CAA NANCY (4e ch.), 18 mars 2013
CERCLAB - DOCUMENT N° 4338
CAA NANCY (4e ch.), 18 mars 2013 : req. n° 12NC01043
Publication : Legifrance
Extraits (arguments du salarié) : « M. X. soutient que : - la clause de mobilité figurant à son contrat de travail qui ne prévoyait pas précisément sa zone géographique d’application, ne lui était pas opposable ; la modification de son lieu de prise de service constitue par suite une modification de son contrat de travail ; - la mise en œuvre de la clause de mobilité étant manifestement abusive, son refus d’accepter la modification de son lieu de prise de service ne constituait pas une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ».
Extraits (motifs de l’arrêt) : 6. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que l’article 4 du contrat de travail de M. X. prévoyait que le véhicule de l’intéressé devait être disponible sur le parking de la ZAC de V., située à [ville B.], et qu’il devait être impérativement stationné à cet endroit à chaque fin de service ; que le même article comportait une clause de mobilité selon laquelle « en cas de besoins justifiés notamment par l’évolution de ses activités ou de son organisation, et plus généralement par la bonne marche de l’entreprise, la Société se réserve le droit de modifier le lieu de prise de service de Monsieur X. dans l’un de ses établissements actuels ou futurs implantés en France » ; que cette clause de mobilité ne comporte aucune précision sur sa zone géographique d’application et confère à la société Transports Mauffrey le pouvoir d’en modifier unilatéralement la portée en fonction de ses implantations futures ; qu’ainsi, la clause de mobilité incluse dans le contrat de travail de M. X. était entachée de nullité ; que la société Transports Mauffrey n’est par suite pas fondée à soutenir que la clause de mobilité figurant au contrat de M. X. étant parfaitement valable, la modification du lieu de prise de service de ce salarié devait s’analyser comme un changement de ses conditions de travail ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY
QUATRIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 18 MARS 2013
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Req. n° 12NC01043. Quatrième chambre (formation à 3) : M. LAPOUZADE, président, M. Alain LAUBRIAT, rapporteur, M. WIERNASZ, rapporteur public.
REQUÉRANT :
Société Transports Mauffrey
SELARL KNITTEL - FOURAY - GUIRANNA, avocat(s)
DÉFENDEUR :
Monsieur X.
Maître B.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2012, complété par un mémoire enregistré le 8 novembre 2012, présentée pour la société Transports Mauffrey, dont le siège est zone industrielle du [adresse], représentée par son président, par la Selarl d’avocats Knittel - Fouray - Guiranna ;
La société Transports Mauffrey demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1001479 du 10 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique du 1er juin 2010 en tant qu’elle a accordé à la SAS Transports Mauffrey l’autorisation de licencier M. X. ;
2°) de rejeter la demande présenté par M. X. devant le Tribunal administratif de Nancy ;
La Société Transports Mauffrey soutient que :
- la clause de mobilité figurant au contrat de M. X., chauffeur routier, étant parfaitement valable dès lors qu’elle précisait sa zone géographique d’application, la modification du lieu de prise de service de ce salarié devait s’analyser comme un changement de ses conditions de travail ; le refus de M. X. de stationner son ensemble sur le site de [ville S.] était dès lors constitutif d’une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement ;
- la modification du lieu de prise de service de M. X. constituait par nature, compte tenu de ses fonctions de conducteur routier, un simple changement de ses conditions de travail ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu en date du 13 juillet 2012, la communication de la requête au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 septembre 2012, présenté pour M. X., demeurant au [adresse] par Maître B. ;
M. X. demande à la Cour :
- de rejeter la requête ;
- d’enjoindre à l’inspecteur du travail de statuer sur la demande d’autorisation de licenciement de la société Mauffrey dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt ;
- de mettre à la charge de la société Transports Mauffrey une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X. soutient que :
- la clause de mobilité figurant à son contrat de travail qui ne prévoyait pas précisément sa zone géographique d’application, ne lui était pas opposable ; la modification de son lieu de prise de service constitue par suite une modification de son contrat de travail ;
- la mise en œuvre de la clause de mobilité étant manifestement abusive, son refus d’accepter la modification de son lieu de prise de service ne constituait pas une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- la modification de son lieu de prise de service a porté atteinte à l’exercice de son mandat de conseiller prud’homme ;
Vu l’ordonnance en date du 29 novembre 2012 fixant la clôture de l’instruction le 21 décembre 2012 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 18 février 2013 :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- et les observations de Maître C. pour la société Transports Mauffrey ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1. Considérant que le 19 novembre 2009, la société Transports Mauffrey SAS a demandé l’autorisation de licencier M. X., chauffeur routier au sein de l’entreprise et par ailleurs conseiller prud’homme ; que l’inspecteur du travail des Vosges a accordé l’autorisation sollicitée le 18 décembre 2009 ; que, sur recours hiérarchique formé par M. X. le 12 février 2010, le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique a, par une décision du 1er juin 2010, annulé la décision de l’inspecteur du travail mais autorisé à son tour le licenciement de l’intéressé ; que la société Transports Mauffrey demande l’annulation du jugement du 10 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du ministre chargé du travail, du 1er juin 2010 en tant qu’elle a accordé à la SAS Transports Mauffrey l’autorisation de licencier M. X.;
Sur les conclusions d’appel principal :
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2411-22 du code du travail : « Le licenciement du conseiller prud’homme ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. (...) » ;
3. Considérant qu’en vertu de ces dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions de conseiller prud’homme, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec leurs fonctions représentatives normalement exercées ou leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exercice des fonctions dont il est investi ;
4. Considérant que, par un courrier du 24 juillet 2009, la société Transports Mauffrey SAS a informé M. X. qu’à la suite de la rupture de ses relations commerciales avec la société A., sa prise de service ne s’effectuerait désormais plus à [ville B.] mais à [ville S.] ; qu’à plusieurs reprises, le requérant a refusé de se soumettre à cette décision de son employeur, persistant à stationner son véhicule en fin de service à [ville B.] ;
5. Considérant que le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute ; qu’en cas d’un tel refus, l’employeur, s’il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus ; qu’après s’être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l’intéressé, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’apprécier si le refus du salarié constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier l’autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d’exercice de son mandat ; qu’en tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l’exercice de ses fonctions représentatives ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que l’article 4 du contrat de travail de M. X. prévoyait que le véhicule de l’intéressé devait être disponible sur le parking de la ZAC de V., située à [ville B.], et qu’il devait être impérativement stationné à cet endroit à chaque fin de service ; que le même article comportait une clause de mobilité selon laquelle « en cas de besoins justifiés notamment par l’évolution de ses activités ou de son organisation, et plus généralement par la bonne marche de l’entreprise, la Société se réserve le droit de modifier le lieu de prise de service de Monsieur X. dans l’un de ses établissements actuels ou futurs implantés en France » ; que cette clause de mobilité ne comporte aucune précision sur sa zone géographique d’application et confère à la société Transports Mauffrey le pouvoir d’en modifier unilatéralement la portée en fonction de ses implantations futures ; qu’ainsi, la clause de mobilité incluse dans le contrat de travail de M. X. était entachée de nullité ; que la société Transports Mauffrey n’est par suite pas fondée à soutenir que la clause de mobilité figurant au contrat de M. X. étant parfaitement valable, la modification du lieu de prise de service de ce salarié devait s’analyser comme un changement de ses conditions de travail ;
7. Considérant, en second lieu, que, contrairement aux affirmations de la société Transports Mauffrey, les fonctions d’un conducteur routier n’impliquent pas par nature que la modification du lieu contractuel de prise de service du salarié constitue un simple changement de ses conditions de travail et non pas une modification du contrat de travail ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’exigence imposée à M. X.par la société Transports Mauffrey SAS de prendre désormais son service à [ville S.], situé à 120 km de [ville B.], constituait une modification du contrat de travail de l’intéressé à laquelle celui-ci pouvait s’opposer sans commettre de faute ; que, par suite, la société Transports Mauffrey n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique du 1er juin 2010 en tant qu’elle lui a accordé l’autorisation de licencier M. X. ;
Sur les conclusions d’appel incident :
9. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-2 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après nouvelle instruction, la juridiction saisie, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé » ;
10. Considérant que l’exécution du présent arrêt implique que l’inspecteur du travail se prononce à nouveau sur la demande de la société Transports Mauffrey tendant à obtenir l’autorisation de licencier M. X. ; que par suite, il est enjoint à l’inspecteur du travail de se prononcer à nouveau sur cette demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de la société Transports Mauffrey une somme de 1.500 euros à verser à M. X. sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Transports Mauffrey est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint à l’inspecteur du travail de se prononcer à nouveau sur la demande de la société Transports Mauffrey tendant à obtenir l’autorisation de licencier M. X. dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La Société Transports Mauffrey versera à M. X.une somme de 1.500 (mille cinq cents euros) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transports Mauffrey, à M. X.et au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.