T. COM. CRÉTEIL (1e ch.), 9 novembre 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 4293
T. COM. CRÉTEIL (1e ch.), 9 novembre 2010 : RG n° 2009F01018
(dans l’attente de Cons. constit., 13 janvier 2011 : décision QPC n° 2010-85, suivi de T. com. Créteil (1re ch.), 13 décembre 2011 : RG n° 2009F01018)
Extrait : « En conséquence, le Tribunal dira, Que le Question Prioritaire de Constitutionnalité, soulevée par la société GALEC, est recevable, Qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à la Cour de cassation et qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il soit informé de la décision du Conseil constitutionnel et ce conformément aux dispositions de l'article 126-5 du CPC. »
TRIBUNAL DE COMMERCE DE CRÉTEIL
PREMIÈRE CHAMBRE
JUGEMENT DU 9 NOVEMBRE 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2009F01018.
DEMANDEUR :
Mme LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI
représentée dans le département du Val de Marne par M. X., chef de service régional à l'unité départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, élisant domicile [adresse], comparant par M. Y., Inspecteur
DÉFENDEUR :
SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC
[adresse], comparant par la SEP SEVELLEC - CRESSON - RUELLE [adresse], et par Maître Laurent PARLEANI, [adresse]
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Débats, clôture des débats et mise en délibéré lors de l'audience de plaidoirie collégiale du 21 octobre 2010, où siégeaient M. Éric DE MONTILLE, Président, M. Didier RENOULT et M. Guy LEPAGNOL, juges.
Affaire régulièrement communiquée au Ministère Public
Décision contradictoire en premier ressort.
Délibérée par M. Éric DE MONTILLE, Président, M. Didier RENOULT et M. Guy LEPAGNOL, juges.
Prononcée ce jour par la mise à disposition au Greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. Minute signée, pour le Président empêché, par M. Didier RENOULT, l'un des juges en ayant délibéré, et Mme Maryse DENIEL, Greffier
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] PROCÉDURE :
Par acte extrajudiciaire signifié le 30 octobre 2009 à personne habilitée, Mme LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI a assigné la société SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC, ci-après GALEC, demandant au Tribunal de :
- Dire que les clauses 4.2 b, 4.2 c, 4.3 a, 4.3 b, 4.3 c, de l'annexe 3 du contrat-cadre annuel 2009 et 5 de l'article I du même contrat créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de la société GALEC,
- Dire que ces clauses contreviennent donc aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce,
- Constater en conséquence la nullité de ces clauses dans l'accord de la société GALEC,
- Prononcer à l'encontre de la société GALEC une amende civile de 2.000.000,00 €,
- Condamner la société GALEC à verser à Mme LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI la somme de 1.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- Condamner la société GALEC aux entiers dépens.
Après deux renvois, à l'audience collégiale du 23 février 2010, l'affaire a été envoyée devant un juge rapporteur pour l'établissement d'un calendrier de procédure.
A son audience du 30 mars 2010, où toutes les parties étaient présentes, le Juge rapporteur a établi le calendrier suivant,
- conclusions de la société GALEC le 20 avril 2010,
- conclusions de Mme LE MINISTRE le 15 juin 2010,
- conclusions de la société GALEC le 20 août 2010,
- conclusions de Mme LE MINISTRE le 21 septembre 2010,
- conclusions de la société GALEC le 15 octobre 2010,
Et fixé la date du jeudi 21 octobre 2010 pour une audience de plaidoirie.
Par lettre du 19 avril 2010, la société GALEC a adressé au juge rapporteur des conclusions le 1, en constatation d'inconstitutionnalité et à fin de renvoi devant le Conseil constitutionnel, ainsi que des conclusions n° 1 au fond.
M. le Président du Tribunal de Commerce de Créteil a informé, par courrier du 22 avril 2010, M. le Procureur de la République de la réception de ces conclusions en constatation d'inconstitutionnalité et de ce qu'elles ne pourraient être soutenues oralement qu'à l'audience, préalablement fixée, du 21 octobre 2010, audience au cours de laquelle le Parquet pourra faire valoir son avis.
A l'audience de plaidoirie du 21 octobre 2010, à laquelle toutes les parties étaient présentes, il a été régularisé,
- pour le fond, les conclusions en défense n° 1, en demande n° 1, en défense n° 2, en demande n° 2, en défense n° 3 et en demande n° 3.
- pour la Question Prioritaire de Constitutionnalité, les conclusions en défense n° 1, en demande n° 1, en défense n° 2, en demande n° 2, et en défense n° 3.
Les parties ont confirmé, lors de l'audience de plaidoirie n'avoir été convoquées, ce Jour, que pour être entendues sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité.
Après avoir entendu les parties en leurs explications sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité, le Tribunal a clos les débats, mis le jugement en délibéré et dit qu'il serait prononcé le 9 novembre 2010 par mise à disposition au Greffe.
[minute page 3]
MOYENS DES PARTIES
La société GALEC expose :
Qu'elle soulève la Question Prioritaire de Constitutionnalité au vu du principe de la légalité des peines et des délits, lequel doit s'appliquer à toute sanction ayant le caractère d'une punition, prononcée par toute autorité judiciaire ou non,
Qu'il ne saurait être contesté qu'une amende civile de 2 millions d'euros constitue une sanction ayant le caractère de punition,
Que L. 442-6-I-2° du Code de commerce prévoit des mesures de réparations qui concernent des victimes et leur patrimoine (nullité, répétition de l'indu),
Que, si l'on admet que l'amende civile est censée réparer un préjudice, force est de constater que ce préjudice est totalement abstrait,
Que la question est donc, l'amende civile constituant une sanction, appliquer cette sanction en cas de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est-t-il conforme au principe de légalité des peines et délits ?
Que l'incrimination « déséquilibre significatif » est insuffisamment précis et n'apporte pas une sécurité juridique compatible avec le principe de légalité des peines et des délits,
Que la disposition contestée est applicable au litige et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, que Mme LE MINISTRE admet elle-même que ces deux conditions, posées par la loi pour qu'une question prioritaire de constitutionnalité soit examinée, sont réunies,
Que seule la condition du caractère sérieux de la Question Prioritaire de Constitutionnalité est contestée par Mme LE MINISTRE,
Que le caractère sérieux de la question soulevée a été confirmé par la Cour de Cassation pour une Question Prioritaire de Constitutionnalité identique,
Qu'elle sollicite, par conséquent, l'application de l'article 126-5 du CPC qui prévoit dans cette hypothèse de surseoir à statuer sur le fond jusqu'à la décision du conseil constitutionnel, en considérant qu'il n'y a pas lieu à transmission dans la mesure où la cour de cassation est déjà été saisie de cette question.
Mme LE MINISTRE répond :
Que, du fait de la décision de la Cour de cassation du 15 octobre 2010 de renvoyer au Conseil constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionnalité portant exactement sur les mêmes motifs, à savoir la conformité de l'interdiction énoncées par L. 442-6-I-2° du Code de commerce aux exigences de clarté et de précision, résultant du principe de légalité des délits et des peines,
Qu'elle s'associe, dès lors, à la demande de sursis à statuer.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LE TRIBUNAL :
Attendu que le Tribunal de céans a été saisi d'une Question Prioritaire de Constitutionnalité par la société GALEC,
Attendu que la condition de forme de la saisine, à savoir un écrit distinct et motivé, a été remplie, Attendu que deux conditions de fond de la saisine, à savoir que la disposition contestée soit applicable au litige et que cette disposition n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ne sont pas contestées par Mme LE MINISTRE,
Attendu que la troisième et dernière condition de fond de la saisine, à savoir son caractère sérieux, est satisfaite, dès lors que la Cour de cassation, elle-même, dans son arrêt du 15 octobre 2010, a retenu le caractère sérieux de la question soulevée,
Attendu que la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité,
Attendu que les parties ont demandé de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel,
En conséquence, le Tribunal dira,
Que le Question Prioritaire de Constitutionnalité, soulevée par la société GALEC, est recevable, Qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à la Cour de cassation et qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il soit informé de la décision du Conseil constitutionnel et ce conformément aux dispositions de l'article 126-5 du CPC.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant par un jugement contradictoire en premier ressort, avant dire droit,
Dit recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC.
Dit qu'il n'y a pas lieu de transmettre cette question à la Cour de cassation.
Ordonne le sursis à statuer de la présente instance dans l'attente la décision du Conseil constitutionnel.
Renvoie l'affaire au rôle des sursis à statuer
Dépens réservés.
Quatrième et dernière page.