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CASS. SOC., 16 mai 2012

Nature : Décision
Titre : CASS. SOC., 16 mai 2012
Pays : France
Juridiction : Cour de cassation Ch. sociale
Demande : 11-10760
Date : 16/05/2012
Nature de la décision : Cassation avec renvoi
Mode de publication : Legifrance
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3889

CASS. SOC., 16 mai 2012 : pourvoi n° 11-10760

Publication : Legifrance ; Bull. civ.

 

Extrait : « Vu les articles 1131 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ; […] ; Attendu cependant que si une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie rendant la clause nulle, le juge ne peut, sous couvert de l’appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties et, après avoir décidé de l’annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu’il estime justifiée ; Qu’en statuant comme elle a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR DE CASSATION

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 16 MAI 2012

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

N° de pourvoi : 11-10760.

DEMANDEUR à la cassation : Société Tradition securities and futures (TSAF)

DÉFENDEUR à la cassation : Monsieur X.

Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président. SCP Boullez, SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s).

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :  

 

Sur le moyen unique :

VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée)                                        (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu les articles 1131 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;

 

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE                                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X. a été engagé le 25 août 2003 par la société Tradition securities and futures (TSAF) en qualité d’opérateur/vendeur, moyennant une rémunération contractuelle composée d’une partie fixe brute annuelle de 100.000 euros et d’une partie variable calculée sur le chiffre d’affaires ; que son contrat comportait une clause de non-concurrence limitée à six mois, portant sur les seules fonctions du salarié, circonscrite géographiquement à Paris, l’Union européenne et la Suisse et assortie d’une contrepartie financière d’un montant mensuel brut égal au salaire fixe de base du dernier mois travaillé ; que le salarié a démissionné le 22 décembre 2006 et a perçu mensuellement pendant six mois une somme de 9.241,46 euros ; qu’ayant en vain réclamé une indemnité de non-concurrence incluant la part variable de sa rémunération, le salarié a saisi la juridiction prud’homale ;

 

RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu que pour juger la clause de non-concurrence illicite et condamner l’employeur à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que la contrepartie financière prévue contractuellement et correspondant, pour six mois d’application de l’interdiction, à 1,14 mois sur la base du dernier mois travaillé est disproportionnée et dérisoire ; qu’ajoutant que les contreparties financières de non-concurrence correspondent en général au minimum à 33 % de la rémunération moyenne mensuelle brute sur les douze derniers mois, la cour d’appel a fixé le montant de la contrepartie financière sur cette base puis, prenant en compte la somme déjà perçue à ce titre par le salarié, elle lui a alloué le solde à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la clause illicite ;

 

CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION                                                       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu cependant que si une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie rendant la clause nulle, le juge ne peut, sous couvert de l’appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties et, après avoir décidé de l’annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu’il estime justifiée ;

Qu’en statuant comme elle a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 novembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne M. X. aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par M. Chollet, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l’article 456 du code de procédure civile, en l’audience publique du seize mai deux mille douze. 

 

 

ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Tradition securities and futures.

 

RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail de Monsieur X. est illicite et d’avoir condamné la société TSAF à verser à Monsieur X. une somme de 66.251,24 € de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait d’une clause de non-concurrence illicite ;

 

RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

AUX MOTIFS QU’« une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable aux intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives. La contrepartie financière est due quel que soit le motif de la rupture, même si le salarié a retrouvé un emploi immédiatement après avoir démissionné, à moins que l’employeur ait libéré le salarié de l’obligation dans les délais et les formes prescrites. Enfin, le montant de la contrepartie financière doit respecter le principe de proportionnalité. Il s’ensuit dès lors qu’une contrepartie financière dérisoire équivaut à une absence de contrepartie. Il n’est pas discuté dans la présente espèce que la clause de non-concurrence prévue au contrat assurait la protection des intérêts légitimes de la Société TRADITION SECURITIES AND FUTURES, qu’elle ne portait pas atteinte à la liberté du travail, qu’elle était limitée dans le temps et l’espace, Monsieur X. estimant que le caractère illicite de la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail résulte d’une contrepartie financière dérisoire équivalent à une absence de contrepartie. Dans le cas d’espèce, la contrepartie financière contractuellement prévue devait correspondre pendant toute la durée de l’application de la clause de non concurrence soit pendant six mois, à une indemnité compensatrice dont le montant mensuel brut devait être égal au salaire fixe de base de son dernier mois travaillé. D’après ce même contrat de travail, il était précisé que Monsieur X. devait percevoir une rémunération fixe brute annuelle de 100.000 € répartis sur 12 mois, incluant toutes primes conventionnelles à laquelle devait s’ajouter une partie variable calculée sur le chiffre d’affaires net traité par le salarié. En effet, au-delà d’un chiffre d’affaires nets de 333.333 €, la partie variable appelée à être versée devait être égale à 30 % du chiffre d’affaires net, recouvré et traité par Monsieur X.. En application des dispositions contractuelles relatives à la rémunération, il n’est pas contesté que la rémunération moyenne mensuelle brute perçue par Monsieur X. pour le mois de décembre 2006, dernier mois travaillé s’est élevée à la somme de 43.997,16 € hors congés payés et à la somme de 49.935,56 € avec congés payés. Il convient d’observer que la rémunération moyenne brute mensuelle s’est élevée en 2006 à la somme de 61.419,83 €. La Société TRADITION SECURITIES AND FUTURES, appliquant strictement les dispositions contractuelles a versé au total à Monsieur X. une somme de 55.448,76 € bruts comprenant les congés payés, au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence. Il apparaît donc que la contrepartie financière versée correspond globalement à 1,11 mois sur la base du dernier mois travaillé. C’est en vain, que la société soutient que cette clause était proportionnée au motif que Monsieur X. pouvait à la cessation de son contrat de travail exercer les mêmes fonctions que celles qu’il avait précédemment exercées au sein de la banque ING et qui correspondent à sa formation initiale. En application de la clause, Monsieur X. s’interdisait d’exercer ses fonctions d’opérateur/vendeur, au sein d’une société intermédiaire sur les marchés financiers, sociétés de bourse ou de tout autre entreprise d’investissement ayant une activité similaire, connexe ou complémentaire à celle de la TRADITION SECURITIES AND FUTURES et ce, dans un secteur géographique délimité et pendant une durée de six mois. Il résulte de l’analyse de l’ensemble des éléments que la contrepartie financière prévue contractuellement et correspondant pour toute la durée de son application, soit pour 6 mois à 1,14 mois sur la base du dernier mois travaillé, était disproportionnée et dérisoire, que la clause de non-concurrence est par voie de conséquence illicite. Il n’est pas contesté que Monsieur X. a respecté la clause de non-concurrence illicite. Dans ces conditions, le respect de la clause de non-concurrence illicite est nécessairement à l’origine d’un préjudice pour Monsieur X. ouvrant droit à réparation et dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue. Les contreparties financières des clauses de non-concurrence correspondent en général au minimum à 33 % de la rémunération moyenne mensuelle brute sur les 12 derniers mois de l’année. Dans ces conditions, la Cour fixera la contrepartie financière à la somme de 121.700 €. Compte tenu de ce que Monsieur X. a effectivement perçu une somme de 55.448,76 €, il convient de condamner la Société TRADITION SECURITIES AND FUTURES à lui payer la somme de 66.251,24 € en réparation du préjudice subi du fait du respect par Monsieur X. de la clause illicite » ;

 

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

ALORS, D’UNE PART, QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et que la lésion ne vicie les conventions que dans les cas expressément prévus par la loi ; qu’en l’absence de disposition impérative applicable à la relation de travail fixant un montant minimum, le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence est fixé librement par les parties ; que présente un caractère dérisoire, la contrepartie dont le montant est si faible qu’il est assimilable à une absence d’engagement véritable de la part du débiteur ; que le juge ne saurait, sous couvert du contrôle du caractère dérisoire de la contrepartie, se livrer à un contrôle de l’équilibre de la clause, pour substituer son appréciation à celle des parties concernant le montant de la contrepartie financière ; qu’au cas présent, il résulte des constatations de la Cour d’appel que la contrepartie financière versée par la société TSAF au cours de l’exécution de la clause de non-concurrence était d’un montant total de 55.448,76 € sur six mois, soit 9.241,46 € mensuels, et correspondait à 100 % du salaire fixe de base de Monsieur X. et à 21 % de la rémunération totale - fixe plus variable - perçue par ce salarié, sur la base du dernier mois travaillé ; que le versement d’une telle somme constituait un véritable engagement pour la société TSAF, de sorte que la contrepartie financière n’avait pas un caractère dérisoire ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé les articles 1118, 1131 et 1134 du Code civil ;

ALORS, D’AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la contrepartie financière prévue par la clause de non-concurrence a pour cause objective la limitation apportée par la clause à la liberté du salarié d’exercer une activité professionnelle après la rupture du contrat de travail ; qu’il en résulte que le caractère dérisoire ou non de la contrepartie financière à la charge de l’employeur ne peut s’apprécier qu’au regard de l’étendue de l’obligation de non-concurrence mise à la charge du salarié ; qu’au cas présent, la société TSAF soulignait que la contrepartie financière équivalant à 100 % de la rémunération fixe de Monsieur X. était tout à fait proportionnée à l’atteinte portée à sa liberté du travail ; qu’en effet la clause d’une durée de six mois et limitée géographiquement aux places financières situées sur le même fuseau horaire que celle de PARIS, était strictement limitée aux fonctions d’opérateur vendeur au sein d’une société intermédiaire sur les marché financiers, société de bourse ou d’investissement et excluait expressément de son champ d’application les fonctions « d’opérateur, vendeur, trader, « sales », cambiste ou toute autre fonction au sein des salles de marché des établissements bancaires » ; qu’en estimant que la contrepartie financière d’un montant de 55.448,76 € sur six mois, soit 9.241,46 € mensuels, était dérisoire sans confronter ce montant à la teneur de l’engagement de non-concurrence de Monsieur X. qui en était la cause, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1131 du Code civil et L. 1121-1 du Code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le juge, tenu de trancher le litige au regard des règles de droit applicables, est tenu de préciser sur quel fondement juridique il fonde sa décision ; que, pour considérer que la contrepartie financière versée à Monsieur X. était dérisoire et dire qu’elle aurait dû être fixée à la somme de 121.700 €, la Cour d’appel a affirmé que « les contreparties financières de clause de non-concurrence correspondent en général au minimum à 33 % de la rémunération mensuelle brute sur les 12 derniers mois de l’année » ; qu’en fondant ainsi sa décision sur une généralité, sans indiquer le moindre fondement juridique, la Cour d’appel a violé l’article 12 du Code de procédure civile ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QU’en fixant le montant minimum que devrait avoir, selon elle, toute contrepartie financière d’une clause de non-concurrence, la Cour d’appel a statué par voie d’arrêt de règlement en violation de l’article 5 du Code civil ;

ALORS, DE CINQUIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère dérisoire de la contrepartie financière entraîne la nullité de la clause de non-concurrence ; que, dans une telle hypothèse, le juge prud’homal peut uniquement allouer au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l’exécution d’une clause de non-concurrence illicite et n’est en aucun cas autorisé à fixer lui-même le montant de la contrepartie financière à la place des parties ; qu’en estimant que « les contreparties financières de clause de non-concurrence correspondent en général au minimum à 33 % de la rémunération mensuelle brute sur les 12 derniers mois de l’année » et en fixant le montant de la contrepartie financière due à Monsieur X. à la somme de 121.700 €, afin d’évaluer le montant des dommages-intérêts dus à Monsieur X., la Cour d’appel a violé les articles L. 1221-1 du Code du travail et 1147 du Code civil ;

ALORS, ENFIN ET SUBSIDIAIREMENT, QU’en cas de nullité de la clause de non-concurrence, l’employeur doit verser au salarié des dommages-intérêts correspondant au préjudice subi du fait de l’exécution d’une clause de non-concurrence illicite ; que ce préjudice s’apprécie au regard de l’atteinte à la liberté d’exercer une activité professionnelle du salarié et de la diminution de ses possibilités de retrouver un emploi correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle ; qu’au cas présent, il était exposé, d’une part, que le champ professionnel de l’obligation de non-concurrence de Monsieur X. était très limité et, d’autre part, que Monsieur X. avait pu immédiatement après son départ de la société TSAF conclure un contrat de travail au sein d’une société bancaire opérant sur les marchés et percevoir ainsi une rémunération mensuelle fixe de 8.333,33 € ; qu’en refusant de prendre en compte de ces éléments déterminants qui lui étaient présentés par l’exposante dans ses conclusions, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1121-1 du Code du travail et 1147 du Code civil ainsi que du principe de la réparation intégrale du préjudice.