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CA AMIENS (ch. com.), 30 novembre 2001

Nature : Décision
Titre : CA AMIENS (ch. com.), 30 novembre 2001
Pays : France
Juridiction : Amiens (CA)
Demande : 00/00407
Date : 30/11/2001
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Legifrance
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CERCLAB - DOCUMENT N° 2880

CA AMIENS (ch. com.), 30 novembre 2001 : RG n° 00/00407

Publication : Legifrance

 

Extrait : « Qu’en tout état de cause, il sera souligné que le texte invoqué n’a nullement vocation à obliger les distributeurs à pérenniser leurs relations avec les fournisseurs mais seulement à contraindre lesdits distributeurs à anticiper leur décision de changement de contractants et à en informer ces derniers ;

Attendu, en deuxième lieu, que l’action prévue par ledit article L. 442-6.4 est une action en réparation se prescrivant en dix ans sans que, durant cette période, la date à laquelle elle est introduite puisse avoir une quelconque influence sur la caractérisation d’une pratique susceptible d’engager la responsabilité de son auteur ; Qu’en outre, il sera observé que si la Sté OBER n’a effectivement assigné la Sté DEVRED qu’au début de l’année 1999, elle avait saisi la direction général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les premiers mois de l’année 1998 ;

Attendu, en dernier lieu, qu’il convient de relever que la rupture brutale de relations commerciales établie est distincte de l’abus de dépendance économique sanctionné par l’article L. 420-2.2 du Code de Commerce ; Qu’ainsi et contrairement aux dires de l’appelante selon laquelle seuls des « petits fournisseurs » pourraient invoquer l’article L. 442-6.4 à l’encontre des « gros distributeurs », ledit article doit trouver application indépendamment de toute recherche de dépendance économique ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la Sté DEVRED avait engagé sa responsabilité civile vis à vis de la Sté OBER à la suite de la rupture des relations commerciales avec celle-ci ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL D’AMIENS

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2001

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 00/00407. Jugement du tribunal de commerce Amiens en date du 22 octobre 1999.

 

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE :

SA DEVRED

[adresse], « prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège », Comparante, concluante par la SCP MILLON PLATEAU CREPIN, avoués à la Cour et plaidant par Maître PEREZ, avocat au barreau de PARIS.

 

ET :

INTIMÉE :

SA OBER

[adresse], « PRISE EN LA PERSONNE DE SON REPRESENTANT LEGAL POUR CE DOMICILIE AUDIT SIEGE. » Comparante, concluante par la SCP TETELIN MARGUET & de SURIREY, avoués à la Cour et plaidant par Maître COURTOIS, avocat au barreau de PARIS.

 

INTERVENANTE :

DIRECTION RÉGIONALE DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA RÉPRESSION DES FRAUDES DE LA SOMME

représentée par M. X., chef de service régional [adresse], « Intervenante en vertu des dispositions de l’article 56 de l’Ordonnance n°86.1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence » Intervenante suivant conclusions du 11 septembre 2000, Représentée, concluante par M. Albert X. et plaidant, selon délégation de pouvoir du 11 octobre 2001, par Mme Anne Lorette Y., inspectrice principale.

 

DÉBATS : A l’audience publique du 12 octobre 2001 ont été entendus les avoués et les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : M. CHAPUIS DE MONTAUNET, Présidente de Chambre, M. Z. et Mme ROHART-MESSAGER, Conseillers, qui a renvoyé l’affaire à l’audience publique du 30 novembre 2001 pour prononcer l’arrêt et en a délibéré conformément à la loi.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme A. B.

A l’audience publique du 30 novembre 2001, l’arrêt a été rendu par M. CHAPUIS DE MONTAUNET, Président de chambre qui a signé la minute avec Mme A., Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCISION :

Vu le jugement du 22 octobre 1999 par lequel le Tribunal de Commerce d’Amiens a dit la Sté DEVRED responsable de la rupture brutale des relations commerciales avec la société OBER, en application de l’article 36.5 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, et l’a condamnée en conséquence à payer à cette dernière la somme de 269.796 francs à titre de dommages et intérêts, outre 15.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Vu l’appel interjeté par la Sté DEVRED et ses conclusions, enregistrées le 3 novembre 2000, et tendant à :

- infirmer le jugement,

- débouter purement et simplement la Sté OBER de l’ensemble de ses demandes,

- la recevoir en sa demande reconventionnelle et condamner la Sté OBER à lui payer la somme de 250.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, téméraire et vexatoire,

- condamner la Sté OBER et la DGCCRF à payer chacune, sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 50.000 francs ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la SP MILLON PLATEAU CREPIN, en application des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Vu, enregistrées le 1er MARS 2001, les conclusions présentées par la Sté OBER et tendant à :

Vu le rapport d’enquête de la DGCCRF du 9 décembre 1998,

- confirmer le jugement à l’exception du quantum des dommages et intérêts alloués, et statuant à nouveau,

- condamner la Sté DEVRED à lui payer la somme de 5.000.000 francs à titre de dommages et intérêts, en application des dispositions de l’article L. 442.6.4 du code de commerce,

- la condamner à lui payer une somme additionnelle de 30.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et en tous les dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par la SCP TETELIN MARGUET & DE SURIREY, avoués, en application des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Vu, enregistrées le 10 avril 2001, les conclusions d’intervention présentées par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et tendant à :

- le dire recevable en son intervention sur le fondement de l’article 56 de l’ordonnance,

-confirmer le jugement en ce qu’il a constaté et condamné la rupture des relations commerciales décidées par la Sté DEVRED en raison de son caractère brutal de l’article 36.5 de l’ordonnance,

- en tirer toutes les conséquences utiles dans le règlement du litige entre les parties en cause.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Attendu qu’il résulte de l’instruction que, courant 1986, la Sté OBER, spécialisée dans la fabrication de « jeans », a noué des relations commerciales avec la Sté DEVRED, elle-même spécialisée dans la vente au détail de prêt à porter ;

Qu’à partir de 1989, ladite Sté OBER ne s’est plus vue commander par sa cliente que des produits griffés DEVRED, personnalisés et exclusivement destinés aux besoins de cette dernière, nécessitant en raison du volume accru des commandes qui a atteint 102.173 pièces en 1996 pour un chiffre d’affaires hors-taxes de 9.211.858 francs un recours à la sous-traitance pour la finition ;

Que, bien qu’interrogé en septembre 1996 sur ses prix pour la saison 1997, la Sté OBER ne devait recevoir, à la suite de sa réponse transmettant un tableau révisé de ses prix, aucune commande sinon celle du 14 octobre 1996 relative à 990 pièces livrées le 16 décembre suivant ;

Qu’en estimant que la Sté DEVRED n’avait jamais formalisé par écrit la rupture de leurs relations commerciales, la Sté OBER l’a assignée devant le Tribunal de commerce d’Amiens sur le fondement de l’article 36.5 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 en réparation du préjudice qu’elle soutenait avoir subi du fait de son comportement ;

Que, préalablement, la même Sté OBER avait par un courrier du 14 avril 1998, saisi des faits la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, permettant ainsi à l’administration de diligenter une enquête tant auprès du groupe OMNIUM DE PARTICIPATIONS auquel appartient la Sté DEVERD que la Sté OBER ;

Que c’est dans ces conditions qu’est intervenu le jugement retenant la responsabilité de la défenderesse dans la rupture brutale des relations commerciales entre les intéressés ;

 

Sur l’intervention volontaire du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie représentée par la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la région Picardie :

Attendu qu’aux termes de l’article 56 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 « pour l’application de la présente ordonnance le ministre chargé de l’économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l’audience. Il peut également produire les procès verbaux et les rapports d’enquête » ;

 

Au fond :

Sur la responsabilité :

Attendu qu’aux termes de l’article L. 442-6.4 susmentionné : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : (...) 4) - de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis, écrit, tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels. Les dispositions précédentes ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou de force majeure » ;

Attendu que pour contester le caractère brutal au sens de l’article précité de la rupture qui lui est reproché le Sté DEVRED soutient que ces dispositions sont inapplicables à des situations où les relations sont remises en question chaque année à la même époque, le fournisseur présentant ses modèles et n’étant « jamais assuré à l’avance d’être sélectionné quand bien même l’aurait-il été régulièrement depuis des années » ;

Que, par ailleurs, l’appelante souligne que le lien existant entre la rupture brutale alléguée et le préjudice en découlant suppose une action en réparation rapide et non une saisine de la justice consulaire deux ans et demi après les faits ;

Qu’enfin, selon la Sté DEVRED, la constatation d’une rupture brutale de relations commerciales suppose que soit préalablement caractérisée une situation de dépendance économique ou de “grand déséquilibre” qui, en la circonstance, n’existe pas ;

Attendu, toutefois, et en premier lieu, qu’alors que les relations commerciales entre les parties s’étaient déroulées sur une période de 10 ans avec un courant d’affaires en croissance constante (16311 pièces livrées en 1990, 102.173 en 1996 pour un chiffre d’affaires respectif réalisé par la Sté OBER de 1.893.877 francs et 9.21.858 francs) et concernant des produits spécifiques portant la marque « DEVRED », l’appelante a cessé, à compter du 16 octobre 1996, de s’approvisionner auprès de celle qui était devenue son fournisseur exclusif en « jeans » et ce, en l’absence de tout préavis écrit et sans que la Sté OBER ait pu penser qu’elle n’était déjà plus référencée ou se trouvait en cours de déréférencement ;

Qu’au regard de l’article précité l’absence d’un tel préavis signifié préalablement à la dernière commande passée par la Sté DEVRED suffit à caractérise, en elle-même, la brutalité de la rupture des relations commerciales intervenues entre les deux sociétés eu égard à l’antériorité desdites relations et à la « saisonnalité » des produits laquelle nécessite impérativement de la part du fournisseur une anticipation dans la recherche de débouchés, les clients distributeurs assurant leur approvisionnement en terme de collections bien avant la saison ;

Qu’enfin, si la Sté DEVRED fait état de « problèmes de qualité apparus en cours de saison avec la Sté OBER », il ressort de l’examen des pièces du dossier que les difficultés en cause n’ont été invoquées qu’à la fin de l’année 1996 à un moment où l’appelante avait, d’ores et déjà, pris le décision de changer de fournisseur ; que ces difficultés sauraient donc être avancées pour justifier rétroactivement la rupture religieuse ;

Que, de même, les retards de livraison allégués ou l’éventuelle différence entre les quantités commandées et livrées n’ont eu qu’un caractère parfaitement marginal au regard du courant d’affaires existant entre les parties ;

Qu’ainsi, aucune inexécution par la Sté OBER de ses obligations contractuelles ne peut être retenue ;

Qu’en tout état de cause, il sera souligné que le texte invoqué n’a nullement vocation à obliger les distributeurs à pérenniser leurs relations avec les fournisseurs mais seulement à contraindre lesdits distributeurs à anticiper leur décision de changement de contractants et à en informer ces derniers ;

Attendu, en deuxième lieu, que l’action prévue par ledit article L. 442-6.4 est une action en réparation se prescrivant en dix ans sans que, durant cette période, la date à laquelle elle est introduite puisse avoir une quelconque influence sur la caractérisation d’une pratique susceptible d’engager la responsabilité de son auteur ;

Qu’en outre, il sera observé que si la Sté OBER n’a effectivement assigné la Sté DEVRED qu’au début de l’année 1999, elle avait saisi la direction général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les premiers mois de l’année 1998 ;

Attendu, en dernier lieu, qu’il convient de relever que la rupture brutale de relations commerciales établie est distincte de l’abus de dépendance économique sanctionné par l’article L. 420-2.2 du Code de Commerce ;

Qu’ainsi et contrairement aux dires de l’appelante selon laquelle seuls des « petits fournisseurs » pourraient invoquer l’article L. 442-6.4 à l’encontre des « gros distributeurs », ledit article doit trouver application indépendamment de toute recherche de dépendance économique ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la Sté DEVRED avait engagé sa responsabilité civile vis à vis de la Sté OBER à la suite de la rupture des relations commerciales avec celle-ci ;

 

Sur le préjudice :

Attendu, tout d’abord, que contrairement aux énonciations des premiers juges sur ce point l’évaluation du préjudice subi par l’intimée du fait de la faute sus analysée commise par l’appelante ne saurait être liée à l’aggravation des pertes de cette dernière mais doit être appréciée au regard de la marge bénéficiaire brute qu’elle aurait été en droit d’escompter en l’absence de rupture de leurs relations commerciales ;

Que l’assiette retenue à cette fin doit être la moyenne du chiffre d’affaires hors taxes réalisé, au cours des trois années précédant la rupture, par la Sté OBER avec la Sté DEVRED, soit la somme annualisée de 8.815.535 francs, la marge brute bénéficiaire y étant affectée étant fixée à 30 % ainsi que cela ressort des éléments produits par l’intimée et non utilement contestés par la Sté DEVRED ;

Que, par ailleurs, la période à prendre en compte doit être la duré e du préavis qui aurait dû être respecté et qui, en l’espèce compte tenu de l’ancienneté des relations entre les parties, du volume d’affaires réalisé, du secteur spécifique d’activité concerné, ainsi que du fait qu’il s’agisse de la fourniture de produits sous marque de distributeur, sera fixé à six mois ;

Que le montant des dommages et intérêts alloué à la Sté OBER sera, dès lors, évalué à : (8.815.535 francs x 30 %) x 6/12 = 1.322.330 francs ;

Qu’il convient d’y ajouter la somme de 600.000 francs correspondant à la subvention que l’intimée a dû verser à sa filiale SAFOBER, chargée « lavage » des produits concernés, à la suite de l’arrêt des commandes passées par la Sté DEVRED .

Qu’il échet, dès lors, par infirmation du jugement déféré de ce chef, de porter la somme accordée à la Sté OBER en réparation de son préjudice à 1.922.330 francs ;

 

Sur l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile :

Attendu que l’appelante, condamnée aux dépens d’appel, versera à la Sté OBER la somme de 8.000 francs sur le fondement de l’article susvisé ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme,

Au fond, confirme le jugement sauf à porter à 1.922.330 francs le montant des dommages et intérêts alloués à la Sté OBER,

Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives,

Condamne la Sté DEVRED aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TETELIN MARGUET & de SURIREY, avoué,

La condamne à verser à la Sté OBER la somme de 8.000 francs au titre des frais hors dépens.

LE GREFFIER,        LE PRÉSIDENT.