CA DOUAI (3e ch.), 19 octobre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10488
CA DOUAI (3e ch.), 19 octobre 2023 : RG n° 22/01024 ; arrêt n° 23/352
Publication : Judilibre
Extraits (rappel de procédure) : « A l'audience, le conseil de M. X. a été autorisé à produire, en cours de délibéré, l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023 conformément à l'article 445 du code de procédure civile. Par une note en délibéré du 13 juillet 2023, celui-ci a communiqué outre l'arrêt précité, le communiqué de presse de la Cour de cassation ainsi que l'extrait de la lettre de la première chambre civile de la Cour de cassation du mois de juillet traitant de cet arrêt. Le conseil du Crédit mutuel a transmis une note en délibéré du 15 septembre 2023. Par une note en délibéré du 19 septembre 2023, le conseil de M. X. a répondu à cette note. Le 26 septembre 2023 le conseil du crédit mutuel a transmis une nouvelle note en délibéré. »
Extraits (motifs) : 1/ « A titre liminaire, il est rappelé que les parties ne disconviennent pas que la cour n'a autorisé que la communication du seul arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 2023. Par suite, les autres pièces produites par le conseil de M. X. seront écartées des débats. Par ailleurs, la cour n'a pas à répondre à la note en délibéré du conseil du crédit mutuel remise après clôture des débats sur la seule initiative de cette partie. »
2/ « Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) rendu sur question préjudicielle, la cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription. Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de M. X. tendant à voir déclarer non écrites des clauses du contrat de prêt qualifiées d'abusives sera rejetée. »
3/ « Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 juillet 2023 ' n° 22-17.030). Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de M. X. en restitution de sommes indument payées au Crédit mutuel en exécution des clauses dont il soutient qu'elles sont abusives sera rejetée. »
4/ « Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement. Il convient donc de caractériser la date de la connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur les obligations financières de M. X. (Cour de cassation 1ère chambre civile, 7 septembre 2022, n°21-15.199).
En l'espèce, ce dernier a souscrit, 13 mai 1998, un prêt libellé en franc suisse dont le capital était remboursable en une échéance, in fine, le 30 avril 2018, les échéances antérieures ne portant que sur les intérêts et les cotisations d'assurances. M. X. n'a pu connaître l'existence du dommage résultant du manquement de la banque à son devoir d'information sur le risque de change et sur le risque de voir augmenter de manière considérable la valeur en euro du capital à rembourser à la date de la conclusion des prêts, comme le soutient la banque, puisque le dommage résultant de l'évolution du cours du change qu'invoque M. X. n'a pu survenir qu'à la date de remboursement, laquelle constitue en conséquence le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre la banque. L'action, ayant été introduite le 26 juillet 2017, n'est donc pas prescrite. En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité sera rejetée. »
5/ « La prohibition des clauses abusives a été consacrée par la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, laquelle a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995. A cet égard, le crédit mutuel n'est pas fondé à invoquer le principe de non rétroactivité de la jurisprudence en présence d'un prêt souscrit en 1998 dès lors que la sécurité juridique et le principe de prééminence du droit ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit.
Par ailleurs, le crédit mutuel ne saurait davantage se prévaloir de l'exécution intégrale par M. X. du contrat de prêt alors que le fait qu'un contrat a été volontairement exécuté n'exclut pas en soi l'applicabilité de la directive 93/13/CEE et n'écarte pas la protection que cette directive confère à une personne ayant conclu ce contrat comme consommateur au sens de l'article 2, sous b), de ladite directive. Par suite, la demande du Crédit mutuel tendant à voir déclarer l'action de M. X. irrecevable pour défaut d'intérêt à agir sera rejetée. […]
Le prêt litigieux étant daté du 13 mai 1998, date d'acceptation de l'offre, le Crédit Mutuel fait valoir que les clauses contestées constituant l'objet principal du contrat, leur caractère abusif ne peut être examiné même si elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, cette dernière réserve ayant été ajoutée seulement postérieurement au contrat par la loi nationale.
Toutefois, la CJUE, dans son arrêt C 125/18 du 3 mars 2020, a dit pour droit que la directive doit être interprétée en ce sens que les juridictions des Etats membres doivent contrôler le caractère clair et compréhensible d'une clause portant sur l'objet principal du contrat indépendamment de la transposition de son article 4 § 2. »
6/ « Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la clause de « remboursement du crédit », même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt n'est pas rédigée de manière claire et qu'elle n'est pas intelligible en elle-même car lacunaire pour l'emprunteur puisque la détermination exacte des opérations de change nécessaires à l'exécution du prêt n'apparaît pas.
D'autre part, la stipulation d'une telle clause institue un déséquilibre significatif entre la banque prêteuse et l'emprunteur en ce que ce dernier n'est pas mis en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et n'a pas été suffisamment informé des mécanismes de change.
En conséquence, la clause de remboursement du crédit 5.3 rapportée ci-dessus et la clause en lien avec celle-ci 10.5 doivent être déclarées non écrites. »
7/ « Il convient de relever que la clause 6 intitulée « définition de l'index Libor 3 M » décrit avec précision les modalités pratiques d'indexation, la date et les valeurs de l'index prises en compte. En effet, l'index choisi était publié par l'association des banques britanniques, ce qui constituait une référence objective, ne dépendant pas, dans sa variabilité, de la volonté de la banque et est dénué de tout arbitraire à l'égard de l'emprunteur de sorte que cette indexation ne revêtait pas de caractère abusif comme créant un déséquilibre au détriment du consommateur, la circonstance que les effets de son évolution n'étaient pas limités ne confère pas à la clause un caractère déséquilibré. En toute hypothèse, M. X. ne démontre nullement le caractère déséquilibré des effets de cette indexation à son détriment en l'absence de tous documents relatifs aux modalités de l'exécution du prêt et à l'évolution de l'index. En conséquence, M. X. sera débouté de sa demande tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.2 et 6 du contrat. »
8/ « Il en résulte que le Crédit mutuel n'est pas fondé à solliciter les restitutions sur la base du taux de change en vigueur au jour de la restitution ni à invoquer les dispositions de l'article 1343 du code civil dès lors que la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat implique que l'emprunteur soit replacé dans la situation dans laquelle il aurait été en l'absence de telles clauses de sorte que M. X. n'est tenu de restituer que l'équivalent en euros de la somme empruntée en francs suisse selon le cours du change alors appliqué au contrat.
En l'espèce, il a été déterminé ci-dessus que les clauses réputées non écrites constituent l'objet principal du contrat de sorte que ce dernier n'a pu subsister sans elles et que si l'indexation en elle-même du taux nominal initial ne revêt pas un caractère abusif, l'index choisi étant le Libor 3 mois de la devise empruntée, il est lui-même atteint par les effets du caractère non écrit des clauses. En conséquence, ni le remboursement en devise ni l'intérêt stipulé ne peuvent subsister.
Ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande principale de M. X. tendant à ce qu'il restitue au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que la banque soit condamnée à lui restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il y a lieu d'ordonner la compensation et d'assortir la somme due après compensation des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt. »
9/ « Alors que le crédit mutuel se retranche derrière le conseiller en gestion en patrimoine qui aurait établi la demande de prêt, la société Tech Fim, qui constitue un tiers au contrat, elle ne démontre nullement qu'elle a satisfait à son obligation d'information alors que cette preuve lui incombe. En effet, il lui appartient d'établir avoir informé M. X., sans considération de sa qualité d'emprunteur averti ou non, sur les caractéristiques du prêt proposé afin de lui permettre de s'engager en connaissance de cause et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'un prêt en devises étrangères et de lui fournir des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat notamment le risque de change.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il apparaît que seule l'offre de prêt, même si celle-ci a été réitéré devant notaire, a été remise à M. X. qui n'a reçu aucun élément d'information, notamment une simulation relative à une évolution du montant du capital à rembourser en fonction de la variation du cours du change, lui permettant d'appréhender de manière suffisante le risque de change qu'il a subi.
Le fait que M. X. ait remboursé le prêt ne permet pas en soi de caractériser une confirmation du montant dû, ni une renonciation à agir en responsabilité. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/01024. Arrêt n° 23/352. N° Portalis DBVT-V-B7G-UEH5. Jugement (RG n° 18/04163) rendu le 18 Janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lille.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [Date naissance 1] à [Localité 8], [Adresse 3], [Localité 4], Représenté par Maître Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Maître Charles Constantin-Vallet, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE :
Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe
Association coopérative inscrite à responsabilité limitée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 2], [Adresse 6], [Localité 5], Représentée par Maître Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, Maître Serge Paulus, avocat au barreau de Strasbourg, avocat plaidant, substitué par Maître Marion de Ravel d'Esclapon, avocat au barreau de Strasbourg
DÉBATS à l'audience publique du 5 juillet 2023 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Guillaume Salomon, président de chambre, Claire Bertin, conseiller, Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023 après prorogation du délibéré en date du 5 octobre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 juin 2023
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Selon offre du 3 mai 1998, M. X. a souscrit un prêt d'un montant de 80.000 francs suisses auprès du Crédit mutuel (la banque) aux fins de financement de l'achat d'un studio.
Le 2 juin 1998, M. X. a signé un acte notarié de vente reprenant notamment les caractéristiques du prêt consenti par le Crédit mutuel.
Il a par ailleurs consenti au Crédit mutuel un nantissement d'un contrat souscrit auprès de la compagnie d'assurance Fleming Epargne (devenue Generali) par acte séparé du 15 décembre 2001.
Par acte du 26 juillet 2017, M. X. a assigné la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe devant le tribunal de grande instance de Lille en faisant valoir que le prêt prévoit un remboursement en CHF interdit ; qu'il comporte des clauses abusives ; que le Crédit mutuel a manqué à son devoir d'information, de conseil, de mise en garde, de prudence et de loyauté ainsi qu'à son obligation de renégocier le contrat et que le TEG stipulé au contrat de prêt est erroné. Il demandait en conséquence de condamner la banque à réparer l'intégralité du préjudice subi.
Par jugement du 18 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Lille :
- a déclaré M. X. irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de nullité ;
- l'a débouté de ses demandes tendant à voir déclarer certaines clauses du contrat de prêt abusives ;
- l'a déclaré irrecevable pour cause de prescription en ses demandes tendant à voir engager la responsabilité de la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
l'a déclaré irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de déchéance du droit aux - intérêts ;
- l'a condamné aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile ;
- l'a condamné à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe la somme de 6.000 euros (six mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- l'a débouté du surplus de ses demandes ;
- a débouté la caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe du surplus de ses demandes
Par acte du 1er mars 2022, M. X. a interjeté appel de cette décision en limitant ses contestations aux chefs du dispositif numérotés 1 à 7 ci-dessus.
[*]
Dans ses conclusions notifiées le 27 mars 2023, M. X. demande à la cour de :
- infirmer intégralement le jugement dont appel rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 18 janvier 2022 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en ce qu'il a fait droit aux demandes de la Banque, notamment en ce qu'il :
- l'a déclaré irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de nullité ;
- l'a débouté de ses demandes tendant à voir déclarer certaines clauses du contrat de prêt abusives ;
- l'a déclaré irrecevable pour cause de prescription en ses demandes tendant à voir engager la responsabilité de la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe
- l'a déclaré irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de déchéance du droit aux intérêts ;
- l'a condamné aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile ;
- l'a condamné à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe, la somme de 6.000 euros (six mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et, statuant à nouveau, de :
- juger recevables et bien fondées l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
- débouter la Banque de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :
- juger que les clauses du contrat de prêt litigieux, notamment celles reproduites ci-après, relatives aux monnaies de compte et de paiement ainsi que celle relative à l'exercice de l'option et au taux d'intérêt sont abusives :
- La clause 5.3 du contrat de prêt litigieux relative au remboursement du crédit qui stipule notamment que : « Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.
Les échéances seront débitées sur tout compte en devise ouvert de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. (...)
Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. (...)
Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré ».
- la clause 10.5 du contrat de prêt litigieux, relative au « changement de parité », qui stipule notamment, dans le cadre de la partie relative aux dispositions propres aux crédits en devise, que : « Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
- la clause 10.3 du contrat de prêt litigieux, relative à la conversion du prêt en euros qui stipule que : « Le prêt est réputé convertible en francs français ou en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en francs français ou en euros sous préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation ».
enfin, les clauses 5.2 et 6 relatives au coût du crédit, au taux d'intérêt et à la définition de l'index dans leur intégralité.
- juger l'ensemble de ces clauses réputées non écrites et en écarter l'application ;
- juger que l'ensemble de ces clauses relèvent de l'objet du contrat litigieux ;
Et en conséquence, à titre principal :
- que le contrat litigieux ne peut subsister sans les clauses déclarées abusives et qu'il est donc anéanti rétroactivement ;
- ordonner à la banque de produire un décompte de l'ensemble des sommes versées en euros entre les parties depuis le versement du capital prêté, et ce sous astreinte de 500 euros par jours de retard à compter d'un délai d'un mois après la signification de l'arrêt à intervenir, afin de fixer la créance en euro de restitution de la banque ;
- ordonner le rétablissement de la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l'absence de ces clauses abusives en procédant aux restitutions réciproques et compensations qui s'imposent, notamment s'agissant de toutes les sommes versées à la banque par lui telles que les intérêts, frais et cotisations ou primes d'assurance ;
À titre subsidiaire :
- juger après avoir écarté les clauses litigieuses que le contrat de prêt litigieux est un contrat de crédit immobilier de 47.259 euros remboursable en euros qui devra être requalifié comme tel ;
- condamner en conséquence la banque à lui restituer le montant des frais de change et de tenue de compte perçus par elle ;
- condamner en conséquence la banque à lui restituer le montant de l'intégralité des sommes indûment perçues par la banque en application des clauses abusives d'indexation et de paiement, ces montants correspondant à la différence entre les sommes qu'il a versées en euros depuis le début de l'exécution du contrat et les montants en euros correspondant à ceux initialement stipulés en francs suisses, au cours de change du jour du contrat ;
Sur les manquements de la banque à ses obligations :
- juger que la banque a manqué à son obligation d'information sur les risques financiers du contrat litigieux ;
Et en conséquence :
- juger qu'il a subi un préjudice financier de 90.000 euros correspondant à l'augmentation du capital et aux frais engagés pour pouvoir rembourser son prêt à l'échéance ;
condamner la banque à lui payer la somme de 90.000 euros au titre de l'indemnisation de son - préjudice financier ;
En tout état de cause :
- juger qu'il a subi un préjudice moral du fait de l'angoisse de supporter une dette sans limites qui doit être évalué à la somme de 20.000 euros ;
- condamner en conséquence la banque à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral ;
- juger que les condamnations à venir produiront des intérêts moratoires au taux légal à la date de l'arrêt à intervenir en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit ;
- condamner la banque à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la banque aux entiers dépens de la première instance et de l'appel sur le fondement de l'article 696 du Code de procédure civile ;
[*]
Dans ses conclusions notifiées le 9 juin 2023, la caisse de crédit mutuel Mulhouse Europe, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
A titre principal, sur l'appel principal de M. X.
A titre principal,
- déclarer M. X. mal fondé en ses demandes,
- confirmer le jugement déféré rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lille ce qu'il a :
* déclaré X. irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de nullité ;
* débouté X. de ses demandes tendant à voir déclarer certaines clauses du contrat de prêt abusives ;
* déclaré X. irrecevable pour cause de prescription en ses demandes tendant à voir engager sa responsabilité
* déclaré X. irrecevable pour cause de prescription en ses demandes de déchéance du droit aux intérêts ;
* condamné X. aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile ;
* condamné X. à lui payer Europe la somme de 6.000 euros (six mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
* débouté X. surplus de ses demandes ;
En conséquence,
- juger que les demandes de M. X. se heurtent à des fins de non-recevoir ;
- déclarer irrecevables les demandes de M. X. ;
- débouter M. X. de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Sur les clauses abusives,
- déclarer que le caractère abusif des clauses litigieuses relatives à l'indexation, à la monnaie de paiement et au risque de change et à la faculté de conversion ne peut être examiné dans la mesure où elles constituent l'objet principal du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible,
- déclarer que les clauses litigieuses relatives à l'indexation, à la monnaie de paiement, au risque de change et à la faculté de conversion ne créent aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
- déclarer en conséquence que les clauses litigieuses ne sont pas abusives ;
- débouter en conséquence M. X. de ses demandes
A titre subsidiaire,
- déclarer que la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, ne s'appliquera pas au présent litige ;
A titre infiniment subsidiaire, si certaines clauses devaient être réputées non-écrites,
- déclarer que M. X. devra restituer le montant du capital emprunté en CHF de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change au jour du jugement à intervenir,
- déclarer en conséquence qu'elle devra restituer à M. X. le montant des intérêts perçus pendant la durée de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change de chaque échéance,
- ordonner la compensation des sommes dues entre les parties ;
Sur sa responsabilité
- constater qu'elle n'a manqué à aucune obligation d'information, de conseil, de mise en garde, de prudence et de loyauté ;
- déclarer que M. X. est averti des risques induits par le contrat litigieux ;
- déclarer que M. X. n'a subi aucun préjudice matériel ou moral ;
- débouter en conséquence M. X. de ses demandes
A titre subsidiaire, sur l'appel incident :
- la recevoir dans son appel incident et le dire bien fondé,
- infirmer le jugement déféré rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a déclaré recevable l'action relative aux clauses abusives et l'a débouté du surplus de ses demandes
Statuant à nouveau,
- déclarer l'action de M. X. irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,
- déclarer que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif de certaines clauses du contrat est prescrite ;
A titre reconventionnel :
- condamner M. X. à lui payer une somme de 15.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause :
- condamner M. X. à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. X. aux entiers fais et dépens de la procédure.
[*]
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
A l'audience, le conseil de M. X. a été autorisé à produire, en cours de délibéré, l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023 conformément à l'article 445 du code de procédure civile.
Par une note en délibéré du 13 juillet 2023, celui-ci a communiqué outre l'arrêt précité, le communiqué de presse de la Cour de cassation ainsi que l'extrait de la lettre de la première chambre civile de la Cour de cassation du mois de juillet traitant de cet arrêt.
Le conseil du Crédit mutuel a transmis une note en délibéré du 15 septembre 2023.
Par une note en délibéré du 19 septembre 2023, le conseil de M. X. a répondu à cette note. Le 26 septembre 2023 le conseil du crédit mutuel a transmis une nouvelle note en délibéré.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
A titre liminaire, il est rappelé que les parties ne disconviennent pas que la cour n'a autorisé que la communication du seul arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 2023.
Par suite, les autres pièces produites par le conseil de M. X. seront écartées des débats.
Par ailleurs, la cour n'a pas à répondre à la note en délibéré du conseil du crédit mutuel remise après clôture des débats sur la seule initiative de cette partie.
Sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription :
Sur la prescription de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause :
Le crédit mutuel soutient que l'action en reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses d'un contrat est irrecevable comme étant prescrite dans la mesure où M. X. a pu constater les effets desdites clauses en 2009 ou 2011, période où le franc suisse a augmenté de manière significative.
M. X. affirme que l'action aux fins de constatation du caractère abusif d'une clause n'est soumise à aucun délai de prescription de sorte que l'article 2224 du code civil ne s'applique pas.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 132-1, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) rendu sur question préjudicielle, la cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de M. X. tendant à voir déclarer non écrites des clauses du contrat de prêt qualifiées d'abusives sera rejetée.
Le jugement critiqué sera donc infirmé de ce chef.
Sur la prescription de l'action en restitution consécutive à l'anéantissement du contrat :
M. X. reconnait que l'article 2224 du code civil a vocation à s'appliquer. Toutefois, il soutient que le point de départ de la prescription de l'action en restitution suite à l'anéantissement du contrat de prêt correspond à la date de l'anéantissement du contrat selon le droit de l'union qui impose au juge national l'application des principes d'équivalence et d'effectivité. Il ajoute que la fixation d'un point de départ concomitant ou postérieur au prononcé de l'anéantissement rétroactif du contrat n'est pas contraire au principe de sécurité juridique ou au droit de propriété.
Le crédit mutuel considère que le point de départ du délai de prescription quinquennal des restitutions doit être fixé en 2009 ou au plus tard en 2011, date à laquelle la hausse du franc suisse a commencé à être significative et M. X. a eu la possibilité de connaître ses droits. Il souligne qu'une solution contraire reviendrait à consacrer l'imprescriptibilité de l'action en restitution.
Sur ce,
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Elle a précisé que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive relèvent de l'ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l'autonomie procédurale, que, cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), elle a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 juillet 2023 ' n° 22-17.030).
Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de M. X. en restitution de sommes indument payées au Crédit mutuel en exécution des clauses dont il soutient qu'elles sont abusives sera rejetée.
Le jugement querellé sera ainsi infirmé de ce chef.
Sur la prescription de l'action en responsabilité :
Le crédit mutuel prétend que l'action en responsabilité diligentée par M. X. est prescrite depuis le 13 mai 2008 dans la mesure où :
- le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en responsabilité pour manquement aux obligations d'information, de conseil ou de mise en garde est la date de la signature de l'offre de prêt, soit le 13 mai 1998 en application de l'article 2224 du code civil,
- les caractéristiques étaient en effet connues de M. X. qui a bénéficié des conseils de la société Tech Fim, conseiller en gestion de patrimoine, ce d'autant plus que l'acte a été réitéré devant notaire,
- le principe posé par l'article 2224 du code civil s'applique tant au prêt amortissable qu'au prêt in fine et le point de départ de la prescription ne peut être reporté que s'il est démontré que le dommage s'est révélé postérieurement à la conclusion de l'acte, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. X. étant informé de l'existence du risque de change dès la conclusion du contrat,
- enfin, M. X. ayant intégralement remboursé le prêt, le risque ne s'est jamais réalisé,
- les arrêts du 5 janvier 2022, invoqués par M. X., relatifs aux prêts in fine, fixent le point de départ du délai de prescription au jour où l'emprunteur réalise qu'il ne pourra pas rembourser l'échéance en capital,
- dès lors, le cas échéant, le point de départ de la prescription devra être fixé au mois de janvier 2009 ou au plus tard en 2011, date à laquelle le risque de change s'est réalisé puisque le cours du CHF a connu une augmentation significative qui a eu une incidence sur le montant des échéances d'intérêts prélevées.
M. X. considère quant à lui que le point de départ de l'action en responsabilité se situe au jour de la réalisation du dommage.
Sur ce,
Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.
Il convient donc de caractériser la date de la connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur les obligations financières de M. X. (Cour de cassation 1ère chambre civile, 7 septembre 2022, n°21-15.199).
En l'espèce, ce dernier a souscrit, 13 mai 1998, un prêt libellé en franc suisse dont le capital était remboursable en une échéance, in fine, le 30 avril 2018, les échéances antérieures ne portant que sur les intérêts et les cotisations d'assurances.
M. X. n'a pu connaître l'existence du dommage résultant du manquement de la banque à son devoir d'information sur le risque de change et sur le risque de voir augmenter de manière considérable la valeur en euro du capital à rembourser à la date de la conclusion des prêts, comme le soutient la banque, puisque le dommage résultant de l'évolution du cours du change qu'invoque M. X. n'a pu survenir qu'à la date de remboursement, laquelle constitue en conséquence le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre la banque.
L'action, ayant été introduite le 26 juillet 2017, n'est donc pas prescrite.
En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité sera rejetée.
Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef.
Sur le fond :
Sur le caractère abusif des clauses litigieuses du prêt :
M. X. rappelle la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour de cassation applicable en matière de prêt en devise étrangère qui a jugé que :
- une clause ou une combinaison de clauses de remboursement qui conduit l'emprunteur à supporter le risque de change relève de l'objet principal du contrat au sens de la directive 93/13/CEE,
- en conséquence, et pour répondre aux exigences de transparence, elle n'est pas abusive si elle est rédigée de manière claire et compréhensible. A cet égard, il incombe à la banque de démontrer la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelles de transparence,
- le seul constat d'un manquement aux exigences de transparence entraine un déséquilibre significatif au détriment du consommateur,
- La directive européenne doit s'appliquer quelle que soit sa date d'entrée en vigueur en France compte tenu de ses transpositions successives,
- A cet égard, d'une part, les clauses de remboursement du contrat litigieux de même que celles relatives aux conséquences du changement de parité ne sont ni claires ni intelligibles de sorte qu'elles doivent être réputées non écrites,
- en effet, la banque ne l'a informé ni sur le risque de change et les possibles variations du taux de change, ni sur les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères,
- en outre, le contrat de prêt litigieux fait supporter le risque de change exclusivement et totalement sur l'emprunteur caractérisant un déséquilibre significatif qui n'est pas compensé par un avantage de taux d'intérêt,
- d'autre part, les clauses relatives au taux d'intérêt variable du prêt ne sont ni claires ni intelligibles alors en outre que la banque était tenue lors de l'octroi du crédit de l'informer de manière transparente sur la variation du taux d'intérêt de sorte qu'il n'a pas été en mesure d'apprécier la portée concrète de ces clauses sur ses obligations financières,
- enfin, la clause relative à l'option pour une conversion en euros (10.3) est abusive en ce qu'elle crée un déséquilibre significatif et que le consommateur exerce une option sans que la banque n'ait l'obligation de l'informer sur ses incidences sur le prêt. Elle est en outre potestative l'emprunteur a la possibilité de convertir son prêt en euros aux conditions de taux d'intérêt imposées par la banque.
Le Crédit mutuel soutient que :
- le contrôle du caractère abusif d'une clause doit être écarté dès lors qu'elle définit l'objet du contrat et qu'elle est claire et compréhensible,
- à cet égard, les clauses litigieuses relatives aux modalités de remboursement du prêt, au risque de change et à la possibilité de conversion du prêt en euros, définissent l'objet principal du contrat et ne peuvent être considérées comme des clauses accessoires au contrat de prêt sans lesquelles le contrat pourrait subsister,
- la condition du caractère clair et compréhensible de la clause, ajoutée par l'article 16 de l'ordonnance n°2001-741 du 23 août 2001 n'est pas applicable au prêt litigieux dont la date est antérieure à son entrée en vigueur alors que l'application rétroactive d'une disposition porte atteinte au principe général de sécurité juridique,
- dès lors, le caractère abusif d'une clause doit être examiné à l'aulne de la condition relative à l'objet principal,
- à cet égard, la clause qui prévoit les modalités de remboursement d'un prêt dans une certaine monnaie constitue l'objet principal du contrat,
- si néanmoins, la cour examine le caractère clair et compréhensible des clauses litigieuses, cette condition est remplie,
- en effet, les articles 5.2, 5.3, 6 et 10 du contrat permettent de comprendre clairement le mécanisme du prêt en devise dont le taux est variable par rapport à l'index Libor et il comporte l'ensemble des informations relatives à la détermination du taux d'intérêts conformément aux exigences de la Cour de justice de l'Union européenne,
- la recommandation émise par le comité européen du risque systémique (CERS) du 21 septembre 2011 n'est pas applicable au contrat litigieux souscrit en 1998 alors en outre qu'elle n'a aucun caractère obligatoire,
Les arrêts de la cour de cassation des 30 mars et 20 avril 2022 qui concernent exclusivement les prêts Helvet Immo, commercialisé par BNP PPF (Cetelem) produit financier complexe, ne sont pas transposables au prêt litigieux pour lequel seule une clarté formelle et grammaticale est exigée,
Les prêts en devise font l'objet d'une législation spécifique relative notamment à l'obligation d'information du banquier en matière de prêt en devise depuis 2013 alors que le prêt a été conclu en 1998,
Par ailleurs, aux termes de l'article 4.2 de la directive européenne 93/13/CEE repris à l'article L. 212-1 du code de la consommation, la violation de l'exigence de transparence constitue une condition préalable de contrôle, et non un critère du déséquilibre significatif de sorte qu'une clause est abusive si elle ne relève pas de l'objet principal du contrat et qu'elle n'est pas claire et compréhensible uniquement lorsqu'elle est de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
En toute hypothèse, il n'existe aucun déséquilibre significatif dans la mesure où la variation du taux de change constitue une circonstance indépendante de la volonté des parties et qu'il ne dispose d'aucune pouvoir unilatéral lors de l'exécution du prêt ajoutant même que la contrepartie du prêt en devise réside dans le bénéfice d'un taux d'intérêt particulièrement attractif.
Sur ce,
Le 13 mai 1998, le crédit mutuel a consenti à M. X. un prêt, destiné à l'achat d'un studio à [Localité 7] pour un montant de 310.000 francs, dont les caractéristiques sont les suivantes :
Montant : 80.000 CHF
Intérêts : 59.002 CHF au taux effectif de 3,7 % l'an
Frais de dossier : 800 CHF au taux effectif de 0,060 % l'an
Cotisation assurance décès : 3.840 CHF au taux effectif de 0,267 % l'an
Coût de la convention et des garanties : 2.500 CHF au taux effectif de 0,229 % l'an
soit un coût total de 66.142 CHF et TEG par an de 4 %
Le contrat prévoit que :
- les intérêts du prêt sont stipulés à taux indexé, l'index retenu étant LIBOR 3 mois (la valeur de l'index à la date du 31 mars 1998 étant de 1,213 %)
- remboursement : une échéance unique en capital de 80.000 CHF payable au 30 avril 2018
La prohibition des clauses abusives a été consacrée par la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, laquelle a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995.
A cet égard, le crédit mutuel n'est pas fondé à invoquer le principe de non rétroactivité de la jurisprudence en présence d'un prêt souscrit en 1998 dès lors que la sécurité juridique et le principe de prééminence du droit ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit.
Par ailleurs, le crédit mutuel ne saurait davantage se prévaloir de l'exécution intégrale par M. X. du contrat de prêt alors que le fait qu'un contrat a été volontairement exécuté n'exclut pas en soi l'applicabilité de la directive 93/13/CEE et n'écarte pas la protection que cette directive confère à une personne ayant conclu ce contrat comme consommateur au sens de l'article 2, sous b), de ladite directive.
Par suite, la demande du Crédit mutuel tendant à voir déclarer l'action de M. X. irrecevable pour défaut d'intérêt à agir sera rejetée.
L'article L 132-1 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n°95-96 du 1er février 1995, devenu L 212-1, dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat'. "L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il est de jurisprudence constante que les demandes ou contestations se rapportant au caractère abusif d'une stipulation contractuelle s'avèrent recevables à tout stade de l'exécution de la convention sans qu'une quelconque prescription puisse être opposée à celui qui se prévaut du caractère abusif d'une stipulation.
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat. »
Le prêt litigieux étant daté du 13 mai 1998, date d'acceptation de l'offre, le Crédit Mutuel fait valoir que les clauses contestées constituant l'objet principal du contrat, leur caractère abusif ne peut être examiné même si elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, cette dernière réserve ayant été ajoutée seulement postérieurement au contrat par la loi nationale.
Toutefois, la CJUE, dans son arrêt C 125/18 du 3 mars 2020, a dit pour droit que la directive doit être interprétée en ce sens que les juridictions des Etats membres doivent contrôler le caractère clair et compréhensible d'une clause portant sur l'objet principal du contrat indépendamment de la transposition de son article 4 § 2.
Sur les clauses relatives au remboursement du prêt et au risque de change :
La clause 5.3 du prêt litigieux intitulée « remboursement du crédit » est ainsi libellée :
« Le prêt est à remboursement divers. La définition de ce type de remboursement figure aux conditions générales.
Les intérêts et la cotisation sont payables le 31/3 30/6, 30/9 et 31/12 de chaque année jusqu'au remboursement intégral du capital.
Le capital sera amorti en 1 fois de la manière suivante :
Une échéance en capital de CHF : 80.000 payable à la date du 30 avril 2018
Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.
Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.
Les frais de garantie seront payables en francs.
Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré ».
La clause 10 relative aux dispositions propres aux crédits en devises stipule que :
« 10.1 : le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation [']
10.3 : Le prêt est réputé convertible en francs français. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en francs français sous préavis de 30 jours minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation.
10.4 : l'emprunteur déclare accepter toutes modifications de clauses du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes
10.5 : Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt »
En ce qu'elles portent sur le fonctionnement du mécanisme de remboursement du prêt, convenues en devises, ces clauses litigieuses figurant aux intitulés « remboursement » et « dispositions propres aux crédits en devise » du contrat constituent l'objet principal de la convention dans la mesure où elles définissent les modalités d'exécution de l'obligation principale de l'emprunteur, soit l'obligation de rembourser les échéances selon les modalités contractuellement fixées en contrepartie du déblocage des fonds par la banque.
En effet, la clause 5.3, insérée dans un contrat de crédit conclu dans une devise étrangère entre un professionnel et un consommateur sans avoir fait l'objet d'une négociation individuelle, aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans cette même devise détermine la nature même de l'obligation de remboursement de l'emprunteur et elle porte ainsi sur l'objet principal du contrat de prêt de sorte qu'il convient d'examiner si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, et ce, en tenant compte des autres clauses en regard desquelles elle doit s'interpréter et, dans l'hypothèse où tel n'est pas le cas, si elle créé un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.
Cette exigence ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical puisque le contrat doit également exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause aux fins que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques envisageables qui en découlent pour lui.
Il résulte des clauses précitées que tous les remboursements du prêt auront lieu dans la devise empruntée, que les échéances sont débitées à titre principal sur tout compte en devises de l'emprunteur et, seulement subsidiairement, sur un compte en francs.
Or, le contrat de prêt litigieux ne contient aucune information sur la manière dont la clause est mise en œuvre, en particulier les modalités les remboursements en francs suisses alors qu'il n'est pas contesté que M. X. ne percevait que des revenus en francs français puis en euros, ce qui implique nécessairement des conversions et l'application d'un taux de change.
La seule mention à la stipulation 10.1 selon laquelle « le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation » est imprécise et ne permet pas à l'emprunteur d'appréhender le taux de change applicable non seulement pour le paiement des intérêts mais également pour le capital payable in fine, au ni même le moment exact de la prise en compte de la variation de ce taux de change pour que soit opérée une conversion ainsi que les modalités selon lesquelles il peut en être informé.
A cet égard, le Crédit Mutuel ne justifie aucunement que M. X. a été destinataire de ces informations.
De même s'agissant de la clause 10.5 du contrat de prêt selon laquelle « il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt », le Crédit Mutuel ne justifie pas avoir communiqué la moindre information sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change, susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de l'engagement permettant à l'emprunteur d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus.
Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la clause de « remboursement du crédit », même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt n'est pas rédigée de manière claire et qu'elle n'est pas intelligible en elle-même car lacunaire pour l'emprunteur puisque la détermination exacte des opérations de change nécessaires à l'exécution du prêt n'apparaît pas.
D'autre part, la stipulation d'une telle clause institue un déséquilibre significatif entre la banque prêteuse et l'emprunteur en ce que ce dernier n'est pas mis en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et n'a pas été suffisamment informé des mécanismes de change.
En conséquence, la clause de remboursement du crédit 5.3 rapportée ci-dessus et la clause en lien avec celle-ci 10.5 doivent être déclarées non écrites.
Sur les clauses 5.2 et 6 relatives au taux d'intérêt :
L'article 5.2 est relatif au coût du crédit et énonce que l'intérêt, initial nominal de 3,700 % est indexé et que l'index retenu est l'index LIBOR 3 mois. La définition de l'index est précisé au point « Définition des taux d'intérêts » La valeur de l'index à la date du 30.03.1998 est de 1,213 % ».
L'article 6 stipule que « le taux d'intérêt du prêt variera à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution de la moyenne arithmétique trimestrielle du taux interbancaire offert à Londres (LIBOR ou London Interbank Offered rate) à trois mois, de la devise empruntée. Le taux du LIBOR est publié par l'Association des banques britanniques.
La valeur de l'index est établie chaque année, le premier jour du mois civil (étant désigné par après sous l'appellation « mois anniversaire ») au cours duquel survient l'anniversaire de l'ouverture du prêt. La date d'ouverture du prêt s'entend comme étant la date à laquelle le compte de prêt est ouvert informatiquement dans la comptabilité du prêteur et figure au paragraphe « CONDITIONS FINANCIERES » du contrat.
La nouvelle valeur de l'index est déterminée en prenant en compte la moyenne du LIBOR à trois mois de la devise empruntée du dernier trimestre civil précédant le mois anniversaire.
Annuellement, à chaque mois anniversaire, la variation de la valeur de l'index par rapport à la valeur de l'index arrêtée à la date d'ouverture du prêt est répercutée à due concurrence sur le taux du prêt, le taux initial servant de base pour le calcul de la variation. Toutefois, les variations de l'index entraînant une modification du taux du prêt inférieure à 25 centièmes par rapport au taux en vigueur ne sont pas répercutées.
(...)
La répercussion de la variation de l'index sur le terme de remboursement a lieu à compter de la prochaine échéance prélevée postérieurement au changement de taux.
La variation du taux d'intérêt se traduira par une variation du montant des échéances de remboursement, la date finale du prêt devant être respectée. »
Il convient de relever que la clause 6 intitulée « définition de l'index Libor 3 M » décrit avec précision les modalités pratiques d'indexation, la date et les valeurs de l'index prises en compte.
En effet, l'index choisi était publié par l'association des banques britanniques, ce qui constituait une référence objective, ne dépendant pas, dans sa variabilité, de la volonté de la banque et est dénué de tout arbitraire à l'égard de l'emprunteur de sorte que cette indexation ne revêtait pas de caractère abusif comme créant un déséquilibre au détriment du consommateur, la circonstance que les effets de son évolution n'étaient pas limités ne confère pas à la clause un caractère déséquilibré.
En toute hypothèse, M. X. ne démontre nullement le caractère déséquilibré des effets de cette indexation à son détriment en l'absence de tous documents relatifs aux modalités de l'exécution du prêt et à l'évolution de l'index.
En conséquence, M. X. sera débouté de sa demande tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.2 et 6 du contrat.
Sur la demande de restitution :
M. X. soutient que :
- le contrat de prêt doit être annulé dans son ensemble en présence d'une clause abusive relevant de l'objet principal du contrat ou portant sur la rémunération de la banque dans la mesure où le contrat ne peut subsister sans les clauses de remboursement, de risque de change et de taux d'intérêt. En conséquence de son anéantissement rétroactif, les restitutions réciproques entre les parties s'imposent sans que la banque lui fasse supporter un risque de change, ce qui serait contraire au principe d'effectivité du droit de l'union européenne et en particulier de la directive 93/13/CEE,
- à titre subsidiaire, les clauses litigieuses doivent être réputées non écrites et le contrat requalifié en contrat immobilier en euros sans taux d'intérêt de sorte que la banque doit restituer le trop-perçu.
Le crédit mutuel rétorque que, le cas échéant, les restitutions doivent s'opérer sur la base du taux de change en vigueur au jour de la restitution. Il invoque par ailleurs les dispositions des articles 1343 et 1897 du code civil.
Sur ce,
Les alinéas 6 et 8 de l'article L 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Par arrêt du 21 décembre 2016 (C-154/15), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'article 6, § 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n'ayant jamais existé, de sorte qu'elle ne saurait avoir d'effet à l'égard du consommateur et que, partant, la constatation judiciaire du caractère abusif d'une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l'absence de ladite clause et emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l'égard de ces mêmes sommes.
Il en résulte que le Crédit mutuel n'est pas fondé à solliciter les restitutions sur la base du taux de change en vigueur au jour de la restitution ni à invoquer les dispositions de l'article 1343 du code civil dès lors que la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat implique que l'emprunteur soit replacé dans la situation dans laquelle il aurait été en l'absence de telles clauses de sorte que M. X. n'est tenu de restituer que l'équivalent en euros de la somme empruntée en francs suisse selon le cours du change alors appliqué au contrat.
En l'espèce, il a été déterminé ci-dessus que les clauses réputées non écrites constituent l'objet principal du contrat de sorte que ce dernier n'a pu subsister sans elles et que si l'indexation en elle-même du taux nominal initial ne revêt pas un caractère abusif, l'index choisi étant le Libor 3 mois de la devise empruntée, il est lui-même atteint par les effets du caractère non écrit des clauses.
En conséquence, ni le remboursement en devise ni l'intérêt stipulé ne peuvent subsister.
Ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande principale de M. X. tendant à ce qu'il restitue au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que la banque soit condamnée à lui restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il y a lieu d'ordonner la compensation et d'assortir la somme due après compensation des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.
En revanche, il n'a pas lieu d'ordonner à la banque la production sous astreinte d'un décompte de l'ensemble des sommes versées en euros entre les parties depuis le versement du capital prêté, comme le demande M. X., dès lors que les comptes entre les parties devront être faits conformément à la présente décision.
Sur la responsabilité de la banque :
M. X. affirme que :
- la banque a manqué à son obligation d'information renforcée en matière de devise de sorte que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l'article 1147 du code civil alors applicable au prêt litigieux ce d'autant plus que cette obligation résulte d'une mise en cohérence avec les exigences de transparence découlant de la directive 93/13/CEE laquelle est entrée en vigueur en 1993, soit 5 ans avant la souscription du prêt litigieux,
- son préjudice résultant de ce manquement est certain et ne constitue pas une perte de chance puisqu'il a emprunté une contre-valeur en euros de 47 259 euros et a dû rembourser la somme de 72 257 euros, que le contrat d'assurance-vie souscrit le 26 mai 1998 n'a pas permis de rembourser la totalité du capital,
- son préjudice est ainsi financier et correspond à l'augmentation de capital augmentée de la différence entre le capital initialement emprunté et la capitalisation résultant du contrat d'assurance-vie. Subsidiairement, le préjudice financier résultant d'une perte de chance doit être fixé à 99 %,
- son préjudice est par ailleurs moral et résulte de la crainte et l'angoisse de voir sa dette augmenter sans fin.
Le crédit mutuel considère que :
- à la date du prêt, soit en 1998, elle n'était nullement tenue à une obligation particulière d'information relative à la souscription d'un prêt en devise
- qu'en toute hypothèse, M. X. a été préalablement informé des caractéristiques du prêt par le conseiller en gestion de patrimoine, la société Tech Fim
- tout emprunteur qui contracte a connaissance du risque lié au taux de change
Sur ce ;
Sur le manquement de la banque à son obligation d'information :
La cour rappelle que M. X. invoque le seul manquement de la banque à son obligation d'information à l'occasion du prêt litigieux sans par ailleurs se prévaloir des manquements de celle-ci à ses obligations de conseil, de mise en garde, de prudence et de loyauté sur lesquelles le Crédit mutuel conclut de manière inopérante.
Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En application de ces dispositions, lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger. (Cour de cassation 1ère chambre civile, 30 mars 2022 n°19-20.717).
L'obligation d'information mise à la charge de la banque repose sur les dispositions de l'article 1147 du code civil de sorte que le Crédit mutuel ne saurait pertinemment soutenir qu'elle n'était tenue d'aucune obligation à ce titre au moment de la conclusion du contrat de prêt.
Alors que le crédit mutuel se retranche derrière le conseiller en gestion en patrimoine qui aurait établi la demande de prêt, la société Tech Fim, qui constitue un tiers au contrat, elle ne démontre nullement qu'elle a satisfait à son obligation d'information alors que cette preuve lui incombe.
En effet, il lui appartient d'établir avoir informé M. X., sans considération de sa qualité d'emprunteur averti ou non, sur les caractéristiques du prêt proposé afin de lui permettre de s'engager en connaissance de cause et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'un prêt en devises étrangères et de lui fournir des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat notamment le risque de change.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il apparaît que seule l'offre de prêt, même si celle-ci a été réitéré devant notaire, a été remise à M. X. qui n'a reçu aucun élément d'information, notamment une simulation relative à une évolution du montant du capital à rembourser en fonction de la variation du cours du change, lui permettant d'appréhender de manière suffisante le risque de change qu'il a subi.
Le fait que M. X. ait remboursé le prêt ne permet pas en soi de caractériser une confirmation du montant dû, ni une renonciation à agir en responsabilité.
La responsabilité du Crédit est en conséquence engagée sur le fondement de l'article 1147 du code civil.
Sur le préjudice :
Sur le préjudice financier :
La banque ayant manqué à son obligation d'information, elle sera tenue de réparer le préjudice ainsi causé, lequel ne peut s'analyser qu'en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change qu'il convient d'évaluer à 70 % en tenant compte, notamment, du contexte de stabilité dans lequel l'emprunteur a contracté, et de l'avantage qu'il espérait pouvoir tirer d'un prêt en devises en termes de niveau du taux d'intérêt.
Il est établi que M. X. a emprunté la contre-valeur de 47 259 euros et que la banque lui a réclamé celle de 72 257 euros en exécution du contrat de prêt du 13 mai 1998.
Il est également constant que M. X. avait souscrit un contrat d'assurance-vie le 26 mai 1998 aux fins de garantir le remboursement du prêt.
Or, ce contrat d'assurance-vie valorisé à hauteur de la somme de 42.000 euros n'a pas permis de désintéresser la banque.
Le préjudice résulte de la différence entre la contre-valeur en euros du capital au moment de la souscription du prêt et le montant de la somme effectivement payée en exécution du contrat de prêt soit 30 257 euros.
Dès lors, il convient d'évaluer à la somme de 21 179,90 euros le préjudice résultant de la perte de chance subi par M. X. résultant du manquement de la banque à son obligation d'information, après application du taux de perte de chance.
En revanche, la demande de paiement du différentiel entre le capital emprunté et la capitalisation résultant du contrat d'assurance sera rejetée dès lors ce préjudice allégué ne présente pas de lien avec la faute de la banque.
De même, la banque a été condamnée à restituer toutes les sommes versées par M. X. lesquelles incluent les intérêts et les frais de sorte que la demande de paiement à ce titre sera rejetée.
Le Crédit mutuel sera en conséquence condamné à payer à M. X. la somme de 21 179,90 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur le préjudice moral :
En l'absence de toute pièce justificative, M. X. ne démontre pas le préjudice moral qu'il invoque et qui résulterait de l'état de crainte et d'angoisse dans lequel il aurait vécu après avoir découvert la réalité du prêt litigieux.
Dès lors, sa demande de dommages et intérêts à ce titre ne saurait prospérer et sera donc rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Eu égard à l'issue du litige et alors qu'il a été fait droit pour l'essentiel aux demandes de M. X., la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par le Crédit Mutuel ne saurait prospérer de sorte que ce dernier sera débouté de cette demande.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
- d'une part à réformer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile
- d'autre part, à condamner le Crédit mutuel aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. X. la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en reconnaissance du caractère abusif de clauses du contrat de prêt du 13 mai 1998 ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de restitution ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société crédit mutuel Mulhouse Europe ;
Dit que l'action de M. X. en constatation du caractère abusif de clauses du contrat de prêt du 13 mai 1998 et aux fins de restitution est recevable ;
Déboute M. X. de sa demande tendant à voir déclarer abusives les clauses 5.2 et 6 du contrat de prêt du 13 mai 1998 ;
Dit et juge abusives et non écrites les clauses 5.3 et 10.5 du contrat de prêt du 13 mai 1998 ;
Dit que le contrat conclu le 13 mai 1998 ne peut subsister sans lesdites clauses jugées abusives ;
En conséquence,
Condamne M. X. à payer au Crédit Mutuel Mulhouse Europe la contre-valeur en euros selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à restituer à M. X. toutes les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements ;
Ordonne la compensation de ces créances réciproques et dit que la somme due après compensation portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à payer à M. X. la somme de 21 179,90 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier ;
Déboute M. X. de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à payer à M. X. la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe aux entiers dépens ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties.
Le Greffier Le Président
Harmony Poyteau Guillaume Salomon
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