CJCE (5e ch.), 17 mars 1998
CERCLAB - DOCUMENT N° 4386
CJCE (5e ch.), 17 mars 1998 : Affaire C-45/96
Extrait : « L'article 2, premier tiret, de la directive 85/577/CEE, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux doit être interprété en ce sens qu'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique n'agissant pas dans le cadre d'une activité professionnelle est exclu du champ d'application de la directive lorsqu'il garantit le remboursement d'une dette contractée par une autre personne agissant, quant à elle, dans le cadre de son activité professionnelle. ».
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
CINQUIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 17 MARS 1998
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l'affaire C-45/96, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre :
Bayerische Hypotheken- und Wechselbank AG
et
Edgar D.,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31),
LA COUR (cinquième chambre) : composée de MM. M. Wathelet, président de la première chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, J. C. Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward, P. Jann et L. Sevón (rapporteur), juges,
Avocat général : M. F. G. Jacobs,
Greffier : M. H. A. Rühl, administrateur principal,
Considérant les observations écrites présentées :
- pour M. D., par Maître Eberhard Bubb, avocat à Landshut,
- pour le gouvernement allemand, par MM. Alfred Dittrich, Regierungsdirektor au ministère fédéral de la Justice, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement belge, par M. Jan Devadder, conseiller général au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement français, par Mmes Catherine de Salins et Régine Loosli-Surrans, respectivement sous-directeur et chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement finlandais, par Mme Tuula Pynnä, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Carmel O'Reilly et M. Ulrich Wölker, membres du service juridique, en qualité d'agents,
Vu le rapport d'audience,
Ayant entendu les observations orales de M. D., du gouvernement allemand, du gouvernement français, du gouvernement finlandais et de la Commission à l'audience du 22 janvier 1997,
Ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 mars 1997,
rend le présent :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt :
1. Par ordonnance du 11 janvier 1996, parvenue à la Cour le 15 février suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question relative à l'interprétation de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31).
2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant la Bayerische Hypotheken- und Wechselbank AG (ci-après la « banque ») à M. D. au sujet de l'exécution d'un contrat de cautionnement conclu par ce dernier avec la banque.
Le cadre juridique
La directive
3. Selon l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 85/577,
« La présente directive s'applique aux contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur :
- pendant une excursion organisée par le commerçant en dehors de ses établissements commerciaux
ou
- pendant une visite du commerçant :
i) chez le consommateur ou chez un autre consommateur ;
ii) au lieu de travail du consommateur,
lorsque la visite n'a pas lieu à la demande expresse du consommateur ».
4. L'article 2 énonce ensuite :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
- « consommateur », toute personne physique qui, pour les transactions couvertes par la présente directive, agit pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle,
- « commerçant », toute personne physique ou morale qui, en concluant la transaction en question, agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle, ainsi que toute personne qui agit au nom ou pour le compte d'un commerçant. »
5. L'article 4 de la directive 85/577 prévoit que le commerçant est tenu d'informer par écrit le consommateur de son droit de résilier le contrat dans un délai déterminé. L'article 5 précise que ce délai est d'au moins sept jours à compter du moment où le consommateur a reçu l'information relative à son droit de renoncer aux effets du contrat.
Le litige au principal :
6. Le père de M. D. exploite une entreprise de construction pour laquelle la banque a notamment accordé un crédit en compte courant. Par déclaration écrite du 11 septembre 1992, M. D. s'est porté caution solidaire de ses parents pour les obligations contractées par ces derniers envers la banque, pour un montant maximal de 100.000 DM.
7. La conclusion du contrat de cautionnement a eu lieu chez les parents de M. D., un employé de la banque s'y étant rendu après en être convenu par téléphone avec la mère de M. D. Ce dernier n'a pas été informé de son droit de résiliation.
8. En mai 1993, la banque a résilié, avec effet immédiat, tous les crédits qu'elle avait accordés aux parents de M. D. et dont le montant total s'élevait alors à plus de 1,6 million de DM. Elle a en outre assigné M. D. en paiement partiel de 50.000 DM à titre de cautionnement. Ce dernier est alors revenu sur son consentement en faisant valoir qu'il n'avait pas été informé de son droit de résiliation, en violation des dispositions du Gesetz über den Widerruf von Haustürgeschäften und ähnlichen Geschäften, du 16 janvier 1986 (loi relative à la révocation de contrats conclus par démarchage à domicile et de transactions similaires, BGBl. I, 122), qui transpose la directive 85/577 en droit allemand.
9. Le Landgericht ayant accueilli le recours de la banque, M. D. a interjeté appel devant l'Oberlandesgericht, qui a infirmé la décision de première instance.
10. Saisi d'un recours en « Revision », le Bundesgerichtshof a constaté qu'une interprétation de la directive 85/577 était nécessaire à la solution du litige et a donc posé à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le contrat de cautionnement de droit allemand qui est conclu entre un établissement de crédit et une personne physique n'agissant pas, à cet égard, dans le cadre d'une activité professionnelle non salariée et qui garantit une créance de l'établissement de crédit contre un tiers appartient-il aux « contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur » (article 1er, paragraphe 1, de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, JO L 372, p. 31) ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur la question préjudicielle :
11. Par sa question, le Bundesgerichthof demande en substance si un contrat de cautionnement conclu par une personne physique n'agissant pas dans le cadre d'une activité professionnelle entre dans le champ d'application de la directive 85/577.
12. M. D. et la Commission estiment que la directive 85/577 s'applique au contrat de cautionnement, et ce en raison de son objectif ; ce dernier serait de protéger les consommateurs qui concluent un contrat alors que, faisant l'objet d'un démarchage à domicile, ils n'ont pas pu se préparer à sa négociation. Tout comme un acheteur, la caution s'engagerait à exécuter des obligations et devrait être d'autant plus protégée qu'elle ne reçoit aucune contrepartie en échange de son engagement.
13. A cet égard, la Commission considère que l'article 1er de la directive 85/577 s'applique à tout contrat conclu entre une personne physique et un commerçant qui, dans le cadre de son activité professionnelle, fournit, en général, des biens ou des services à des consommateurs, même si le contrat en cause ne comporte pas une telle contrepartie. L'expression « contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur » aurait seulement été utilisée dans le texte de cette directive pour éviter que son champ d'application ne soit restreint à des vendeurs de marchandises.
14. Les gouvernements allemand, belge, français et finlandais considèrent en revanche que le contrat de cautionnement n'entre pas dans le champ d'application de la directive 85/577, essentiellement parce qu'il ne constitue pas un « contrat conclu entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur » au sens de son article 1er.
15. Selon ces gouvernements, cette expression implique qu'un bien ou un service soit fourni par le commerçant au consommateur qui invoque le bénéfice de la directive 85/577, de sorte qu'il ne suffirait pas que le commerçant soit un vendeur de biens ou de services en général. Une telle interprétation résulterait particulièrement clairement de la version anglaise (« to contracts under which a trader supplies goods or services to a consumer »). Or, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, l'engagement de la caution ne donnerait lieu à aucune contrepartie en ce sens qu'elle ne recevrait ni bien ni service du commerçant envers lequel elle s'engage.
16. Ces gouvernements font valoir, en outre, que la question des sûretés n'est pas réglementée par la directive 85/577 qui, dans le cas contraire, aurait comporté des dispositions spécifiques précisant, notamment, le sort du contrat dont l'exécution est garantie par la caution en cas d'exercice, par cette dernière, de la faculté de résiliation. Par conséquent, la protection de la caution relèverait des seuls droits nationaux. Plus particulièrement, le gouvernement français souligne que, dès lors que la directive 85/577 ne régit pas les effets de l'éventuelle invalidité du contrat de cautionnement sur l'obligation principale, le cautionnement devrait, vu son caractère accessoire, être exclu du champ d'application de la directive.
17. Selon son article 1er, la directive 85/577 s'applique aux « contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur » en dehors des établissements commerciaux du commerçant, sauf si celui-ci y avait été invité par le consommateur expressément en vue de la négociation du contrat.
18. Afin de savoir si un contrat de cautionnement garantissant l'exécution d'un contrat de crédit par le débiteur principal peut relever de la directive 85/577, il convient de rappeler que, hormis les exceptions énumérées à l'article 3, paragraphe 2, la directive ne limite pas son champ d'application en fonction de la nature des biens ou services faisant l'objet du contrat, pourvu que ces biens ou ces services soient destinés à une consommation privée. Or, l'octroi d'un crédit constitue un service et le contrat de cautionnement n'existe qu'accessoirement à un contrat principal, dont il est, en pratique, le plus souvent une condition préalable.
19. Qui plus est, rien dans le libellé de la directive n'exige que la personne qui a conclu le contrat en vertu duquel des biens doivent être livrés ou des services effectués soit le destinataire de ces biens ou services. En effet, la directive 85/577 vise à protéger les consommateurs en leur permettant de revenir sur un contrat conclu non pas à l'initiative du client mais à celle du commerçant, lorsque ce client a pu se trouver dans l'impossibilité d'apprécier toutes les implications de son acte. Dès lors, on ne saurait exclure de son domaine d'application un contrat bénéficiant à un tiers, au seul motif que les biens ou les services achetés ont été destinés à l'usage de cette personne, extérieure au rapport contractuel en question.
20. Eu égard au lien étroit entre le contrat de crédit et le cautionnement en garantissant l'exécution ainsi qu'au fait que la personne s'engageant à garantir le remboursement d'une dette peut avoir la qualité de codébiteur solidaire ou de caution, il ne saurait être exclu que le cautionnement relève de la directive.
21. Il convient de relever, par ailleurs, que l'éventuelle extinction d'un cautionnement conclu dans le cadre d'un démarchage à domicile au sens de la directive 85/577 n'est qu'un cas particulier parmi ceux pour lesquels se pose la question de l'effet de l'éventuelle invalidité d'un contrat accessoire sur l'obligation principale. Dans ces conditions, on ne saurait déduire de la seule absence, dans la directive, d'une disposition réglant le sort du contrat principal en cas d'exercice par la caution de la faculté de résiliation prévue à l'article 5 qu'elle ne s'applique pas au cautionnement.
22. Toutefois, il découle du libellé de l'article 1er de la directive ainsi que du caractère accessoire du cautionnement que seul peut relever de la directive un cautionnement accessoire à un contrat par lequel un consommateur s'est engagé, lors d'un démarchage à domicile, envers un commerçant en vue d'obtenir de lui des biens ou des services. De plus, dès lors que la directive ne vise à protéger que les consommateurs, une caution ne saurait être couverte par celle-ci que si, conformément à l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive, elle s'est engagée à une fin pouvant être considérée comme étrangère à son activité professionnelle.
23. Il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 2, premier tiret, de la directive 85/577 doit être interprété en ce sens qu'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique n'agissant pas dans le cadre d'une activité professionnelle est exclu du champ d'application de la directive lorsqu'il garantit le remboursement d'une dette contractée par une autre personne agissant, quant à elle, dans le cadre de son activité professionnelle.
Sur les dépens :
24. Les frais exposés par les gouvernements allemand, belge, français et finlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre) :
statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 11 janvier 1996, dit pour droit :
L'article 2, premier tiret, de la directive 85/577/CEE, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux doit être interprété en ce sens qu'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique n'agissant pas dans le cadre d'une activité professionnelle est exclu du champ d'application de la directive lorsqu'il garantit le remboursement d'une dette contractée par une autre personne agissant, quant à elle, dans le cadre de son activité professionnelle.
- 5839 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat : contrat unilatéral
- 5940 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Financement de l’activité - Garanties et sûretés