CASS. CIV. 1re, 17 septembre 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 24554
CASS. CIV. 1re, 17 septembre 2025 : pourvoi n° 23-23629 ; arrêt n° 579
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extraits : 1/ « 8. Il s'en déduit que l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses, sous réserve de la faculté, pour le prêteur, de prouver que l'emprunteur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n'intervienne cette décision.
9. La sécurité juridique, fondée sur le droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge. 10. Après avoir rappelé les principes issus de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, mis en application dans l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2023 (pourvoi n° 22-17.030), c'est à bon droit que la cour d'appel, devant laquelle la banque ne soutenait pas que l'emprunteur avait eu ou pouvait raisonnablement avoir eu connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n'intervienne la décision relative au caractère abusif de la clause, a rejeté la fin de non-recevoir.
11. Le moyen, qui invoque, en sa première branche, une interprétation contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'elle fixe le point de départ du délai de prescription à compter d'un événement qui ne permet pas d'établir que l'emprunteur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif des clauses litigieuses, et qui repose, en sa seconde branche, sur le postulat erroné selon lequel la règle née d'une interprétation jurisprudentielle ne peut être appliquée par le juge qu'à des rapports juridiques exclusivement postérieurs à cette interprétation, n'est fondé en aucune de ses branches. »
2/ « 15. Faisant ainsi ressortir, d'une part, que la banque n'avait pas fourni à l'emprunteur, en sa qualité de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de la clause litigieuse sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d'autre part, au regard des connaissances et des moyens supérieurs du professionnel pour anticiper le risque de change que la banque ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d'une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur ses obligations, la cour d'appel, qui, en cet état n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la seconde branche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, en a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l'objet du contrat, n'était ni claire ni compréhensible et qu'elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et l'emprunteur, de sorte qu'elle devait être réputée non écrite. 16. Le moyen n'est pas fondé.
17. La Cour de justice de l'Union européenne ayant rappelé, d'abord, qu'une clause prérédigée peut être abusive pour autant qu'elle présente certaines spécificités, propres à son libellé ou à son contexte, engendrant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, ensuite, que le caractère abusif d'une telle clause peut découler d'une formulation ne satisfaisant pas à l'exigence d'une rédaction claire et compréhensible énoncée à l'article 5 de la directive 93/13 et, enfin, que cette exigence doit, compte tenu de la situation d'infériorité dans laquelle se trouve le consommateur à l'égard du professionnel s'agissant, notamment, du niveau d'information, faire l'objet d'une interprétation extensive (CJUE, arrêt du 28 juillet 2016, Verein für Konsumenteninformation, C-191/15, points 67 et 68), il n'y a pas lieu de la saisir de la question préjudicielle suggérée par la banque en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation à donner de la directive. »
3/ « 24. En statuant ainsi, après avoir, en conséquence de l'annulation du contrat de prêt, condamné, d'une part, l'emprunteur à payer à la banque la contre-valeur en euros selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée, d'autre part, la banque à restituer à l'emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, avec compensation, ce dont il résultait qu'il ne subsistait aucun préjudice financier en lien avec l'évolution du taux de change pendant l'exécution du contrat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : J 23-23.629. Arrêt n° 579 F-B.
DEMANDEUR à la cassation : Caisse de Crédit mutuel [Localité 3] Europe
DÉFENDEUR à la cassation : Monsieur X.
Mme CHAMPALAUNE, présidente.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La caisse de Crédit mutuel [Localité 3] Europe, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-23.629 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2023 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant à M. X., domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseillère, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] Europe, de Maître Laurent Goldman, avocat de M. X., après débats en l'audience publique du 17 juin 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, présidente, Mme Tréard, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, et Mme Vignes, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 octobre 2023) et les productions, suivant une offre du 3 mai 1998, M. X. (l'emprunteur) a souscrit auprès de la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] Europe (la banque) un prêt libellé en francs suisses, remboursable en une échéance unique fixée le 30 avril 2018, affecté à l'achat d'un studio.
2. En 2017, l'emprunteur a assigné la banque, aux fins, notamment, de voir déclarer abusives certaines clauses du contrat de prêt, obtenir la restitution de toutes les sommes perçues en exécution de ce contrat et l'indemnisation des préjudices résultant du manquement de la banque à son obligation d'information.
Examen des moyens :
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens, ce dernier pris en sa deuxième branche :
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
4. La banque fait grief à l'arrêt, notamment, de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de restitution et de dire que l'action de l'emprunteur en restitution est recevable, alors :
« 1°/ que l'action tendant à la restitution de sommes versées sur le fondement de clauses prétendument abusives relatives au remboursement d'un prêt en devise et au risque de change supporté par l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le consommateur a été en mesure de constater une importante dépréciation de l'euro par rapport à la devise empruntée ; que pour dire non prescrite l'action en restitution fondée sur le caractère prétendument abusif des clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devises et au risque de change, la cour d'appel a jugé que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
2°/ subsidiairement que la règle selon laquelle l'action tendant à la restitution de sommes versées en exécution d'une clause abusive se prescrit par cinq ans à compter de la décision judiciaire reconnaissant le caractère abusif de la clause ne peut s'appliquer qu'aux actions restitutoires introduites postérieurement au 12 juillet 2023, date de la décision de la Cour de cassation édictant cette règle ; qu'en faisant application de cette règle à une action introduite le 26 juillet 2017 pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la caisse et tirée de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
5. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Par un arrêt du 12 juillet 2023 (pourvoi n° 22-17.030), la première chambre civile a déduit des principes énoncés par la Cour de justice (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19 ; CJUE, arrêt du 9 juillet 2020, C-698/18 et C-699/18), que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
7. La Cour de justice de l'Union européenne, précisant la portée de sa jurisprudence, a dit pour droit (CJUE, arrêt 25 avril 2024, Banco Santander (Départ du délai de prescription), C-561/21) que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ainsi que le principe de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que le délai de prescription d'une action en restitution de frais qui ont été acquittés par le consommateur au titre d'une clause contractuelle dont le caractère abusif a été constaté par une décision judiciaire définitive rendue postérieurement au paiement de ces frais, commence à courir à la date à laquelle cette décision est devenue définitive, sous réserve de la faculté, pour le professionnel, de prouver que ce consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n'intervienne ladite décision.
8. Il s'en déduit que l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses, sous réserve de la faculté, pour le prêteur, de prouver que l'emprunteur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n'intervienne cette décision.
9. La sécurité juridique, fondée sur le droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge.
10. Après avoir rappelé les principes issus de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, mis en application dans l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2023 (pourvoi n° 22-17.030), c'est à bon droit que la cour d'appel, devant laquelle la banque ne soutenait pas que l'emprunteur avait eu ou pouvait raisonnablement avoir eu connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n'intervienne la décision relative au caractère abusif de la clause, a rejeté la fin de non-recevoir.
11. Le moyen, qui invoque, en sa première branche, une interprétation contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'elle fixe le point de départ du délai de prescription à compter d'un événement qui ne permet pas d'établir que l'emprunteur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif des clauses litigieuses, et qui repose, en sa seconde branche, sur le postulat erroné selon lequel la règle née d'une interprétation jurisprudentielle ne peut être appliquée par le juge qu'à des rapports juridiques exclusivement postérieurs à cette interprétation, n'est fondé en aucune de ses branches.
Sur le quatrième moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
12. La banque fait grief à l'arrêt, notamment, de juger abusives et non écrites les clauses 5.3 et 10.5 du contrat de prêt du 13 mai 1998, alors :
« 1°/ que les clauses définissant l'objet principal du contrat ne peuvent être contrôlées au titre de la législation sur la lutte contre les clauses abusives que si elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible et, dans cette hypothèse, elles ne peuvent être déclarées abusives que si elles instaurent un déséquilibre significatif entre les parties au détriment du consommateur ; que des clauses relatives au remboursement d'un prêt libellé en devises et au risque de change pesant sur l'emprunteur, et qui définissent ainsi l'objet principal du contrat, sont rédigées de manière claire et compréhensible si elles contiennent des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat ; que pour dire abusives les clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devises et au risque de change pesant sur l'emprunteur, la cour d'appel, après avoir admis qu'elles définissaient l'objet principal du contrat, a relevé qu'elles instauraient un déséquilibre significatif en ce qu'elles ne mettraient pas l'emprunteur en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et en ce que ce dernier n'aurait pas été suffisamment informé des mécanismes de change ; qu'en déduisant l'existence du déséquilibre significatif du seul fait que les clauses litigieuses n'étaient pas rédigées de manière claire et compréhensible, sans se prononcer sur leur incidence sur les droits et obligations des parties, la cour d'appel a violé l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation, en sa rédaction issue de la loi 95-96 du 1er février 1995 ;
2°/ que le caractère abusif d'une clause s'apprécie à la date de la conclusion du contrat qui la contient ; que pour dire abusives les clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devises et au risque de change, la cour d'appel a relevé qu'elles instauraient un déséquilibre significatif en ce qu'elles ne mettraient pas l'emprunteur en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et en ce que ce dernier n'aurait pas été suffisamment informé des mécanismes de change ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, au jour de la conclusion du prêt litigieux le 2 juin 1998, la parité entre le franc et le franc suisse n'était pas suffisamment stable et équilibrée, de sorte que le risque de change constituait la contrepartie raisonnable de l'attractivité du taux accordé à l'emprunteur au regard des taux des prêts en euros, ce qui excluait tout déséquilibre significatif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation, en sa rédaction issue de la loi 95-96 du 1er février 1995. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
13. L'arrêt constate que le contrat de prêt comporte, notamment, une clause 5.3 du prêt litigieux intitulée « remboursement du crédit » qui disposait que « tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais de garantie seront payables en francs. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré », ainsi qu'une clause 10.5 stipulant « [i]l est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
14. Après avoir énoncé que l'exigence de clarté et d'intelligibilité d'une clause ne se réduisait pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical et que le contrat devait exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référait la clause afin que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour lui, l'arrêt relève que le contrat de prêt litigieux ne contient aucune information sur la manière dont la clause est mise en œuvre, en particulier les modalités de remboursements en francs suisses alors qu'il n'est pas contesté que l'emprunteur ne percevait que des revenus en francs français puis en euros, ce qui impliquait nécessairement des conversions et l'application d'un taux de change. Il observe à cet égard que la seule mention à la stipulation 10.1 selon laquelle « le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation » est imprécise et ne permet pas à l'emprunteur d'appréhender le taux de change applicable non seulement pour le paiement des intérêts mais également pour le capital payable in fine, ni même le moment exact de la prise en compte de la variation de ce taux de change pour que soit opérée une conversion ainsi que les modalités selon lesquelles il peut en être informé. Il ajoute, s'agissant de la clause 10.5 du contrat de prêt, que la banque ne justifie pas avoir communiqué la moindre information sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change, susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de l'engagement permettant à l'emprunteur d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus.
15. Faisant ainsi ressortir, d'une part, que la banque n'avait pas fourni à l'emprunteur, en sa qualité de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de la clause litigieuse sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d'autre part, au regard des connaissances et des moyens supérieurs du professionnel pour anticiper le risque de change que la banque ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d'une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur ses obligations, la cour d'appel, qui, en cet état n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la seconde branche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, en a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l'objet du contrat, n'était ni claire ni compréhensible et qu'elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et l'emprunteur, de sorte qu'elle devait être réputée non écrite.
16. Le moyen n'est pas fondé.
17. La Cour de justice de l'Union européenne ayant rappelé, d'abord, qu'une clause prérédigée peut être abusive pour autant qu'elle présente certaines spécificités, propres à son libellé ou à son contexte, engendrant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, ensuite, que le caractère abusif d'une telle clause peut découler d'une formulation ne satisfaisant pas à l'exigence d'une rédaction claire et compréhensible énoncée à l'article 5 de la directive 93/13 et, enfin, que cette exigence doit, compte tenu de la situation d'infériorité dans laquelle se trouve le consommateur à l'égard du professionnel s'agissant, notamment, du niveau d'information, faire l'objet d'une interprétation extensive (CJUE, arrêt du 28 juillet 2016, Verein für Konsumenteninformation, C-191/15, points 67 et 68), il n'y a pas lieu de la saisir de la question préjudicielle suggérée par la banque en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation à donner de la directive.
Mais sur le sixième moyen, pris en sa première branche :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
18. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à l'emprunteur une somme de 21 179,90 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier, et de rejeter ses demandes plus amples ou contraires, alors « que le juge doit ordonner la réparation du préjudice subi sans perte ni profit pour la victime ; qu'au cas présent, la cour d'appel a annulé le contrat de prêt en devises souscrit par M. X. et a en conséquence condamné ce dernier à restituer à la Caisse le capital prêté au taux de change en vigueur lors de sa mise à disposition et a condamné la caisse à restituer à M. X. toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chaque paiement ; qu'ainsi, les restitutions ordonnées par la cour d'appel privaient la caisse pour le passé et pour l'avenir tant de l'application du taux conventionnel que du jeu de la clause de risque de change ; qu'elles ne laissaient donc subsister aucun préjudice au détriment de l'emprunteur du chef de l'évolution du taux de change pendant l'exécution du prêt ; que pourtant, la cour d'appel, après avoir constaté que la caisse avait manqué à son obligation d'information spécifique quant au risque de change, l'a condamnée à payer à M. X. une somme de 21 179,90 euros en réparation d'un préjudice s'analysant en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change ; qu'en prononçant cette condamnation en réparation du préjudice lié à la réalisation du risque de change, après avoir ordonné des restitutions qui ne laissaient subsister aucun préjudice au détriment de l'emprunteur du chef du risque de change, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
Recevabilité du moyen :
19. L'emprunteur oppose la nouveauté du moyen.
20. Cependant, le moyen est de pur droit, dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
21. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
22. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
23. Pour condamner la banque à verser à l'emprunteur une somme de 21 179,90 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, l'arrêt énonce, d'abord, que lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger. Après avoir relevé que la banque n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, qu'elle a satisfait à cette obligation, l'arrêt retient que le préjudice ne peut s'analyser qu'en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change, évaluée à 70 %, dont le montant correspond à la différence entre la contre-valeur en euros du capital au moment de la souscription du prêt et le montant de la somme effectivement payée en exécution du contrat de prêt auquel il convient d'appliquer le taux de perte de chance précité. Il ajoute que la banque ayant été condamnée à restituer toutes les sommes versées par l'emprunteur, lesquelles incluent les intérêts et les frais, la demande de paiement à ce titre sera rejetée.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
24. En statuant ainsi, après avoir, en conséquence de l'annulation du contrat de prêt, condamné, d'une part, l'emprunteur à payer à la banque la contre-valeur en euros selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée, d'autre part, la banque à restituer à l'emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, avec compensation, ce dont il résultait qu'il ne subsistait aucun préjudice financier en lien avec l'évolution du taux de change pendant l'exécution du contrat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation :
25. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
26. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
27. L'emprunteur fait valoir dans ses conclusions d'appel que s'il n'avait pas été trompé et s'il avait été correctement informé sur la réalité du contrat de prêt litigieux, il aurait évité avec certitude de le conclure, échappant ainsi à l'effet du risque de change et n'aurait pas vu le capital restant dû augmenter.
28. Le contrat ayant été annulé et les restitutions ordonnées précisant qu'elles le sont avec, d'une part, une contre-valeur en euros selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds par la banque, d'autre part, une contre-valeur en euros de chacune des sommes versées par l'emprunteur selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, avec compensation, replaçant les parties dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant la conclusion du contrat, il ne subsiste aucun préjudice financier en lien avec l'évolution du taux de change pendant l'exécution du contrat, né d'une perte de chance de ne pas conclure le contrat.
29. La demande est rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] Europe à payer à M. X. la somme de 21.179,90 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier, l'arrêt rendu le 19 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande d'indemnisation de M. X. au titre du préjudice financier ;
Condamne M. X. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le dix-sept septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.