CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CJUE (1re ch.), 3 juin 2010

Nature : Décision
Titre : CJUE (1re ch.), 3 juin 2010
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (1re ch.)
Demande : C 484/08
Date : 3/06/2010
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 20/10/2008
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 4380

CJUE (1re ch.), 3 juin 2010 : Affaire C‑484/08

 

Extrait (dispositif) : « 1) Les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

2) Les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13 selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible. ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

 PREMIÈRE CHAMBRE

ARRÊT DU 3 JUIN 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑484/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 20 octobre 2008, parvenue à la Cour le 10 novembre 2008, dans la procédure

Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid

Contre :

Asociación de Usuarios de Servicios Bancarios (Ausbanc),

 

LA COUR (première chambre) : composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, faisant fonction de président de la première chambre, M. E. Levits, Mme C. Toader, MM. M. Ilešič et J.-J. Kasel, juges,

Avocat général : Mme V. Trstenjak,

Greffier : M. R. Grass,

Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2009,

Considérant les observations présentées :

- pour Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, par Maître M. Merola, avvocato, et Me J. Cadarso Palau, abogado,

- pour l’Asociación de Usuarios de Servicios Bancarios (Ausbanc), par Mme M. J. Rodríguez Teijeiro, procuradora, ainsi que par Mes L. Pineda Salido et M. Mateos Ferres, abogados,

- pour le gouvernement espagnol, par MM. J. López-Medel Bascones et M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents,

- pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

- pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

- pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes H. Almeida et P. Contreiras, en qualité d’agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Gippini Fournier et W. Wils, en qualité d’agents,

Ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt :

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la « directive »).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (ci-après « Caja de Madrid ») à l’Asociación de Usuarios de Servicios Bancarios (association espagnole des usagers des services bancaires, ci-après l’« Ausbanc ») au sujet de la légalité d’une clause introduite par Caja de Madrid dans les contrats de prêt à taux d’intérêt variable conclus avec ses clients et destinés à l’achat de logements.

 

Le cadre juridique :

La réglementation de l’Union

3. Les douzième et dix-neuvième considérants de la directive énoncent :

« considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable ; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la […] directive ; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité [CEE], d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la […] directive ;

[…]

considérant que, pour les besoins de la […] directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; que l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses […] »

4. L’article 3 de la directive prévoit :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

5. L’article 4 de la directive est rédigé dans les termes suivants :

« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

6. L’article 8 de la directive dispose :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »

 

La réglementation nationale

7. En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984).

8. La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998), qui a transposé la directive en droit interne.

9. Toutefois, la loi 7/1998 n’a pas transposé l’article 4, paragraphe 2, de la directive en droit interne.

 

Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles :

10. Il ressort de la décision de renvoi que les contrats de prêt à taux d’intérêt variable destinés à l’achat de logements conclus entre Caja de Madrid et ses clients contiennent une clause écrite, introduite préalablement dans un contrat type, en vertu de laquelle le taux d’intérêt nominal prévu par le contrat, variable périodiquement conformément à l’indice de référence convenu, doit être arrondi, à partir de la première révision, au quart de point de pourcentage supérieur (ci-après la « clause d’arrondissement »).

11. Le 28 juillet 2000, l’Ausbanc a introduit un recours tendant, notamment, à obtenir de la part de Caja de Madrid la suppression de la clause d’arrondissement desdits contrats de prêt ainsi que la cessation de son utilisation pour l’avenir. Par jugement du 11 septembre 2001, le Juzgado de Primera Instancia de Madrid a accueilli le recours, estimant que la clause d’arrondissement était abusive et donc nulle, conformément à la législation nationale ayant transposé la directive.

12. Caja de Madrid a interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Madrid qui, le 10 octobre 2002, a rendu un arrêt confirmant le jugement de première instance.

13. Le 27 novembre 2002, Caja de Madrid s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo.

14. Selon le Tribunal Supremo, la clause d’arrondissement est susceptible de constituer un élément essentiel d’un contrat de prêt bancaire, tel que celui en cause au principal. Or, étant donné que l’article 4, paragraphe 2, de la directive exclurait que l’appréciation du caractère abusif porte sur une clause concernant, notamment, l’objet du contrat, une clause telle que celle en cause au principal ne pourrait, en principe, faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif.

15. Toutefois, le Tribunal Supremo relève également que, le Royaume d’Espagne n’ayant pas transposé dans son ordre juridique ledit article 4, paragraphe 2, la législation espagnole soumet le contrat tout entier à une telle appréciation.

16. C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 8 de la [directive] doit‑il être interprété en ce sens qu’un État membre peut prévoir dans sa législation, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses que l’article 4, paragraphe 2, de la [directive] exclut dudit contrôle ?

2) En conséquence, les dispositions combinées des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la [directive] s’opposent‑elles à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses portant sur « la définition de l’objet principal du contrat » ou sur « ’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part », même si lesdites clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible ?

3) Une interprétation des articles 8 et 4, paragraphe 2, de la [directive] permettant à un État membre de procéder à un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses figurant dans les contrats conclus par les consommateurs et rédigées de façon claire et compréhensible, qui définissent l’objet principal du contrat ou l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, est‑elle compatible avec les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

Sur la recevabilité :

17. L’Ausbanc, le gouvernement espagnol et la Commission des Communautés européennes contestent la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif qu’elle ne serait pas utile aux fins de la solution du litige dont la juridiction de renvoi est saisie. À cet égard, ils font valoir que la clause d’arrondissement en cause au principal ne porterait pas sur l’objet principal du contrat en question, mais constituerait un élément accessoire de celui-ci, de sorte que l’article 4, paragraphe 2, de la directive ne serait pas applicable au litige au principal.

18. À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêts du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 33; du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 43, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, points 27 et 32).

19. Ainsi, bien que la Cour ait également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21, et du 19 novembre 2009, Filipiak, C‑314/08, non encore publié au Recueil, point 41), le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible, notamment, que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (voir arrêts du 5 décembre 1996, Reisdorf, C‑85/95, Rec. p. I‑6257, point 16, et du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C‑567/07, non encore publié au Recueil, point 43).

20. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

21. En effet, dans sa décision de renvoi, le Tribunal Supremo s’interroge sur la portée des obligations qui incombent aux États membres en vertu de la directive, en ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel du caractère abusif de certaines clauses contractuelles qui, de l’avis du même Tribunal Supremo, relèveraient de l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

22. Bien que cette appréciation du Tribunal Supremo ne soit pas partagée par toutes les parties, il n’apparaît pas, à tout le moins de manière manifeste, que ladite disposition de la directive ne puisse pas trouver à s’appliquer dans l’affaire au principal.

23. Dans ces conditions, force est de constater que la Cour est compétente pour se prononcer sur les questions préjudicielles qui lui sont soumises par la juridiction de renvoi, et que, dès lors, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.

 

Sur le fond :

Sur les première et deuxième questions

24. Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive s’opposent à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

25. Caja de Madrid soutient que l’article 8 de la directive ne permet pas aux États membres d’introduire, par le biais de mesures de transposition, ou de maintenir, en cas d’absence de telles mesures, une réglementation nationale contraire à l’article 4, paragraphe 2, de la directive. En effet, cette disposition délimiterait de manière contraignante le champ d’application du système de protection prévu par la directive, en excluant ainsi toute possibilité pour les États membres d’y déroger, même afin de prévoir une réglementation nationale plus favorable aux consommateurs.

26. En revanche, les autres intéressés ayant présenté des observations font valoir que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive ne s’opposent pas à une telle possibilité. En effet, ils estiment que l’adoption ou le maintien d’une pareille réglementation nationale relèverait de la faculté des États membres d’instituer, dans le domaine régi par la directive, des mécanismes plus stricts de protection des consommateurs.

27. Afin de répondre aux questions posées, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).

28. Néanmoins, comme l’indique expressément le douzième considérant de la directive, cette dernière n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, tout en reconnaissant aux États membres la possibilité d’assurer au consommateur un niveau de protection plus élevé que celui qu’elle prévoit.

29. Ainsi, l’article 8 de la directive prévoit formellement la possibilité pour les États membres d’« adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur ».

30. Il s’agit dès lors de vérifier si la portée de l’article 8 de la directive s’étend à l’ensemble du domaine régi par cette dernière et, par conséquent, à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, ou bien si, comme le soutient Caja de Madrid, cette dernière disposition est exclue du champ d’application dudit article 8.

31. Or, à cet égard, il y a lieu de constater que l’article 4, paragraphe 2, de la directive prévoit uniquement que « l’appréciation du caractère abusif » ne porte pas sur les clauses visées à cette disposition, pour autant que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

32. Il découle donc des termes mêmes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive que cette disposition, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 74 de ses conclusions, ne saurait être considérée comme fixant le champ d’application matériel de la directive. Au contraire, les clauses visées audit article 4, paragraphe 2, tout en relevant du domaine régi par la directive, échappent seulement à l’appréciation de leur caractère abusif, dans la mesure où la juridiction nationale compétente devait estimer, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’elles ont été rédigées par le professionnel de façon claire et compréhensible.

33. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles soumises aux dispositions de la directive (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 2002, Commission/Suède, C‑478/99, Rec. p. I‑4147, points 11 et 17, ainsi que du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C‑237/02, Rec. p. I‑3403, points 18, 19 et 21).

34. Dans cette même perspective, l’article 4, paragraphe 2, de la directive vise pour sa part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 75 de ses conclusions, uniquement à établir les modalités et l’étendue du contrôle de fond des clauses contractuelles, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui décrivent les prestations essentielles des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

35. Il s’ensuit que les clauses visées à cet article 4, paragraphe 2, relèvent bien du domaine régi par la directive et que, partant, l’article 8 de celle‑ci s’applique également audit article 4, paragraphe 2.

36. Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de Caja de Madrid selon lesquels, ainsi qu’il ressortirait notamment de l’arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas (C‑144/99, Rec. p. I‑3541), l’article 4, paragraphe 2, de la directive aurait un caractère impératif et contraignant pour les États membres, de sorte que ceux-ci ne pourraient pas invoquer l’article 8 de la directive pour adopter ou maintenir dans leurs ordres juridiques internes des dispositions susceptibles d’en modifier la portée.

37. À cet égard, il suffit de relever que ces arguments découlent d’une lecture erronée dudit arrêt. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le Royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive non pas pour ne pas avoir transposé l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, mais uniquement pour en avoir assuré une transposition incomplète, de sorte que la réglementation nationale en cause n’était pas en mesure d’atteindre les résultats voulus par cette disposition.

38. En effet, ladite réglementation excluait toute possibilité de contrôle juridictionnel des clauses décrivant les prestations essentielles dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, même lorsque la rédaction de ces clauses était obscure et ambiguë, de sorte que le consommateur était empêché de manière absolue de faire valoir le caractère abusif d’une clause portant sur la définition de l’objet principal du contrat et sur l’adéquation entre le prix et les services ou les biens à fournir.

39. Il ne peut, par conséquent, être aucunement déduit de l’arrêt Commission/Pays-Bas, précité, que la Cour aurait considéré que l’article 4, paragraphe 2, de la directive constituait une disposition impérative et contraignante, devant être obligatoirement transposée en tant que telle par les États membres. Au contraire, la Cour s’est limitée à juger que, afin de garantir concrètement les objectifs de protection des consommateurs poursuivis par la directive, toute transposition dudit article 4, paragraphe 2, devait être complète, de sorte que l’interdiction d’apprécier le caractère abusif des clauses porte uniquement sur celles qui sont rédigées de façon claire et compréhensible.

40. Il découle de tout ce qui précède que les États membres ne sauraient être empêchés de maintenir ou d’adopter, dans l’ensemble du domaine régi par la directive, y compris l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, des règles plus strictes que celles prévues par la directive elle-même, pourvu qu’elles visent à assurer un niveau de protection plus élevé des consommateurs.

41. Or, s’agissant de la réglementation espagnole en cause au principal, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, la loi 7/1998 n’a pas transposé en droit interne l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

42. Il s’ensuit que, dans l’ordre juridique espagnol, ainsi que le relève le Tribunal Supremo, une juridiction nationale peut en toutes circonstances apprécier, dans le cadre d’un litige concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, le caractère abusif d’une clause n’ayant pas été individuellement négociée, qui porte notamment sur l’objet principal dudit contrat, même dans les hypothèses où cette clause a été rédigée préalablement par le professionnel de façon claire et compréhensible.

43. Dans ces conditions, force est de constater que, en autorisant la possibilité d’un contrôle juridictionnel complet du caractère abusif des clauses, telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, prévues par un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, la réglementation espagnole en cause au principal permet d’assurer au consommateur, conformément à l’article 8 de la directive, un niveau de protection effective plus élevé que celui établi par celle-ci.

44. À la lumière de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

 

Sur la troisième question

45. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE s’opposent à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

46. Or, s’agissant des articles 2 CE et 4, paragraphe 1, CE, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante, ces dispositions énoncent des objectifs et des principes généraux qui sont appliqués nécessairement en combinaison avec les chapitres respectifs du traité CE destinés à mettre en œuvre ces principes et objectifs. Elles ne sauraient donc à elles seules avoir pour effet de créer à la charge des États membres des obligations juridiques claires et inconditionnelles (voir, en ce sens, en ce qui concerne l’article 2 CE, arrêt du 24 janvier 1991, Alsthom Atlantique, C‑339/89, Rec. p. I‑107, point 9, et, s’agissant de l’article 4, paragraphe 1, CE, arrêt du 3 octobre 2000, Échirolles Distribution, C‑9/99, Rec. p. I‑8207, point 25).

47. De même, l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE ne saurait non plus produire à lui seul des obligations juridiques à la charge des États membres. En effet, cette disposition se borne à indiquer, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le clarifier, un objectif qui doit cependant être précisé dans d’autres dispositions du traité, notamment dans celles relatives aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 29, et Alsthom Atlantique, précité, point 10).

48. En outre, force est de constater que les indications figurant dans la décision de renvoi ne permettent pas à la Cour de délimiter clairement les dispositions du traité relatives aux règles de concurrence dont l’interprétation serait utile à la solution du litige au principal.

49. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la troisième question que les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

 

Sur les dépens :

50. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs,

la Cour (première chambre)

dit pour droit :

1) Les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

2) Les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13 selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Signatures