CA DIJON (2e ch. civ.), 5 juin 2014
CERCLAB - DOCUMENT N° 4845
CA DIJON (2e ch. civ.), 5 juin 2014 : RG n° 13/00851
Publication : Jurica
Extrait : « Mais attendu qu'il échet de constater que l'appelante conclut aux termes du dispositif de ses conclusions à la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande en livraison des récoltes 2012 encore en stock et que la SA Bourgogne Espace Rural n'a pas, aux termes du dispositif de ses dernières écritures, formé d'appel incident, concluant à la confirmation de l'ordonnance entreprise ; Que dès lors l'essentiel de l'argumentation développée par l'Earl DE R. « à laquelle a répondu la SA Bourgogne Espace Rural » tenant aux différentes critiques émises du protocole transactionnel et aux incidences de la procédure de sauvegarde est ici sans emport, puisqu'afférente à une demande de livraison, et donc d'exécution, qui a été rejetée par le premier juge et ne constitue plus l'objet du litige porté à hauteur de Cour ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 5 JUIN 2014
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 13/00851. Décision déférée à la Cour : ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 16 AVRIL 2013, par le PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CHALON SUR SAÔNE : R.G. n° 13/00009.
APPELANTE :
EARL DOMAINE DE R.
dont le siège social est : [adresse], représentée par Maître Jean-Vianney GUIGUE, membre de la SCP ADIDA & ASSOCIÉS, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉES :
SA BOURGOGNE ESPACE RURAL
dont le siège social est : [adresse], représentée par Maître Jean-Pierre ARMESSEN, avocat au barreau de DIJON
SCP JEAN-JACQUES DESLORIEUX, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL DE R.
représentée par Maître Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 3 Avril 2014 en audience publique devant la Cour composée de : Madame OTT, Présidente de chambre, Président, ayant fait le rapport, Monsieur MOLE, Conseiller, Monsieur LEBLANC, Vice-Président placé, qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame THIOURT,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Madame OTT, Présidente de chambre, et par Madame THIOURT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
L'Earl DE R. s'approvisionne depuis plusieurs années en semences et produits phytosanitaires auprès de la société SA Bourgogne Espace Rural à qui elle livre ses récoltes.
Suite à un solde débiteur présenté par le compte de l'Earl DE R. d'environ 80.000 euros, un protocole transactionnel a été conclu entre les parties le 13 septembre 2010, aux termes duquel M. X., agissant en qualité de l'Earl DE R., s'est engagé à livrer à la SA Bourgogne Espace Rural au minimum 50 % de sa récolte en 2010 et 70 % de sa récolte pour chacune des années 2011 et 2012 en apurement de sa dette, tandis qu'en contrepartie et sous réserve de cet engagement la SA Bourgogne Espace Rural a accepté une remise d'agios de 6.000 euros, un gel des intérêts futurs sur une partie de la dette devant être amortie en 2 ans et l'avance des prochaines campagnes, ce sous réserve que le compte de fonctionnement soit soldé chaque année.
Une procédure de sauvegarde a été ouverte le 20 mars 2012 à l'égard de l'Earl DE R.
Estimant que le protocole n'était que partiellement respecté, que le compte de fonctionnement n'a pas été soldé et que l'Earl DE R. avait brutalement rompu leurs relations en refusant de livrer les récoltes auxquelles elle s'était engagée, la SA Bourgogne Espace Rural a par actes du 8 janvier 2013 assigné en référé l'Earl DE R. et Maître Jean-Jacques DESLORIEUX, mandataire judiciaire ès-qualité de représentant des créanciers de l'Earl DE R., aux fins de faire injonction à l'Earl DE R. sous astreinte de communiquer ses déclarations de récolte 2010, 2011 et 2012 ainsi que ses factures de ventes de céréales pour ces mêmes années et de livrer à la société demanderesse l'intégralité de ses récoltes encore en stock dans la limite de 70 % de sa récolte totale de 2012. Elle a sollicité l'organisation d'une expertise afin notamment de préciser le volume et le prix des récoltes et de leurs ventes.
L'Earl DE R. a conclu à l'irrecevabilité de la demande pour contestation sérieuse en arguant principalement du déséquilibre entre les concessions réciproques prévues par le protocole transactionnel.
Par ordonnance en date du 16 avril 2013, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Chalon sur Saône a :
- condamné l'Earl DE R. à communiquer à la SA Bourgogne Espace Rural ses déclarations de récoltes 2010, 2011 et 2012 et ses factures de ventes de céréales pour 2010, 2011 et 2012 et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de l'ordonnance,
- rejeté la demande en livraison des récoltes 2012 encore en stock,
- ordonné une expertise, confiée à M. A. avec mission notamment de préciser le volume et le prix de vente des récoltes par céréale et année et donner tous éléments pour apprécier les préjudices pouvant être subis du fait de la non-livraison des pourcentages de récoltes prévus,
- rejeté les demandes en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- laissé les dépens, qui comprendront les frais d'expertise, à la charge de la SA Bourgogne Espace Rural.
Pour statuer ainsi au visa de l'article 809 du Code de Procédure Civile permettant de prescrire en référé toute mesure conservatoire ou de remise en état, le premier juge a considéré que l'argument de l'abus de position dominante, à le supposer établi, ne peut être utilement soulevé en référé pour s'opposer à la simple demande de production de justificatifs de récoltes, relevant par ailleurs que l'Earl DE R. s'est crue autorisée à ne pas respecter les termes d'un contrat sans même en contester préalablement la validité devant les juridictions compétentes. Il a considéré que suite à la carence de l'Earl DE R., l'obligation de livrer la récolte n'a été que partiellement respectée en 2010 et 2011 et pratiquement pas en 2012. Il en a déduit que la production des éléments demandés est nécessaire pour que la SA Bourgogne Espace Rural apprécie l'ampleur des éventuelles infractions et le montant de son possible préjudice alors que les déclarations de récoltes ne sont qu'en possession de l'exploitant.
Le premier juge a fait droit à la demande d'expertise au visa de l'article 145 du Code de Procédure Civile, considérant que la SA Bourgogne Espace Rural a un intérêt légitime à voir évaluer son éventuel préjudice compte-tenu des carences de livraison de l'Earl DE R.
Par déclaration formée le 2 mai 2013, l'Earl DE R. a régulièrement interjeté appel de ladite ordonnance.
Par ses dernières écritures du 28 janvier 2014, l'Earl DE R. demande à la Cour, vu les articles 808 et 809 du Code de Procédure Civile, L. 442-6-I, L. 622-21- II du Code de Commerce, de :
- infirmer l'ordonnance entreprise, par application de l'article L. 622-13 du Code de Commerce et conformément au plan de sauvegarde homologué le 16 avril 2013, en ce qu'elle a condamné l'Earl DE R. à communiquer ses déclarations de récoltes et ses factures de vente sous astreinte, et ordonné une expertise ;
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande en injonction de livrer les récoltes 2012,
- débouter la SA Bourgogne Espace Rural de toutes ses demandes contraires,
- condamner la SA Bourgogne Espace Rural à payer à l'Earl DE R. la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner la SA Bourgogne Espace Rural en tous les dépens.
Par ses dernières écritures du 4 octobre 2013, la SCP Jean-Jacques DESLORIEUX, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'Earl DE R., demande de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour et de condamner qui mieux d'entre les parties au paiement d'une somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par ses dernières écritures du 30 octobre 2013, la SA Bourgogne Espace Rural demande à la Cour de :
Vu les articles 10 et 1134 du Code Civil, L. 443-6 [N.B. Lire 442-6] du Code de Commerce, 11, 145, 808 et 809 du Code de Procédure Civile,
Vu les documents produits aux débats suivant bordereau en annexe,
- dire et juger l'EARL DE R. mal fondée en son appel,
Par voie de conséquence,
- confirmer l'ordonnance et condamner l'EARL DE R. à payer à la société BOURGOGNE ESPACE RURAL (B.E.R.) la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2014.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Vu les dernières écritures des parties auxquelles la Cour se réfère ; vu les pièces ;
Attendu que l'appelante pour conclure à la réformation de l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a ordonné d'une part la communication sous astreinte des déclarations de récolte et les factures de vente de céréales et d'autre part une expertise, fait valoir :
- l'absence d'urgence,
- le non-respect des dispositions de l'article L. 622-13-II du Code de Commerce en ce que la SA Bourgogne Espace Rural sollicite sa condamnation à respecter les engagements de livraison et exige donc en infraction à ces dispositions l'exécution des contrats en cours, alors que l'Earl DE R. a clairement opté pour la non continuation du protocole transactionnel du 13 septembre 2010, que la non continuation du dit protocole a été acté par le jugement du 16 avril 2013 arrêtant le plan de sauvegarde et ne retenant la poursuite que de deux contrats, du Crédit Agricole et de GE Money Bank, ce qui a été encore confirmé par l'ordonnance du juge commissaire ayant débouté le 18 juin 2013 la SA Bourgogne Espace Rural de sa demande tendant à ordonner de justifier du prix de vente de sa récolte,
- la force de chose jugée attachée à ce jugement du 16 avril 2013 que doit donc respecter la SA Bourgogne Espace Rural dont le silence, lors de la consultation par le mandataire sur les propositions de plan, doit s'analyser à la lumière de l'article L. 626-5 du Code de Commerce comme une acceptation pure et simple du projet de plan, en ce compris le choix de la non continuation du protocole transactionnel,
- le caractère éminemment contestable de l'obligation de l'Earl DE R. de livrer ses récoltes, eu égard à la contrainte économique qui a présidé à l'élaboration du protocole transactionnel, au déséquilibre existant entre les concessions réciproques, ainsi qu'au caractère manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu de l'avantage recherché par la SA Bourgogne Espace Rural par application de l'article L. 442-6-I du Code de Commerce,
- l'impossibilité d'exécution de la part d'un créancier par application de l'article L. 622-21 du Code de Commerce,
- la dénaturation des faits d'espèce par le juge des référés alors que par ses écritures la SA Bourgogne Espace Rural avance des pourcentages de livraison qui sont à comparer au volume total des récoltes, ce qui montre qu'elle n'a aucune légitimité dans sa demande d'expertise et de communication de factures ;
Attendu que la SA Bourgogne Espace Rural oppose la confusion opérée par l'appelante entre discussion au fond et contestation d'une mesure sollicitée au regard des articles 808 et 809 du Code de Procédure Civile ; qu'elle réplique que l'Earl DE R. a pris un engagement de livraison et que ce n'est pas parce que cette dernière estime avoir à peu près respecté ses engagements en 2010 et 2011 qu'elle peut s'exonérer de toute justification ; qu'elle fait observer que la demande de communication de pièces et d'expertise concerne la conservation et la communication des moyens de preuve, étant précisé que les comptes de l'Earl DE R. comme société civile ne font pas l'objet de publication et que les déclarations de récoltes ne sont qu'en possession de l'exploitant ;
Mais attendu qu'il échet de constater que l'appelante conclut aux termes du dispositif de ses conclusions à la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande en livraison des récoltes 2012 encore en stock et que la SA Bourgogne Espace Rural n'a pas, aux termes du dispositif de ses dernières écritures, formé d'appel incident, concluant à la confirmation de l'ordonnance entreprise ;
Que dès lors l'essentiel de l'argumentation développée par l'Earl DE R. « à laquelle a répondu la SA Bourgogne Espace Rural » tenant aux différentes critiques émises du protocole transactionnel et aux incidences de la procédure de sauvegarde est ici sans emport, puisqu'afférente à une demande de livraison, et donc d'exécution, qui a été rejetée par le premier juge et ne constitue plus l'objet du litige porté à hauteur de Cour ;
Et attendu que par application de l'article 145 du Code de Procédure Civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont peuvent dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé en référé ;
que le terme « mesures d'instruction » ne se limite pas à une expertise, mais doit être considéré comme incluant les mesures de l'article 142 du Code de Procédure Civile relatif à la production des pièces et éléments de preuve détenus par une partie ;
qu'or ni l'urgence ni l'absence de contestation sérieuse exigée par l'article 808 du Code de Procédure Civile ne sont une condition d'application de l'article 145 du Code de Procédure Civile ; que dès lors les développements de l'Earl DE R., s'attachant à ces conditions non requises au regard de l'article 145 du Code de Procédure Civile, manquent de pertinence ;
qu'il sera observé que l'appelante ne peut en aucun cas se prévaloir de l'ordonnance du juge commissaire, ayant le 18 juin 2013 débouté la SA Bourgogne Espace Rural de sa demande tendant à voir ordonner l'Earl DE R. de justifier du prix de vente de sa récolte, dès lors que précisément par cette ordonnance le juge commissaire a expressément rappelé que « il n'appartient pas au juge commissaire d'ordonner à l'entreprise faisant l'objet de la procédure de sauvegarde de justifier auprès d'un de ses fournisseurs du prix de vente de sa récolte » ;
Attendu qu'il suffit de retenir que le protocole transactionnel du 13 septembre 2010 prévoit que « en contrepartie de la facilité de paiement qui lui est accordée, le débiteur (l'Earl DE R.) s'engage à livrer au moins 70 % de sa récolte à BER pour chacune des années 2011 et 2012 » et également que « sous réserve du respect de l'apport par le débiteur de ses moissons à hauteur de 50 % pour 2010, à hauteur de 70 % pour chacune des années 2011 et 2012, BER accepte une remise de dette... » ;
qu'ainsi la SA Bourgogne Espace Rural justifie d'un intérêt légitime à solliciter, tant la communication des justificatifs relatifs aux récoltes que l'expertise, afin de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige que l'âpreté de la discussion relative à la validité et l'exécution du protocole transactionnel rend particulièrement vraisemblable ;
qu'il sera enfin ajouté que l'appelante oppose en vain les dispositions de l'article L. 622-21 du Code de Commerce dès lors que cette demande de la SA Bourgogne Espace Rural ne tend ni à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, ni à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, et ne constitue pas une procédure d'exécution forcée ; que par ailleurs l'ordonnance entreprise ne souffre pas du grief fait par l'appelante de dénaturation des faits d'espèce ;
Attendu qu'il convient en conséquence de débouter l'Earl DE R. de son appel mal fondé et de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'appelant qui succombe sur son appel doit être condamné aux entiers frais et dépens ;
Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais exposés à hauteur de Cour et non compris dans les dépens ; qu'il convient, en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, d'allouer à la SA Bourgogne Espace Rural la somme de 1.000 euros et à la SCP Jean-Jacques DESLORIEUX la somme de 500 euros ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
Déclare l'Earl DE R. recevable mais mal fondée en son appel ; l'en déboute ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Chalon sur Saône en date du 16 avril 2013 ;
Y ajoutant :
Condamne l'Earl DE R. à payer, en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, à la SA Bourgogne Espace Rural la somme de 1.000 euros et à la SCP Jean-Jacques DESLORIEUX, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de l'Earl DE R., la somme de 500 euros ;
Condamne l'Earl DE R. aux entiers frais et dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,