de leurs pratiques restrictives de concurrence.

Le caractère indivisible des contrats en cause fondé sur leur finalité commune (l’exploitation, en franchise, d’un point de vente sous l’enseigne CARREFOUR), commande d’apprécier le déséquilibre significatif auquel est soumis le franchisé en prenant en considération l’ensemble de ces contrats.

Le Ministre soutient que la décision de l’Autorité de la concurrence du 3 mai 2010 et l’avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 ainsi que l’enquête menée en 2015 et 2016 par les services de la DGCCRF ne peuvent constituer le point de départ du délai de prescription de l’action du Ministre car :

1. Son intervention du 14 juin 2024 ne repose pas sur les mêmes faits et sur les mêmes fondements juridiques, les faits portés à la connaissance du Ministre n’étant pas constitutifs d’un déséquilibre significatif.

Il distingue la simple connaissance des faits, insuffisante pour déclencher l’action du Ministre en 2007, 2010 et 2015-2016, de la connaissance de faits constituant une pratique restrictive de concurrence c’est-à-dire caractérisée par la réunion des différents éléments constitutifs du déséquilibre significatif.

A ces occasions, les preuves de la soumission des franchisés aux clauses et pratiques mises en œuvre par le groupe CARREFOUR étaient insuffisantes et les conditions de la mise en œuvre de l’action du Ministre n’étaient pas remplies.

Il remet en cause l’interprétation de la jurisprudence faite par le groupe CARREFOUR.

2. Le Groupe CARREFOUR a modifié à plusieurs reprises les contrats qui lient ses entités aux franchisés depuis 2010. Or ces nouveaux contrats sont nés de nouvelles pratiques réprimées par de nouveaux textes.

C’est en 2019, qu’il a constaté que des pratiques restrictives de concurrence étaient désormais pleinement caractérisées et que leurs effets sur l’ordre public économique justifiaient son intervention, chaque nouveau(x) contrat de franchise, contrat d’approvisionnement, pacte d’associés et statuts signés avec un franchisé créant un déséquilibre en soi, et c’est l’ensemble des pratiques en découlant qui constitue un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6, devenu L. 442-1 du Code de commerce, et justifierait l’action du Ministre sans pour autant rendre son action imprescriptible.

3. Les services du Ministre ont réceptionné de nombreuses plaintes de franchisés à compter du 11 juillet 2019. Ce sont l’ensemble des éléments recueillis à compter du 11 juillet 2019, à savoir tout d’abord les plaintes provenant de 64 franchisés qui ont permis au Ministre de connaître les faits caractérisant la pratique restrictive faisant l’objet de son intervention en date du 14 juin 2024.

Le Ministre soutient que son rôle de gardien de l’ordre public économique ne doit pas être occulté dans l’appréciation de la « connaissance des faits ».

La connaissance des faits par le Ministre doit être appréciée au regard de son rôle particulier devant les juridictions civiles et du caractère dérogatoire et spécifique de l’action du Ministre, qui, en vertu de son rôle d’autorité se distingue de l’action des parties privées en ce qu’elle tend à un objectif spécifique de protection de l’ordre public économique. Il revient sur la doctrine et la jurisprudence.

Il en conclut qu’il exerce devant les juridictions civiles un rôle comparable à celui exercé par le ministère public. Ainsi son intervention devant les juridictions civiles est dérogatoire au droit commun, car justifiée par une atteinte à l’ordre public économique.

Le Ministre soutient que le contexte économique entourant la franchise a évolué, le nombre de magasins de proximité sous franchise avec le groupe CARREFOUR en FRANCE passant de 3342 en 2012 à 4 315 magasins en 2023, le groupe faisant du développement de la franchise un axe de croissance important.

Dans ses conclusions développées à l’audience, il demande au Tribunal de :

Vu l'article L. 442-6 devenu L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce Vu les articles L. 490-8, R. 490-1 et R. 490-2 du code de commerce

1. Concernant les demandes communes des sociétés CPF, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS :

Constater que l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n’est pas prescrite au regard de l’article 2224 du code civil et que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au plus tôt à la date de réception des plaintes des franchisés par ses services, soit le 11 juillet 2019 ;

2. Concernant la demande formée par les sociétés SELIMA et PROFIDIS :

Constater la recevabilité de la demande de nullité des clauses des contrats de société formée par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sur le fondement de l’article L. 442-6 devenu L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce ;

En conséquence :

Dire et juger que l’intervention du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n’est pas couverte par la prescription en vertu de l’article 2224 du code civil ;

Dire et juger recevable l’intervention du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS en vertu de l’article L. 442-6 devenu L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce ;

En tout état de cause :

Débouter les sociétés CPF, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS de l’ensemble de leurs demandes ;

Condamner in solidum les sociétés CPF, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS à verser au Ministre la somme de 50.000 euros ;

Condamner les sociétés CPF, C.S.F., SELIMA et PROFIDIS aux entiers dépens.

Par mail au greffe du Tribunal de commerce de Rennes en date du 12 février 2025, demandant sa diffusion à toutes les parties au procès, Monsieur Matthieu-Jean THOMAS, procureur de la République adjoint près le Tribunal judiciaire de Rennes, informait les parties et juges de ce tribunal de l’intention du parquet de Rennes de soutenir devant la juridiction saisie de la dite affaire les mêmes demandes que celles déjà formulées par M. le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique dans ses conclusions en intervention n°1 du 14 juin 2024.

A l’audience du 27 février 2025, le Ministère public a développé oralement ses prétentions et moyens en réponse aux fins de non-recevoir soulevées par les sociétés SELIMA et PROFIDIS.

Il a notamment précisé que ses demandes n’ajoutent rien aux demandes du ministre de l’Économie.

Il demande au Tribunal de faire droit aux demandes du ministre de l’Économie et des finances.

Il affirme disposer d’un droit à agir autonome en vertu de l’article L. 442-4 du Code de commerce (anciennement L. 442-6). En effet, chargé de protéger les intérêts de la société et non ceux de l’État, il considère pouvoir agir indépendamment de l’action du ministre de l’Économie. Il précise, qu’en tant que défenseur de l’ordre public général, il peut agir quelle que soit la matière.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

3. DISCUSSION :

3.1 Sur les exceptions de procédure soulevées :

L’article 117 du Code de procédure civile dispose que :

« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte : Le défaut de capacité d'ester en justice ;

Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. »

3.1.1 Sur la nullité de l’assignation de l’AFC

3.1.1.1 Pour défaut de capacité à agir (soulevée par CSF et CPF)

En droit

La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, prise en ses dispositions conjuguées des articles 2, 5 et 6, encadre la personnalité juridique des associations.

L’article 2 de la loi du 1er juillet 1901 dispose :

« Les associations de personnes pourront se former librement, sans autorisation ni déclaration préalable, mais ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 5. »

Dans le prolongement, l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit :

« Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l'article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs

La déclaration préalable en sera faite au représentant de l'État dans le département où l'association aura son siège social. Elle fera connaitre le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration. Un exemplaire des statuts est joint à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans le délai de cinq jours.

Lorsque l'association aura son siège social à l'étranger, la déclaration préalable prévue à l'alinéa précédent sera faite au représentant de l'État dans le département où est situé le siège de son principal établissement.

L'association n'est rendue publique que par une insertion au Journal officiel, sur production de ce récépissé.

Les associations sont tenues de faire connaitre, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts.

Ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du jour où ils auront été déclarés. ».

C’est donc l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 qui soumet la capacité juridique de l’association à des modalités d’extériorisation, et donc d’opposabilité.

o Concernant la constitution d’une association, c’est la publication au Journal Officiel qui permet de justifier de l’existence et de la capacité juridique de l’association ; offrant par la même occasion l’opposabilité aux tiers.

La Cour d’appel de Paris (8 décembre 2022 RG n°22/01920) a déterminé que la preuve de l’insertion au Journal Officiel de la création de l’association démontre l’existence de sa déclaration à la Préfecture et ne nécessite pas de document supplémentaire pour justifier de sa capacité juridique.

o Dès lors, l’association régulièrement déclarée peut ester en justice, sans qu’aucune autorisation préalable ne soit nécessaire.

Concernant la capacité à ester en justice, l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 dispose :

« Toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice […] ».

La Cour d’Appel de Versailles (13 ème chambre 14 février 2023 RG n°21/00483) l’a rappelé en ces termes :

« dès lors que la cour considère que l’association agit dans le cadre d’une action collective conforme à son objet social, il n’y a pas lieu d’exiger la production d’un mandat spécifique pour l’exercice et la poursuite de la présente procédure, étant observé que l’association déclarée à la sous-préfecture des Andelys, bénéficie du droit d’agir en justice au regard de l’article 6 de la loi de 1901 qui dispose que toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune déclaration préalable, ester en justice. »

En l’espèce, la constitution de l’AFC a été régulièrement déclarée auprès de la préfecture du Calvados le 12 février 2020, et a fait l’objet d’une publication au journal officiel le 15 février 2020, et le justificatif de cette publication est rapporté par les demandeurs en pièce 145 de

Les sociétés CSF et CPF ne peuvent se prévaloir d’une demande de nullité de l’assignation pour défaut de capacité à agir sur un fondement textuel inexistant.

En conséquence seule la publication au Journal Officiel octroie la capacité juridique à l’association, qui peut dès lors ester en justice.

L’opposabilité aux tiers de l’association valablement formée résulte de cette seule publication qui confère donc la capacité juridique à l’association.

Aucune autre condition n’est nécessaire dans ce cadre.

Par ailleurs, les modifications intervenues dans l’administration de l’association ou dans ses statuts sont opposables aux tiers, dès lors qu’elles ont été déclarées à la préfecture.

L’ensemble des formalités légalement requises et nécessaires à donner capacité à agir à l’association ont bien été réalisées par l’AFC qui est dès lors légitimement en mesure de porter la présente affaire devant le Tribunal de commerce de céans.

Par conséquent le Tribunal déboute les sociétés CPF et CSF de leur demande de nullité de l’assignation en raison du défaut de capacité à agir d’AFC.

3.1.1.2 Sur la nullité de l’assignation de l’AFC pour défaut de pouvoir du président (soulevée par les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS).

En droit

Toute association en tant que personne morale doit obligatoirement être représentée par une personne physique pour introduire une action en justice.

Les statuts de l’association peuvent aménager la représentation de l’association devant les juridictions.

Les statuts de l’association AFC (après diverses modifications statutaires en date du 26 juillet 2023) à jour à la date des assignations du 26 décembre 2023, stipulent en leur article 12.1 :

« Le Président représente l’association dans tous les actes de la vie civile. Il a notamment qualité pour ester en justice comme défendeur au nom de l’association et comme demandeur avec l’autorisation du Conseil d’Administration. Il peut former, dans les mêmes conditions, tous appels et pourvois, Il ne peut transiger qu’avec l’autorisation du Conseil d’Administration ».

Par ailleurs l’article 10.6 des statuts de l’AFC prévoit les modalités de prise de décisions par le Conseil d’Administration par un vote de plus de 50% des membres dudit Conseil.

L’AFC produit (pièce 149) la résolution du Conseil d’Administration autorisant l’introduction d’une procédure judiciaire au nom de l’AFC à l’égard des différentes filiales du groupe CARREFOUR concernées par le système de franchise notamment sur le fondement du déséquilibre significatif.

Au vu de cette pièce le Tribunal constate que cette résolution a été adoptée à l’unanimité.

L’AFC produit aussi (pièce 150) la résolution du Conseil d’Administration en date du 19 juillet 2023, renouvelant l’autorisation donnée au président de pouvoir engager une procédure judiciaire à l’égard des différentes filiales du groupe CARREFOUR.

Le Tribunal constate que cette résolution a de nouveau été adoptée à l’unanimité.

Dans ses dernières conclusions, régularisées le 24 janvier 2025 l’AFC produit :

Le dernier récépissé en date de déclaration de modification de son conseil d’administration, étant observé que ce récépissé correspond, non pas à l’assemblée générale du 26 juillet 2023 concernant le changement de vice-présidents opéré, mais d’une assemblée qui se serait tenue le 20 novembre 2023,

Le certificat de signature joint au procès-verbal en date du 19 juillet 2023,

Une décision de son conseil d’administration qui, par décision du 3 décembre 2024, aurait octroyé les pouvoirs à son président pour introduire la présente action ;

Un constat d’huissier daté du 21 janvier 2025 constatant que le procès-verbal d’assemblée générale du 26 juillet 2023 comportait bien, d’une part, la liste des membres du conseil d’administration à jour, et d’autre part, une liste de 22 administrateurs.

Les sociétés CSF et CPF prétendent que les procès-verbaux communiqués comportent des irrégularités au regard des statuts de l’AFC, et soutiennent qu’au visa de l’article 117 du Code de procédure civile, le défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant d’une personne morale, en l’espèce Monsieur [P] entraine la nullité de l’assignation.

Le Tribunal constate que l’argumentaire des sociétés CSF et CPF vise à contester, en invoquant les statuts de l’association, la régularité de la décision ayant autorisé le Président à agir.

La Cour de cassation (Chambre civile n°2 du 19 mai 2005, n°03-16.953) a rappelé ;

« … Attendu que pour déclarer nulle l’assignation, l’arrêt retient qu’il n’a pas été justifié d’une désignation du président conforme aux statuts de celle-ci :

Qu’en statuant ainsi, alors que les tiers ne peuvent invoquer les statuts d’une personne morale pour critiquer la régularité de la désignation de son représentant, en vue de contester le pouvoir d’agir de celui-ci, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

En l’espèce, les prétendues irrégularités concernant le quorum ou la signature des procès-verbaux relèvent des dispositions statutaires de l’AFC et ne peuvent être invoqués par des tiers à l’association en vue de contester le pouvoir d’agir du représentant de l’association.

Par conséquent les sociétés CPF, CSF, PROFIDIS et SELIMA sont déboutées de leur demande de nullité de l’assignation en raison de défaut de pouvoir à agir de son président régulièrement désigné.

3.1.1.3 Sur la nullité de l’assignation de l’AFC pour indétermination de l’objet de sa demande (soulevée par SELIMA et PROFIDIS).

L’article 56 du Code de procédure civile dispose que :

« la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.

A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

…2° L’objet de la demande »

L’article 114 alinéa 2 du Code de procédure civile impose, pour qu’une nullité pour vice de forme soit prononcée, de démontrer le grief causé par l’irrégularité.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS prétendent que l’objet de la demande formulée par l’AFC à leur encontre ne serait pas en l’espèce déterminé.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS reprochent à AFC de ne pas préciser au nom de quels membres elle agit, ce qui les met dans l’incapacité de déterminer la prétention exacte de leur adversaire et donc d’organiser utilement leur défense.

L’assignation délivrée le 26 décembre 2023 comprend dans son dispositif :

4.1 montage contractuel imposé aux franchisés investisseurs :

« concernant les franchisés investisseurs, les stipulations statutaires contiennent en leur article - objet de la société – une clause d’enseigne auxquelles se cumulent des modalités de vote permettant aux sociétés SELIMA et PROFIDIS de s’opposer à toute sortie du réseau CARREFOUR.

Cette clause d’enseigne est intangible puisque toute modification statutaire suppose l’accord des associés minoritaires et indirectement du franchiseur.

Ces statuts sont donc rédigés de telle manière qu’ils permettent une prorogation artificielle du contrat de franchise à la seule discrétion du franchiseur, et ce, pour une durée de 99 années, durée de vie de la société créée en vue de l’exploitation du fonds de commerce sous enseigne CARREFOUR.

Les franchisés disposent donc de deux options :

Demeurer sous enseigne CARREFOUR pendant toute la durée de vie de la société créée, Céder les parts sociales qu’ils possèdent.

Sur ce dernier point, des pactes d’associés sont régularisés entre l’associé majoritaire et les sociétés SELIMA et/ou PROFIDIS comportant d’une part un droit de préemption au profit exclusif du Groupe CARREFOUR, et d’autre part une méthode de valorisation contractuelle des parts sociales ».

Dès lors, Le Tribunal constate que l’objet du litige vise des clauses et des pratiques parfaitement identifiables et clairement exposées dans l’assignation et reprises dans son dispositif en ces termes :

« juger que cesseront les pratiques des sociétés SELIMA ou PROFIDIS tendant à dévaloriser les parts sociales des actionnaires majoritaires en ce qu’elles conduisent à une cession des parts à vil prix, cette dévalorisation des parts s’inscrivant dans l’ensemble de la relation de franchise :

Juger que cesseront les pratiques contraignant les franchisés à demeurer au sein du réseau de franchise pendant toute la durée de vie des sociétés créées par les franchisés avec les sociétés SELIMA et PROFIDIS ;

Juger que les franchisés « investisseurs » se voient imposer des stipulations statutaires qui sont prérédigées par le Groupe CARREFOUR ;

Juger que l’ensemble des statuts des membres dits « investisseurs » du Groupe CARREFOUR comportent une clause d’enseigne au sein même de l’objet social ; Juger que toute velléité de rupture du contrat se heurte au refus des associés SELIMA et PROFIDIS de modifier les stipulations statutaires ;

Juger que les franchisés « investisseurs » sont contraints de régulariser un pacte d’associés »….

En conséquence

Juger que les statuts constituent des contrats d’adhésion,

Juger que ses clauses n’ont pu être négociées par les franchisés ;

Juger que les clauses statutaires litigieuses empêchent les franchisés de quitter le réseau CARREFOUR

Juger que l’application du droit de préemption et de la méthode de valorisation entraine une cession à vil prix au bénéfice du Groupe CARREFOUR ;

Juger que compte tenu des clauses statutaires, la cession des parts est la seule option permettant au franchisé de sortir du réseau ;

Juger que ces clauses des statuts et du pacte d’associés seront réputées non écrites.

Les pièces fournies au soutien de l’assignation comprennent de nombreux exemples, et les analyses des professeurs [U] et [C] fondent juridiquement l’objet du litige soumis au tribunal, tant sur la partie Franchise que sur le contrat d’approvisionnement, les statuts des sociétés d’exploitation ou le pacte d’associés.

Par conséquent le Tribunal juge que les demandes de l’AFC sont parfaitement claires et permettent manifestement d’identifier l’objet du litige et déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de nullité de l’assignation à ce titre.

De tout ce qui précède, le tribunal déboute les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS de leurs demandes de nullité de l’assignation.

3.2 Sur l’incompétence du Tribunal de commerce de RENNES en raison de la présence d’une clause compromissoire soulevée par CPF et CSF.

Le Tribunal doit examiner la question de sa compétence face à l'existence d'une clause compromissoire (convention d'arbitrage) en droit français, en se fondant principalement sur l'article 1448 du Code de procédure civile qui dispose :

« Lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

La juridiction de l’État ne peut relever d’office son incompétence.

Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite. »

Cet article établit un principe clair : Le juge étatique peut se reconnaître compétent en présence d'une clause compromissoire, à la condition que le tribunal arbitral ne soit pas encore saisi, et que la convention d'arbitrage soit manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Il précise également que la juridiction étatique ne peut pas soulever d'office son incompétence ; c'est aux parties de le faire. Toute disposition contractuelle contraire à cet article est réputée non écrite.

L’arbitrage est fondamentalement un mode de règlement des litiges de nature conventionnelle. Sa source réside dans la volonté commune et libre des parties de soustraire leurs différends, potentiels ou actuels, à la compétence des tribunaux de l'État pour les confier à un tribunal arbitral qu'elles choisissent ou dont la constitution est prévue par leur accord.

En conséquence, seuls les litiges impliquant des parties ayant expressément convenu d'une clause d'arbitrage sont soumis à cette procédure privée. La validité et l'opposabilité de la clause d'arbitrage reposent donc de manière essentielle sur le consentement des parties.

L'exigence du consentement à la convention d'arbitrage est une condition fondamentale et stricte en droit français. L'article 2061 du Code civil l'affirme explicitement : la clause compromissoire doit impérativement avoir été acceptée par la partie à laquelle on cherche à l'opposer. La seule exception à cette règle est le cas où cette partie a légalement succédé aux droits et obligations de la partie qui avait initialement accepté la clause. De plus, une protection spécifique est prévue pour les non-professionnels : si l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause d'arbitrage ne peut pas lui être opposée.

La doctrine insiste sur le caractère volontaire de l'arbitrage. Sans consentement avéré, la convention d'arbitrage est considérée comme nulle ou même inexistante.

La Cour de cassation rappelle régulièrement et solennellement ce principe. Elle a jugé que seule la volonté commune des contractants a le pouvoir de conférer au tribunal arbitral son autorité juridictionnelle. Cela réaffirme la nécessité d'un consentement clair et non équivoque à l'arbitrage.

La doctrine souligne que la convention d'arbitrage est soumise aux conditions classiques de validité de tout acte juridique, notamment celles relatives à l'existence et à la qualité du consentement. Le consentement doit non seulement exister, mais aussi être libre, éclairé et exempt de tout vice (erreur, dol, violence). La qualité de ce consentement est considérée comme une exigence d'autant plus fondamentale qu'il s'agit d'un acte par lequel les parties renoncent à l'accès aux tribunaux étatiques pour confier leur litige à une juridiction privée.

Outre l'exigence de consentement, la validité de la convention d'arbitrage en matière d'arbitrage interne est subordonnée à une condition de forme : elle doit être écrite. L'article 1443 du Code de procédure civile dispose qu': « à peine de nullité, la convention d'arbitrage est écrite ».

Cette exigence formelle, considérée comme une condition ad validitatem, a pour objectif principal de garantir la certitude du consentement de la partie à la clause compromissoire. L'écrit permet de prouver que le consentement à l'arbitrage est bien réel et non simplement présumé.

Un autre principe fondamental du droit des contrats qui a une incidence directe sur l'opposabilité de la clause d'arbitrage est l'effet relatif des contrats. L'article 1199 du Code civil énonce clairement ce principe : un contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties contractantes. Par conséquent, les tiers au contrat ne peuvent ni en exiger l'exécution, ni être contraints de l'exécuter, sauf exceptions prévues par la loi.

Ce principe de l'effet relatif s'oppose de manière catégorique à ce qu'une clause contenue dans un contrat, telle qu'une clause compromissoire, soit imposée ou invoquée à l'égard d'une partie tierce qui n'a pas participé à sa conclusion et n'y a donc pas consenti.

La jurisprudence de la Cour de cassation applique strictement ce principe. L’AFC cite un arrêt ancien mais toujours pertinent de 1978, où la Cour a refusé d'appliquer une clause compromissoire à une société qui n'était pas partie au contrat la contenant (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 15 novembre 1978, 76-15.145). Plus récemment, la Cour de cassation a réitéré cette position dans le cadre de procédures collectives. Elle a jugé que la clause compromissoire stipulée dans un acte litigieux était manifestement inapplicable au litige intenté par le liquidateur ou le commissaire à l'exécution du plan. La raison invoquée est que ces organes de la procédure collective n'agissent pas en substitution du débiteur pour exercer ses droits individuels, mais agissent au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers.

Le Tribunal établit une analogie directe entre la situation des organes de la procédure collective et celle d'une association. De même que la clause compromissoire est inopposable aux organes agissant dans l'intérêt collectif des créanciers, elle ne peut être opposée à une association qui n'agit pas en représentation individuelle de ses membres, mais dans leur intérêt collectif.

Appliquant les principes juridiques exposés ci-avant, (consentement, écrit, effet relatif des contrats, action dans l'intérêt collectif), le Tribunal aborde la situation de l'Association des Franchisés du Groupe Carrefour (AFC) face à l'exception d'incompétence soulevée par le groupe CARREFOUR, ce dernier arguant que le litige doit être porté devant un tribunal arbitral en raison des clauses compromissoires présentes dans les contrats de franchise de ses membres.

Le Tribunal réfute cet argument en plusieurs points :

1. L'AFC n'est pas partie aux contrats : L'AFC n'a pas signé les contrats de franchise entre le groupe CARREFOUR et ses membres. Elle est donc un tiers à ces contrats, et les clauses compromissoires qu'ils contiennent lui sont inopposables en vertu du principe de l'effet relatif des contrats.

2. L'AFC agit de manière autonome et dans l'intérêt collectif : L'AFC n'agit pas en tant que mandataire de ses membres individuels. Son action est fondée sur son objet statutaire et vise la défense des intérêts collectifs de ses adhérents, ainsi que ses propres intérêts distincts. Elle dispose d'une action propre, ce qui est confirmé par l'existence de procédures arbitrales parallèles entre des franchisés individuels et le groupe CARREFOUR, ainsi que par la proposition de médiation faite par Carrefour à l'AFC ellemême.

3. Les demandes de l'AFC ne modifient pas les contrats : Les demandes de l'AFC ne visent pas à modifier les stipulations contractuelles. Elles portent sur la cessation de pratiques abusives (imposition d'horaires, de prix, de travaux, etc.) et sur le caractère réputé non écrit de certaines clauses. Ces demandes visent à assurer une exécution normale et équilibrée des contrats, non à les altérer. L'AFC n'est pas impliquée dans l'exécution des contrats individuels de ses membres.

De ce qui précède, le Tribunal dit que les clauses compromissoires contenues dans les contrats entre le groupe CARREFOUR et les franchisés membres de l'AFC sont inapplicables à l’Association.

Le groupe CARREFOUR plaide aussi pour une "extension" des clauses d'arbitrage des contrats des franchisés à l'AFC.

Pour appuyer ses arguments d'extension, les sociétés du groupe CARREFOUR citent diverses jurisprudences. L’AFC analyse ces décisions pour démontrer qu'elles ne sont aucunement transposables à sa situation et ont été rendues dans des contextes très spécifiques et éloignés du litige en cours.

Le Tribunal analyse les jurisprudences invoquées par le groupe CARREFOUR pour justifier l'extension des clauses d'arbitrage à l'AFC. Ces décisions ne sont pas pertinentes en l'espèce car elles concernent des situations particulières :

1. Le contexte des groupes de sociétés : Plusieurs arrêts cités, notamment de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation, ont admis l'extension d'une clause d'arbitrage à une société non-signataire au sein d'un groupe. Cette extension était justifiée par des liens capitalistiques et directoriaux entre les sociétés, ainsi que par le rôle actif de la société non-signataire dans l'exécution du contrat contenant la clause. Ces décisions, souvent rendues en matière d'arbitrage international, sont spécifiques à ce contexte. Or, l'AFC est une association, non assimilable à une société holding, et elle n'a démontré aucune adhésion aux clauses, ni joué un rôle actif dans l'exécution des contrats de franchise de ses membres. L'intérêt de l'association est distinct de celui de ses membres individuels. L'existence de procédures arbitrales parallèles entre des franchisés et le Groupe CARREFOUR prouve d'ailleurs que l'action de l'AFC est autonome.

2. Le contexte des relations de sous-traitance : Un arrêt de la Cour de cassation a admis l'extension de l'effet d'une clause d'arbitrage international à un sous-traitant de second rang qui en avait connaissance et était directement impliqué dans l'exécution du contrat principal. Cet arrêt, d'ailleurs critiqué par une partie de la doctrine, concernait un sous-traitant qui réalisait la prestation matérielle du contrat. Compte tenu des éléments évoqués ci-avant, le Tribunal réfute l'idée que la simple connaissance des clauses suffirait à les rendre opposables à un tiers. Il souligne qu'aucune implication de l'AFC dans l'exécution des contrats signés par ses membres ne peut être légitimement démontrée par le groupe CARREFOUR.

Le Tribunal insiste sur une distinction fondamentale pour réfuter l'argument d'extension du groupe CARREFOUR : la différence entre l'arbitrage international et l'arbitrage interne.

Les jurisprudences invoquées par les défenderesses, qui admettent l'extension des clauses d'arbitrage à des tiers non-signataires, ont été rendues dans le cadre de l'arbitrage international. La doctrine affirme que les solutions retenues en matière internationale, où l'arbitrage est considéré comme la juridiction de droit commun des affaires et où les règles sont plus libérales, ne peuvent être transposées de but en blanc en matière d'arbitrage interne.

En arbitrage interne, comme vu ci-dessus, l'exigence du consentement à la clause compromissoire est strictement affirmée par l'article 2061 du Code civil. Cet article impose que la clause ait été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose. La doctrine confirme qu'en arbitrage interne, il convient d'être plus exigeant quant à la condition de consentement. La transposabilité n’est donc pas possible.

Le groupe CARREFOUR soulève un autre argument, fondé sur l'article 2061 du Code civil, selon lequel l'AFC aurait « succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement accepté » (c'est-à-dire les franchisés).

Il est rappelé que l'hypothèse visée par l'article 2061 du Code civil est celle de la transmission de la convention d'arbitrage dans le cadre de mécanismes translatifs limités prévus par le droit des obligations, tels que la subrogation, la cession de créances ou la cession de contrat.

Or, comme le confirme Monsieur le Professeur [B] [X], l'action exercée par l'AFC est une action dont elle est titulaire en propre. L'AFC n'agit pas comme mandataire des franchisés et ne se substitue pas à eux dans l'exercice de leurs actions individuelles. Elle agit comme un demandeur autonome, habilité à défendre les intérêts collectifs entrant dans son objet statutaire. Elle ne s'inscrit donc aucunement dans les hypothèses de transmission ou de succession visées par l'article 2061 du Code civil.

De plus, les demandes de l'AFC visent la cessation de pratiques abusives et le caractère réputé non écrit de clauses, ce qui ne constitue pas une immixtion dans l'exécution des contrats justifiant l'application des clauses compromissoires à l'association.

De ce qui précède, compte tenu de l'inopposabilité manifeste des clauses compromissoires à l'AFC (qui n'est pas partie aux contrats, n'y a pas consenti, et agit de manière autonome dans l'intérêt collectif), l'exception d'incompétence soulevée par les défendeurs doit être purement et simplement rejetée.

Le Tribunal de commerce de RENNES se déclare compétent pour connaître de la présente instance.

3.3 Sur les fins de non-recevoir soulevées :

L’article 122 du Code de procédure civile dispose que :

« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, de délai de préfix, la chose jugée ».

3.3.1 Défaut de qualité :

3.3.1.1 Sur la recevabilité de l’action du Ministère Public

Il n’est pas contesté par les parties que le 12 février 2025, le Procureur de la République leur a adressé un mail dont les termes sont notamment :

« Le Ministère public entend soutenir devant la juridiction saisie de ladite affaire les mêmes demandes que celles déjà formulées par M. le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique dans ses conclusions en intervention n°1 du 14 juin 2024.

Le parquet de RENNES sera de nouveau présent à l’audience du Tribunal de commerce de RENNES du 27 février 2025, pour y développer des observations orales tendant à voir écarter l’ensemble des moyens de procédure déjà soulevés par les conseils des sociétés assignées ».

Le Ministère public était présent à l’audience du 27 juin 2024.

Il convient de rappeler que le Ministère public exerce la mission générale de veiller à l’application de la loi au nom du respect des intérêts fondamentaux de la société.

L’article L. 442-4 du Code de commerce dispose que : « Le ministre chargé de l'économie ou le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8. Ils peuvent également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indument obtenus, dès lors que les victimes de ces pratiques sont informées, par tous moyens, de l'introduction de cette action en justice. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants :

Alors que le ministre de l’Économie, garant de l’ordre public économique dispose d’une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, le Ministère public est garant de l’ordre public général, ce dernier pouvant agir en toute matière pour défendre les intérêts de la société. Chacun dispose donc d’une action autonome. Les deux actions peuvent être engagées cumulativement.

Le Tribunal juge l’action du Ministère public recevable.

La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du Ministère public est rejetée.

3.3.1.2 Sur le défaut de qualité à agir du Ministère public concernant les relations d’associés

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS font valoir que les relations entre les associés des sociétés franchisées échappent à l’application de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce.

Les demandes de l’AFC et du ministre de l’Économie visent l’ensemble des contrats en ce qu’ils entrainent un déséquilibre significatif pour l’ensemble des franchisés.

Force est de constater que la relation commerciale entre l’enseigne CARREFOUR et ses franchisés repose sur les contrats de franchise et d’approvisionnement mais aussi sur le contrat de société.

Il est incontestable que les différents contrats signés avec les entités du groupe CARREFOUR constituent un ensemble contractuel qui participe à la réalisation d’une opération économique globale. La finalité unique de cet ensemble contractuel est l’exploitation en franchise sous enseigne CARREFOUR.

Cette relation commerciale relève dès lors du champ d’application de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce.

De ce qui précède, le Tribunal juge recevable l’intervention du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS en vertu de l’article L. 442-6 ancien devenu L. 442-1 du Code de commerce.

3.3.2 Défaut d’intérêt :

3.3.2.1 Sur le défaut d’intérêt propre et personnel à agir de l’AFC soulevé par les sociétés SELIMA et PROFIDIS :

I. L'article 31 du Code de procédure civile et le principe de l'intérêt à agir

L'article 31 du Code de procédure civile dispose que « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.».

Ce principe fondamental signifie que pour saisir un tribunal, il ne suffit pas d'invoquer une violation de la loi ; il faut démontrer un intérêt direct et personnel à agir. Cet intérêt est la condition de recevabilité de l'action en justice.

II. La capacité des associations à agir en justice

Les associations ont la capacité d'agir en justice pour défendre leurs intérêts propres. En tant que personnes morales, elles sont titulaires de droits et d'obligations, au même titre que les personnes physiques. Elles peuvent donc agir pour protéger leur patrimoine, leur réputation, et plus généralement, tous leurs intérêts.

III. Les conditions de recevabilité de l'action d'une association

Pour que l'action d'une association soit recevable, l'intérêt à agir doit présenter certaines caractéristiques, communes à toute action en justice :

Intérêt personnel et direct : Le préjudice invoqué doit être directement lié à l'événement qui en est la cause. L'association doit démontrer que ses propres droits et intérêts sont affectés. La jurisprudence a consacré le principe selon lequel une association a un intérêt à agir dès lors que l'action entre dans le cadre de son objet social.

Intérêt juridique et légitime : La prétention de l'association doit être juridiquement fondée et susceptible d'être tranchée par un tribunal. La légitimité de l'intérêt renvoie à l'autorisation donnée au juge de se prononcer sur le recours à la justice.

Intérêt né et actuel : L'intérêt invoqué doit exister au moment où la demande est formée. Le juge ne peut statuer sur des litiges futurs ou hypothétiques.

IV. Illustration jurisprudentielle de l'intérêt à agir des associations

L’AFC cite des décisions jurisprudentielles qui illustrent l'application de ces principes :

Affaire SOCAPDIS : La Cour de cassation (15-05-1990) a affirmé que le préjudice invoqué par une association est nécessairement collectif et propre à l'association, dès lors qu'il est subi par l'ensemble de ses membres.

Affaire des Fédérations départementales de chasseurs : La Cour de cassation (4-02-1986) a reconnu la recevabilité de l'action d'une fédération de chasseurs contre un auteur d'infraction aux règles de chasse, considérant que l'infraction portait directement préjudice à son action de préservation de la faune sauvage.

Affaire ASAP : La Cour d'appel d’Aix en Provence a jugé le 23 janvier 2024, qu'une association pouvait agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entraient dans son objet social. En l'espèce, l'association avait un intérêt à agir pour obtenir le remboursement des frais engagés pour la remise en état d'une chaussée endommagée, et pour solliciter l'indemnisation du trouble de jouissance subi par ses membres.

V. L'atteinte aux intérêts collectifs et l'intérêt à agir de l'association

Lorsqu'une association agit pour défendre les intérêts collectifs de ses membres, elle subit un préjudice direct et personnel si la faute alléguée porte sur un préjudice subi collectivement et individuellement par ses membres, que l'association est chargée de défendre dans le cadre de son objet statutaire.

VI. La contestation de l'intérêt à agir de l'AFC par le Groupe CARREFOUR

Le groupe CARREFOUR prétend que l'AFC ne retire « aucun avantage direct et personnel » de l'action en justice. L'AFC conteste cette affirmation, soulignant que son objet statutaire est directement concerné par les pratiques dénoncées.

Le groupe CARREFOUR affirme également que l'action de l'AFC n'est pas liée aux discussions qui ont eu lieu entre les parties. L'AFC rappelle avoir tenté pendant plus de dix-huit mois de trouver une solution amiable avec le groupe, et a accepté une médiation.

VII. Application des principes au cas d'espèce : l'action de l'AFC contre le groupe CARREFOUR

L'AFC estime que les pratiques du groupe CARREFOUR, notamment en matière de pratiques restrictives de concurrence, d'abus dans la fixation des prix de revente et de détournement de la franchise participative, portent directement atteinte à l'association et à son objet social.

L'AFC a tenté de dialoguer avec le groupe CARREFOUR pour faire cesser ces pratiques, mais ces tentatives ont échoué. L'association a donc engagé une action en justice, ce qui a nécessité des ressources humaines, financières et matérielles.

Le Tribunal conclut de tout ce qui précède que l'AFC a un intérêt à agir, conformément aux exigences légales et jurisprudentielles. Les pratiques du groupe CARREFOUR qui heurtent directement l'objet social de l'AFC justifient son action en justice.

Le Tribunal dit que l’AFC a un intérêt propre et personnel à agir.

La fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir soulevée par les sociétés du groupe CARREFOUR est rejetée.

3.3.2.2 Sur le défaut à agir dans l’intérêt collectif de ses membres, soulevé par SELIMA, PROFIDIS, CSF et CPF :

Les articles 30 et 31 du Code de procédure civile disposent :

Article 30 :

« L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. »

Article 31 :

« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.»

L'action en justice est donc le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Les conditions de recevabilité d’une action sont fixées par les articles 30 et 31 du Code de procédure civile : la partie qui allègue une prétention doit avoir capacité, intérêt et qualité à agir.

Concernant l’intérêt à agir d’une association, il est désormais de principe qu’une association peut agir en défense d’intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet statutaire.

La jurisprudence s'est progressivement affranchie de certaines conditions de recevabilité de l'action, notamment la nécessité pour l'association d'être habilitée.

Une association peut donc agir en justice au nom d’intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet statutaire. Lorsqu’il s’agit de défense des intérêts d’intérêts collectifs, la Cour de cassation établit donc un lien entre le droit d’agir et l’objet statutaire de l’association.

Dans ce prolongement, la jurisprudence considère que la recevabilité de l’action n’est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action. Ainsi, et en dehors de toute habilitation législative, une association peut agir en défense d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet statutaire.

En matière concurrentielle, la Cour de cassation suit exactement le même raisonnement qui a pu être appliqué à une association de franchisés pour confirmer son intérêt à agir. Encore très récemment, la jurisprudence demeure constante sur ce point et confère intérêt à agir à une association agissant dans l’intérêt collectif de ses membres, dès lors que sa défense est prévue statutairement.

L’intérêt à agir de l’association est directement lié à son objet statutaire. L’association peut mettre en œuvre tous les moyens utiles à la réalisation de son objet, et notamment agir en justice.

Au regard des multiples jurisprudences citées par la demanderesse, il convient de rappeler qu’il s’agit de la seule condition, remplie en l’espèce, afin qu’une association soit recevable à agir sur le fondement d’un intérêt collectif.

Il ressort de cette jurisprudence que l’appréciation du lien entre l’action et l’objet statutaire de l’association ne doit pas être restrictive, en ce que cela reviendrait à restreindre la capacité à ester en justice de l’association.

L’AFC est ainsi recevable à agir en défense des intérêts collectifs de ses adhérents qui entrent dans son objet. Ces intérêts collectifs sont ceux de franchisés ou ex-franchisés CARREFOUR et plus précisément pour cette assignation, du réseau CARREFOUR PROXIMITÉ, intérêts dont l’association s’est donné pour objet de les défendre et qui constituent la raison même de la création de l’association.

De plus, les conclusions du ministre de l’Économie ne traitent pas non plus des situations particulières des franchisés, mais bien d’une situation de la collectivité.

Le Tribunal dit que l'action de l'AFC pour la défense de l'intérêt collectif de ses membres est recevable.

Le Tribunal déboute CPF et CSF de leur demande de juger que l’action introduite par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR est irrecevable pour défaut de qualité à agir.

Le Tribunal déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour ne vise en tout état de cause pas à défendre l’intérêt collectif de ses membres mais uniquement leurs intérêts individuels ;

Le Tribunal déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande de déclarer irrecevable l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS pour absence d’intérêt et de qualité à agir.

3.4.1 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de l’AFC, soulevée par CPF et CSF :

L'article L. 110-4 du Code de commerce prévoit un délai de prescription de cinq ans pour les obligations nées à l'occasion d'actes de commerce entre commerçants et non-commerçants, sauf si des prescriptions spéciales plus courtes sont applicables.

Les actions fondées sur les articles L. 442-1 et L. 442-6 (pratiques anticoncurrentielles) et L. 442-4 du Code de commerce, ainsi que sur l'article 1164 du Code civil, ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales. Elles sont donc soumises à la prescription quinquennale de droit commercial.

Le point de départ de ce délai est régi par l'article 2224 du Code civil, qui établit un point de départ "glissant" : le délai court à compter du jour où le titulaire du droit a eu connaissance ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action.

La Cour de cassation a précisé que, pour les associations, le point de départ de la prescription correspond au jour de leur déclaration à la préfecture, date à laquelle leurs actes deviennent opposables aux tiers. Par conséquent, une association qui n'est pas encore créée et déclarée ne peut pas avoir connaissance des faits litigieux. Le délai de prescription ne commence donc à courir qu'à partir de la date d'acquisition de sa personnalité juridique.

L'Association des franchisés du Groupe Carrefour (AFC) a été créée en janvier 2020 et déclarée à la préfecture le 15 février 2020. Par conséquent, elle n'a pu avoir connaissance des griefs allégués dans la procédure qu'à partir de cette date.

L’AFC se prévaut d’un arrêt de la Cour de cassation (n°17-19.657 du 6 septembre 2018) pour affirmer qu’une association qui n’était ni créée ni déclarée (création de l’AFC le 15 février 2020) ne pouvait avoir connaissance des faits litigieux avant cette date.

Les sociétés CPF et CSF avancent un arrêt de la Cour d’appel de Paris (n°22/10771 du 20 mars 2024), par lequel il a été jugé que le délai de cinq années prévu à l’article 2224 du Code civil était applicable à une association de défense des consommateurs et opposable à cette dernière à raison du fait qu’en vertu de l’article L.621-1 du Code de la consommation elle était habilitée légalement et donc titulaire des droits à la cessation d’une pratique commerciale déloyale et à la réparation du préjudice collectif.

En l’espèce l’AFC agit non pas en tant que titulaire des droits propres de chacun de ses membres mais en réparation du préjudice collectif de ses membres, qui lui est propre puisqu’il intègre son objet social statutaire.

Les délais de prescription applicables aux actions individuelles de ses membres ne peuvent donc pas lui être opposés.

Le Tribunal juge que les demandes formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR sur le fondement des articles L. 442-6 ancien, L. 442-1 nouveau et L. 442-5 ancien du Code de commerce et l’article 1164 du Code civil ne sont pas prescrites pour les contrats de franchise qui seraient antérieurs au 26 décembre 2018 et ne sont donc pas irrecevables ;

Par conséquent le préjudice propre allégué ne peut être antérieur à la création de l’association.

Le Tribunal déboute les sociétés CSF et CPF de leur demande de déclarer prescrites, et donc irrecevables, les demandes formées par l’AFC dans le cadre de l’assignation du 26 décembre 2023.

3.4.2 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de l’AFC (soulevée par les sociétés SELIMA et PROFIDIS)

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS soutiennent que la demande de l’AFC de juger réputées non écrites certaines clauses du contrat est en réalité une demande de nullité de la clause d’enseigne.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS avancent que cette clause d’enseigne étant un élément déterminant du consentement du groupe CARREFOUR à s’associer avec l’entrepreneur, la demande d’anéantissement de cette clause, revient à solliciter la nullité de l’objet social des sociétés franchisées.

Elles en déduisent alors que cette demande étant une action en nullité d’une société, elle se prescrit, conformément à l’article L. 235-9 du Code de commerce, en trois ans à compter du jour où la nullité est encourue.

Le Tribunal dit que l’action intentée par AFC contre les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’inscrit dans un ensemble de relations contractuelles globales avec le groupe CARREFOUR.

Par conséquent, le Tribunal déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande.

3.4.3 Sur la prescription des demandes de l’AFC visant à voir réputées non écrites certaines clauses des statuts, soulevée par les sociétés SELIMA et PROFIDIS

Les conclusions des sociétés SELIMA et PROFIDIS s'articulent autour d'une fin de non-recevoir, un moyen de procédure visant à déclarer une demande irrecevable sans même en examiner le fond. Selon l'article 122 du Code de procédure civile, cela peut être invoqué pour diverses raisons, notamment le défaut de droit d'agir, la prescription ou l'autorité de la chose jugée.

L'Association des Franchisés du Groupe Carrefour (AFC) a initié une action en justice et demande que la clause d'enseigne, présente dans les statuts des sociétés franchisées, soit « réputée non écrite ».

Cependant, les sociétés SELIMA et PROFIDIS soutiennent que cette formulation est une manœuvre pour contourner les règles de recevabilité. En réalité, la demande de « réputé non écrit » équivaut à une demande en nullité de ladite clause. Cet argument est renforcé par l'analyse du professeur [T] [I] [D], qui précise qu'en droit de la concurrence, la sanction d'une clause abusive ne peut être que sa nullité. Par conséquent, les demandes de l'AFC devraient être requalifiées en actions en nullité.

La défense insiste sur le fait que la clause d'enseigne n'est pas un simple "accessoire" du contrat de société. Au contraire, elle constitue un élément déterminant du consentement du groupe Carrefour à s'associer avec les entrepreneurs partenaires.

Cette clause garantit au groupe Carrefour le maintien d'un contrôle conjoint sur les sociétés d'exploitation. Sans elle, le partenariat n'aurait pas vu le jour. Cette position a été validée par la jurisprudence :

Cour d'appel de Caen (12 oct. 2023) : A jugé que la référence à l'enseigne dans l'objet social n'est pas accessoire, compte tenu du montage de l'opération et de l'influence déterminante de Carrefour.

En demandant l'annulation (le « réputé non-écrit ») de cette clause essentielle, l'AFC ne vise rien de moins que la nullité de l'objet social des sociétés concernées.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS affirment que la demande de l’AFC pour que la clause d'enseigne, présente dans les statuts des sociétés franchisées, soit « réputée non écrite » est une manœuvre pour contourner les règles de recevabilité et qu’en réalité, cette demande équivaut à une demande en nullité de ladite clause.

Comme seul argument, les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’appuient sur l’analyse doctrinale du Professeur [T] [I] [D]. Concernant cette affirmation sur la nullité comme seule sanction en droit de la concurrence, le Tribunal n’a pas trouvé de sources (autre analyse doctrinale, jurisprudence, …) confirmant cette allégation.

En application de l’article 9 du Code de procédure civile, les sociétés SELIMA et PROFIDIS sont défaillantes dans l’administration de la preuve qui est à leur charge.

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de dire irrecevables car prescrites les demandes formées par l’AFC et soulevées dans le cadre de l’assignation du 26 décembre 2023, relatives aux statuts des sociétés communes franchisées.

3.4.4 Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (soulevée par les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS) et les demandes concernant les pièces du ministre

L’article 2224 du Code civil dispose que :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant de l’exercer ».

La Cour de cassation a jugé (arrêt 22-10-314 Pizza Sprint) :

« La prescription de l’action du ministre, qui ne fait pas l’objet de règles spéciales, est régie par l’article 2224 du Code civil. Il s’ensuit que cette action a pour point de départ le jour où ce dernier (…) a connu ou aurait dû connaitre les faits qui caractérisant une pratique restrictive, lui permettent d’exercer ce droit. »

Le groupe CARREFOUR prétend que le Ministère de l’Economie a eu connaissance des faits pertinents concernant le fonctionnement du réseau de franchise Carrefour dès l’année 2010, puis en 2015.

Au soutien de ses prétentions, le groupe Carrefour rappelle la décision rendue par l’Autorité de la concurrence n°10-D-08 du 3 mars 2010, puis de l’avis n° 10-A-26 rendu le 7 décembre 2010, et l’enquête diligentée par la DGCCRF auprès de franchisés Carrefour en 2015.

Cette temporalité rendrait prescrite les faits reprochés au visa de l’article 2224 du Code civil et priverait le Ministre de l’Economie de son droit d’agir.

Le Ministre soutient au contraire que ces différents éléments ne peuvent constituer le point de départ de la prescription, étant donné que les faits, contrats sont différents, et que les conditions nécessaires à son action n’étaient pas réunies à cette époque.

Le Ministre précise que l’enquête lancée en 2015, avait pour objet d’analyser les relations contractuelles au sein de diverses enseignes de distribution entre les franchisés et les franchiseurs au regard du titre IV du livre IV du Code commerce.

Il indique par ailleurs que l’analyse des réponses des franchisés, n’a pas permis de mettre en évidence la soumission ou tentative de soumission des franchisés.

Le Ministre prétend qu’il n’aurait eu connaissance des faits qui lui permettraient d’agir sur le fondement du déséquilibre significatif qu’à l’occasion des plaintes des franchisés Carrefour au mois de juillet 2019.

Il précise que son intervention volontaire et autonome ne repose pas sur les mêmes faits que ceux ayant donné lieu aux décisions et avis de l’Autorité de la concurrence en 2010, en raison de la qualification juridique de ces faits (pratiques anti-concurrentielles en 2010 contre pratiques restrictives de concurrence en 2024), et que les contrats de franchises auraient évolué depuis 2010.

Motivation

Par un arrêt de principe du 28 février 2024, la Cour de cassation a retenu que l’action du Ministre sur le fondement de l’article L. 442-6 devenu L. 442-4 du Code de commerce est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil.

La lecture combinée de l’article 2224 du Code civil et de l’arrêt PIZZA SPRINT permet de dire que le point de départ de la prescription est le jour où le Ministre a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits caractérisant une pratique restrictive lui permettant d’exercer son action.

Ce point de départ glissant est à déterminer factuellement au vu des circonstances particulières et spéciales de chaque situation.

La fixation de ce point de départ est la date à laquelle le Ministre ou ses services ont eu concrètement connaissance ou aurait dû avoir connaissance des pratiques restrictives, de manière à pouvoir agir en justice afin de les faire sanctionner dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché et de la concurrence.

Il faut distinguer la simple connaissance de faits, insuffisante pour déclencher l’action du Ministre, de la connaissance de faits caractérisant une pratique restrictive de concurrence qui doivent réunir différents éléments constitutifs à savoir un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et la soumission ou la tentative de soumission à un tel déséquilibre.

Concernant l’enquête de 2007, celle-ci a fait l’objet des constats suivants signifiés au groupe CARREFOUR le 11mai 2007 et qui constataient :

L’absence d’établissement de conditions générales de vente en tant que document unique ;

La présence de dénominations imprécises sur les factures de remises consenties aux franchisés.

La décision de l’Autorité de la concurrence du 3 mars 2010 a conclu : « Il n’est pas établi que Carrefour a enfreint les dispositions de l’article L 420-2 alinéa 2 du Code de commerce ».

Outre le fait que l’autorité de la concurrence se prononçait à l’époque sur la situation de dépendance économique des franchisés du réseau de proximité CARREFOUR (sur des faits de 2007) au regard du droit des pratiques anticoncurrentielles, et non sur le droit des pratiques restrictives de concurrence et non au regard de la loi LME (introduite postérieurement aux faits en aout 2008), les conditions de déclenchement de l’action du Ministre n’étaient donc pas réunies.

Entre 2010 et 2015, le groupe CARREFOUR fait état (courriel du 29 avril 2022 pièce 164 des conclusions du Ministre de l’Economie) de modifications apportées à ses différents contrats à savoir :

La modification de la durée de la société a été opérée en 2015

La clause de non-ré affiliation post-contractuelle a effectivement été modifiée en 2014 La modification de la durée post-contractuelle du droit de préemption a été opérée fin 2014 et s’applique depuis

Une refonte de nos modèles de contrats a été réalisée fin 2014. Nous avons décidé de certaines modifications en tenant compte de différents avis et décisions rendus par l’Autorité de la concurrence et certaines juridictions.

L’enquête lancée en 2015 avait pour objet d’analyser les relations contractuelles au sein de diverses enseignes de distribution entre les franchisés et franchiseurs au regard du titre IV du livre IV du Code de commerce.

Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs ont été amenés à analyser les pratiques commerciales susceptibles d’être abusives de la part de l’enseigne CARREFOUR CITY et CARREFOUR CONTACT.

Les déclarations des franchisés recueillies et rapportées dans les conclusions du Ministre illustrent l’insuffisance des indices nécessaires à la caractérisation d’un déséquilibre significatif de la relation commerciale.

Des développements précédents, il ressort que les conditions de déclenchement de l’action du Ministre n’étaient pas réunies en 2015.

A partir du 11 juillet 2019 et jusqu’au 6 décembre 2021, la DREETS de Normandie a reçu 64 plaintes (pièces 102 à 162 des conclusions du Ministre de l’Economie) concernant des franchisés des enseignes CARREFOUR CITY et CARREFOUR CONTACT en activité en France.

Ce n’est qu’à réception de ces plaintes que le ministre a été en mesure de connaître les faits caractérisant une soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif de la relation commerciale.

Le Tribunal arrête le point de départ de la prescription au 11 juillet 2019, date de réception de la première plainte adressée par le franchisé JMCS (pièce 102 des conclusions du Ministre de l’Economie).

Par conséquent, le Tribunal constate que l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n’est pas prescrite au regard de l’article 2224 du Code civil, et que le point de départ du délai de prescription est fixé au plus tôt à la date de réception des plaintes des franchisés par les services de la DREETS Normandie, soit le 11 juillet 2019.

De fait, les demandes des sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS d’ordonner au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de produire l’entier dossier de l’enquête menée auprès des franchisés du groupe Carrefour entre 2015 et 2016, de même que la demande CPF et CSF de juger que les pièces n°439, 440 et 441 versées aux débats par le Ministre de l’Economie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sont dénuées de toute force probante, deviennent sans objet. Les défendeurs en sont déboutés.

En droit

La Cour de cassation considère qu'en l'absence de règles spéciales sur la prescription de l'action du Ministère public, il y a lieu de se référer au droit commun de la prescription de l’article 2224 du Code civil (Cass, com., 28 février 2024, n°22-10.314).

En conséquence, l’article 2224 du Code civil apparaît comme le texte de droit commun des actions non menées devant un juge pénal.

Cet article dispose que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En fait

Comme il a été précédemment jugé, les actions du Ministre et du Ministère public sont autonomes. Ils disposent d’actions qui leur sont propres. Dès lors, le point de départ de la prescription quinquennale ne peut être identique.

Il a été précédemment jugé que l’action du Ministre n’est pas prescrite et que le point de départ du délai de prescription qui lui est applicable a commencé à courir le 11 juillet 2019.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS considèrent qu’à tout le moins, le Ministère public a eu ou aurait dû connaitre les faits caractérisant des pratiques restrictives de concurrence à l’ouverture de la procédure de sauvegarde de la société FCL DISTRI en janvier 2020. Au-delà du fait que le Ministère public intervient ici en matière de procédure collective, les faits rapportés ne pouvaient avoir qu’un caractère isolé, insuffisants à caractériser des pratiques restrictives de concurrence et créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Par ailleurs, il était impossible au Ministère public de connaître des faits recensés et établis au moment de l’enquête des services du Ministre. Ce n’est qu’au moment où l’AFC a assigné les sociétés du groupe CARREFOUR devant le Tribunal de céans, qu’il a eu connaissance des faits caractérisant des pratiques restrictives de concurrence.

Le point de départ de la prescription se situe donc au jour de l’assignation de l’AFC.

De tout ce qui précède, l’action du Ministère public n’est pas prescrite.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du Ministère public soulevée par les défendeurs est rejetée.

3.5 Autorité de la chose jugée :

3.5.1 Sur la fin de non-recevoir à l’encontre de l’AFC tirée de l’autorité de la chose jugée (soulevée par les 4 entités du groupe CARREFOUR) :

L'article 480 du Code de procédure civile dispose qu'un jugement a l'autorité de la chose jugée dès son prononcé, relativement à la contestation qu'il tranche.

L'article 1355 du Code civil précise que cette autorité n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, et à condition qu'il y ait identité de parties, d'objet et de cause. Ces trois critères sont cumulatifs :

Identité de parties : La demande doit être portée devant les mêmes parties au litige, agissant en la même qualité. L'autorité de la chose jugée est relative aux parties en cause.

Identité d'objet : La "chose demandée" doit être identique. Si l'objet de la demande est modifié, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée.

Identité de cause : Le plaideur a la charge de présenter, dès la première instance, l'ensemble des moyens de nature à fonder sa demande. Seul ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement est revêtu de l'autorité de la chose jugée.

Le dispositif : Le dispositif d'un jugement énonce la décision de la juridiction. L'interprétation du dispositif est stricte, et une question non tranchée dans celui-ci n'a pas autorité de la chose jugée.

Les entités défenderesses soutiennent que les demandes de l'AFC se heurtent à l'autorité de la chose jugée, en raison de sentences arbitrales opposant certains membres de l'AFC à d'autres parties.

L'AFC conteste cet argument, car les conditions de l'autorité de la chose jugée ne sont pas réunies.

Concernant l'identité des parties : L'AFC est seule partie demanderesse à l'instance, et les franchisés cités par les défenderesses ne sont pas intervenus volontairement à l'instance. L'AFC a une personnalité juridique propre et ne se confond pas avec ses membres, qui conservent un droit d'action propre. De plus, l'AFC agit dans l'intérêt collectif de ses membres, tandis que les actions individuelles de ces derniers visent la réparation de leurs préjudices propres.

Concernant l'identité d'objet et de cause : Les défenderesses évoquent des "procédures arbitrales" non identifiées, dont l'objet est inconnu du tribunal. Il est peu probable que les prétentions de sociétés agissant à titre individuel soient identiques à celles d'une association agissant dans l'intérêt collectif de ses membres.

Concernant le dispositif : Les demandes formulées dans le cadre de procédures arbitrales, par nature confidentielles, ne sont pas produites par les défenderesses et sont donc inconnues du tribunal. Celui-ci ne peut se prononcer sur l'irrecevabilité des demandes de l'AFC sur la seule affirmation des défenderesses.

En conclusion, les demandes de L'AFC ne peuvent se heurter à l'autorité de la chose jugée, car certains des critères cumulatifs font défaut.

Le Tribunal déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de JUGER que les demandes formulées par l’AFC dans l’intérêt de sociétés pour le compte desquels des actions en justice engagées avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF ont donné lieu à des décisions de justice seraient manifestement irrecevables à raison de l’autorité de la chose jugée attachée à ces décisions de justice ;

Le Tribunal déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de JUGER que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de sociétés auxquelles peuvent être opposées l’autorité de la chose jugée attachée à des sentences arbitrales rendues dans le cadre d’instances arbitrales ayant opposé ces dernières à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF, sont irrecevables ;

Le Tribunal déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de JUGER que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de de sociétés qui ont conclus des protocoles transactionnels avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF auxquels sont attachées l’autorité de la chose jugée attachée, sont irrecevables ;

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leurs demandes de JUGER que l’objectif des membres de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour, au travers de la présente action, a été de pallier les carences de leur action en justice manifestement irrecevable car prescrites ou en raison de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions judiciaires, sentences arbitrales et protocoles transactionnels dans le cadre de litiges antérieurs les opposant à SELIMA et/ou PROFIDIS

3.5.2 Sur l’irrecevabilité pour contournement des règles d’ordre public soulevée par SELIMA ET PROFIDIS :

Le Tribunal résume ci-après les arguments des défenderesses, SELIMA et PROFIDIS.

I. L'article 31 du Code de procédure civile et la notion d'intérêt légitime

L'article 31 du Code de procédure civile dispose que « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ». Cet intérêt, pour être recevable, doit être direct, actuel et légitime.

La notion de légitimité introduit une dimension morale dans l'appréciation de l'intérêt à agir. Le juge peut ainsi écarter les actions qui conduiraient à légitimer ce qui ne l'est pas, c'est-à- dire les actions illicites ou immorales. Cela implique d'examiner le comportement du demandeur et de sanctionner sa turpitude ou sa faute par l'irrecevabilité de son action.

II. L'appréciation de la légitimité par le juge

La jurisprudence administrative a développé une approche similaire, jugeant irrecevables les actions intentées par des associations dont le but essentiel est de contourner les règles de recevabilité qui s'appliqueraient à leurs membres. Le juge administratif peut écarter l'objet social statutaire d'une association lorsqu'il ressort des faits que celle-ci agit en réalité exclusivement pour le compte d'autrui et dans un but autre que celui qu'elle est censée poursuivre.

III. L'argument du contournement des règles de procédure dans le cas d'espèce

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS reprochent à l'AFC d'agir dans le but de contourner l'irrecevabilité des demandes auxquelles se heurteraient directement certains de ses membres. Plusieurs exemples sont avancés :

La prescription :

L'article 2224 du Code civil fixe le délai de prescription de droit commun à cinq ans. Il est avancé que certains contrats conclus entre les membres de l'AFC et les sociétés SELIMA et PROFIDIS datent de plus de cinq ans, ce qui rendrait irrecevable l'action de ces membres.

L'autorité de la chose jugée :

L'article 122 du Code de procédure civile dispose que l'autorité de la chose jugée entraîne l'irrecevabilité d'une nouvelle demande. L'article 1355 du Code civil précise que cette autorité s'attache à ce qui a fait l'objet du jugement, entre les mêmes parties, sur la même cause et avec la même qualité. Or, il est souligné que certains membres de l'AFC ont déjà intenté des actions contre les sociétés SELIMA et PROFIDIS, dans lesquelles ils formulaient les mêmes demandes que celles portées par l'AFC. Ces actions se sont soldées par des décisions judiciaires ou arbitrales définitives, ou par des désistements. L'action de l'AFC serait donc irrecevable pour ces membres.

Les clauses compromissoires :

Les statuts des sociétés communes franchisées et les pactes d'actionnaires contiennent des clauses compromissoires, qui prévoient le recours à l'arbitrage en cas de litige. L'AFC soutient que ces clauses ne sont pas applicables à son action, au motif qu'elle agit dans l'intérêt collectif de ses membres. Ce faisant, elle cherche à échapper à une règle qui s'imposerait à ses membres agissant individuellement.

IV. La réponse de l'AFC et la conclusion

L'AFC soutient que la recevabilité de son action doit être appréciée au regard de sa situation propre, et non de celle de ses membres. Cependant, il est rétorqué que cela est insuffisant, dès lors que les membres de l'AFC ne contestent pas avoir cherché à contourner les règles de procédure par le biais de l'action associative.

En conclusion, il est soutenu que l'action de l'AFC est entachée de fraude, qui « corrompt tout ». En conséquence, il est demandé au juge de déclarer l'action de l'AFC irrecevable, en application de l'article 31 du Code de procédure civile.

Le Tribunal rappelle que ces points ont déjà été traités ci-avant ou ci-après.

Pour rappel, la recevabilité de l’action de l'AFC doit être appréciée au regard de son objet social et de son intérêt collectif, et non des situations individuelles de ses membres.

Par conséquent, le Tribunal dit que l’action de l’AFC ne vise pas à échapper à l’application d’une règle d’ordre public de procédure civile et déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de JUGER que l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour vise à échapper à l’application d’une règle d’ordre public de procédure civile.

3.6 Les autres demandes des parties :

3.6.1 Sur la demande formulée par l’AFC sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, de juger que les sociétés CPF et CSF constituent « l'autre partie à la négociation commerciale »

L'article L. 442-1, 2° du Code de commerce dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (nous soulignons). »

Cette clause interdit à toute entreprise (producteur, distributeur, prestataire de services) de soumettre ou de tenter de soumettre une autre partie à des obligations qui créent un déséquilibre important dans leurs droits et devoirs contractuels, que ce soit lors de la négociation, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat.

Pour prouver un déséquilibre significatif, il faut démontrer qu'une entreprise a tenté d'imposer ou a imposé des obligations déséquilibrées à « l'autre partie » engagée dans la relation commerciale.

La loi distingue clairement l'auteur de la pratique (celui qui impose le déséquilibre) et la victime (celle qui le subit), désignée comme « l'autre partie ». Cette notion « d'autre partie » a été élargie par rapport à l'ancienne version de la loi qui visait spécifiquement les « partenaires commerciaux ».

Dans cette affaire, l'AFC a attaqué les sociétés CPF et CSF, en les accusant de soumettre leurs membres (les franchisés) à des clauses contractuelles déséquilibrées.

L'AFC demande au tribunal de juger que les sociétés CPF et CSF constituent « l'autre partie à la négociation commerciale ».

a. Le Contexte Spécifique des Contrats de Franchise et le Déséquilibre Significatif

Les contrats de franchise sont expressément reconnus comme relevant du champ d'application de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce. La Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) a, par exemple, examiné la conformité de contrats au sein de réseaux (tels que les opticiens et les réseaux de soins) au regard de cette disposition.

Les relations de franchise se caractérisent fréquemment par l'imposition d'un contrat-type de franchise par le franchiseur à ses franchisés. En raison de la "position prépondérante" du franchiseur, ces contrats ne sont souvent pas effectivement négociés. Cette dynamique peut conduire à une "surprotection juridique de la tête de réseau". Le modèle économique de la franchise, par sa nature même, implique qu'un franchiseur octroie des droits et impose un cadre opérationnel standardisé afin de maintenir l'homogénéité du réseau et la cohérence de la marque. Cela se traduit souvent par des conditions contractuelles où les franchisés individuels disposent d'un pouvoir de négociation limité, les rendant particulièrement vulnérables à l'imposition de clauses significativement déséquilibrées.

b. Analyse de la Qualification Erronée de Carrefour comme "l'Autre Partie"

Dans l'affaire en question, l'AFC a demandé au Tribunal de juger que les sociétés CPF et C.S.F. constituaient "l'autre partie à la négociation commerciale". Or, cette qualification est erronée. La notion « d'autre partie" est, en droit, réservée à la victime du déséquilibre, c'est-à-dire celle qui subit les obligations déséquilibrées, et non à l'entreprise qui les impose.

En tant que franchiseur, CARREFOUR est l'entité qui aurait imposé les clauses déséquilibrées à ses franchisés. Conformément à l'interprétation établie de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce, Carrefour est donc « l'auteur » de la pratique restrictive alléguée, et non la "victime" qui la subit. La demande de l'AFC a fondamentalement méconnu cette distinction cruciale, attribuant incorrectement les rôles prévus par la loi. Cette situation illustre une application directe et sans ambiguïté du principe interprétatif fondamental de l'article L. 442- 1, I, 2° du Code de commerce. Si Carrefour est l'entité qui impose les clauses, elle est, par définition, « l'auteur » du déséquilibre potentiel. Inversement, "l'autre partie" est celle qui est soumise à ces clauses, c'est-à-dire les franchisés. L'erreur de l'AFC a consisté à confondre le responsable de la pratique avec la partie protégée, démontrant une lecture erronée du libellé de la loi et de son intention protectrice sous-jacente.

Cette erreur est d'autant plus critique qu'elle identifie de manière incorrecte le sujet même de la protection légale.

L'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce est un instrument législatif essentiel pour encadrer les pratiques commerciales abusives, en particulier l'imposition d'obligations contractuelles significativement déséquilibrées.

L'évolution législative, passant de la notion de « partenaire commercial » à celle, plus large, « d'autre partie », témoigne d'une volonté délibérée d'étendre le champ de protection pour englober un éventail plus vaste de relations commerciales, adaptant ainsi la loi aux réalités des dynamiques de marché.

Le principe juridique clair et non équivoque est celui selon lequel « l'autre partie » désigne exclusivement la victime qui subit le déséquilibre significatif, et non l'auteur qui l'impose.

En conséquence, le Tribunal déboute l’AFC de sa demande de voir CSF et CPF nommée « l’autre partie » au sens de l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce, tout en considérant que le groupe CARREFOUR constitue bien le « partenaire commercial » au sens des textes, des franchisés membres de l’association. Les sociétés du groupe CARREFOUR conservent bien leur qualité à se défendre.

3.6.2 Sur l’irrecevabilité des demandes formulées par l’AFC sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, soulevée par les 4 sociétés du groupe CARREFOUR

L’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure au 26 avril 2019, dispose que :

« L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le Ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.

Lors de cette action, le Ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en œuvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.

Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. ».

Les sociétés CPF et CSF considèrent qu’avant l'ordonnance du 24 avril 2019, seules certaines entités (Ministre de l’Économie, Ministère public) pouvaient demander la cessation des pratiques ou la nullité des clauses. Les autres personnes intéressées, y compris les victimes, ne pouvaient demander que la réparation du préjudice. Les demandes de l'AFC visant la cessation de pratiques pour des contrats antérieurs au 26 avril 2019 sont irrecevables, car l'AFC n'avait pas cette prérogative à l'époque.

Les sociétés CPF et CSF indiquent dans leurs conclusions, à leur dernier paragraphe : « Ainsi, et bien que la Défenderesse ne soit pas encore en mesure de connaitre la liste des membres constituant l’AFC, il peut d’ores et déjà être constaté que les demandes qui sont formulées par l’AFC dans le cadre d’un intérêt artificiellement collectif de ses membres, sur la base de contrats qu’elle produirait au soutien de ses demandes et qui seraient antérieurs au 26 avril 2019, seraient manifestement irrecevable ».

Les conclusions reviennent une nouvelle fois sur le principe pour l’AFC d’avoir un intérêt collectif à agir.

Le Tribunal a déjà statué plus haut sur cet intérêt collectif à agir de l’AFC.

Sur la cessation de pratiques pour des contrats antérieurs au 26 avril 2019, outre les réponses du Ministère Public et du Ministre qui infirme cette position, la jurisprudence elle aussi infirme cette position.

L'argument des sociétés CPF et CSF repose sur une interprétation du principe de non rétroactivité de la loi. Si ce principe, consacré par l'article 2 du Code civil, est fondamental, il doit être articulé avec un autre principe tout aussi important : l'application immédiate de la loi nouvelle aux situations en cours.

La jurisprudence distingue de manière constante :

Les lois de fond (qui définissent la substance d'un droit, comme les conditions de validité d'un contrat) ne s'appliquent en principe pas aux contrats conclus avant leur entrée en vigueur.

Les lois de procédure (qui régissent les modalités d'action en justice, la compétence des tribunaux ou la recevabilité d'une demande) sont d'application immédiate à toutes les instances introduites après leur entrée en vigueur, même si le litige porte sur des faits antérieurs.

La question centrale est donc de savoir si le droit pour une association de demander la cessation d'une pratique illicite est un droit de fond ou une règle de procédure.

Le droit pour une personne ou une entité de saisir un juge pour lui demander de prononcer une mesure spécifique (comme la nullité, des dommages-intérêts ou la cessation d'un agissement) est ce que l'on nomme le droit d'agir en justice.

Ce droit d'agir et les types de demandes qu'il est possible de formuler relèvent de la procédure civile. L'ordonnance du 24 avril 2019, en élargissant la capacité des associations de consommateurs à demander la cessation de pratiques, n'a pas modifié la substance des obligations des sociétés CPF et CSF découlant des contrats passés. Elle n'a pas rendu illicite une clause qui aurait été licite auparavant. Elle a simplement ouvert une nouvelle voie de droit à une nouvelle catégorie d'acteurs pour faire sanctionner des manquements préexistants.

Donc, la loi nouvelle ne change pas les règles du jeu contractuel mais elle change les règles du jeu judiciaire.

La demande de l'AFC ne vise pas à sanctionner rétroactivement un comportement passé, mais à faire cesser pour l'avenir les effets de contrats en cours d'exécution, ce qui correspond précisément à l'un des domaines d'application immédiate de la loi nouvelle.

La condition de recevabilité de l'action de l'AFC doit être appréciée au jour où elle saisit la juridiction. L’assignation ayant été délivrée après le 26 avril 2019, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, la demande de cessation des pratiques est parfaitement recevable, y compris pour des contrats conclus antérieurement à cette date.

Les sociétés CPF et CSF confondent le droit applicable au fond du contrat et le droit applicable à l'action en justice.

Le Tribunal déboute les sociétés CPF et CSF de leur demande de juger que les demandes formulées par l’AFC visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, la cessation de pratiques qui seraient mises en œuvre par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans le cadre de contrats conclus avant le 26 avril 2019, sont irrecevables.

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que les demandes formulées par l’AFC visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 ancien du Code de commerce, la cessation de pratiques prétendument mises en œuvre par elles dans le cadre de l’ensemble des contrats susvisés conclus avant le 26 avril 2019, sont irrecevables.

3.6.3 De l’admissibilité juridique des demandes formulées par l’AFC, mise en doute par CPF et CSF :

Les sociétés CPF et CSF considèrent que de nombreuses demandes de l'AFC dans son assignation sont formulées comme des « constatations » ou des « jugements » sans emporter de conséquences juridiques claires ou permettre au juge de trancher effectivement le litige. Ces demandes ne constituent pas de véritables « prétentions » au sens du Code de procédure civile et sont donc irrecevables.

Pour cela, elles s’appuient sur l’article 4 du Code de procédure civile qui dispose que : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ». Ainsi, il a pu être jugé que les demandes visant à « donner acte » ou à « faire constater » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions précitées.

Ce que les sociétés CPF et CSF oublient de dire, c’est que dans ces décisions, la nullité de l’assignation n’a jamais été prononcée.

Le Tribunal considère que les demandes de l’Association sont claires, que la structure du plan du dispositif ainsi que son contenu permettent aux sociétés Carrefour Proximité France et CSF d’appréhender l’ensemble des demandes de l’association.

De plus, les sociétés Carrefour Proximité France et CSF ne font état d’aucun moyen procédural et ne fondent aucunement, en droit, pour contredire les prétentions soulevées au sein du dispositif par l’AFC.

Par ailleurs l’AFC demande au Tribunal dans son dispositif d’ordonner la cessation des pratiques caractérisant un avantage sans contrepartie au bénéfice du Groupe Carrefour.

Les demandes des sociétés Carrefour Proximité France et CSF entraineraient nécessairement une analyse du fond de l’affaire par le Tribunal, ce qui irait à l’encontre de la présente procédure.

Le Tribunal déboute les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de leur demande de juger que les demandes susvisées formulées par l’AFC ne constituent pas des prétentions admissibles et partant, sont irrecevables.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS argumentent que l'AFC ne peut pas baser ses demandes sur l'article 1171 du Code civil, ni de manière principale ni de manière subsidiaire.

En effet, l'AFC se fonde sur l'article 1171 du Code civil en plus des articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 du Code de commerce.

Cependant, l'article 1171 du Code civil ne permet pas d'actions collectives. Il est destiné aux actions individuelles des cocontractants.

Les sociétés SELIMA et PROFIDIS s’appuient sur les dires du professeur Mme [T] [I] [D] et sur un autre auteur (F.-X. Licari, Fasc. 50 : Contrat – Contenu du contrat – Déséquilibre significatif du contrat, JurisClasseur Civil Code > Art. 1162 à 1171, §27) qui confirment que seules les parties directement concernées (les consommateurs ou adhérents) peuvent invoquer cet article, pas les associations, même agréées.

Le professeur Mme [T] [I] [D] conclut que si même les associations de consommateurs agréées ne peuvent agir sur ce fondement, une association de franchisés sans agrément, ne le peut pas non plus.

En conclusion, l'utilisation de l'article 1171 du Code civil par l'AFC suggère qu'elle agit en réalité pour des intérêts individuels de ses membres, ce qui rend son action irrecevable. De plus, même si elle agissait dans un intérêt collectif, elle ne serait pas recevable à le faire sur ce fondement.

Le Tribunal a déjà jugé plus haut sur l’intérêt collectif à agir de l’AFC.

De plus, les sociétés SELIMA et PROFIDIS ne s’appuient que sur les dires doctrinaux d’un professeur, non confirmés par d’autres auteurs, ni la jurisprudence. De plus, elles n’avancent aucun point de droit.

Elles sont défaillantes, au droit de l’article 9 du Code de procédure civile, dans l’administration de la preuve qui est à leur charge.

Le Tribunal déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’association n’est pas recevable à agir sur le fondement de l’article 1171 du Code civil.

3.6.5 Sur la demande de l’AFC concernant la procédure abusive

L'AFC demande la condamnation des sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS à la somme de 150.000 € chacune pour procédure abusive.

L’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice ou de mauvaise foi.

En l’espèce, les sociétés du groupe CARREFOUR n’ont fait que défendre leurs droits. Par ailleurs, le Tribunal constate l’absence totale de démonstration par l’AFC des manœuvres déloyales des sociétés du groupe CARREFOUR.

De ce qui précède, le Tribunal déboute l’AFC de sa demande de condamnation des sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS au titre de la procédure abusive.

3.6.6 Sur l’article 700 et les dépens :

Les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS sont condamnées chacune à verser la somme de 50.000 € à l’AFC au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

A l’oral lors de l’audience, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique demande à ce que les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS soient condamnées in solidum à lui verser la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Il y est fait droit.

Les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS sont condamnées aux dépens.

L’affaire est renvoyée au fond.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, après en avoir délibéré collégialement, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort prononcé par mise à disposition au Greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

Déboute les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS de leur demande de prononcer la nullité de l’assignation de l’AFC,

Rejette l’exception d’incompétence du Tribunal de commerce de RENNES soulevée par les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS,

Se déclare compétent pour juger du présent litige,

Juge l’action du Ministère public recevable,

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du Ministère public soulevée par les défendeurs,

Juge recevable l’intervention du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes à l’encontre des sociétés SELIMA et PROFIDIS en vertu de l’article L. 442-6 ancien devenu L. 442- 1 du Code de commerce,

Juge que l’action introduite par l’AFC est recevable et qu’elle a capacité, qualité et intérêt à agir,

Déboute CPF et CSF de leur demande de juger que l’action introduite par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR est irrecevable pour défaut de qualité à agir,

Déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour ne vise en tout état de cause pas à défendre l’intérêt collectif de ses membres mais uniquement leurs intérêts individuels,

Déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande de déclarer irrecevable l’action de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS pour absence d’intérêt et de qualité à agir,

Juge que les demandes formulées par l’AFC sur le fondement des articles L 442-6 ancien, L 442- 1 nouveau et L. 442- 5 ancien du Code de commerce et l'article 1164 du Code civil ne sont pas prescrites pour les contrats de franchise antérieurs au 26 décembre 2018 et sont recevables,

Déboute SELIMA et PROFIDIS de leur demande de déclarer irrecevables pour prescription les demandes de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour à l’encontre de SELIMA et PROFIDIS visant à voir jugées non-écrites certaines clauses des statuts des sociétés communes franchisées,

Juge que les demandes formulées par l'AFC ne sont pas frappées par l'autorité de la chose jugée et qu'elles sont recevables,

Juge que les sociétés du groupe Carrefour ont qualité à se défendre,

Juge que l’action et les demandes formulées par l'AFC sont recevables,

Déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de juger que les demandes formulées par l’AFC dans l’intérêt de sociétés pour le compte desquels des actions en justice engagées avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF ont donné lieu à des décisions de justice seraient manifestement irrecevables à raison de l’autorité de la chose jugée attachée à ces décisions de justice,

Déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de juger que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de sociétés auxquelles peuvent être opposées l’autorité de la chose jugée attachée à des sentences arbitrales rendues dans le cadre d’instances arbitrales ayant opposé ces dernières à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF, sont irrecevables,

Déboute CARREFOUR PROXIMITÉ France et CSF de leurs demandes de juger que les demandes qui seraient formulées par l’ASSOCIATION DES FRANCHISES DU GROUPE CARREFOUR pour le compte et dans l’intérêt de de sociétés qui ont conclus des protocoles transactionnels avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF auxquels sont attachées l’autorité de la chose jugée attachée, sont irrecevables,

Déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’objectif des membres de l’Association des Franchisés du Groupe Carrefour, au travers de la présente action, a été de pallier les carences de leur action en justice manifestement irrecevable car prescrites ou en raison de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions judiciaires, sentences arbitrales et protocoles transactionnels dans le cadre de litiges antérieurs les opposant à SELIMA et/ou PROFIDIS,

Juge que l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n'est pas prescrite,

Déboute les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS de leurs demandes d’ordonner au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de produire l’entier dossier de l’enquête menée auprès des franchisés du groupe Carrefours entre 2015 et 2016,

Déboute les sociétés CPF et CSF de leur demande de juger que les pièces n°439, 440 et 441 versées aux débats par le Ministre de l’Economie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sont dénuées de toute force probante,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique soulevée par les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS,

Juge que l’action du procureur de la République de Rennes n’est pas prescrite,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du Ministère public soulevée par les sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS,

Déboute l’AFC de sa demande de voir CARREFOUR nommée « l’autre partie » au sens de l'article L. 442-1, I, 2° ;

Déboute les sociétés CPF et CSF de leur demande de juger que les demandes formulées par l’AFC visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, la cessation de pratiques qui seraient mises en œuvre par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans le cadre de contrats conclus avant le 26 avril 2019, sont irrecevables,

Déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de juger que les demandes formulées par l’AFC visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 442-6 ancien du Code de commerce, la cessation de pratiques prétendument mises en œuvre par elles dans le cadre de l’ensemble des contrats susvisés conclus avant le 26 avril 2019, sont irrecevables,

Déboute les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de leur demande de juger que les demandes susvisées formulées par l’AFC ne constituent pas des prétentions admissibles et sont irrecevables,

Juge que les demandes formulées par l’AFC sur le fondement de l’article 1171 du Code civil sont recevables,

Déboute les sociétés SELIMA et PROFIDIS de leur demande de juger que l’AFC n’est pas recevable à agir sur le fondement de l’article 1171 du Code civil,

Déboute l’AFC de sa demande de condamnation des sociétés CPF, CSF, SELIMA et PROFIDIS au titre de la procédure abusive,

Condamne les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS à verser chacune la somme de 50.000 € à l’AFC au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS à verser la somme de 50.000 € au Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne les sociétés CSF, CPF, SELIMA et PROFIDIS aux dépens,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires concernant les exceptions de procédure et fins de non-recevoir soulevées,

Dit qu’en application de l’article 80 du Code de procédure civile, l’instance est suspendue jusqu’à l’expiration du délai pour former appel et, en cas d’appel, jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu sa décision,

Dit qu’à défaut d’appel dans le délai prescrit, les parties seront invitées à se présenter à l’audience publique du mardi 16 septembre 2025 à 10H00 afin pour d’organiser les échanges entre les parties sur le fond,

Liquide les frais de greffe à la somme de 75,81 euros, tels que prévus aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

LE PRESIDENT LA GREFFIERE M. Clément VILLEROY de GALHAU Mme Anna-Gaëlle VINCENT