CA PARIS (5e ch. A), 19 novembre 2008
CERCLAB - DOCUMENT N° 2691
CA PARIS (5e ch. A), 19 novembre 2008 : RG n° 06/06267 ; arrêt n° 249
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant que les contrats stipulaient qu'ils étaient soumis pour la distribution des produits énergétiques « aux articles 1984 et suivants du Code Civil, à l'exception des articles 1999 et 2000 du Code Civil » ; que la SARL DANE soutient qu'à l'époque de la signature de ces contrats, 1992 et 1995, « il n'existait pas de moyen grand public d'accès aux textes juridiques » et que les consorts X. (ses associés et co-gérants) ne disposaient « évidemment pas » d'un Code Civil et que s'ils en avaient eu un « il est certain qu'ils n'auraient pas pu le comprendre », que la rédaction de la clause est obscure ;
mais que cette stipulation n'est pas en réalité une renonciation qui pourrait être ambigüe ou peu explicite ; qu'elle détermine le cadre juridique dans lequel se situent les contrats, en indiquant quelles sont les dispositions du Code Civil qui régissent la loi des parties, et celles, qui ne sont pas d'ordre public, du même code, qui ne régissent pas la loi des parties ; que ce cadre juridique est parfaitement clair et ne nécessite aucune interprétation ; qu'il a été déterminé dans les conventions dès l'origine de celles-ci ; qu'il en résulte expressément la volonté d'écarter l'application aux contrats des articles 1999 et 2000 du Code Civil, ce qui était parfaitement licite ; que même avant « Internet » auquel la SARL DANE paraît faire allusion en évoquant le « moyen grand public d'accès aux textes juridiques » chacun pouvait acquérir, consulter un Code Civil ou s'enquérir de son contenu, lequel est aisément compréhensible, en tous cas se le faire expliquer ;
que la Cour ne peut dénaturer les contrats en obligeant les parties à appliquer les textes dont l'application a été expressément exclue, allant ainsi à l'encontre de la volonté clairement exprimée, et des termes de l'article 1134 du Code Civil, sauf clause abusive ou illicite ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, ESSO faisant justement valoir qu'en contrepartie, elle s'était engagée à verser à la SARL DANE une commission couvrant forfaitairement sa rémunération et l'ensemble de ses frais et pertes ; qu'en outre, il était stipulé la soumission des contrats à l'accord interprofessionnel du 25 juillet 1990 relatif aux exploitants mandataires de station-service ; qu'il y avait eu apparemment des négociations entre professionnels concernés pour la mise au point des contrats-type qui n'étaient dont pas de simples contrats d'adhésion « imaginés » de manière unilatérale ESSO ; que cet accord conclu notamment entre la Commission nationale des locataires-gérants et mandataires de station-service et la Chambre syndicale de la [minute Jurica page 4] distribution des produits pétroliers stipule en son préambule que les sociétés pétrolières constatent que la gestion d'une station-service doit dégager un résultat équilibré et s'engagent à étudier le cas « de tout exploitant qui estimerait ne pas dégager un tel résultat » ; que cette stipulation apparaît comme une contrepartie satisfaisante acceptée par les professionnels concernés à la non-applicabilité de l'article 2000 du Code Civil ; que la clause litigieuse est valide ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
CINQUIÈME CHAMBRE SECTION A
ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2008
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 06/06267. Arrêt n° 249. Décisions déférées à la Cour : Jugement du 7 janvier 2000 du Tribunal de Commerce de PARIS ; arrêt du 14 mars 2006 - Cour de Cassation de PARIS - n° 363 F-D.
APPELANTE :
SARL DANE agissant poursuites et diligences de son gérant
[adresse], représentée par la SCP RIBAUT, avoués à la Cour, assistée de Maître JOURDAN Michel, avocat au barreau de PARIS - toque A616
INTIMÉE :
SA ESSO SAF agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
[adresse], représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour, assistée de Maître RENAUDIN Dominique, avocat au barreau de PARIS - toque T10
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 8 octobre 2008, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur LE FEVRE, président, Monsieur ROCHE, conseiller, Monsieur BYK, conseiller, [minute Jurica page 2] qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame CHOLLET
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur LE FEVRE, président et par Madame CHOLLET, greffier
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR
Vu le jugement du 7 janvier 2000 du Tribunal de Commerce de PARIS qui a notamment annulé la clause de renonciation au bénéfice de l'article 2000 du Code Civil contenue dans les contrats de location-gérance de fonds de commerce et de mandat de distribution de carburants conclus entre la SA ESSO SAF et la SARL DANE pour l'exploitation d'une station-service, a condamné ESSO à payer à la SARL DANE le déficit de l'activité sous mandat pendant la période de gestion de la station-service par la SARL DANE, a désigné un expert pour faire le compte entres les parties, accordé à la SARL DANE 500.000 Francs de provision avec exécution provisoire à hauteur de 250.000 Francs pour la garantie du déficit, 300.000 Francs de dommages et intérêts et 30.000 Francs au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Vu l'arrêt du 14 mars 2006 de la Cour de Cassation qui a cassé un arrêt de cette Cour du 21 février 2002, rendu sur appel de la SA ESSO SAF qui avait infirmé le jugement et débouté la SARL DANE de toutes ses demandes, au motif que la Cour d'appel avait déclaré irrecevable, sur le fondement de l'article 504 du Nouveau Code de Procédure Civile, une demande d'annulation des contrats présentée pour la première fois devant elle par la SARL DANE, alors que la demande en annulation avait pour objet de faire écarter les prétentions de la SA ESSO qui réclamait l'exécution du contrat et que la Cour avait ainsi violé les articles 564 et 565 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu la saisine de cette Cour par la SARL DANE ;
Vu les conclusions du 18 août 2008 de la SA ESSO SAF qui demande à la Cour d'infirmer le jugement ; déclarer la demande de nullité formée par la SARL DANE irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le jugement définitif en date du 15 avril 2005 du Tribunal de Commerce de Paris ; déclarer cette même demande prescrite sur le fondement de l'article 1304 du code Civil ; subsidiairement débouter la SARL DANE de toutes ses demandes ; la condamner à lui payer, à titre de dommages et intérêts les sommes de 3.084 € pour la fermeture prolongée de la station, 8.000 € pour atteinte en partie à son image et à sa réputation, ordonner la restitution de la somme de 76.225 € payée en vertu de l'exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt et capitalisation des intérêts et réclame 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Vu les conclusions du 19 septembre 2008 de la SARL DANE qui demande à la Cour de dire nul le dispositif contractuel mis en place par ESSO sur le fondement de l'article 1131 du Code Civil ; dire qu'ESSO devra en conséquence rembourser les charges d'exploitation et la contre-valeur du service fourni ; désigner à cette fin un expert ; dire nulle la renonciation à l'article 2000 du Code Civil ; condamner ESSO à lui payer 50.000 € de provision, subsidiairement 100 000 € de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi des conventions et réclame 25 000 € au titre de l'article 700 du [minute Jurica page 3] Code de Procédure Civile ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Considérant qu'il est constant que la SARL DANE avait demandé, dans le cadre d'un litige distinct, au Tribunal de Commerce de Paris, de prononcer la nullité des contrats l'ayant liée à ESSO, ce dont elle a été déboutée par jugement du 15 avril 2005 devenu définitif ; que sa demande était toutefois fondée sur l'article L. 330-3 du Code de Commerce et non sur l'article 1131 du Code Civil ; mais qu'ESSO fait justement valoir que connaissant sa situation au regard du droit du travail et donc de la prétendue illicéité de la cause, résultant des arrêts exécutoires de la Cour d'appel d'Amiens du 22 octobre 2003, elle devait faire valoir l'ensemble des moyens à l'appui de sa demande dans le cadre de la procédure ayant abouti au jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 15 avril 2005 ; qu'ESSO remarque encore qu'elle avait toute possibilité de le faire, ses dernières conclusions dans le cadre de cette procédure datant du 21 octobre 2004 ; qu'il s'ensuit que la SARL DANE n'est pas recevable à présenter à nouveau une demande identique à celle dont elle a été définitivement déboutée ; qu'elle soutient pour combattre l'argumentation adverse tirée de l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de Cassation du 7 juillet 2006 qu'en l'espèce, c'est la même instance qui se poursuit depuis l'origine ; mais que la demande de nullité de l'ensemble contractuel n'avait pas été présentée au Tribunal ; que bien qu'elle ne soit pas irrecevable sur le fondement de l'article 564 du Code de procédure civile, la Cour n'en a pas été saisie par l'effet dévolutif de l'appel avant que le Tribunal de Commerce se prononce en 2005 ;
Considérant que les demandes présentées en conséquence de la nullité alléguée de l'ensemble contractuel sont sans objet ; qu'il n'en est pas de même en ce qui concerne la question de nullité de la seule clause de « renonciation » au bénéfice de l'article 2000 du Code Civil sur laquelle le Tribunal a statué par le jugement entrepris du 7 janvier 2000 et dont la Cour est saisie par l'effet dévolutif de l'appel ;
Considérant que les contrats stipulaient qu'ils étaient soumis pour la distribution des produits énergétiques « aux articles 1984 et suivants du Code Civil, à l'exception des articles 1999 et 2000 du Code Civil » ; que la SARL DANE soutient qu'à l'époque de la signature de ces contrats, 1992 et 1995, « il n'existait pas de moyen grand public d'accès aux textes juridiques » et que les consorts X. (ses associés et co-gérants) ne disposaient « évidemment pas » d'un Code Civil et que s'ils en avaient eu un « il est certain qu'ils n'auraient pas pu le comprendre », que la rédaction de la clause est obscure ; mais que cette stipulation n'est pas en réalité une renonciation qui pourrait être ambigüe ou peu explicite ; qu'elle détermine le cadre juridique dans lequel se situent les contrats, en indiquant quelles sont les dispositions du Code Civil qui régissent la loi des parties, et celles, qui ne sont pas d'ordre public, du même code, qui ne régissent pas la loi des parties ; que ce cadre juridique est parfaitement clair et ne nécessite aucune interprétation ; qu'il a été déterminé dans les conventions dès l'origine de celles-ci ; qu'il en résulte expressément la volonté d'écarter l'application aux contrats des articles 1999 et 2000 du Code Civil, ce qui était parfaitement licite ; que même avant « Internet » auquel la SARL DANE paraît faire allusion en évoquant le « moyen grand public d'accès aux textes juridiques » chacun pouvait acquérir, consulter un Code Civil ou s'enquérir de son contenu, lequel est aisément compréhensible, en tous cas se le faire expliquer ; que la Cour ne peut dénaturer les contrats en obligeant les parties à appliquer les textes dont l'application a été expressément exclue, allant ainsi à l'encontre de la volonté clairement exprimée, et des termes de l'article 1134 du Code Civil, sauf clause abusive ou illicite ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, ESSO faisant justement valoir qu'en contrepartie, elle s'était engagée à verser à la SARL DANE une commission couvrant forfaitairement sa rémunération et l'ensemble de ses frais et pertes ; qu'en outre, il était stipulé la soumission des contrats à l'accord interprofessionnel du 25 juillet 1990 relatif aux exploitants mandataires de station-service ; qu'il y avait eu apparemment des négociations entre professionnels concernés pour la mise au point des contrats-type qui n'étaient dont pas de simples contrats d'adhésion « imaginés » de manière unilatérale ESSO ; que cet accord conclu notamment entre la Commission nationale des locataires-gérants et mandataires de station-service et la Chambre syndicale de la [minute Jurica page 4] distribution des produits pétroliers stipule en son préambule que les sociétés pétrolières constatent que la gestion d'une station-service doit dégager un résultat équilibré et s'engagent à étudier le cas « de tout exploitant qui estimerait ne pas dégager un tel résultat » ; que cette stipulation apparaît comme une contrepartie satisfaisante acceptée par les professionnels concernés à la non-applicabilité de l'article 2000 du Code Civil ; que la clause litigieuse est valide ;
Considérant qu'à titre subsidiaire, la SARL DANE invoque la mauvaise foi d'ESSO dans l'exécution des contrats, déclarant que la société ESSO n'avait pour but que de satisfaire ses propres intérêts, au travers d'un avantage contractuel critiquable et qu'elle a fait fonctionner à son seul profit ; mais qu'elle n'apporte aucun élément de démonstration à l'appui de cette affirmation ; qu'au contraire, elle reconnaît que pendant la période d'exploitation, d'octobre 1992 à février 1998, ESSO lui a versé des commissions exceptionnelles non prévues au contrat pour un total de 471.500 Francs, supérieur à la perte cumulée de 223.683 Francs ; que selon l'expert désigné par le Tribunal de Commerce dans le jugement entrepris l'incidence financière des pertes physiques des volumes de carburants a été intégralement prise en charge par ESSO « dans un but de conciliation » ; qu'en fait ESSO n'a fait qu'appliquer l'accord interprofessionnel du 25 juillet 1990 précité ; qu'aucune mauvaise foi dans l'exécution du contrat par ESSO ne peut être constatée ;
Considérant sur les demandes reconventionnelles d'ESSO que celle-ci procède par affirmations quant à un préjudice résultant de la fermeture de la station du 10 janvier au 28 février 1998 et ne le démontre pas ; qu'elle ne démontre pas plus que cette fermeture ait porté une quelconque atteinte à son « image » ou à sa réputation, laquelle ne saurait dépendre de l'ouverture ou de la fermeture pendant quelques semaines, d'une seule station-service située dans l'Oise ;
Considérant qu'il est équitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles de première instance et d'appel qu'elles ont engagés ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé les condamnations au profit de la SARL DANE ;
La condamne à restituer à la SA ESSO SAF les sommes reçues en vertu de l'exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt et capitalisation des intérêts, le cas échéant, un an après cette signification dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code Civil ;
Déboute les parties de leurs autres demandes, comme y étant irrecevables ou mal fondées selon ce qui est dit ci-dessus ;
Met à la charge de la SARL DANE les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure Civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT