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CJCE (1re ch.), 14 mars 1991

Nature : Décision
Titre : CJCE (1re ch.), 14 mars 1991
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (1re ch.)
Demande : C-361/89
Date : 14/03/1991
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 29/11/2009
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4382

CJCE (1re ch.), 14 mars 1991 : Affaire C-361/189

Publication : Rec. 1991 I-01189

 

Extrait : « 1) Le commerçant démarché en vue de la conclusion d’un contrat de publicité relatif à la vente de son fonds de commerce ne doit pas être considéré comme un consommateur protégé par la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux.

2) La directive ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale sur le démarchage étende la protection qu’elle établit à des commerçants, lorsque ceux-ci accomplissent des actes en vue de la vente de leur fonds de commerce. ».

 

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

PREMIÈRE CHAMBRE

ARRÊT DU 14 MARS 1991

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C-361/89, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CEE, par la cour d’appel de Paris et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Patrice D. P.,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31),

 

LA COUR (première chambre) : composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président de chambre, Sir Gordon Slynn et M. R. Joliet, juges,

Avocat général : M. J. Mischo

Greffier : M. H. A. Ruehl, administrateur principal

Considérant les observations écrites présentées :

- pour M. P. X., par Maître M. Hayat, avocat au barreau de Paris,

- pour le gouvernement français, par Mme E. Belliard, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. C. Chavance, attaché principal d’administration centrale auprès du même ministère, en qualité d’agents,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. R. M. Caudwell, du Treasury Solicitor’s Department, en qualité d’agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes M. Condou Durande, membre du service juridique, et G. Pons, fonctionnaire française mise à la disposition du service juridique, en qualité d’agents,

Vu le rapport d’audience,

Ayant entendu les observations orales de M. P. X., du gouvernement français, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. Paines, barrister, et de la Commission à l’audience du 14 novembre 1990,

Ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 1990,

rend le présent :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt :

1. Par un arrêt du 17 novembre 1989, parvenu à la Cour le 29 novembre suivant, la cour d’appel de Paris a posé, en vertu de l’article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31, ci-après « directive »).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. X. pour infraction à la loi n° 72-1137, du 22 décembre 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile (JORF du 23 décembre 1972, ci-après « loi sur le démarchage »). Comme la directive, cette loi prévoit que le consommateur démarché peut revenir sur son engagement dans un délai de sept jours et que cette faculté doit être mentionnée dans le contrat.

 

Le litige au principal :

3. M. X. est le gérant de la SARL « Groupement de l’immobilier et du fonds de commerce » qui publie une revue périodique, intitulée GI commerce. Le partenaire du commerçant et de la franchise, dans laquelle sont insérées des offres de vente de fonds de commerce. En vue de recueillir ces offres, M. X. fait démarcher par ses représentants, à domicile ou dans leur entreprise, les commerçants qui, lors d’un premier contact téléphonique, ont exprimé leur intention de vendre leur fonds.

4. Le 28 mars 1989, le tribunal de grande instance de Paris a condamné M. X. à une peine d’emprisonnement d’un an avec sursis et à 15.000 FF d’amende pour avoir, en juillet 1985 et au cours des années 1986 et 1987, contrevenu à la loi sur le démarchage. Alors que l’article 4 de cette loi interdit aux démarcheurs de percevoir un versement en numéraire avant l’expiration d’un délai de réflexion de sept jours, les contrats conclus par les représentants de M. X. lors de leur démarchage donnaient lieu au règlement immédiat du prix de la prestation, compris entre 3.000 et 30.000 FF selon le format de l’annonce. Par ailleurs, ces contrats ne mentionnaient pas la faculté pour les consommateurs de renoncer à leur engagement avant l’expiration du délai de réflexion.

5. Contre ce jugement, M. X. et le procureur de la République ont, le 4 avril 1989, interjeté appel devant la cour d’appel de Paris. Le 7 juillet 1989, cette juridiction a confirmé, par défaut, le jugement de première instance sur la culpabilité de M. X. et a condamné celui-ci à un an d’emprisonnement ferme et à 15.000 FF d’amende. Le 11 juillet 1989, M. X. a fait opposition à l’exécution de cet arrêt.

6. Dans le cadre de cette procédure, M. X. a soutenu que, contrairement à ce qui a été jugé à diverses reprises par la Cour de cassation française, les commerçants démarchés en vue de la vente de leur fonds de commerce ne bénéficient pas de la protection instaurée par la loi sur le démarchage et que, s’il en allait autrement, cette loi serait contraire à la directive.

 

Le cadre juridique :

Le droit national

7. Aux termes de son article 1er, la loi française sur le démarchage s’applique, en principe, à

« quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage au domicile d’une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail pour proposer la vente, la location ou la location-vente de marchandises ou d’objets quelconques ou pour offrir des prestations de services ».

8. L’article 8, partie I, sous e), exclut toutefois de son champ d’application

« les ventes, locations ou locations-ventes de marchandises ou d’objets ou les prestations de services lorsqu’elles sont proposées pour les besoins d’une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou d’une activité professionnelle ».

 

La directive

9. Quant à la directive, elle spécifie, en son article 1er, qu’elle concerne les :

« contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur :

...

- pendant une visite du commerçant :

i) chez le consommateur ou chez un autre consommateur;

ii) au lieu de travail du consommateur, lorsque la visite n’a pas lieu à la demande expresse du consommateur ».

10. L’article 2 précise qu’il faut entendre par :

« - « consommateur », toute personne physique qui, pour les transactions couvertes par la présente directive, agit pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle,

- « commerçant », toute personne physique ou morale qui, en concluant la transaction en question, agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle, ainsi que toute personne qui agit au nom ou pour le compte d’un commerçant ».

11. En application de l’article 9, les États membres étaient tenus de se conformer à la directive avant le 23 décembre 1987.

12. Doutant de l’interprétation à donner à la directive, la cour d’appel de Paris a soumis à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le commerçant démarché à domicile en vue de la vente de son fonds de commerce bénéficie-t-il de la protection du consommateur instituée par la directive du Conseil des Communautés européennes du 20 décembre 1985 ?

2) L’article 8, partie I, sous e), de la loi du 22 décembre 1972 est-il compatible avec la directive précitée et les autres textes du droit communautaire protégeant les consommateurs démarchés à domicile ? »

13. Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d’audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur la première question préjudicielle :

14. Par sa première question, la cour d’appel de Paris demande en substance si le commerçant démarché en vue de la conclusion d’un contrat de publicité relatif à la vente de son fonds de commerce doit être considéré comme un consommateur protégé par la directive.

15. Il y a lieu, sur ce point, de se référer à l’article 2 de cette directive. De cette disposition, il résulte que le critère d’application de la protection réside dans le lien qui unit les transactions faisant l’objet du démarchage à l’activité professionnelle du commerçant : celui-ci ne peut prétendre à l’application de la directive que si l’opération pour laquelle il est démarché excède le cadre de ses activités professionnelles. Parmi les actes accomplis dans le cadre de ces activités professionnelles, l’article 2, rédigé en des termes généraux, ne permet pas d’établir une distinction entre les actes de pratique courante et ceux qui présentent un caractère exceptionnel.

16. Les actes préparatoires à la vente d’un fonds de commerce, tels que la conclusion d’un contrat en vue de la publication d’une annonce dans une revue périodique, sont liés à l’activité professionnelle du commerçant ; certes, ils peuvent conduire à mettre un terme à cette activité, mais ils constituent des actes de gestion accomplis en vue de satisfaire des besoins autres que les besoins familiaux ou personnels du commerçant.

17. La Commission, partisane de l’application de la directive dans une telle hypothèse, objecte que le commerçant, lorsqu’il est démarché en vue de la vente de son fonds de commerce, se trouve dans un état d’impréparation comparable à celui qui caractérise le simple consommateur. Dès lors, il devrait pouvoir bénéficier également de la protection mise en place par la directive.

18. Cette argumentation ne saurait être accueillie. Il y a tout lieu de croire, en effet, qu’un commerçant, normalement avisé, connaît la valeur de son fonds et celle de chacun des actes que nécessite sa vente, de sorte que, s’il s’engage, ce ne saurait être de manière inconsidérée et sous le seul effet de la surprise.

19. Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que le commerçant démarché en vue de la conclusion d’un contrat de publicité relatif à la vente de son fonds de commerce ne doit pas être considéré comme un consommateur protégé par la directive 85/577.

 

Sur la seconde question préjudicielle :

20. Par sa seconde question, la cour d’appel de Paris demande en substance si la directive précitée s’oppose à ce qu’une législation nationale sur le démarchage étende la protection qu’elle établit à des commerçants, lorsque ceux-ci accomplissent des actes en vue de la vente de leur fonds de commerce.

21. Il convient, à cet égard, de rappeler qu’aux termes de son article 8 la directive « ne fait pas obstacle à ce que les États membres adoptent ou maintiennent des dispositions encore plus favorables en matière de protection des consommateurs dans le domaine couvert par elle ».

22. Cette disposition a pour objet de déterminer la liberté qui est laissée aux États dans le domaine couvert par la directive, à savoir la protection des consommateurs. Elle ne saurait, dès lors, être interprétée comme interdisant aux États de prendre des mesures dans un domaine qu’elle ne concerne pas, comme celui de la protection des commerçants.

23. Il y a lieu de répondre, par conséquent, à la seconde question préjudicielle que la directive ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale sur le démarchage étende la protection qu’elle établit à des commerçants, lorsque ceux-ci accomplissent des actes en vue de la vente de leur fonds de commerce.

 

Sur les dépens :

24. Les frais exposés par le gouvernement français, par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre) :

statuant sur les questions à elle soumises par la cour d’appel de Paris, par arrêt du 17 novembre 1989, dit pour droit :

1) Le commerçant démarché en vue de la conclusion d’un contrat de publicité relatif à la vente de son fonds de commerce ne doit pas être considéré comme un consommateur protégé par la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux.

2) La directive ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale sur le démarchage étende la protection qu’elle établit à des commerçants, lorsque ceux-ci accomplissent des actes en vue de la vente de leur fonds de commerce.