T. COM. PARIS (16e ch.), 24 octobre 1995
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 292
T. COM. PARIS (16e ch.), 24 octobre 1995 : RG n° 95/031257
(sur appel CA Paris (5e ch. sect. A). 25 février 1998 : RG n° 96/00851)
Extrait : « Le 09 février 1994, la Société ESPACE NET signait une commande de 5.307,35 francs pour une insertion dans l’annuaire 1994, avec la réserve suivante « déclare avoir réglé le montant total de la commande souscrite comprenant la facture litigieuse ». » […] « Compte tenu par ailleurs des conditions générales figurant dans les divers contrats, et malgré les contestations [N.B. : prétendue application du texte protégeant les consommateurs contre les clauses abusives] de ESPACE NET qui n’apparaissent pas recevables venant de la part d’un professionnel… ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
SEIZIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 24 OCTOBRE 1995
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 95/031257.
ENTRE :
Maître MASSART, ès-qualité de Liquidateur de la Société ESPACE NET
dont le siège social est [adresse], PARTIE DEMANDERESSE, assistée de la SCP MASSART, Avocats et comparant par Maître ORTOLLAND Avocat.
ET :
SA OFFICE D’ANNONCES (ODA),
[adresse], PARTIE DÉFENDERESSE, assistée de la SCP ABEGG LEGUY ET MASSON, Avocats et comparant par Maître MEYER, Avocat (E936).
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] Les Faits :
A la suite d’une erreur d’insertion de ODA, le n° de téléphone de la Société ESPACE NET, dans les pages jaunes des annuaires 1992, était remplacé par celui de son concurrent direct Aux termes d’une ordonnance de référé en date du 19 novembre 1992, Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Rennes ordonnait entre autres le paiement par ODA à la Société ESPACE NET d’une indemnité provisionnelle de 25.000,00 Francs ainsi que le remboursement à la Société ESPACE NET du coût de l’insertion malencontreuse payée à ODA, soit 15.501,02 francs. Le 11 décembre 1992, ODA ne remboursait que la somme de 10.500,00 francs en indiquant que ce montant correspondait a celui que la Société ESPACE NET avait réellement versé.
Le 30 septembre 1992, la Société ESPACE NET souscrivait un ordre d’insertion à paraître dans les annuaires 1993 de la Mayenne et de l’Ile et Vilaine, pour un montant de 4.732,14 francs. La Société ESPACE NET souscrivait également auprès de ODA le 5 avril 1993, un second bon de commande pour un montant de 20.992,20 francs pour une publicité dans les pages jaunes de l’annuaire 1993. Le coût en était de 20.992,20 francs payable par chèque de 6.997,40 francs à la commande, le solde de 13.994,80 Francs étant payable à réception de la facture, soit le 10 août 1993. Pour le règlement de ce solde, la Société ESPACE NET adressait à ODA, le 4 mars 1994, dix traites de 1.399,48 francs chacune, payables du 20 mars au 20 décembre 1994.
Le 09 février 1994, la Société ESPACE NET signait une commande de 5.307,35 francs pour une insertion dans l’annuaire 1994, avec la réserve suivante « déclare avoir réglé le montant total de la commande souscrite comprenant la facture litigieuse ». Le 2 mai 1995, ODA informait la Société ESPACE NET qu’elle avait bien reçu les effets destinés au paiement de la publicité de 1993, qu’elle retournait ces effets, et qu’elle imputait le montant du chèque de 5.307,35 Francs sur le solde de l’édition 1993, conformément à ses conditions générales. Malgré un échange de lettres, une demande formelle de la Société ESPESPACE NET et un paiement par chèque de la Société ESPACE NET pour remplacer les deux premières traites qui n’avaient pas été présentées à l’encaissement par ODA, l’encart 1994 n’était pas publié par ODA.
La Procédure :
Par assignation devant le Tribunal de Commerce de Rennes en date du 20 septembre 1994, la Société ESPACE NET demande au tribunal :
- de dire et juger que ODA a commis une faute en encaissant le chèque correspondant à l’ordre d’insertion 1994 n° 016663259002 et en prononçant la résolution de ce contrat, ce au mépris de l’article 1184 du Code Civil, en en l’absence de toute clause résolutoire de plein droit,
- [minute page 3] de dire qu’en toute occurrence, les clauses alléguées par ODA sont abusives, la Société ESPACE NET devant être qualifiée de consommateur dans ses relations avec ODA, et que les dites clauses confèrent à ODA un avantage excessif imposé par la puissance économique de ODA,
- de condamner ODA à payer à la Société ESPACE NET, la somme de 1.200.000 francs à titre de dommages et intérêt,
- d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution, de condamner ODA à payer la somme de 9.000 francs au titre de l’article 700 du NCPC, de condamner ODA aux dépens.
Dans ses conclusions, ODA demande au Tribunal de se déclarer incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris, et de condamner la Société ESPACE NET en tous les dépens.
Par conclusions responsives, la Société ESPACE NET demande au Tribunal de débouter ODA de toutes ses demandes, et de lui allouer le bénéfice de son exploit introductif d’instance.
Par conclusions en réplique, ODA demande au Tribunal de lui allouer le bénéfice de ses précédentes écritures.
Par jugement en date du 3 mars 1995, le Tribunal de Commerce de Rennes s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris, et a condamné la Société ESPACE NET aux dépens.
En l’absence de contredit dans les délais impartis, l’affaire est venue devant le Tribunal de Commerce de Paris.
Par conclusions en date du 12 septembre 1995, la Société ESPACE NET, représentée par Maître Massart, ès-qualités de liquidateur de la Société ESPACE NET, renouvelle devant le Tribunal de Commerce de Paris sa demande initiale au Tribunal de Commerce de Rennes.
Par conclusions en date du 12 septembre 1992, ODA demande au Tribunal :
- de débouter la Société ESPACE NET de l’ensemble de ses demandes,
- de condamner la Société ESPACE NET au paiement de la somme de 15.000 francs au titre de l’article 700 du NCPC,
- de condamner la Société ESPACE NET aux dépens.
Par deux séries de conclusions en réplique reçues le 27 septembre 1995, ODA demande au Tribunal de lui allouer l’entier bénéfice de ses précédentes écritures.
Par conclusions en réplique reçues le 3 octobre 1995, la Société ESPACE NET demande au tribunal de lui allouer l’entier bénéfice de ses précédents écrits.
Dires et Moyens des parties :
A l’appui de sa demande, la Société ESPACE NET fait valoir que les relations quelle a eues avec ODA ont été constamment conflictuelles, et ceci en raison d’une erreur de parution, du fait de ODA, dans l’annuaire 1992, erreur pour laquelle le Juge des Référés du Tribunal de Rennes a condamné ODA. Elle rappelle également son ordre d’insertion pour l’édition 1994, pour lequel elle affirme avoir parfaitement respecté les conditions de paiement prévues. Elle souligne que ODA n’a pas publié l’encart publicitaire commandé au mépris de l’article 1134 du Code Civil, et ceci au motif que la Société ESPACE NET n’avait pas entièrement réglé la parution antérieure de l’annuaire 1993. Elle fait valoir que selon une jurisprudence constante, et sauf inexécution grave des engagements de l’autre partie, une partie ne peut refuser son obligation, née d’un contrat, au motif [minute page 4] que son contractant n’a pas exécuté les obligations nées d’un autre contrat, quelle avait en l’occurrence adressé a ODA dix lettres de change pour régler le solde de la commande de l’édition 1993, que ODA ne pouvait résoudre le contrat par sa seule volonté, ce contrat ne contenant pas de clause résolutoire de plein droit susceptible de libérer ODA de son engagement sans saisir la juridiction, conformément à l’article 1184 du Code Civil, qu’en tout état de cause la clause invoquée par ODA constitue un avantage excessif du fait d’un abus de puissance économique.
Elle souligne le caractère abusif des informations concernant les annonces dans les annuaires de France Telecom, et laissant entendre que ODA dispose d’une exclusivité, La Société ESPACE NET rappelle que ODA a été condamnée a ce titre pour abus de position dominante, que si elle avait été correctement informée elle se serait adressée pour sa parution à une autre agence.
La Société ESPACE NET rappelle enfin que ses difficultés, qui se sont finalement traduites par une liquidation judiciaire, ont leur origine dans les erreurs et les agissements de ODA, la publicité dans les annuaires téléphoniques étant essentielle dans son domaine d’activité Elle s’estime ainsi fondée à demander a ODA des dommages et intérêts
Pour sa défense, ODA rappelle qu’elle a exécuté la condamnation prononcée en référé par le Président du Tribunal de Commerce de Rennes le 19 novembre 1992 ainsi que cela a été confirme par Jugement du Tribunal de Commerce de Rennes en date du 19 mars 1993, et par Arrêt de la Cour d’Appel de Rennes en date du 20 octobre 1993, que la procédure concernant l’édition 1992 est maintenant terminée.
Elle rappelle également que le redressement judiciaire de la Société ESPACE NET a été prononcé le 16 mars 1993 et qu’elle a régulièrement inscrit au passif de cette société le montant de 4.732,14 francs correspondant à l’ordre d’insertion signé le 30 septembre 1992 pour les annuaires 1993, montant qui n’a jamais été recouvré. Elle rappelle qu’elle a encaissé le chèque de 5.307,35 francs versé en règlement de l’édition 1994 et l’a imputé sur le débit de l’édition 1993, ainsi qu’un chèque de 2.798,86 francs reçu ultérieurement et une traite de 1.399,48 francs datée du 20 mai 1994. A ce titre, elle souligne que lors de la signature de l’ordre d’insertion pour 1994, la Société ESPACE NET a déclaré « avoir réglé le montant total de la commande souscrite, comprenant l’insertion litigieuse », qu’à l’époque le seul litige existant entre les parties concernait le non-paiement par la Société ESPACE NET de la commande pour l’édition 1993, que la Société ESPACE NET n’avait en fait pas réglé les commandes litigieuses de l’édition 1993, en particulier le solde de la commande du 5 avril 1993 dont l’échéance se situait au 28 août 1993, échéance quelle était tenue de respecter, cette commande étant intervenue après sa mise en redressement judiciaire.
ODA rappelle également que les lettes de change reçues le 4 mars ne garantissaient en rien la solvabilité du débiteur. Elle souligne qu’en raison des manquements successifs de la société ESPACE NET à ses engagements elle pouvait croire que sa créance était en péril et qu’elle était bien fondée à se prévaloir l’exception d’inexécution et à suspendre ses relations avec la Société ESPACE NET.
Concernant la résolution du contrat qu’elle aurait décidé de façon abusive, ODA fait valoir qu’elle n’a jamais résolu le contrat litigieux. Elle souligne qu’en tout état de cause, la Société ESPACE NET a signé un contrat comportant une clause résolutoire qui s’applique à toutes les parties conformément à l’article 1134 du Code Civil. Sur le caractère prétendument abusif de cette clause, elle réfute l’argumentation de la Société ESPACE NET en ce sens qu’elle cite une décision du Conseil de la Concurrence qui n’a aucun rapport avec le présent litige. Elle conteste enfin l’affirmation de la Société ESPACE NET suivant laquelle cette clause était abusive, au regard de la loi du 10 janvier 1978, destinée à protéger les consommateurs, du fait que la Société ESPACE NET en commerçant averti, se devait d’avoir la compétence nécessaire pour apprécier la portée des Conditions générales du contrat qu’elle a signé.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 5] DISCUSSION :
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Attendu que les pièces fournies dans les dossiers de plaidoirie sont en concordance avec les faits mentionnés par les deux parties ; attendu qu’il est exact que la Société ESPACE NET n’a pas réglé à l’échéance les sommes qu’elle devait au titre de l’ordre d’insertion signé le 5 avril 1993 après sa mise en redressement judiciaire ; qu’elle a par ailleurs fait à ce sujet une déclaration inexacte lors de la signature de l’ordre d’insertion pour 1994, et qu’elle a unilatéralement décidé qu’elle pouvait régler les sommes correspondantes au moyen de lettres de change ; le Tribunal dira que ODA était en droit de se prévaloir de l’exception d’inexécution et de ne pas réaliser l’insertion prévue. Compte tenu par ailleurs des conditions générales figurant dans les divers contrats, et malgré les contestations de ESPACE NET qui n’apparaissent pas recevables venant de la part d’un professionnel ; compte tenu également des engagements qu’avait pris la Société ESPACE NET de façon implicite d’établir une connexité entre les obligations nées des deux contrats, et de l’inexécution de ses divers engagements, le Tribunal dire que ODA était fondée à imputer sur le débit de l’édition 1993 le montant du chèque destiné à régler l’ordre d’insertion pour 1994.
SUR L’ARTICLE 700 DU NCPC :
Attendu qu’il sera équitable de ne pas laisser à la charge de la Société OFFICE D’ANNONCES les frais irrépétibles qu’elle a dû engager pour faire valoir ses droits, et que le Tribunal estime à 7.500,00 francs, le Tribunal condamnera Maître Massart, ès-qualité à payer cette somme à ODA.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort,
Dit Maître Massart, ès qualité, mal fondé en ses diverses demandes et l’en déboute.
Condamne Maître Massart, ès-qualité, au paiement à la SA OFFICE D’ANNONCES de la somme de sept mille cinq cents francs au titre de l’article 700 du NCPC (déboutant pour le surplus) ainsi qu’aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 279,85 francs TTC (app. 5,25 ; aff. 42,00 ; emol. 184,80 ; tva 47,80).
Confié lors de l’audience du 12 septembre 1995 à Monsieur BONFILS, en qualité de Juge Rapporteur.
Mis en délibéré le 3 octobre 1995.
Délibéré par Messieurs MARION, DELAGE, BONFILS et prononcé à l’audience publique où siégeaient Monsieur MATHIEU, JUGE, PRÉSIDANT L’AUDIENCE, Messieurs BEAUPERE, DELAGE, SOLAL, MISIRACA, JUGES, les parties en ayant été préalablement avisées.
La minute du jugement est signée par le président du délibéré et par Madame GEOFFROY, greffier.
Monsieur BONFILS
Juge Rapporteur.