CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 1er septembre 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 3464
CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 1er septembre 2011 : RG n° 09/13565 ; arrêt n° 273
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant que la clause d'un mandat de vente avec exclusivité qui prive le mandant du droit de vendre à un acquéreur qui n'aurait pas été présenté par l'agence ne présente pas un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, étant observé que le mandant n'est pas privé du droit de vendre, mais doit seulement adresser l'acquéreur potentiel à l'agent immobilier et que l'exclusivité, limitée dans le temps, a pour contrepartie les moyens déployés par l'agence en vue de trouver un acquéreur ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 1
ARRÊT DU 1er SEPTEMBRE 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 09/13565. Arrêt n° 273 (6 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 9 avril 2009 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - R.G. n° 06/03587.
APPELANTE :
SARL JML
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, ayant son siège [adresse], représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour, assistée de Maître Christine FRANCHI-TALMON, avocat au barreau de PARIS, toque : A 391
INTIMÉS :
Monsieur X.
Né le [date] à [ville], de nationalité française, profession : conseil, demeurant [adresse]
Madame Y. divorcée X.
Née le [date] à [ville], de nationalité française, profession : gérante de société, demeurant [adresse]
représentés par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU ET PELIT-JUMEL, avoués à la Cour, assistés de la SCP LARANGOT HENRIOT - BELLARGENT LE DOUARIN & ASSOCIES (Maître Gwenaëlle MADEC), avocats au barreau de PARIS, toque : J 100
Monsieur W.
demeurant [adresse], non comparant (ordonnance de dessaisissement partiel du 19 novembre 2009)
Monsieur Z.
demeurant [adresse], non comparant (ordonnance de dessaisissement partiel du 19 novembre 2009)
COMPOSITION DE LA COUR : Après rapport oral, l'affaire a été débattue le 26 mai 2011, en audience publique, devant la cour composée de : Madame Lysiane LIAUZUN, présidente, Madame Christine BARBEROT, conseillère, Madame Anne-Marie LEMARINIER, conseillère, qui en ont délibéré
Greffier : lors des débats : Madame Christiane BOUDET
ARRÊT : CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Lysiane LIAUZUN, présidente, et par Madame BASTIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte sous seing privé du 14 novembre 2005, M. X. et Mme Y., divorcée X. (les consorts X.-Y.) ont donné à la SARL JML un mandat exclusif de vente, valable jusqu'au 15 janvier 2006 aux fins de vendre un appartement et un studio, l'ensemble constituant le lot 1 du règlement de copropriété de l'immeuble sis, [adresse] pour un prix de 1.730.000 euros, commission comprise à hauteur de 5 % TTC.
Faisant valoir que les consorts X.-Y. ont, par acte sous seing privé du 16 janvier 2006, consenti directement une promesse de vente au profit de M. W., en dépit de l'exclusivité qu'ils leur avait accordé, et considérant ainsi qu'ils n'ont pas respecté les termes du mandat, la société JML a, dans un premier temps, mis en demeure ces derniers d'avoir à lui verser une indemnité compensatrice de 86.500 euros, soit l'équivalent de la commission envisagée, puis les a, par acte des 22 et 24 février 2006, fait assigner en paiement de cette somme avec intérêts à compter de la mise en demeure restée infructueuse.
M. W., bénéficiaire de la promesse de vente et M. Z., séquestre, ont été attraits dans la cause.
Par jugement du 9 avril 2009, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- déclaré la société JML mal fondée en ses demandes, et en conséquence débouté cette dernière,
- condamné la société JML à payer à M. X. la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné la société demanderesse aux entiers dépens et accordé aux avocats de la cause le bénéfice des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
La société JML a interjeté appel de ce jugement, mais s'est désistée de son appel à l'égard de M. Z. et M. W., ce que le magistrat en charge de la mise en état a constaté par ordonnance du 19 novembre 2009.
Par dernières conclusions signifiées le 12 mai 2011, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, la société JML demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les consorts X.-Y. de leur demande de dommages et intérêts,
statuant à nouveau,
- condamner in solidum les consorts X.-Y. à lui payer la somme de 79.048 euros à titre de dommages et intérêts,
- les débouter de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, les sommes de :
* 1.500 euros pour la première instance
* 2.000 euros pour l'appel.
Par dernières conclusions signifiées le 12 mai 2011, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de leurs moyens, les consorts X.-Y. demandent à la Cour, au visa des articles 1135, 1152, et 1382 et suivants du Code civil, L. 132-1 du Code la consommation, ainsi que la jurisprudence afférente à ces articles, de :
- les recevoir en leurs demandes,
- à titre principal, confirmer la décision du 9 avril 2009 en toutes ses dispositions,
- à titre subsidiaire, constater que la société JML n'a pas respecté ses obligations contractuelles et que la clause dont la société JML réclame l'application est abusive et contraire à l'économie du contrat,
- dire, par conséquent, nulles et de nul effet les clauses figurant au mandat exclusif de vente relatives tant à la clause pénale qu'aux obligations du mandataire, portant obligations des parties, et débouter la société JML de ses demandes de ce chef,
- à titre plus subsidiaire, modérer, en application de l’article 1152 du Code civil, la demande formulée par la société JML et la ramener à un montant symbolique, au regard de l'absence de préjudice subi,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes de condamnation de la société JML à leur payer à chacun la somme de 10.000 euros, en réparation du préjudice moral subi par chacun d'eux, du fait de l'engagement de l'instance qui n'a pour seul dessein que de porter atteinte à leur probité et intégrité morale,
- en conséquence, condamner la société JML au paiement de cette somme à chacun d'eux,
- en tout état de cause, condamner la société JML aux entiers dépens ainsi qu'à leur payer la somme de 14.389,50 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
Considérant que le mandat comporte (§ 4 du titre II des conditions générales) une clause pénale rédigée en ces termes :
« De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n'aurait pas accepté la présente mission, le mandant :
- s'engage à signer aux prix, charges et conditions convenues toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assorti d'une demande de prêt immobilier, avec tout acquéreur présenté par le mandataire.
- s'interdit, pendant la durée du mandat et pendant la période suivant son expiration indiquée au recto, de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui.
- autorise le mandataire, pendant la durée du mandat, à poser en exclusivité un panneau sur les biens à vendre et s'interdit de négocier directement ou indirectement, s'engageant à diriger sur le mandataire toutes les demandes qui lui seront adressées personnellement.
En cas de non-respect des obligations énoncées ci avant aux paragraphes a, b ou c, il s'engage expressément à verser au mandataire, en vertu des articles 1142 et 1152 du code civil, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue au recto. » ;
Considérant que le mandat de vente a expiré le dimanche 15 janvier 2006 et que la promesse de vente consentie par acte sous seing privé par les époux X. aux époux W. a été signée le 16 janvier 2006 chez un notaire ;
Considérant que Mme A., assistante commerciale à la société JML dont M. B. est responsable, a attesté le 30 janvier 2006 avoir assisté le 16 janvier 2006 à 14 h 30 à l'agence, à un entretien entre les époux X. et M. B. au cours duquel Mme X. a déclaré qu'ils avaient signé le matin même à 1.600.000 euros avec leur voisin du 4ème étage, M. W., ajoutant que M. W. avait visité le bien le 12 décembre 2005 lors de la réunion de copropriété et le 23 décembre à l'heure du thé ;
Considérant que les époux X., qui contestent la crédibilité de ce témoignage eu égard au lien de subordination existant entre la société JML et Mme A., soutiennent que M. W., qui connaissait parfaitement leur bien pour occuper un appartement présentant la même configuration dans le même immeuble depuis plus de trente ans, et avait prévenu son notaire et son banquier de son intention d'acquérir leur bien situé au rez-de-chaussée, est entré en relation avec M. X. le 16 janvier 2006, lui a fait ce même jour une offre d'achat pour le prix de 1.660.000 euros qu'il a immédiatement accepté, le prix offert étant supérieur à celui offert par les acquéreurs potentiels présentés par l'agence, ajoutant avoir contacté aussitôt son notaire habituel, M. Z. qui a accepté de les recevoir le même jour pour signer une promesse de vente qui avait été pré-remplie dans le cadre de la négociation avec l'acquéreur présenté par la société JML, le notaire des époux W., l'étude C. et associés, s'étant également déclarée prête à recevoir les parties le jour même afin de régulariser cet acte et la banque de M. W. lui ayant fait porter chez le notaire un chèque de banque de 83.000 euros ;
Considérant toutefois que l'absence de toute négociation avant le jour de la signature de la promesse de vente n'est pas crédible et n'est d'ailleurs pas prouvée par les époux X. ;
Que M. W. a attesté le 17 mars 2006 avoir appris par la gardienne de l'immeuble que les époux X. vendaient leur appartement et qu'après s'être mis rapidement d'accord avec M. X. sur les charges et conditions de cette transaction, ils se sont rapprochés de leurs notaires respectifs qui ont établi une promesse de vente qu'ils ont signé le 16 janvier 2006 ;
Qu'il ne résulte nullement de cette attestation que les époux W. et les époux X. ne se sont mis d'accord sur les conditions de cette transaction que le 16 janvier 2006, cet accord ayant nécessairement eu lieu avant l'expiration du mandat exclusif de vente, le dimanche 15 janvier, d'autant que M. W. précise qu'il ne s'est rapproché de son notaire qu'après qu'un accord soit intervenu sur les conditions de la vente, les négociations ayant pu avoir lieu même en l'absence de M. X., téléphoniquement, par courrier ou avec Mme X. ;
Considérant que le témoignage de Mme A., nonobstant son lien de subordination avec la société JML, est donc corroboré par le témoignage de M. W. qui manifestement ne s'est rapproché de son notaire et de son banquier qu'après qu'un accord sur les conditions de la vente soit intervenu, mais également par les délais nécessaires pour la production des pièces nécessaires à l'établissement par un notaire d'une promesse de vente, le temps de rédaction de la promesse et, pour le bénéficiaire de la promesse, le temps nécessaire à l'obtention d'un chèque de banque, d'autant que les époux X. ne contestent pas avoir signé la promesse de vente au cours de la matinée du 16 janvier, ce qui implique nécessairement que les notaires avaient été avisés par leurs clients respectifs de l'accord intervenu avant le 16 janvier ;
Considérant que les époux X. ont commis une faute en ne respectant pas leur obligation contractuelle de ne pas négocier directement ou indirectement en ne dirigeant pas sur le mandataire M. W. ;
Considérant que conformément aux stipulations contractuelles, les époux X. sont tenus au paiement d'une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue, soit 5 % du prix de vente ;
Considérant que les époux X. opposent à la société JML l'inexécution de ses propres obligations, lui faisant grief de n'avoir présenté en vitrine que l'appartement du rez-de-chaussée, d'une surface de 185 m², au prix de 1.560.000 euros, occultant l'existence du studio alors que le mandat prévoyait qu'il s'agissait d'une seule et même vente au prix de 1.730.000 euros, l'appartement et le studio faisant d'ailleurs partie du même lot ;
Que toutefois, les offres à hauteur de 1.460.000 euros puis 1.520.000 euros transmises les 16 décembre 2005 et 3 janvier 2006 aux époux X. par la société JML, émanant des époux D., concernait bien l'appartement et le studio, ce qui démontre que la société JML a bien exécuté les termes du mandat, l'exception d'inexécution étant donc rejetée ;
Considérant que la clause d'un mandat de vente avec exclusivité qui prive le mandant du droit de vendre à un acquéreur qui n'aurait pas été présenté par l'agence ne présente pas un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, étant observé que le mandant n'est pas privé du droit de vendre, mais doit seulement adresser l'acquéreur potentiel à l'agent immobilier et que l'exclusivité, limitée dans le temps, a pour contrepartie les moyens déployés par l'agence en vue de trouver un acquéreur ;
Considérant le montant de l'indemnité réclamée, soit 79.048 euros représentant 5 % du prix de vente du bien, est manifestement excessif compte tenu de ce que la vente aux époux W. s'est faite sans aucune diligence de l'agence, M. W. ayant eu connaissance de la mise en vente du bien par la concierge, le compromis de vente a été signé le lendemain de la date d'expiration du mandat de vente avec exclusivité en l'absence d'acquéreurs présentés par l'agent immobilier aux conditions du mandat, le mandat de vente était de faible durée (deux mois) et l'agent immobilier n'a présenté qu'un seul acquéreur, ce qui implique des diligences limitées ;
Que le montant de l'indemnité allouée sera réduit, par application de l’article 1152 du code civil, à la somme de 20.000 euros ;
Considérant que l'action engagée par la société JML étant fondée, les époux X. seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral et devront en outre indemniser la société JML des frais non répétibles qu'ils l'ont contrainte à exposer tant en première instance qu'en appel à concurrence de la somme totale de 3.500 euros ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
Par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Condamne in solidum M. X. et Mme Y. divorcée X. à payer à la société JML la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toute autre demande,
Condamne in solidum M. X. et Mme Y. divorcée X. aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente,