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CASS. CIV. 1re, 9 juillet 2025

Nature : Décision
Titre : CASS. CIV. 1re, 9 juillet 2025
Pays : France
Juridiction : Cour de cassation Ch. civile 1
Demande : 24-19647
Décision : 25-501
Date : 9/07/2025
Numéro ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C100501
Nature de la décision : Cassation avec renvoi, Rejet
Mode de publication : Legifrance, Bull. civ.
Décision antérieure : CA COLMAR (1re ch civ. A), 3 juillet 2024
Numéro de la décision : 501
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24544

CASS. CIV. 1re, 9 juillet 2025 : pourvoi n° 24-19647 ; arrêt n° 501 

Publication : Legifrance ; Bull. civ.

 

Extraits : 1/ « 10. La Cour de cassation fait régulièrement application de ces principes lorsqu'elle examine le caractère abusif de clauses insérées dans des contrats de prêts multidevises ou libellés dans une devise étrangère qui n'est pas la monnaie de paiement, exigeant des juges du fond qu'ils recherchent si la banque a bien fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, notamment dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ( Cass., 1re civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316, Bull, Cass., 1re civ., 7 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.826, Cass., 1re Civ., 18 septembre 2024, pourvoi n° 22-21.976).

11. En revanche, s'agissant de prêts consentis dans une devise étrangère et remboursables dans la même devise, souscrit par des emprunteurs percevant leurs revenus dans la même monnaie à la date de conclusion des contrats, la première chambre civile avait admis l'analyse d'une cour d'appel ayant considéré qu'il n'existait aucun risque de change dans de telles circonstances et qui en avait déduit que les clauses litigieuses ne présentaient pas un caractère abusif (Cass., 1re Civ., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié).

12. Cette analyse doit être amendée, en ce qu'elle appréciait le caractère clair et compréhensible de la clause contestée au regard d'un risque de change évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l'emprunteur s'exposait pendant toute la durée du contrat.

13. Lorsqu'un prêt, consenti dans une devise étrangère, stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change pesant sur l'emprunteur, il convient, pour assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive précitée, de prendre en compte l'ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu'à son terme, permettant de satisfaire l'exigence de transparence nécessaire à sa complète information. Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l'emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l'objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte.

14. Il s'ensuit que l'établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères, doit fournir à l'emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d'un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d'exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l'emprunteur de mesurer, notamment, l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l'emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours du contrat. »

2/ « 15. Il ressort, en premier lieu, d'une jurisprudence constante que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge, comme en l'espèce. 16. En outre, les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne peuvent être utilement invoquées compte tenu du fait que le développement du droit dans le domaine des clauses abusives a atteint un stade où la reconnaissance judiciaire était raisonnablement prévisible. 17. Le principe de transparence sur lequel repose la solution est prévu à l'article 4.2 de la directive 93/13 précitée, depuis son entrée en vigueur, laquelle était transposée en droit interne à la date de conclusion des prêts respectivement conclus en 2005, 2006, 2007 et 2010, de sorte que la banque n'est pas fondée à invoquer des prévisions et anticipations légitimes tirées d'une jurisprudence postérieure.

18. En second lieu, conformément à l'article 7, § 1, de la directive précitée, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. Il ressort de ce même article, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de la directive, que cette dernière a également pour objectif de dissuader les professionnels d'utiliser des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (CJUE, arrêt du 15 juin 2023, C-520/21, Bank M., point 67).

19. Une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n'ayant jamais existé, de sorte qu'elle ne saurait avoir d'effet à l'égard du consommateur. 20. Il n'y a donc pas lieu de différer les effets dans le temps de la solution nouvelle. »

3/ « 22. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, au regard de sa situation de travailleur transfrontalier, de sa domiciliation et de la localisation des biens immobiliers financés, les prêts libellés en devises étrangères n'exposaient pas l'emprunteuse à un risque de change pendant toute la durée d'exécution du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR DE CASSATION

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 9 JUILLET 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

N° de pourvoi : B 24-19.647. Arrêt n° 501 FS-B.

DEMANDEUR à la cassation : Madame X.

DÉFENDEUR à la cassation : Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe

Mme CHAMPALAUNE, présidente.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Mme X., domiciliée [Adresse 2], [Localité 4], a formé le pourvoi n° B 24-19.647 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2024 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe, venant aux droits de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation. Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tréard, conseillère, les observations écrites et orales de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de Mme X., les observations écrites et orales de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, Mme Tréard, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, MM. Bruyère, Ancel, Mmes Peyregne-Wable, Corneloup, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseillère référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffière de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE                                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Faits et procédure :

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 3 juillet 2024) et les productions, les 14 octobre 2005, 13 février 2006, 17 juillet 2007 et 16 décembre 2010, Mme X. (l'emprunteuse), qui travaillait alors en Suisse, a souscrit quatre prêts immobiliers, libellés en francs suisses, remboursables dans la même devise, auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace aux droits de laquelle vient la Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe (la banque), en vue de l'acquisition, en France, de quatre biens immobiliers destinés à la location.

2. En juillet 2018, l'emprunteuse a fait l'objet d'un licenciement avec mise à la préretraite.

3. Le 21 janvier 2019, l'emprunteuse a assigné la banque, à titre principal, pour déclarer abusives et juger non écrites, des clauses présentes dans tous les contrats de prêts portant sur les prélèvements à échéance et le libellé du prêt en devises, à titre subsidiaire, en paiement de dommages-intérêts au titre d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde.

 

Examen des moyens :

Sur le deuxième moyen :

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                                    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

 

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                               (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Enoncé du moyen

5. L'emprunteuse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes visant le caractère abusif de certaines des clauses des contrats de prêt souscrits auprès de la banque, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; qu'au demeurant, en déduisant qu'il n'existait aucun risque

de change du seul fait que l'emprunteuse avait conclu des contrats de prêt libellés en francs suisses et remboursables dans cette devise et qu'elle avait toujours bénéficié de revenus versés en francs suisses, issus de son emploi, puis de la perception d'une rente après sa mise à la préretraite, sans rechercher si le risque de change ne résultait pas de ce que l'emprunteuse avait été licenciée, de sorte qu'au-delà de sa rente en francs suisses, ses ressources étaient constituées de ses indemnités de chômage, en euros, ainsi que des loyers qu'elle percevait pour la location des biens immobiliers, également en euros, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »

 

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                                    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Réponse de la Cour :

Sur les motifs du revirement :

VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée)                                       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

 

CHAPEAU (justification de la décisions              )                                              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

6. Aux termes de ce texte, l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

7. Cette disposition transpose l'article 4 de la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, qui précise, au paragraphe 1, que le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.

8. La Cour de justice a rappelé que, dans le cadre de l'exercice de la compétence d'interprétation du droit communautaire qui lui est conférée à l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne, elle peut interpréter les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive et a dit pour droit qu'il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l'objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d'abusive au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive (CJCE, arrêt du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02).

9. Après avoir énoncé que l'exigence de transparence des clauses contractuelles posée par la directive n° 93/13 ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci, elle a encore dit pour droit, s'agissant de contrats de prêt prévoyant une devise étrangère comme monnaie de compte et son remboursement dans une autre devise nationale, que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s'entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (CJUE, arrêt du 30 avril 2014, Kasler et Káslerné Rábai, C-26/13). Cette même exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, afin qu'il puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières (CJUE, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17) et ce pendant toute la durée de ce même contrat (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19). Cette exigence suppose également que, dans le cas des contrats de crédit en devises, les établissements financiers fournissent aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, celles-ci devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger. L'emprunteur doit être clairement informé du fait que, en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus (CJUE, arrêt du 20 septembre 2017, C-186/16, Andriciuc e.a., précité points 49 et 50).

10. La Cour de cassation fait régulièrement application de ces principes lorsqu'elle examine le caractère abusif de clauses insérées dans des contrats de prêts multidevises ou libellés dans une devise étrangère qui n'est pas la monnaie de paiement, exigeant des juges du fond qu'ils recherchent si la banque a bien fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, notamment dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ( Cass., 1re civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316, Bull, Cass., 1re civ., 7 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.826, Cass., 1re Civ., 18 septembre 2024, pourvoi n° 22-21.976).

11. En revanche, s'agissant de prêts consentis dans une devise étrangère et remboursables dans la même devise, souscrit par des emprunteurs percevant leurs revenus dans la même monnaie à la date de conclusion des contrats, la première chambre civile avait admis l'analyse d'une cour d'appel ayant considéré qu'il n'existait aucun risque de change dans de telles circonstances et qui en avait déduit que les clauses litigieuses ne présentaient pas un caractère abusif (Cass., 1re Civ., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié).

12. Cette analyse doit être amendée, en ce qu'elle appréciait le caractère clair et compréhensible de la clause contestée au regard d'un risque de change évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l'emprunteur s'exposait pendant toute la durée du contrat.

13. Lorsqu'un prêt, consenti dans une devise étrangère, stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change pesant sur l'emprunteur, il convient, pour assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive précitée, de prendre en compte l'ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu'à son terme, permettant de satisfaire l'exigence de transparence nécessaire à sa complète information. Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l'emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l'objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte.

14. Il s'ensuit que l'établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères, doit fournir à l'emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d'un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d'exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l'emprunteur de mesurer, notamment, l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l'emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours du contrat.

 

Sur l'application immédiate de la solution nouvelle :

15. Il ressort, en premier lieu, d'une jurisprudence constante que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge, comme en l'espèce.

16. En outre, les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne peuvent être utilement invoquées compte tenu du fait que le développement du droit dans le domaine des clauses abusives a atteint un stade où la reconnaissance judiciaire était raisonnablement prévisible.

17. Le principe de transparence sur lequel repose la solution est prévu à l'article 4.2 de la directive 93/13 précitée, depuis son entrée en vigueur, laquelle était transposée en droit interne à la date de conclusion des prêts respectivement conclus en 2005, 2006, 2007 et 2010, de sorte que la banque n'est pas fondée à invoquer des prévisions et anticipations légitimes tirées d'une jurisprudence postérieure.

18. En second lieu, conformément à l'article 7, § 1, de la directive précitée, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. Il ressort de ce même article, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de la directive, que cette dernière a également pour objectif de dissuader les professionnels d'utiliser des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (CJUE, arrêt du 15 juin 2023, C-520/21, Bank M., point 67).

19. Une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n'ayant jamais existé, de sorte qu'elle ne saurait avoir d'effet à l'égard du consommateur.

20. Il n'y a donc pas lieu de différer les effets dans le temps de la solution nouvelle.

 

Application au cas particulier :

RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

21. Pour rejeter la demande de l'emprunteur fondée sur le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêts, l'arrêt retient que la protection renforcée du consommateur qui découle de la directive n° 93/13 ne s'applique qu'aux emprunteurs exposés au risque de change. Il estime que tel n'est pas le cas de l'emprunteur qui a souscrit des prêts en francs suisses et toujours bénéficié de revenus versés en francs suisses, issus de son emploi en Suisse, puis de la perception d'une rente après sa mise à la pré-retraite en juillet 2018, les relevés du compte de l'emprunteur ouvert dans les livres de la banque, pour la période allant du 5 novembre 2020 au 10 février 2021 démontrant également que l'intéressée a procédé régulièrement à des dépôts d'espèces en francs suisses pour lui permettre de réaliser les remboursements dans la devise souhaitée. Il en déduit que l'emprunteuse ne démontrant pas avoir été soumise à un risque de change, il y a lieu de considérer qu'elle a bénéficié d'une information concrète, suffisante et exacte portant sur le mécanisme du prêt en devise suisse.

 

CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION                                                        (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

22. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, au regard de sa situation de travailleur transfrontalier, de sa domiciliation et de la localisation des biens immobiliers financés, les prêts libellés en devises étrangères n'exposaient pas l'emprunteuse à un risque de change pendant toute la durée d'exécution du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

 

Et sur le troisième moyen :

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                               (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Enoncé du moyen :

23. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde s'agissant des contrats de prêt des 14 octobre 2005 et 13 février 2006, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation du chef des demandes visant le caractère abusif de certaines des clauses des contrats de prêt souscrits auprès de la Caisse d'épargne entraînera, par voie de conséquence, celle du chef ayant rejeté les demandes de Mme X. fondées sur le manquement de la Caisse d'épargne à son devoir de mise en garde s'agissant des contrats de prêt des 14 octobre 2005 et 13 février 2006, qui se trouve dans un lien de dépendance nécessaire, et ce en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile. »

 

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                                    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Réponse de la Cour :

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

24. La cassation prononcée sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, entraîne la cassation par voie de conséquence de la disposition critiquée par le troisième moyen qui se trouve dans un lien de dépendance nécessaire.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 5 décembre 2022, il rejette ses demandes au titre du caractère abusif de certaines des clauses des contrats et en ce qu'il rejette l'action en responsabilité de la banque au motif d'un défaut de conseil et de mise en garde de Mme X., portant sur les contrats in fine selon offre du 14 octobre 2005 et du 13 février 2006, l'arrêt rendu le 3 juillet 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe et la condamne à payer à Mme X. la somme de 3.000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.